Chapitre 29.
Il est déjà tard lorsque nous arrivons sur le site de Pétra, en Jordanie. La ville antique en ruine a beau avoir connu l'influence orientale de siècles passés sous le joug de nations musulmanes, des traces hellénistiques sont toujours présentes, comme l'indique son nom qui signifie « rocher » en grec ancien, tout comme certains restes de l'époque romaine, comme l'atteste l'ancien amphithéâtre. Un vrai vestige des temps passés et des différentes cultures.
La chaleur du désert est étouffante. Je ne savais pas où nous nous rendions jusqu'à que ce que Poséidon nous y téléporte. Si j'avais su, j'aurai enfilé des vêtements moins chauds voir même pas de vêtements du tout. Ce ne serait pas mes compagnons, essentiellement masculin, qui s'en seraient plaint. Seulement le grand bémol est que les sirènes ne sont pas à l'aise dans un lieu si dépourvu en humidité. Et Ligie comme moi, sommes désavantagées. Quoique, de notre point de vue, l'antique cité de roche ne se trouve pas à si grande distance de trois mers : la mer méditerranée, la mer morte et la mer rouge, avec seulement cent trente kilomètres nous séparant de cette dernière. Soit, presque rien pour une sirène, même si le voyage peut se révéler éprouvant, surtout dans ces conditions.
La véritable question est pourquoi diable, les dieux se sont retrouvés ici, dans une terre qui est loin d'avoir été dans leur domaine d'action. Cette histoire aura manqué de logique jusqu'au bout. Mais je suppose qu'il s'agit d'une stratégie de l'enchanteresse. Elle devait avoir une raison d'agir ainsi.
Heureusement pour nous, il n'y a pas un humain sur le site antique. Si ça avait été le cas, je m'en serai chargée. A moins que Seth n'y ait posé objection. Chose que j'aurai respecté un minimum même si je n'en aurai pas vu le moindre intérêt. Mon protecteur observe attentivement les horizons. À ses côtés, Ligie remonte ses cheveux d'or en un chignon qu'elle fait tenir avec deux baguettes. Mais, à y regarder de plus près, je me rends vite compte que se sont en réalité deux aiguilles aussi tranchantes et pointues que peuvent l'être mes dagues. Lorsqu'elle surprend mon regard, elle m'adresse un petit sourire en coins.
Bien, puisque tous semblent être prêts, les choses peuvent commencer.
« Donc Poséidon, où se trouve exactement la stèle dans laquelle tes frères et sœurs sont enfermés, qu'on aille les saluer ?
Le dieu plisse des yeux et son regard se pose sur les bâtiments taillés à même la pierre. Son visage est impénétrable, impossible de savoir ce qu'il pense vraiment. Sait-il qu'à l'orée d'une des possibilités qui me sont offertes, il pourrait se retrouver enfermé pour toujours. Soit il réfléchit activement à un moyen de s'en sortir, soit il est réellement confiant en ce qui concerne mon choix et doit être persuadé que je ne l'enfermerai pas... Jamais le dieu des mers ne se sacrifierait.
- À l'autre bout de Pétra, dans une crypte.
- Une crypte, réellement ? Je pourrais presque croire que ton choix de m'enfermer dans un tombeau en Égypte il y a deux mille ans était une volonté de rendre la monnaie de sa pièce à la clé en quelque sorte, en m'enfermant moi dans une crypte comme elle l'avait fait avec tes frères.
Le sourire qu'il me lance pourrait m'incendier sur place et je dois me concentrer pour ne pas me laisser distraire.
- Crois ce que tu veux, Lorelei, je te garantis que je n'y avais pas pensé. Même si, je l'avoue, ça aurait été du génie.
Seth marmonne à mon encontre :
- Du génie ou juste une preuve de son déséquilibre mentale.
Il croise les bras tandis que j'esquisse une petite moue.
- Bon et bien, direction cette fameuse crypte dans ce cas là !
Nous nous engageons entre les rochers et les ruines imposantes. Cet endroit pourrait presque faire naître chez moi un sentiment de nostalgie. Il me rappelle l'époque antique, celle où j'ai forgé ma réputation.
Alors que je m'éloignais un peu du groupe, dans le but de faire taire la migraine terrible qui ravage mon esprit depuis quelques jours, la voix de Poséidon m'interpelle :
- Lorelei !
Je me retourne vivement.
- Quoi ?
Le dieu me sourit, confiant, comme si nous n'allions pas nous battre contre une déesse maléfique. Il me tend alors quelque chose que je saisis avec méfiance. Il s'agit d'une dague aussi affûtée qu'une dent de requin et aussi tranchante qu'une lame de rasoir. Son manche d'argent est serti d'un petit saphir d'un bleu marin. D'un bleu de la couleur des yeux d'une sirène. Il se penche au dessus de moi et je frémis à son contacte.
- Même la clé a besoin d'une arme. J'ai pensé que celle ci te conviendrait.
- On s'offre des cadeaux maintenant ?
Il rit, se moquant de ma pique et s'exclame sur le même ton narquois :
- Je tiens seulement à m'assurer que, si après notre victoire, l'envie te prenne de me faire payer au centuple tout ce que je t'ai fais, ce serait avec une arme digne de moi.
- Et qu'est ce qu'ont mes autres dagues ?
Poséidon s'approche de moi, trop près de moi, nos visages ne sont plus qu'à quelques centimètres. Il souffle de sa voix rauque :
- Je trouve que le sang de trop d'hommes les ont déjà tachées. »
Je me mords la lèvre pour ne pas sourire et il se détourne pour s'éloigner tranquillement.
Ce dieu me perdra.
Soudain un rugissement nous fige tous. Et avant que quiconque ne puisse réagir, un discordant bondit de nul part, toutes griffes dehors pointées vers moi. Je l'esquive habilement en roulant au sol et Poséidon s'interpose avant d'enfoncer son trident dans le poitrail du monstre qui s'effondre, touché au cœur. En moins de temps qu'il n'en faut pour le dire, nous nous regroupons. Le regard de Ligie se pose avec dégoût sur le corps du discordant mort. « Celle au cri perçant » penche la tête sur le côté et grimace :
« Ce sont vraiment ces horreurs qu'il faut combattre ?
- Qu'est ce qu'il y a ? C'est la première fois que tu en vois ? je souffle, soudain sur mes gardes.
La sirène fronce des sourcils quelques instant et lâche du bout des lèvres :
- Oui, en effet »
Pas le temps de tergiverser plus. Les créatures sont là. Et elles sont nombreuses. Elles sortent des caveaux, de derrière les murs, des ruelles... Les discordants montrent les crocs et se dispersent autour de nous. Seth les compte rapidement et lâche une grimace. Ils sont dix et nous sommes quatre. Et comble de malchance, nous sommes encerclés de toute part. J'en viens sérieusement à douter de nos capacités... Soit j'ai réellement un karma nullissime, soit même le destin ne veut pas que l'on empêche Éris de mettre au point ses plans diaboliques... C'est alors qu'un son cristallin emplie l'air. Les discordants poussent de rugissement terribles tandis que mes compagnons se bouchent les oreilles. Mais pas moi. Je connais ce son. Une vague d'euphorie s'empare de moi. Je fais volte face et m'éloigne du groupe, dépassant les créatures qui tombent l'une après l'autre, agressées par cette mélodie empoisonnée qui les endort comme Cerbère bien avant elles.
Mélodie qui ne peut rien contre moi. Je me laisse portée par la musique et parvient à son origine.
Orphée. Sa lyre envoûtée en main, il se tient sur un amas de roches ocres. M'apercevant, un rictus étire ses lèvres et il m'adresse un clin d'œil. A bout de bras, je me hisse jusqu'à lui tandis qu'il s'agenouille sur son muret pour se mettre à ma hauteur. Je me mords la lèvre inférieur, séductrice, et lâche d'un ton moqueur :
« Tient donc, le héro se joint donc à nous...
- J'ai cru que mes talents de poète et de chanteur vous aiderai.
Je hausse des épaules et rétorque :
- Quelle plus belle mélodie que celle que tu tires de ta lyre...
- Descendre d'une muse à ses avantages.
- Et ses inconvénients. Ta mort était vraiment ridicule.
- Mon passé en tant qu'humain est-il réellement un sujet que tu désires aborder là maintenant ?
Il plonge son regard vert dans le mien et je finis par pousser un long soupire. Non pas vraiment. Alors je change de sujet et interroge un peu plus brusquement :
- Que fais-tu là ? Nous sommes à des milliers de kilomètres de l'Autriche.
- J'ai suivit la piste des créatures.
- Attends, tu veux dire que...
- Votre ennemi, quel qu'il soit, se trouve ici. Bien décidé à vous empêcher de l'arrêter.
Il aurait fallut s'en douter. Nos espérances qu'elle n'y soit pas étaient vaines. Eris nous a précédé. En mon fort intérieur, pourtant, je parviens en m'en réjouir. Je pourrais ainsi voir le visage de la déesse se décomposer quand nous la vaincrons, et me satisfaire de sa défaite.
- Orphée chéri, tu n'en reviendras pas, mais notre ennemie, comme tu le dis si bien est... Eris déesse du chaos et de la discorde ! Et ces créatures sont des Discordants. J'aurai du te faire un topo par message mais j'ai un peu été retenue et occupée...
- Encore un dieu ?
- Il y a beaucoup de chose que tu dois savoir.
Et avant qu'il ne puisse dire quoique se soit je me lance dans un résumé précis mais concis des derniers événements et de nos découvertes concernant cette affaire et mon passé. Ses traits se sont durcis au fur et à mesure de mon récit. Je suis presque satisfaite de voir la colère brûler dans son regard émeraude. Orphée est beaucoup trop attirant quand il est furieux.
- Tu plaisantes, j'espère !
- Jamais avec toi, petit héro.
- Et où sont-ils tous ?
- Un peu plus loin. Ils finissent d'achever les discordants que tu as si gentillement endormi.
Il hoche de la tête et saute agilement de son promontoire. Je tends mes doigts vers son instrument envoûté. Je me rappelle une certaine époque où je chantais et où il m'accompagnait de sa lyre. Les deux magies combinées donnaient un effet dévastateur à nos mélodies qui causait un chaos total parmi ceux qui les entendaient. Le chant est dans la nature d'une sirène et le partager avec Orphée avait quelque chose d'euphorique. C'était du jamais vu, une sirène et un héro chantant en duo... Orphée n'est pas un protecteur. Il n'est pas un allié. Il est un ami.
Alors que nous nous dirigeons vers le reste du groupe, je l'interpelle :
- Ne t'es-tu jamais demandé pourquoi je m'appelais Mélusine ?
Le héro fronce des sourcils :
- Tu trouves qu'il s'agit du bon moment pour parler de ça ? Les autres nous attendent sûrement.
- Ils attendront. Vois-tu, lorsque la mer m'a déposée, moi une fillette de dix ans, sur les rivages de cette petite île en Grèce, j'ai été recueillie par une matrone. Oh, une femme horrible dont on n'évoquera pas la fin peu glorieuse. Et si tu te poses la question, oui j'y suis pour quelque chose. Cette bonne femme ne trouva pas de meilleur nom pour moi que Mélicine, l'ancien nom pour Mélusine. Cela signifie « merveille ». Ou bien « brouillard des mers ». Vois tu, elle savait que je n'étais pas humaine. Et encore moins une gentille fille douce et innocente. Alors, si je dois mon nom à ma beauté merveilleuse et légendaire, je le dois encore plus au fait que je suis aussi dangereuse qu'un brouillard maritime. Sache que le cher mari de la matrone était mort en mer, par jour obscure.
- C'est une bien belle histoire mais pourquoi me racontes-tu tout ça, alors même que l'on s'apprête à combattre la déesse de la discorde et du chaos en personne ?
- Il faut se rappeler de ses origines. Tout ce que je croyais vrai se trouve être faux. Et pourtant je reste la même.
Une survivante. Une merveille. Un danger. Un mystère. La tentation même. Et toutes les malédictions et pouvoirs mystiques de clé du monde n'y changeront rien. Je ne finirais pas comme l'enchanteresse.
- Quand as-tu modernisé ton prénom en Mélusine ?
- Je pensais que nous n'avions pas le temps pour ce type de bavardage... je le taquine.
- Ce n'est qu'une question.
Je hausse des épaules.
- Je ne m'en souviens plus, ça fait si longtemps. Les hommes m'ont donnée tant de variantes différentes que je m'y perds moi même. Melicine, Mélusine, Melizenn, Milouziena...
- J'avoue préférer Mélusine.
- Moi aussi. »
Je lui adresse un clin d'œil et nous nous dirigeons enfin vers le reste du groupe qui nous attendait plus loin.
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