Chapitre 23.
Le trajet dans la voiture que Seth a loué pour circuler en Autriche se fait en silence. Il conduit tandis que j'observe à travers la fenêtre. Les étoiles dans le ciel semblent nous narguer. Elles sont si loin du chaos qui règne sur Terre que je pourrai presque les envier. D'après certains, nous, sirènes, sommes, de par notre beauté, les étoiles de la Terre. Si l'on s'en approche, on se brûle les ailes. Étrange comparaison aérienne pour des créatures de la mer. Mais de tout ce qui se dit sur nous, ce n'est pas le pire. Le soleil commence tout juste à se lever quand nous atteignons l'aéroport. Il s'est passé tant de chose cette nuit qu'il est encore difficile pour mon esprit d'ordinaire si vif de tout assimiler.
Mais une fois à bord de l'avion privé, ma langue se délie et je raconte tout à mon protecteur concernant la rencontre avec Éris et ses intentions belliqueuses. Il m'écoute sans rien dire et à la fin de mon récit, finit par souffler :
« Donc là, je vais devoir appeler mon supérieur pour lui dire que le coupable dans tout cette histoire est une déesse furieuse ? Admettre le surnaturel ne veut pas dire tout accepter.
- Ton unité se charge de maintenir au secret la magie et d'empêcher les deux mondes de s'entre-détruire. Je pense que prévenir ton patron ne fera de mal à personne.
Mon ton est sec. Il l'a sentit et il lève son regard brun sur moi.
- Qu'as-tu de si spéciale pour que cette déesse te désire autant ?
- Crois moi, si je le savais, je n'en serais pas là. Mais c'est une chose que Poséidon sait. Et après tout ce qu'il s'est passé cette nuit, je suis bien décidée à lui faire cracher le morceau. Et si pour cela il faudra user des grands moyens, je le ferai.
- C'est à dire ?
Le regard de Seth se fait surpris et je comprends ce qu'il a interprété de mes paroles.
- Ce à quoi tu penses n'est qu'un dernier recourt. N'as-tu pas remarqué que le dieu révèle les plus sinistres secrets au cœur d'une dispute, quand la rage et la colère font disparaître tous ses filtres ?
- Tu vas le provoquer ?
- Et pas qu'un peu.
Il hoche la tête mais ne peut s'empêcher de me glisser alors qu'il se remet à complémenter le dossier de l'enquête :
- Prends garde Mel. Que ça ne se retourne pas contre toi... »
*
Je pousse avec violence les portes de la salle principale. Le bruit de leur claquement fait se retourner toute la joyeuse assemblée. Satisfaite de mon entrée, je redresse le menton et ignore délibérément le soupire amusé de mon compagnon trop habitué à mes mises en scènes dramatiques. Le roi des mers et des océans se tient dans son siège et semblait être en pleine conversation sérieuse avec ses sirènes avant que je ne les interrompe.
Oups.
Mes talons claquent sur le sol et résonne dans le silence presque religieux de la salle. Et si je n'étais pas si déterminée à avoir mes réponses, cette situation aurait presque pu être coquasse.
Je m'arrête à quelques pas de Poséidon et de son trône et aperçois Ligie qui me fixe étrangement. Un souffle lui échappe des lèvres :
« Il y a du sang sur tes vêtements...
Je baisse les yeux et me mord la lèvre pour ne pas ricaner. Je n'avais pas remarqué m'être tachée durant ma petite... altercation. Je hausse des épaules et me parant d'un sourire transpirant l'hypocrisie à plein nez, je lâche d'un ton mielleux :
- Mais c'est parce que j'ai tué cette chère Abysse.
Le silence se fait. L'effroi se lit sur les visages des sirènes. Abysse était la plus âgée. La première à apparaître. Elle était sensée être la plus puissante. Et je l'ai tuée. J'omets volontairement de préciser que Seth m'y a aidé mais même alors, cela fait de moi une sirène plus dangereuse que ce qu'elles ne pensaient. Poséidon fronce des sourcils et sa voix gronde :
- Tu as quoi ?
Je reste mutique, sans répondre. Aujourd'hui, c'est à lui de répondre à mes questions. Il le comprend car quelque chose passe dans son regard océanique avant que son expression ne se ferme encore plus.
- Sortez ! Maintenant ! hurle-t-il à l'intention des sirènes.
La plupart d'entre elles adoptent leur métamorphose aquatique et s'enfoncent dans les profondeurs des bassins pour rejoindre la mer. Ligie semble me murmurer quelque chose que je ne saisis pas vraiment avant de quitter la salle à son tour. Je me tourne vers Seth qui fusille du regard le dieu, prêt à intervenir. Je soupire :
- Vas y, toi aussi.
Ses yeux sombres se posent sur moi et je le vois prêt à protester. Cependant, il se ravise et quitte la salle furibond. Je reporte mon attention sur Poséidon qui se relève brusquement et siffle, véhément :
- Pourquoi l'as-tu fais ?
- Si vous vouliez vous débarrasser de moi, envoyer Abysse était une mauvaise idée.
Il fronce des sourcils et la température dans la salle chute dangereusement.
- Pardon ?
Le dieu n'en savait vraiment rien. Et cette perspective semble même le mettre en colère. Intérieurement je m'en amuse. Et je crois même qu'une minuscule parcelle de moi, qui doit vraiment avoir perdu l'esprit, s'en réjouit.
- Vous m'avez bien entendu. Votre petite sirène préférée est venue me rendre visite pour mettre fin à mes jours d'un coup de poignard dans le cœur. Je n'avais pas vraiment envie de faire mumuse mais quand on vient me menacer, je réagis. C'est étrange, je pensais que vous auriez sentit sa mort...
- Abysse sait se dissimuler à mes sens. C'est un autre de ses pouvoirs. grogne-t-il entre ses dents.
Je hausse des épaules et Poséidon renchérit soudain, à voix basse :
- Je ne lui ai pas donné cet ordre.
- Heureusement pour vous !
Cette fois ci, le venin dans ma voix s'entend nettement. Le dieu descend de son siège et siffle :
- Alors pourquoi tant de haine dirigée à mon encontre Lorelei ?
Il me demande pourquoi ? Ce dieu de pacotille ose réellement me demander pourquoi ? Ce n'est pas comme si je mourrais d'amour pour lui et me montrais aussi douce et agréable qu'une étoile de mer depuis le début de cette fichue semaine d'horreur, alors il ne peut pas s'étonner de ma rancœur.
Puis le regard hautain de la déesse me revient en mémoire. Et je crache :
- Vous saviez qu'Éris était en liberté... Il ne vous était pourtant pas venu à l'esprit qu'il s'agissait d'elle ?
- Ma sœur était privée de ses pouvoirs. Je n'aurai jamais pensé à elle !
- Vous êtes un idiot !
- Je sais, tu me l'as déjà dis une bonne dizaine de fois, je crois avoir saisit le message.
Ça fait au moins une chose de comprise entre nous. Je croise les bras et lance, avec dédain :
- Et donc, qu'allez vous faire ? Céder aux exigences de votre sœur et tenter de me livrer ? je crache véhémente.
Il lève un sourcil et réplique, sarcastique :
- C'est une proposition intéressante mais il me semble t'avoir déjà dis que personne d'autre que moi n'avait le droit de te tuer.
- Alors il est clair que je vivrai éternellement. Vous n'y parviendrez jamais.
- J'aurai pu le faire mainte fois en effet. Et j'ai même faillis le faire il y a deux milles ans.
Il se remet à parler du passé comme si je pouvais m'en rappeler ne serait-ce que d'un morceau. Frustrée, je serre les poings, et me rappelant des paroles d'Éris, je réplique :
- Pourquoi avoir fais vœux de me tuer ?
Comme toujours, il ne répond pas à mes question, s'emmurant dans le silence et je pousse un profond soupire me prenant la tête entre les mains. Nous n'arriverons jamais à rien et je n'aurai jamais mes réponses. Autant me faire à l'idée. Autant m'en aller maintenant, mettre fin à tout cela. Retrouver Orphée, mettre fin aux plans fous furieux de la déesse de la discorde et disparaître pour toujours afin de retourner à ma passionnante vie de tueuse en série. Ne plus rien perdre dans ce foutu combat. Caïan, mon assurance, mon libre contrôle... La liste doit s'arrêter là. Car il est hors de question que j'y laisse Seth ou pire encore, ma vie. C'est une chose que ni Éris ni Poséidon ne m'enlèveront. Je compte bien honorer mon titre d'immortelle à tout jamais...
Soudain sa voix tranche le silence :
- Que sais-tu de votre naissance à vous, sirène ?
Je relève la tête et le fixe sans dire mots quelques secondes, étonnée de son interrogation, avant de répondre :
- La mer nous a donné naissance, par votre ordre. Par plusieurs nuits de grandes tempêtes, ses vagues nous ont déposées sur les rivages du monde entier. Dix petites élevées dix ans parmi les humains avant de subir leur première transformation en sirène, passage vers l'immortalité, et de devenir de fières vampires des mers.
- C'est là que tu te trompes. Au commencement, je n'avais décidé la création que de seulement neuf sirènes de la première génération.
Je fronce des sourcils et glisse, suspicieuse :
- Pourtant j'en suis la dixième. Et je suis une véritable sirène.
- Ce que tu ne sembles pas comprendre, c'est que la mer t'a créée d'elle même, sans que je n'en donne l'ordre. Ou bien, tu es apparut de toi même, je ne saisis pas encore la nuance.
- Encore une fois, tout cela ne veut rien dire. Venez en au fait !
Il secoue négativement la tête et continue, ignorant ma remarque :
- Nous nous sommes rencontrés à Rome. Sous le règne du grand Auguste.
Je fronce des sourcils. C'est aussi durant la Rome antique que j'ai été enfermée dans la crypte par celui ou celle qui m'en voulait. La perte de mémoire que cela a entraîné peut être la cause du vide glacial dans mes souvenirs concernant le dieu.
- Je venais te soumettre, toi la dixième des premières. Le fait que tu sois apparut par toi même m'intriguait mais je ne m'étais pas étalé sur le sujet. C'est étrange, tu avais également refusé.
- Vous voyez donc bien que quelle que soit l'époque et l'état de ma mémoire, je ne serai jamais votre.
Il me fusille soudain du regard et je lève les mains en signe de reddition afin qu'il poursuive son joli petit conte. Je sens que j'approche de la vérité et si le dieu est décidé à prendre son temps, autant ne pas l'encourager...
- Seulement, il semblerait que déjà à l'époque, tes charmes m'aient pris. Et j'aurai pu t'aimer. Mais au lieu de ça, Lorelei, j'ai fais le vœux de te tuer, et ce, dans les pires des souffrances.
- Pourquoi l'avoir fais ? Pourquoi m'avoir haïs ?
Ses yeux s'assombrissent, l'orage s'empare du bleu de ses iris et les voilà qui deviennent ténébreuses. Je pourrai presque en trembler tant la haine se lit sur son visage. Mais ce n'est qu'un instant, aussi fugace qu'un éclaire et son expression reprend un air à la fois nostalgique et hautain.
- Tu es comme elle.
- Comme qui ?
- L'enchanteresse. Tu possèdes le même pouvoir. Celui de me nuire à jamais.
J'écarquille des yeux et recule d'un pas, comprenant petit à petit ce qu'il insinue. Je secoue la tête farouchement et persifle :
- Ça n'est pas possible. Je n'ai pas le pouvoir d'enfermer ou de libérer les dieux... Vous faites erreur !
- Lorelei, je ne fais jamais d'erreur. Et tout cela, je le sais depuis plus deux mille ans.
- Comment ça, depuis plus de deux mille ans ?
Son regard se fait sombre. Il m'accule contre le mur, ses mains m'empêchant de fuir et souffle :
- Tu verras bien par toi même. »
Et soudain il pose ses doigts sur mon front. Un éclair de lumière m'éblouit tandis qu'une douleur foudroyante me parcourt et je sombre dans l'inconscience.
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