Chapitre 22.
Si je devais choisir un fleuve de préférence, se serait le Danube. Traversant presque l'Europe de part en part, il n'y a pas mieux pour circuler, et pas mieux pour fuir. Fuir n'était peut être pas malin, mais au moins, je serai suffisamment tranquille pour décider de ce qu'il convient de faire par la suite... Les profondeurs sombres du fleuves ne me posent aucun problème. Au contraire. Je savoure presque le contact de mon élément naturel. Après avoir nagé sur des kilomètres, j'émerge soudain. J'ai beau toujours être en Autriche, je suis bien loin de mon point d'arrivée avec le dieu. Sur la rive se dresse un vieux cabanon de pêcheur à moitié dissimulé dans un enchevêtrement d'arbres et de buissons.
Me hissant sur la berge, j'observe ma longue queue de poisson noire. Les écailles luisent sous la lune qui s'élève doucement dans le ciel. Cette vision pourrait presque paraître... belle. Mais elle ne fait que me rappeler qu'aujourd'hui je suis traquée, désirée par un dieu, par une déesse et surtout en danger. Hors en danger et Mélusine ne fonctionnent pas dans la même phrase à moins que je sois moi même la cause du danger. Je fais apparaître mes jambes et me relève lentement.
Je me dirige vers le petit cabanon de pêcheur et en pousse la petite porte grinçante. L'intérieur est vide. Il s'agit avant tout d'une planque, choisie par mes soins en cas de besoins. Sur le globe s'en trouve une à chaque endroit où j'aurai été susceptible d'avoir à me réfugier. Le pêcheur qui habitait auparavant dans celle-ci avait réellement un horrible goût.
Je retrouve des vêtements, certes un peu vieux, datant de 1995, mais qui me vont. Encore heureux que j'ai pensé à y cacher quelques sous vêtements... D'après mes souvenirs la journée où j'avais mis en place cette cachette je venais de tuer à main nue un chasseur de sirène. Ceux là ne me laissent jamais en paix. À croire qu'être une vampire des mers, légèrement meurtrière, justifie cet harcèlement. Mais finalement, ce type de problème me manque. Car il est possible à affronter et simple à battre. Tout le contraire des dieux et des monstres...
*
Le carillon de la vieille pendule du cabanon de pêcheur résonne à nouveau pour la septième fois depuis que j'y suis entrée. Si je suis arrivée en Autriche en début de soirée, il doit à présent être minuit passé. Je ne sais combien de temps je suis restée dans le cachette.
Je me décide finalement à retourner en Grèce. Il me faut des explications et il n'y a que Poséidon qui soit capable de m'en donner. Poséidon et Eris, mais la déesse n'est pas vraiment une option... J'amasse les quelques affaires que j'avais laisser dans la planque il y a plus de vingt ans qui pourraient m'être utiles et les range dans un sac en toile que je jette sur mon épaule.
C'est alors que la porte s'ouvre dans un grincement désagréable et je tourne la tête dans cette direction. Dans l'encadrement, se découpe la silhouette gracieuse aux cheveux décolorés d'Abysse. La sirène me toise du regard tandis qu'un rictus déforme mes lèvres.
« Mélusine.
- Qu'est ce que tu me veux Abysse ?
Elle ne répond pas, se contente de m'observer de son regard tranchant. Je pousse un soupire et la dépasse. Seulement alors que je la bouscule pour pouvoir sortir du cabanon, elle m'attrape l'épaule et me propulse avec une force phénoménale contre le mur, de l'autre côté de la pièce. Je me cogne violemment contre le coin d'une étagère qui s'effondre avec moi. Mon dos s'est prit tout le choc et je crains un instant de ne plus pouvoir bouger correctement. Mais l'instinct est plus fort et je me redresse en retenant un gémissement de douleur. Passant un mains dans mon dos, je constate que du sang la tâche. Cette garce a réussit à ma blesser... Furieuse je relève la tête. La sirène est restée impassible, dans l'encadrement de la porte.
- Tu sais Mélusine, je suis une traqueuse. La meilleur du banc. Je peux détecter une sirène à des kilomètres à la ronde. C'est une partie intégrante de mon pouvoir.
Je comprends ce qu'elle insinue et grogne entre mes dents :
- Et aujourd'hui je suis ta cible.
Elle hoche affirmativement de la tête.
- Poséidon est venu nous trouver après ta disparition. Il m'a tout expliqué. Après tout, je suis sa seconde et une de ses plus anciennes et fidèles amies.
- Et tu t'es dit que pour protéger le banc et cette vie qui te convient tant, tu devais te débarrasser de la menace que je suis.
C'est une telle évidence. Cette sirène me voit comme une menace à l'équilibre de tout ce que le dieu a crée. Peut être n'a-t-elle pas tort, après tout, je brave les interdits et fait affront au maître des océans chaque fois que l'occasion se présente. Pourtant, à cet instant même, j'ai l'impression que sa haine vient de plus loin encore. Elle réplique acerbe :
- Une guerre avec Éris ne peut être envisageable. Et tu es la seule qui garantirait notre sécurité à nous. Éris veut ton immortalité. Pas la notre. Elle veut ta mort. Pas celle du banc.
- Les désirs d'Éris ne sont pas vraiment ma priorité. Et la déesse n'en a pas qu'après moi.
- Ta mort réglerai tous les problèmes ! Eris ne pourrait plus obtenir ce qu'elle convoite si ses monstres ne peuvent s'emparer de ton immortalité et de tes pouvoirs !
Je lève les yeux au ciel et rétorque vivement, la colère se rependant dans mes veines :
- Je n'irai pas me sacrifier pour vous.
- Je ne te laisserai pas déclencher une guerre. Poséidon ne pourra pas te tuer, je le sais depuis le début, il en est incapable.
Et je comprends que si Abysse est la première à avoir rejoint le banc, elle est au courant de tout ce qui a pu se passer concernant le dieu et moi. Seulement, la sirène aux long cheveux blanc poursuit d'un ton sec et mordant :
- Tout ça entraînera la chute de tout notre peuple. Tu entraîneras la chute de notre peuple.
Abysse s'approche de moi, menaçante. Je ne fais pas un pas, pas un mouvement, attendant que la sirène vienne à moi, qu'elle tente de me donner le coup de grâce. Elle n'y parviendra pas. Car soudain un parfum familier me parvient et je dois me faire violence pour ne pas sourire.
- Ce n'est vraiment pas contre toi ma sœur. Mais nous ne pouvons pas nous permettre une guerre contre la déesse de la discorde.
- Ne fais pas quelque chose que tu pourrais regretter Abysse.
- Ton assurance te tueras Mélusine.
Elle avance encore et une dague en argent glisse alors entre ses doigts. Le reflet de la lumière sur la lame en est presque hypnotisant mais je la sais destinée à se planter dans mon cœur. Chose qu'elle ne fera jamais. Soudain, l'odeur que j'avais sentis un peu plus tôt lui parvient à elle aussi. Elle s'immobilise et fronce des sourcils avant de cracher :
- Un humain ?
Elle n'a pas le temps de dire quoique se soit de plus. Seth bondit juste derrière elle, son pistolet levé et tire sur la sirène. Encore et encore. Les balles traversent sont corps sans toucher son cœur. Plusieurs spasmes secouent la belle sirène au cheveux blanc avant qu'elle ne s'écroule. Elle ne mourra pas de ces plaies, elle guérira. A moins que je ne m'en mêle. Je m'approche d'elle et siffle avec mépris :
- Il y a pas d'eau autour de toi pour te guérir. Ton banc est à des kilomètres et n'arrivera pas à temps pour te sauver. Tu es perdue Abysse. Je t'avais dis de ne rien tenter...
Je m'accroupis alors et ramasse son poignard. J'observe la lame ciselée, un vrai chef d'œuvre, avant de siffler, sans quitter ses yeux d'un bleu si semblable au mien du regard :
- Nous sommes des prédatrices, des tueuses. Pas de vulgaires servantes au service d'un dieu esseulé. Je ne suis pas là pour déclencher une guerre. Mais pour survivre. Et si pour survivre je dois déclencher cette guerre, alors je le ferai. Sans hésitation. Ma survie primera toujours sur le reste. »
J'abaisse le poignard et le plante dans son cœur avant qu'elle ne puisse se défendre. Ses yeux se figent sur un point, son souffle océanique s'éteint et je sais qu'elle est désormais morte. Aussi morte qu'elle voulait que je le sois. Je l'observe encore quelques secondes. Ce n'est pas la première sirène que je tue. Mais c'est la première pour laquelle je ne ressens pas ne serait-ce qu'un minuscule pincement au cœur. Peut-être Poséidon m'en voudra-t-il. Mais pour tout ce qu'il a fait et pour tout ce que j'ai pu apprendre, je n'en ai rien à faire. Je passe une main dans les cheveux blancs de la sirène avant de me relever.
Délaissant son corps, je rejoins Seth. Son arme encore fumante à la main il me regarde sans ciller. Je me stoppe face à lui, les bras croisés et un étrange rictus se forme sur ses lèvres.
« Le monde a du soucis à se faire si Mélusine de Longborn décide de se battre.
- Il a toujours eut du soucis à se faire peu importe ce que je décidais de faire.
Il sourit en secouant la tête et retire son long manteau brun avant de me le tendre. Je l'enfile avant de le refermer contre moi, appréciant grandement la chaleur que dégage l'habit.
- Seth, par tous les dieux, ne change jamais de style vestimentaire... Tes mentaux des années 1900 sont si confortables !
- Ne t'en fais pas, j'aime bien trop ma collection de vieux mentaux.
Je me mords la lèvre avant de reprendre mon sérieux.
- Comment es-tu arrivé si vite ? Et comment as-tu su que je viendrais ici ?
- Prendre un jet privé est heureusement pour moi aussi simple que de prendre un bus. Et je suis policier.
- Mais encore...
Il reste silencieux quelques secondes avant d'avouer :
- Poséidon m'a dis que tu t'étais volatilisée. En fait, j'ai reçu un appel de sa part quand j'ai mis pieds en Autriche. Et ceci est la seule planque à des centaines de kilomètres à la ronde. Au bord du Danube qui plus est...
Je hausse des épaules et fronce des sourcils. Qu'est ce que ça peut bien faire au dieu que j'aie disparu... J'attache mes cheveux et récupère un de mes poignards que me tend mon protecteur. Et les mots d'Abysse me reviennent en mémoire.
Éris... Éris n'a pas déclaré la guerre aux sirènes. Mais à moi. C'est mon immortalité qu'elle désire. Une immortalité qu'elle n'aura pas. Comment ces fichus dieux ont-ils pu croire que j'obéirai gentillement ? Les temps ont changé, le monde ne leur appartient plus. Il est temps de passer aux choses sérieuses. Finit les mystères et secrets du dieux des mers.
- Oh oh... Je connais cette expression... C'est signe que tu es prête à passer à l'action.
- Cette Éris veut la guerre ? Elle l'aura. Et elle goûtera à la défaite. »
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top