Chapitre 9.
Penchée au dessus d'une table, m'appuyant sur mes mains, je parcourt des yeux une carte du monde, à la recherche du moindre indice, du moindre souvenir qui me rappellerai ou m'indiquerait où se cache Orphée. Pourquoi diable me suis-je débarrassé du téléphone de Caïan ?
Si jamais je parviens à mettre la main sur ce maudit héro, je jure de lui faire la peau. De toute façon, il est immortel, il n'en mourra pas.
« Tu ne devrais pas le braver ainsi.
Je sursaute presque en entendant la voix mélodieuse mais impétueuse de Ligie et mes mains se crispent sur la carte. Je me retourne vers elle et lève le menton.
- Et pourquoi pas ?
- Tu ne t'en rends pas compte n'est-ce pas ?
- Me rendre compte de quoi ?
Je fronce des sourcils et un petit rictus vient étirer ses lèvres. Elle penche la tête sur le côté et ses yeux étincellent étrangement, presque... Furibonds.
- C'est dur à croire mais Mélusine de Longborn a bien une faiblesse : elle est incapable de reconnaître les sentiments...
Je reste bouche bée face à son audace mais elle semble n'en avoir rien à faire. Profitant du fait que je ne sache pas quoi répliquer, la sirène poursuit sur sa lancée :
- C'est simple pour toi : après tout tu as découvert les tiens il y a seulement cinq ans. Mais je crois que Poséidon a eut un coup de foudre pour toi dés l'instant où il t'a vu, il y a... plusieurs millénaires. Mais depuis... Il n'a jamais eu d'autres « relations ». Bien sûr, ça lui arrivait de charmer une humaine ou même une sirène, et crois moi, nous n'allions pas refuser. C'est incroyable l'énergie que peut transmettre Poséidon...
- Pourquoi me racontes-tu tout ça ? Je n'en ai rien à carrer des galipettes que vous avez pu faire... je crache.
Ligie hausse des épaules mais cette fois-ci des éclairs traversent son regard d'ordinaire si doux. Elle affiche le visage d'une tueuse.
- Si tu ne me crois pas, tant pis pour toi. Pense simplement au fait qu'il est prêt à trahir sa famille pour toi. À trahir ses frères, ses sœurs, enfermés depuis des millénaires, raison pour laquelle il te haïssait auparavant.
Remarquant que mes mains sont prises de tremblement, je serre les poings et mon regard se durcit. Mon interlocutrice recule d'un pas et la douceur s'empare à nouveau de ses traits. Je demande alors :
- Pourquoi agis-tu comme ça ?
- Pardon ?
Elle semble ne pas comprendre ma question.
- Tu es aussi douce qu'une brebis, aussi sage et souriante qu'une gentille petite fille. Pourtant, la seconde d'après, tu peux te transformer en tueuse perfide. Je n'ai pas oublié notre première rencontre. Et même si je t'ai mise K.O. en moins de quelques secondes, j'ai tout de suite décelé que tu savais te battre. Alors, pourquoi te refreines-tu ?
- Nous ne sommes pas toutes comme toi Mélusine. Nous n'avons pas des siècles de rage enfouis en nous.
- Ligie, tu es une sirène. Alors si, la fureur est innée en nous.
Elle esquisse une moue avant de se rendre compte que j'ai raison. Peu importe les caractères différents que nous possédons toutes, au fond de nous, nous sommes pareil. Mais elle n'a pas non plus tort. Alors que je réfléchis plus attentivement à ses paroles, elle se décide à me répondre.
- Peut-être que oui. Après tout, je suis une mangeuse d'hommes. Mais crois moi, ils adorent ce côté angélique en moi.
Cette fois ci je m'autorise à sourire et elle m'adresse un clin d'œil. Il n'y a aucun doute là-dessus, elle a beau être de la seconde génération, cette sirène est formidable. Je suis surprise par mes propres pensés. Mais elle ne me laisse pas le temps de répliquer quelque chose d'acerbe et s'exclame joyeusement :
- Nous devrions aller nager ensemble, un de ces jours.
- Mais quelle excellente idée, et puis on se fera des tresses ensemble comme des copines ! Ça sera fan-ta-stique !
Mon ton narquois et moqueur lui arrache un sourire et elle réplique sans se démonter, entrant dans mon jeu avec un brio et une assurance naturelle époustouflante :
- Oh, j'ai toujours rêvé de coiffer tes cheveux, ils sont si magnifiques ! J'y mettrais même des fleurs ! »
Je lui adresse un regard noir et elle éclate de rire tout en sortant de la pièce d'un pas énergique. Lorsque sa silhouette disparaît enfin mon amusement se calme et je me reconcentre sur la carte. Pourtant son parfum salé embaume encore la salle. Je pâlis en me rendant compte que je m'attache. Mauvais signe, très mauvais. À croire que je ne retiens jamais la leçon...
« C'est peut-être le cas... »
Merci pour ce commentaire vraiment pertinent Eris...
« De rien petite sirène. C'est toujours un plaisir que de te communiquer mon immense sagesse. »
Je pousse un soupire et saisit un stylo afin de barrer sur le plan les lieux où il est impossible qu'Orphée y ait trouvé refuge.
Soudain deux bras passent autour de ma taille et m'enserre contre un corps implacable. Je me raidis instinctivement mais les bras et la force de leur étreinte m'empêchent de m'en dégager. La voix du dieu me parvient tandis que son souffle marin agite mes cheveux :
« Comment fais-tu pour m'échapper à chaque fois Lorelei ?
Il me retourne subitement et je me retrouve dos à la table, face à lui, nos corps si proches l'un de l'autre qu'ils se frôlent. Mes yeux se perdent dans son regard si envoûtant et je murmure :
- Peut être que nous ne sommes pas destinés à être ensemble. Je possède le pouvoir de t'enfermer à jamais et toi celui de me détruire... Ça ne serait pas très sain comme relation...
- Ça, c'est toi qui le décide Lorelei...
Ses mains dans mon dos ne semble pas vouloir me lâcher et je sens le bord de la table contre mon bassin. Je pose mes main sur ses épaules pour le repousser.
- Il y a deux milles ans nous nous sommes aimés alors même que tu venais pour me soumettre. Tu as découvert ma capacité à te nuire et juré de me tuer. Puis tu m'as enfermée dans une crypté parce que tu ne parvenais pas à me détruire. Il y a cinq ans tu m'as à nouveau traquée pour me ramener à toi. Tu m'as sauvée alors que tu aurais du mettre fin à mes jours, après avoir bien entendu menacé de tuer mon protecteur, puis tu m'as rendu ma mémoire et ravivé un désir éteint alors même que je n'éprouvais qu'amertume pour toi. Et puis nous avons affronté une déesse maléfique, j'ai du choisir entre ma sécurité ainsi que ma survie et toi et le peuple des sirènes. Je suis à nouveau partie dans l'espoir d'être en paix. Et voilà que les dieux me prennent en chasse pour me tuer ce qui fait que je me retrouve dans l'obligation te retrouver. Ce n'est pas moi qui l'ai décidé.
- On dirait une question de mauvais timing...
- Si ce n'était que ça...
Mes doigt sont toujours refermés sur ses épaules et je tente toujours de le maintenir a distance. Ou du moins, je le crois... Ses bras m'attirent encore plus à lui, peu importe la résistance que je désire lui opposer et je ne sais plus si je tente de le repousser ou de l'attirer à moi. Mon corps et mon esprit luttent l'un contre l'autre et ne semblent pas vouloir adopter les mêmes décisions.
- Peut être que pour une fois, le timing est le bon...
- Alors même que je vais probablement mourir ?
Ses muscles se contractent subitement et ses doigts entrent dans ma chaire. Je me cambre légèrement pour échapper à cette désagréable sensation, ce qui approche encore plus mon corps du sien.
- Écoute moi bien Lorelei, je ne laisserai personne, je dis bien personne te faire du mal.
- Qui te dis que j'ai besoins de toi ?
- Je m'en fiche, je te protégerai.
Je plisse des yeux et penche la tête sur le côté. Son discourt a beau être bien enflammé, les zones d'ombre sont bien trop nombreuses. J'approche mon visage du sien et souffle :
- Et qui me protégera de toi ?
Ses mains me lâchent alors et son expression se ferme. Il se penche en avant et grogne contre mon oreille :
- Personne ne te protégera de moi Lorelei. Tu es ma proie depuis toujours...
Je reste dubitative. Une prédatrice qui serait proie ? Poséidon qui serait au sommet de la chaîne alimentaire ?
Son visage retrouve une sorte de douceur et il interroge :
- Et si je te jurais un amour éternel ?
- À combien de femmes, de nymphes, de divinités as-tu juré un amour éternel par le passé?
- C'était il y a trois millénaires voir plus ! Depuis, je n'ai plus aimé, seulement eu quelques aventures par ci, par là.
- Voyons Poséidon, on sait tous que tu tombais amoureux de chaque créature ayant assez du jugeote pour te fuir, comme si tu avais développé un fichu syndrome de « fuis-moi, je te suis ». Tes amantes passées t'ont presque toutes opposé résistance. Puis, si tu parvenais à t'emparer d'elles, tu avais quelques beaux enfants, dans les meilleurs de cas, et c'était finit. Je ne suis pas une proie si facile, Poséidon.
Il esquisse une moue et rétorque, piqué au vif :
- C'est faux ! J'ai été marié.
- Amphitrite ? J'ai entendue parler de votre histoire. Elle aussi t'a fuit au commencement. Et tu ne t'es pas gêné pour la tromper.
Il plisse des yeux, narquois, avant de ricaner :
- Tu me demandes fidélité maintenant ?
- En soit, pas vraiment. Je suis de celle qui n'attache pas beaucoup d'importance à l'acte en lui même. Je te l'ai déjà expliqué il me semble, mais jamais je ne pourrais m'empêcher d'aller étendre mes charmes. Aimais-tu Amphitrite ?
- À l'époque oui. Mais souviens toi, tous sont morts. Rares sont les créatures mythiques qui ont survécu à l'enfermement des dieux et à ce qui a précédé.
- Tu n'en as pas eu le cœur brisé ? j'interroge, mi-sérieuse, mi-moqueuse.
Il est vrai que j'ai du mal à imaginer que cela ait pu être le cas, mais avec Poséidon, je ne suis pas à l'abri de surprises...
- Pour ça, il aurait fallut que je puisse éprouver de véritables sentiments, Lorelei. Je suis très différent de ce que j'étais à l'époque. Je suis moins un dieu au sens caractériel du terme.
- En es-tu certains ? Est-ce véritablement de l'amour ou simplement de l'obsession que tu nourris à mon égard ? Non, parce que tu m'as tout de même traquée pendant des années...
Il se crispe soudainement et plaque ses deux mains de part et d'autre de ma tête. Son visage s'approche du mien, menaçant, et il grogne à mon oreille :
- Ce que tu peux être casse-pieds Lorelei ! Cela va faire trois millénaire que je n'ai pas autant brûlé de désir pour quelqu'un. Je n'ai jamais autant aimé qu'à cet instant. Prends en compte toutes mes conquêtes et tout mon passif ! Je ne sais pas combien de fois je devrais le répéter, mais tu es à moi.
Sans me laisser démonter, je reste immobile, ignorant son souffle contre ma peau. Et d'une voix assurée, je rétorque :
- Alors j'espère pour toi que tes frères ne parviendront pas à me tuer. »
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