Chapitre 23.

Il aurait au moins fallut prendre en compte la faim terrible qui ronge mes entrailles depuis que nous sommes allés dans les tunnels avant de se lancer à la recherche du Temps. À présent mon estomac pousse des grognements très significatifs. Je meurs de faim et je dois me nourrir dans les plus bref délais. C'est impératif.

C'est pour cela que Poséidon, à qui j'ai fais part de l'éveil de mon appétit vorace, m'emmène dans une petite ruelle déserte attenant à une rue un peu plus fréquentée d'Athènes. D'un coup d'œil expert, je repère une proie par excellence : un jeune homme entourés de ses amis. Alors qu'ils passent à côté de nous, je sors de l'obscurité et me met à fredonner la mélodie mortelle, le chant millénaire des sirènes : Viens à moi.

Le jeune homme s'arrête soudain. Il m'a entendue. Un sourire satisfait se peint involontairement sur mes lèvres et je lui ordonne de me rejoindre. Le pouvoir dont sont emprunts les mots n'agit que trop bien. Délaissant ses compagnons, il se dirige vers moi. Cependant, ces derniers remarquent son absence et se tournent vers nous. Je montre les canines, agacée à l'idée qu'ils puissent venir me déranger et j'interromps un instant le chant des sirènes pour user de mes propres dons. Alors que la mélodie qui s'échappe d'entre mes lèvres leur ordonne de s'en aller et de ne plus se retourner, ils obtempèrent et les voilà qu'ils s'éloignent déjà, oubliant leur ami. Je me retourne à nouveau vers ma proie pour récupérer mon emprise sur elle et l'attire dans l'obscurité de la ruelle. Je perçois chacun de ses battements de cœur. Humant le parfum de son sang, je me mets à sourire. Mon estomac gronde, réclamant son du. Et oubliant tout ce qui tourmentait mon esprit, je cède à la faim monstrueuse qui m'habite. Mes canines plonges dans la chaire de l'humain et je goûte enfin à mon essence vitale. Mais alors que je rassasie mon côté meurtrier, l'image de Seth s'impose à mon esprit, comme une gifle violente qui me coupe le souffle. Je hoquette soudain et laisse tomber ma victime au sol, inconsciente et peut-être même morte.

Je lève les yeux vers le ciel, reprenant ma respiration, et j'essuie une goutte de sang qui perlait au coin de mes lèvres de ma amin tremblante. Deux bras entourent soudain ma taille et Poséidon m'étreint quelques secondes, comme s'il avait sentit le trouble qui s'était emparé de moi. Sa présence dégage une chaleur qui se propage en moi avec une douceur envoûtante. Son corps contre le mien suffit à calmer mes tremblement et à chasser l'image de mon protecteur. Je profite de ce petit réconfort quelques secondes avant de me détacher. Je ne formule pas des remerciements oraux mais mon regard doit parler pour moi puisqu'il m'adresse un geste de la tête, compréhensif.

Je suis à présent prête à reprendre la route. Ma voix déraillant à cause de mon repas, j'interroge :

« Où allons-nous maintenant ? »

*

Nous déambulons dans les rues d'un petit village perdus en plein cœur des montagnes Alpines. À vrai dire je ne fais que suivre Poséidon qui semble savoir exactement où il va et ce qu'il fait. Moi, je ne peux m'empêcher de penser qu'il nous mène à notre perte.

« Sais-tu au moins où se cache le Temps ?

- Bien sûr que oui. soupire le dieu exaspéré.

Je le fusille du regard. Son plan bien trop fou et risqué me rend complètement à fleure de peau. C'est du suicide. Mais c'est aussi ma seule solution. La prochaine attaque des dieux me sera fatale. Pas besoins d'être devin pour le deviner.

- Comment sais-tu que le Temps nous aidera ? Il pourrait tout aussi bien nous laisser nous débrouiller seul, jugeant qu'il ne s'agit pas de son ressort. Après tout, ça n'aura aucun impacte sur lui.

- Il est... Particulier. Tu t'en rendras compte quand tu le rencontreras.

- Est-il comme la Vie ou la Mort ?

- Je n'ai jamais rencontré les deux sœurs.

Je me fige.

- Tu plaisantes ?

Il secoue négativement la tête et je me retrouve avec une furieuse envie de l'étrangler. Comment peut-il haïr deux entités qu'il n'a jamais rencontré ?

- Le seul moyen de rencontrer la Mort est de mourir. Quand à la vie personne ne l'a jamais vue.

- Et le Temps ?

- C'est... Différent.

Nous arrivons face à une petite maison aux allures atypiques. La pancarte indique qu'il s'agit d'une horlogerie très ancienne. Poséidon y pénètre comme s'il était chez lui et je ne peux que le suivre. L'intérieur ressemble à un vieux musée rempli d'antiquités provenant d'époques diverses et variées. Et les murs sont recouverts d'horloges de toutes tailles et de toutes formes. Je fronce des sourcils. Ça ne ressemble absolument pas à l'idée qu'on pourrait se faire sur le repère d'une entité.

Je m'approche d'une vitrine et ne peut m'empêcher d'écarquiller les yeux en reconnaissant un vase mythique, sensé daté de près de trois millénaires, trônant entre des dagues anciennes, porteuses d'inscriptions dans plusieurs langages oubliés de l'humanité. Le grec se mêle à l'égyptien et au mésopotamien.

- Mais quel est cet endroit...

- Bienvenu chez le Temps Lorelei ! me lance le roi des océans mi-amusé mi-inquiet.

Mon attention se posé sur une autre étagère et je sursaute presque en apercevant mon reflet dans un miroir. Seulement, mon image est différente. La peau parsemée de cicatrices, les cheveux blancs comme neige, les yeux injectés de sang... Seuls mes traits semblent avoir conservé leur jeunesse. Si je n'avais pas cette capacité à guérir, voilà à quoi je ressemblerai. Je frissonne à cette perspective et me détourne du miroir lorsque mon regard se pose sur le symbole qui luit sur mon front. Le précieux objet, originaire de Venise à priori, possède la capacité de montrer la réalité des choses telles qu'elles devraient être sans magie... Cette énorme collection contient également des objets surnaturels !

Je m'empresse de rejoindre Poséidon. Alors qu'il pousse une énième porte, nous parvenons dans une cour à l'arrière du bâtiment. Dissimulée, à l'abri des regards indiscret, le calme y règne. En son centre se trouve un puits et sur son rebord repose une petite clochette d'argent sur laquelle sont gravées des inscriptions dans un langage bien plus ancien que moi. Le dieu s'en approche comme pour s'en saisir mais se fige soudain. Quelque chose semble lui avoir traversé l'esprit.

Il fait brusquement volte face et se plante face à moi, l'air déterminé. Je fronce des sourcils, prête à l'interroger sur son comportement mais il ne m'en laisse pas le temps et se lance dans un long discourt qui me laisse sans voix.

- Avant que les choses ne se précipitent et que nous n'en ayons plus le temps, il faut que tu m'écoutes Lorelei. Je sais très bien ce que tu me reproches. Je sais très bien ce que tu penses. Que les choses seront semblables au passé, que tu ne représenteras pas plus que les autres, qu'Amphitrite, que tu perdras ta liberté... Mais je te l'ai déjà dis : je t'aime, avec passion, avec violence. Je t'aime comme un fou, je t'aime comme un soldat aimerai une reine, je t'aime... Je t'aime comme je n'ai jamais aimé. Car oui, je n'ai jamais autant aimé qu'à cet instant. Je n'ai jamais ressentis avec cette violence. Même l'immortalité ne représente rien à côté. Alors cette fois ci écoute moi et entends mon appel. Assimile ce que te répète depuis des jours et des jours : tu m'aimes et je t'aime. Ne le nie pas. Alors oublie. Fais comme si je n'étais qu'un mortel, que tu n'étais qu'une mortelle. Oublie les complications, nos natures, mes frères et sœurs...

Il saisit ma main alors que je me retrouve incapable de bouger, sidérée par ses aveux, et la pose contre sa poitrine. Je ressens le moindre battement de son cœur et ce bruit m'hypnotise. De sa main libre il décale une mèche de cheveux qui tombait devant mon visage avec douceur et me murmure :

- Ne pense qu'à ça : nos deux cœurs. Je suis prêt à tout sacrifier pour toi. Tout. Entièrement. Et en retour je ne te demande que de m'aimer. Ramène moi et vis avec moi !

- Poséidon...

L'éclat dans ses yeux se fait plus vif et une étrange douleur me serre la poitrine. Je ne peux pas... Je ne sais pas si j'aurai la force de faire ce que je dois si je laisse seulement la moindre de ses paroles atteindre mon cœur. Je dois simplement me concentrer sur mon objectif. C'est tout. Peu importe tous les ressentis que j'ai pu avoir en l'espace de quelques minutes face à sa déclaration.

Je retire ma main, rompant le contact. Ne plus sentir les battements de son cœur crée un vide insolite en moi. Je presse les paupières avant de me détacher complètement de lui. Presque à contre cœur, je lâche et essayant de rester la plus neutre possible :

- On doit juste ramener Seth, Orphée et Ligie.

Son visage se referme et toutes les émotions qu'on pouvait lire dessus quelques secondes auparavant disparaissent. Il redresse le menton, comprenant que son discourt n'aura pas de réponse immédiate et affiche un air impassible. Le dieu m'interroge, me suivant dans mon changement de sujet :

- Comment ferons nous pour leur raconter tout ce qu'il s'est passé ? Ils ne seront au courant de rien dans cette ligne de temps là... m'interroge le dieu des mers.

Il n'a pas tort. Leur raconter ce qu'il s'est passé durant cinq ans est impossible. Il faut trouver une autre solution. Une idée me vient alors à l'esprit et je réponds :

- À l'aide d'une illusion. Je devrais être capable de leur montrer.

- Il te faudrait énormément de temps pour montrer tout ça.

- Énormément de temps... Ou juste un contacte assez puissant pour que ma prise sur leur esprit soit totale.

- C'est à dire ?

Son regard océan plonge dans le mien mais je me contente de murmurer :

- Tu verras bien.

- Je sens que ça ne me plaira pas.

- Non, c'est vrai. »

Il pousse un long soupire et saisit une petite cloche qui reposait sur le rebord de la fontaine au centre de la cour. Lorsque son tintement résonne dans l'air je ne peux m'empêcher de me mettre sur mes gardes. Le Temps est une entité puissante. Qui sait quelles sont ses intentions...

C'est alors qu'une silhouette se découpe dans l'ombre. Moi qui m'attendait à trouver un vieil homme pour symboliser le temps, j'ai la surprise de me trouver non pas face à un adulte... mais à un petit garçon. Ses cheveux sont brun au reflet de miel. Ses deux yeux rieurs n'ont rien d'effrayants et son visage et tout ce qu'il y a de plus adorable. Moi qui n'aime pas les gosses, je dois à présent en convaincre un de remonter le temps pour tout modifier.

Poséidon s'avance alors et toise du regard l'enfant qui semble totalement serein. Un duel de regard s'engage entre les deux et je commence vite à m'impatienter. Je me racle la gorge pour leur rappeler que nous n'avons pas de temps à perdre – sans mauvais jeu de mot. Un sourire naît sur le visage de l'enfant qui souffle :

« Ravis de te revoir, Poséidon.

Celui ci grimace mais répond, plus sérieux que jamais :

- Tu ne sais même pas à quelle point la chose est réciproque Chronos. »

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