Chapitre 22.
La discorde ne parlait pas du temps simple. Non, elle parlait du Temps lui même. L'entité. La divinité. La chose qui contrôle la moindre ligne temporelle de ce monde.
Lorsque je percute enfin, j'ai l'impression que tout s'effondre. La douleur disparaît, la peine également. Seule reste une idée, persistante qui tenaille et fait enfler en moi une détermination sans faille. Je dois trouver le temps. C'est le message qu'elle m'a confiée au début.
«Tu comprends enfin. Que tu es lente...»
La ferme Éris ! Pas maintenant...
Par je ne sais quel miracle, j'arrive à bloquer mon don et donc l'accès à mon esprit. Comme si j'avais toujours su le faire.
Pourquoi devrais-je trouver le temps ? En quoi me serait-il une aide ? Si Éris le sait, Poséidon aussi. Je dois mettre la main sur ce foutu dieu. Et aussitôt, dans un timing presque parfait, j'entends du bruit à l'étage du dessous. Le parfum marin du dieu me parvient et je bondis sur mes pieds pour me précipiter à l'extérieur de la chambre.
Je descends les escaliers à toute vitesse, sans faire attention aux marches que je saute. Arrivée en bas, je percute le maître des océans de plein fouet. Il recule, déstabilisé, mais je ne lui laisse pas le temps de dire quoique se soit et je crache :
« Où étais-tu ?
Son regard s'adoucit et il tend ses doigts vers mon visage, caressant mes cheveux d'un geste tendre. Malgré l'élan de douceur que provoque ce geste, je ne peux me laisser attendrir. Je montre les canines, nullement patiente.
- J'ai été voir mon frère, Zeus.
- Et ?
Son expression s'assombrit.
- Ils n'arrêteront pas. Ils te poursuivront jusqu'à la mort.
- Ce n'est pas étonnant... Que proposais-tu en échange de ma liberté ?
Il soupire mais répond tout de même :
- Je leur ai dit qu'ils pourraient faire de moi ce qu'ils désiraient. Je me suis aussi engagé à faire en sorte que plus jamais tu ne sois un problème. Mais ils ne me font pas confiance.
- Tant mieux. Je n'aurais pas accepté.
Poséidon se crispe et fronce des sourcils. Ce que je viens d'annoncer ne semble pas lui plaire.
- Qu'est ce que tu racontes ?
- Je leur ferais payer. Ils m'ont tout pris. À moi de tout leur prendre. Je ne me laisserai pas faire Poséidon.
- Et comment est-ce que tu comptes t'y prendre ? gronde-t-il, l'air mécontent.
Je relève le menton, hautaine, et annonce :
- Éris a la réponse.
Cette fois-ci, l'incompréhension gagne son regard. Si la situation n'avait pas été aussi catastrophique, j'aurais pu en jubiler. Pour une fois, j'ai toutes les cartes en mains. Je lui raconte ma première rencontre avec la déesse, ses paroles et ce qu'elles impliquent réellement. Pendant mon récit, il réfléchit tant qu'un pli se forme sur son front parfait. Quelque chose dans mes mots semble l'intéresser. Et moi, je reste là, à attendre qu'il trouve. C'est la dernière chance possible. Si il existe une seule solution pour se sortir de ce pétrin, Poséidon doit la trouver et maintenant. Je rive mon regard au sien, brûlante d'impatience.
Il recule soudain, comme si une idée révolutionnaire venait de traverser son esprit. Son visage entier s'éclaire. Seulement les paroles qu'il lâche sont loin d'être celles auxquelles je m'attendais et me pétrifient sur place.
- Enferme moi !
- Pardon ? J'ai dû mal entendre...
- Absolument pas, Lorelei. Si nous trouvons le temps, il nous fera retourner dans le passé. Et si tu nous enfermes, Éris et moi, les problèmes seront réglés.
- Attends, attends ! Le Temps peut remonter... le temps ?
Le dieu hoche la tête vivement. Son visage est sérieux. Trop. Il me terrifierait presque.
- Bien évidemment, il a tout pouvoir dessus. C'est une entité au même titre que la Vie ou la Mort, c'est à dire qu'il ne dépend pas des dieux.
- Ce plan comprend mille failles Poséidon.
- En as-tu un autre ? assène-t-il un peu brusquement et sèchement .
Son ton grave m'indique qu'il prend tout ceci au sérieux. Pour lui, c'est la seule solution. Réécrire le passé. Je recule d'un pas, méfiante, et siffle :
- Pourquoi te portes-tu volontaire pour ton propre enfermement ?
- Parce que je sais que tu trouveras un moyen de me ramener. Tu es la clé, tu y es obligée. Tu mourras sans moi.
- Ça reviendrait donc au même. je grogne ébahie par sa proposition plus que stupide.
Il lève les yeux au ciel. Mon cœur bat vite dans ma poitrine alors que la fébrilité me gagne. Je me retrouve face à un nouveau dilemme. Et cette fois-ci, je ne m'en sortirai pas vivante... Percevant mes pensés, Poséidon répond :
- Non, puisque comme je viens de le dire tu as la capacité de le faire. Il te suffira de créer ton propre sortilège plutôt que de briser l'ancien. Tu en es capable.
- Pourquoi remonter le temps dans ce cas ? Je pourrais le faire dans cette ligne de temps là !
- Réfléchis un peu... Tu as détruit la stèle. Tu ne pourrais pas. Il est impossible de battre les dieux et tu vas mourir. En remontant dans le temps, tu as une chance de survivre et de ramener tout ceux qui sont morts.
- Tu es suicidaire et tu vas tous nous tuer.
- Non, celle qui va nous tuer c'est toi.
Il m'attrape brusquement les épaules pour me forcer à lui faire face. Son regard plonge dans le mien et il s'exclame, d'une vois ferme, autoritaire :
- Tu peux le faire Lorelei. Je crois en toi. Me fais-tu confiance sur ce point là ?
Je fronce des sourcils. Si je lui fais confiance ? Je n'ai pas vraiment le choix. Pourtant la terrible évidence du dilemme me revient en mémoire :
- Si je t'enferme, les sirènes courront à leur perte.
- Peu importe. On doit essayer et changer le cours des choses.
Poséidon plonge son regard dans le mien pour s'assurer d'avoir toute mon attention.
- Mélusine, Seth est mort. Orphée est mort. Ligie est morte. D'autres de tes sœurs le sont ! Tout cela parce que les dieux, dans leur folie vengeresse, ont chercher à te tuer à tout prix. Te tuer, toi.
- Tu me demandes de sacrifier les uns pour sauver les autres. Je ne suis pas une gentille héroïne. Je ne peux pas faire ce choix. Je ne peux plus le faire.
- Tu l'as déjà fais par le passé.
- Tu as vu ce que ça a donné !
- Écoute...
Je me dégage brusquement et gronde, sur mes gardes :
- Je ne ferai pas ça.
- Tu n'as pas le choix, Lorelei. Et c'est égoïste de penser qu...
J'écarquille des yeux et me met à hurler, le coupant court :
- Égoïste ? Tu plaisantes j'espère ? Quoique je fasse, je risque ma vie. Depuis le début de cette fichue histoire je frôle la mort. Et tout ce que tu trouves à dire c'est que je suis égoïste ? Est-ce que j'ai l'air de ne penser qu'à moi même alors que tout ceux à qui je tiens sont morts ? Tu n'es qu'un pauvre connard imbu de lui même et...
Il m'interrompt soudain, plaquant ses lèvres contre les miennes, dans un baiser furieux et passionné. Je me laisse emporter tandis qu'une explosion d'émotions a lieu dans mon être tout entier. Je m'accroche au dieu avec une force inouïe. Celui ci semble répondre à mon étreinte en ajoutant encore plus de ferveur à son baiser qui me fait perdre totalement la tête et le contrôle. Sa main s'accroche à ma chevelure, l'autre me broie presque la hanche tant elle l'enserre et pourtant chacun de ses gestes est comme une caresse qui augmente mon désir ardant. Il n'y a plus la moindre parcelle d'air entre nos deux corps qui comblent le vide, qui comblent le trou béant dans ma poitrine.
Il m'aime. Je l'aime. Si les choses avaient été plus simples, si je n'avais pas été une clé et lui un dieu, peut-être tout aurait pu bien se passer. Peut-être aurions nous eu une fin presque heureuse. Personne n'aurait eu à se sacrifier. J'aurai continué à charmer et chasser tout en sachant qu'au manoir m'attendait le plus précieux des amants, celui pour qui mon cœur a décidé de battre à nouveau. Mais, les choses ne sont pas si simples.
Chacune de mes barrières émotionnelles se brisent une fraction de seconde mais une pensée trône dans mon esprit. Je m'aggripe encore plus au dieu, répondant avec toute mon énergie à son baiser. Que le ciel me maudisse, il me reste la mer. Il me reste Poséidon.
Et soudain je sens quelque chose dévaler ma joue. Une larme. Une larme au goût salé, une larme au goût de sang. Une larme à la rareté si exceptionnelle que Poséidon recule. Je n'avais jamais pleuré. Ou du moins... Pas depuis des siècles...
Le dieu recueil alors l'unique goutte du bout de ses doigts et souffle :
- On raconte que les larmes des sirènes apportent l'immortalité.
Je presse mes paupières et réponds d'un murmure :
- Tu es un dieu, tu n'as pas besoin de l'immortalité.
Sa main se loge dans le creux de mon dos.
- Lorelei, tes larmes sont dotées d'un pouvoir puissant. Tu aurais pu sauver ceux à qui tu tiens.
- Le prix des larmes est trop élevé pour que je le fasse payer. À qui que ce soit.
- Ça doit être terrible non ? Avoir le pouvoir de sauver n'importe qui rien qu'en versant une seule petite et précieuse larme. Mais ne pas le faire parce que l'on sait tous très bien ce qu'il en coûte.
Je plonge mon regard dans le sien. Il serre les poing et laisse tomber la larme au sol. Mes traits se durcissent et je revêts mon masque impartial. D'un ton à la neutralité surprenante, même pour moi, je crache :
- Très bien, trouvons le Temps. Changeons le temps. »
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