Chapitre 15.

Quand je rejoins enfin le petit groupe, Seth me jette un regard dédaigneux et se met à grommeler :

« Que faisais-tu ? Ça fait un quart d'heure que nous t'attendons. On ne t'a jamais appris à être à l'heure ? C'est une option pour toi ?

- Si tu râles encore une fois, je te jure que je te bouffe ! je réplique.

Son expression s'illumine et ses yeux noisettes pétillent de malice. Je lui renvoie son sourire tout en dissimulant les frissons glacés qui me parcourent encore après l'affrontement avec le dieu des enfers.

- Tu l'as dis des milliers de fois, tu n'oserais jamais goûter à mon sang. Tu prétends que tu en ferais une indigestion, qu'il est trop mauvais.

- Tu as plus de 40 ans, mon vieux. C'est pour ça.

- Venant de la part d'une sirène âgée de trois millénaires, c'est un peu hypocrite. rétorque-t-il, levant les yeux au ciel.

Je ne peux empêcher un rictus déformer mes lèvres.

- Ça l'est totalement.

Malgré l'amusement que je tente de feindre, une certaine froideur transperce dans mes paroles et mes gestes. Nos priorités s'imposent de nouveau à moi et je me tourne vers Poséidon pour interroger :

- Comment allons nous nous rendre près de la prêtresse ?

- Pas par téléportation j'espère... souffle Ligie soudain blême.

À priori je ne suis pas la seule à ne pas apprécier du tout le mode de déplacement du dieu. Ce dernier fusille du regard la sirène qui esquisse une petite moue.

- Nous n'avons pas de temps à perdre pour de simples problèmes de nausées...

- Oui enfin, je doute que tu souhaites te retrouver avec tous tes compagnons hors d'état de nuire simplement parce qu'ils n'auront pas supporté le voyage...

- Et comment voulez-vous y aller alors ?

Seth se racle la gorge et nous tournons tous la tête vers lui.

- Si ça intéresse quelqu'un, j'ai ma voiture.

Le roi des océans fronce des sourcils et soupire :

- Ok, mais c'est moi qui conduit.

- Même pas en rêve ! »

Nous nous engouffrons tous les quatre dans la voiture de mon protecteur. L'humain parvient non sans peine à récupérer sa place de conducteur et demande au dieu de lui indiquer le chemin. Poséidon grommelle mais obtempère. Il est assis à l'arrière en compagnie de Ligie tandis que je suis à ma place, sur le siège du passager. Ai-je déjà préciser que je ne raffolais pas de tous les moyens de transport qui n'étaient pas marins ?

Le trajet ne dure pas longtemps mais nous nous sommes enfoncés dans les terres. Plus nous nous éloignons de la mer, plus j'ai l'impression qu'un poids s'abat sur ma poitrine. Dans le rétroviseur j'aperçois le regard du dieu posé sur moi, l'air de dire : « Je te l'avais dis ! Tu sais ce qu'il te reste à faire pour te débarrasser de ce petit soucis. » Je ne céderai pas, foi de Mélusine. Je sais très bien ce qu'il cherche à faire. Seulement, il n'use que trop bien de ces regards océans. Ils sont si profonds, si communicatifs... Ils me perturbent plus que tout et ça m'agace.

- Où allons-nous ?

- Vous verrez bien.

- Il va falloir cesser avec tous ces mystères...

Poséidon penche la tête sur le côté et renchérit :

- Penses-tu que j'ai enfermé la prêtresse dans un lieu accessible à tous ? Il nous faut déjà arriver sur les lieux. Ensuite, seul moi peut vous ouvrir la voie.

- Quand y serons-nous ? demande Seth.

- Il aurait fallut y aller en se téléportant et nous y serions déjà.

- Ça n'était pas la question.

Dans le rétroviseur les deux hommes se regardent en chien de faïence. D'un raclement de la gorge je rappelle à mon protecteur de se concentre sur la route, histoire qu'un accident ne vienne pas nous ralentir plus que nous le sommes déjà. Le dieu des mers consent à répondre et grogne en s'enfonçant dans son siège :

- Une demi-heure et nous y serons. »

Excellente nouvelle. Plus tôt nous aurons nos réponses, plus vite cette histoire sera finie. Être toujours par mont ou pas vaux n'est pas amusant lorsqu'on est poursuivit par des déités furieuses. Le silence gagne l'habitacle de la voiture et je pose mon regard sur le paysage terrestre. Ce dernier ne pourra jamais rivaliser avec la beauté des fonds marins mais il faut se contenter de ce qu'on a.

Soudain, un flash m'aveugle et l'espace d'une fraction de seconde une image s'impose à moi.

Celle d'une ombre drapée de ténèbres, tendant ses doigts gelés vers moi et le symbole des clés qui scintillent doucement la pénombre.

La vision disparaît aussi vite qu'elle est arrivée et je bas des paupières, pour chasser les taches sombres qui dansent devant mes yeux. Je souffle et jette un regard à mes compagnons pour m'assurer qu'aucun d'eux ne s'est rendu compte de rien. Puis, d'une voix basse, afin que personne ne m'entende, je murmure à l'intention d'Eris :

« Je croyais que c'était toi qui m'envoyait ces foutus rêves grâce aux pouvoirs que tu avais volé ?

La déesse ricane dans ma tête mais explique avec sérieux :

- En partie seulement. Il y a des choses que je ne contrôlais pas...

- C'est une blague ?

- Non. »

Je lâche un juron qui attire l'attention du dieu. Il fronce des sourcils puis son regard s'illumine comme s'il comprenait et il se penche par dessus le siège pour murmurer à mon oreille :

« Alors Lorelei, on est en pleine discussion avec ma sœur à ce que je vois. Que t'apprend cette garce ?

- Rien qui ne t'intéresse.

- Tout m'intéresse lorsque ça te concerne ma jolie. Tu devrais le savoir.

- Obsédé.

Il sourit, fier, et assume entièrement son côté fou. Quel orgueil épuisant... Comment fait-il pour se supporter au quotidien ? En moi, une petite voix qui n'est pas celle de la Discorde, me souffle qu'avec une beauté et une audace comme le sien, ça ne doit pas être bien dur.

Ligie pousse un soupire et son regard passe de moi au dieu. Puis elle lâche, l'air exaspérée :

- Réduisez donc l'état de votre aura s'il vous plaît, j'aimerai tout autant ne pas me retrouver envahie par un désir qui n'est pas le mien et qui ne m'est pas destiné. Merci.

Poséidon ricane et frictionne les cheveux blond de la sirène. Elle montre les canines mais s'adoucit tout de même. L'affection que le dieu éprouve pour ses sirènes, bien qu'elles soient meurtrières et différentes chacune les unes des autres, est certaine. Pourtant je ne parviens pas à désirer ce lien. Je ne ressens aucune jalousie, mais je ne peux m'empêcher de me crisper.

Une chose qu'il convoite, c'est tout ce que tu es...

Je chasse cette phrase de ma tête. Même Eris n'est pas aussi perfide. Jamais je n'avais douté pour un homme. Mais il faut croire que les dieux sont particuliers.

Je frissonne lorsque le regard de Hadès me revient en mémoire. Voilà des yeux mortels que je voudrai ne plus jamais croiser. J'hésite à parler de cette rencontre à mes compagnons. Je ne suis pas sûre que la visite de son frère satisfasse Poséidon. Le maître des océans partageait une relation particulière avec Zeus et Hadès... Je ne sais pas quelle serait sa réaction et je ne pense pas vouloir le savoir. Mais l'étreinte de la peur se marque à jamais dans mon esprit. C'était la première fois que je me frottais à un dieu autre que Poséidon et Eris. Un dieu qui fut enfermé dans la stèle. Un de ceux qui réclament mon sang, ma mort. Et les hurlements de mes victimes me reviennent en mémoire. Je ne ressens aucun remord mais... Pour moi qui jamais n'a oublié le visage ou le goût du sang d'une de mes proies, ces cris ont tout mélangé. Mes souvenirs se trouvent dans un état pitoyable... Et je sens la folie me guetter, tapie dans un coin de ma tête. Les dieux auront pris plaisir à malmener mon esprit, que ça soit en m'affammant ou en me torturant.

L'arroseur arrosé quand on prend en compte le fait que moi même je joue avec celui des humains par le chant ou les illusions.

- On est arrivé. nous averti Poséidon, me sortant de mon intense réflexion.

Nous sortons tous de la voiture et je plisse des yeux, observant le paysage : un lac dans une vallée entre deux colline. Une cascade s'y jette. La région semble vide de toute activité humaine. Un vent doux balance les branches des arbres de la forêt qui encercle le lac.

- Nous sommes toujours en Grèce ?

- Plus ou moins...

Sans m'attarder sur cette réponse trop évasive du dieu, je m'approche de l'eau. Seth fronce des sourcils et interroge alors :

- Où se trouve donc la prêtresse ?

- Vous verrez. »

Poséidon s'approche du lac et brandit son trident. La Terre se met alors à trembler. Un grondement naît en provenance de l'eau qui soudain s'agite. Un courant d'air glacé souffle à nos pieds, soulevant la poussière. Ligie s'avance d'un pas, les yeux écarquillés. Et alors l'impensable se produit. L'élément liquide se met à s'écarter et à s'élever dans les airs. L'eau forme deux remparts mouvants et majestueux. Ça n'est plus Moïse qui écarte la mer mais Poséidon. Le lac se retrouve séparé en deux par une immense allée sinistre.

Un passage est dégagé, menant à l'entrée d'un tunnel plongé dans les ténèbres.

Nous descendons sur le lit du lac désormais sec. Le courant d'air qui se déplace entre les deux murs d'eau est si froid que même moi je le ressens. Je referme contre moi les pans de ma veste. Nous arrivons enfin face à l'entrée du tunnel. On n'y distingue pas l'intérieur tant il y fait sombre. Je ne peux m'empêcher de penser aux cryptes. Il n'y a pas de doute, Poséidon raffole des endroits souterrains. Étonnant pour un être marin... Le dieu s'avance le premier et observe avec calme l'obscurité.

Après nous avoir lancé un regard empli d'assurance, Poséidon s'y engouffre. Et nous n'avons pas d'autre choix que de le suivre.

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