Chapitre 13.
Contrairement à mes précédentes téléportations en compagnie du dieu, celle ci se déroule en douceur. Pas de nausée, pas de vertige... À croire que le reste du temps, il le fait exprès afin de me pousser à bout. Et à en croire son regard taquin posé sur moi, je n'ai peut-être pas tort.
Je regarde autour de moi. Nous sommes entourés par une étendue bleue clair, marine. La mer. Et nous nous tenons sur un rocher de peut être cinq mètre de haut, jaillissant de flots, tranchant les vagues qui viennent s'abattre contre lui.
Je plisse des yeux.
« Où sommes nous ?
- Mer d'Egée, Lorelei.
- Et qu'est ce que tu avais à me montrer ?
Il m'adresse un clin d'œil.
- Tu verras bien.
Je ne peux m'empêcher de grogner en signe de désaccord. J'ai horreur des surprises et encore plus de ne pas savoir dans quoi je vais mettre les pieds... Seulement, Poséidon semble n'en avoir rien à faire car il se moque tout en admirant la mer :
- Malgré moi, je dois avouer que c'est drôle de te voir te débattre contre les dieux avec tant de force. Tu sembles si furieuse d'avoir libérer mes frères et sœurs... On dirait presque Pandore se repentant d'avoir ouvert la jarre des interdits !
Je me fige et penche la tête sur le côté.
- Que veux tu dire ?
- Tu dois bien connaître le mythe de Pandore ? Comme toi, elle libéra un mal qui se retourna contre elle au final. Mais pas pour les mêmes raisons.
- Pitié, dis moi que Pandore n'était pas une clé...
- Je ne le dirais pas.
Je frissonne. Si son destin se révèle lui aussi funèbre, je finirais par croire que je suis condamnée... J'interroge pour m'en assurer :
- Que lui est-il arrivé ?
- Après avoir libéré tous les maux, elle a mit fin à ses jours.
J'encaisse le coup. Il n'existe donc pas de fin heureuse pour les clés ? L'enchanteresse morte durant son sortilège, Pandore qui se suicide...
- Pourquoi la vie l'a-t-elle laissée faire ?
- Parce qu'il s'agit d'une garce. »
Ses yeux jettent des éclairs tandis que le vent se lève et balaye le haut du rocher. Le chant des vagues s'écrasant quelques mètres plus bas se fait alors entendre. Mon instinct s'éveille. L'eau m'appelle.
Je lance un regard au dieu, esquissant un petit sourire avant de m'élancer, jetant mes bras en avant, plongeant dans les flots sombres. À l'instant où mon corps rentre dans l'eau, mes jambes laissent place à ma queue de poisson noire. Je ralentis et profite de la sensation du courant contre moi.
C'est alors que je remarque un scintillement dans les profondeurs. N'écoutant que mon instinct, je nage vers l'origine de ce scintillement, ondulant dans l'eau clair méditerranéenne. Lorsque je dépasse un blocs de corail, je suis obligée de m'arrêter, tant la surprise me gagne.
Face à moi, dans une vallée de sable blanc comme le nacre d'un coquillage, se dressent les ruines d'un palais majestueux, datant probablement de l'antiquité. Les colonnes sont si grandes, si belles que c'est un miracle qu'elle soit conservée en si bon état. Quand aux murs encore debout, à la tour qui se dresse, intacte. Jamais je n'avais vue une telle merveille et ceux même si il ne s'agit que de ruines. Même sur Terre et pourtant, j'en ai traversé des époques, avec chacune leur propre style, leur propre art... Je n'ai jamais été très matérialiste ni même attirée par les belles choses matérielles mais là, il n'y a pas à dire, j'en ai le souffle coupé.
« C'est beau, n'est ce pas ?
Je me retourne et plisse des yeux en apercevant Poséidon, assis sur un rocher, juste à côté de moi, son trident dans les mains. Ses cheveux argentés sont bercés par le mouvements des eaux. À eux seuls, ils semblent capter la lumière qui parvient à se frayer un chemin dans les profondeurs aquatiques. Quant à ses yeux... Eux aussi se sont mis à luire d'une étrange lueur mi-amusée, mi-désireuse. Et dernier détail, il est presque entièrement nu. Je secoue la tête pour m'éclaircir les idées et me détourne.
- Qu'est ce que c'est ? j'interroge, en désignant le palais.
La mélancolie gagne son regard.
- Mon ancienne demeure. Je vivais ici, à l'ère des dieux.
- Avec Amphitrite ?
- Et les premières sirènes aussi. Abysse, Aglaopé, Pisinoé... Cet endroit est spécial, protégé par une magie puissante. Personne ne peut nous atteindre ici, pas même Éris.
Je détourne le regard vers les ruines. Ma curiosité me pousse à m'en rapprocher. Comprenant ce qu'il se passe dans mon cerveau, le dieu lâche un petit rire que l'eau n'atténue pas le moins du monde et souffle :
- Il n'y a pas de kraken pour te dévorer, Lorelei. Fais ce que tu veux.
Je le fusille du regard, avant de l'abandonner pour rejoindre les restes de la battisse de marbre. Entre nous, on sait bien qui du kraken ou de moi réduirait l'autre en poussière.
Je pénètre dans le palais et étonnamment, les parties intactes du bâtiment cohabite avec les murs effondrés, les tourelles à moitié démolies et les débris qui recouvrent le sol. Pourtant, j'y trouve aussi des statuettes, des pièces... Cet endroit est une vraie mine au trésor. Je suppose que si les hommes n'ont pas mis la main dessus c'est à cause de cette fameuse magie qui protège le palais.
Un bruit attirant mon attention me pousse à me retourner.
Poséidon est de nouveau apparut par enchantement, assis, sur une pierre ronde, au milieu de ce qui fut autrefois une immense salle. Probablement celle où se trouvait son trône. Je soupçonne d'ailleurs ce dernier d'être en fait les débris qui jonchent le sol au fond de l'immense pièce. Le maître des océans se redresse et s'approche de moi suffisamment près pour planter son regard dur dans le mien. D'un geste ample il désigne les ruines qui l'entourent.
- Tu vois tout ça ? C'est ce qu'il reste du passé, de mon royaume, de mon statut de dieu. Un ramassis de cailloux. C'est tout ce qu'il reste. Tu te méfies de mon passé plus que d'un chasseur de sirène. Tu te méfies de ce qui a pu se passer avant plus que de ce qui pourrait arriver après. Tu sais de quoi tu te méfies réellement ? De ce ramassis de cailloux.
Ses doigts effleurent mes écailles charbon et aussitôt un frisson me parcourt. C'est tendre, trop tendre. Et j'apprécie trop son contacte. Mes protections s'enclenchent, et je balaye l'eau d'un coup de nageoire furieux, éloignant celle ci de lui.
- Arrête.
- Pourquoi te braques-tu toujours. On dirait presque une valse : un pas en avant, deux en arrière...
Sa comparaison m'arrache un soupire et je réplique, mi-joueuse mi-vipère :
- Je n'ai jamais vraiment aimé la valse.
Il fronce des sourcils mais un grand sourire éclaire son visage.
- Il existe un millier d'autres danses.
- Je n'aime pas danser non plus. je m'entête en levant les yeux au ciel avant de reprendre : Je suis un être marin, je suis plus à l'aise dans l'eau que sur une piste.
- Menteuse, lors d'une fête, tu serais la plus magnifique danseuse.
- C'est vrai. je souffle en penchant la tête sur le côté.
Je n'ai nullement besoins de jouer les modestes. C'est un fait que lui et moi savons très bien. Je suis une créature faite de telle manière que tout en moi est sensé plaire, envoûter... Si belle de l'extérieur et pourtant si mauvaise à l'intérieur ! Ça me donne envie de rire... Ou de vomir.
Seulement je crois que Poséidon ne partage pas mon envie.
Son visage s'approche du mien, ses yeux rivés aux miens, bien décidé à ne pas me lâcher.
- Trouves-tu que me fuir soit une bonne solution, Lorelei ?
Je ne sais pas... Je ne sais plus.
Je hausse les épaules pour toute réponse, ce qui lui arrache un sourire. Il lève une main et caresse ma joue avec tendresse. Je penche la tête sur le côté et ma nageoire fend de nouveau l'eau pour venir flotter près de lui.
Son parfum me parvient alors. Je ne peux m'empêcher de le humer et de grimacer. Il est si différent de tout ce que j'ai pu sentir jusque là. Au contraire de celui des humains, il n'attise pas ma... faim. Sur le ton de la constatation, je lâche :
- Aucun sang ne coule dans tes veines.
- Non, effectivement.
- Il n'y a donc aucun raison pour que je te morde.
Un rictus déforme son sourire. Je me sens si bien dans l'eau... Le creux qui s'est logé dans ma poitrine suite à mon détachement total avec le dieu et qui me forçait à vivre près de l'océan semble avoir disparut. Encore une fois, par je ne sais quel hasard, Poséidon comprend ce qui occupe mes pensés et souffle à mon oreille :
- Si tu acceptais de me revenir, tu serais libre d'aller où tu veux, tu n'aurais plus besoins de rester à proximité de l'eau.
- Mais je n'appartiens à personne Poséidon. Pas même à toi. je refuse, orgueilleuse.
Ses bras entourent ma taille, me rapprochant de son buste. Mes mains sont la seule barrière qui nous sépare. Mais il n'y prête absolument pas attention et, resserrant son étreinte autour de moi, dépose ses lèvres sur les miennes en un baiser chaste. Trop chaste. Mes instincts de sirène reprennent le dessus et je le repousse brusquement. Je ne lui laisse pas le temps d'exprimer sa surprise puisque je me jette à son cou et l'embrasse avec passion tandis que ses mains suivent le mouvement, s'aggripant à mes hanches.
Quelque chose se passe alors. Une onde de choc se propage dans l'eau autour de nous. Je maîtrise rarement ma métamorphose mystique et c'est ce qu'il se passe actuellement. Mes traits se creusent et mes yeux deviennent entièrement blanc. Ma nageoire de poisson s'allonge considérablement, devenant attribut de serpent. Je sais que je suis effrayante. De quoi terrifier un homme. Mais pas Poséidon... Le dieu, souffle, en caressant mes cheveux :
- Tu es magnifique Lorelei...
Ma longue queue de serpent vint s'enrouler autour de ses jambes, tandis que ses mains se baladent dans mon dos, m'agrippant comme pour ne plus me laisser m'en aller.
Pas d'interruption d'Eris. Juste lui, moi... et la mer.
Je me recule, à bout de souffle et murmure :
- Ça ne veut pas dire que je t'aime.
- Et ça ne veut pas dire que je te laisserai tranquille.
- Très bien, puisque nous sommes sur la même longueur d'onde... »
Poséidon ne me laisse pas terminer ma phrase et s'empare à nouveau de mes lèvres, ses mains parcourant chaque parcelle de ma peau. À cet instant, j'ai l'impression que rien n'est plus naturel que ce geste et ce sentiment qui fait battre mon cœur à toute vitesse.
Premier problème : tout au contraire, ça n'a rien de naturel.
Second problème : mon être semble n'en avoir rien à faire...
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