Chapitre 12
Si on m'avait un jour dit que je me retrouverai dans cette situation, j'aurais ris au nez de la personne. Mais à présent, je me dois de retrouver une prêtresse de l'entité de la vie, entité dont je n'avais aucune idée de l'existence jusqu'à peu. Les dieux ont jalousement gardé leurs secrets. Que peut donc encore nous cacher Poséidon ? Une chose est certaine, il ne sera jamais honnête, il ne faut pas se fier à lui.
Ce monde est rempli de mystères. Et si ce que je croyais savoir jusque là n'est qu'une infime partie, autant dire que nous ne sommes pas sortis de l'auberge.
Seth rompt le silence, soulevant une question dont j'aurai peut être du me soucier :
« Vous acceptez donc de nous aider sans contrepartie ?
Poséidon soupire et finit par concéder :
- Mes frères s'attaquent aux sirènes. Ils les tuent. Juste avant que vous me trouviez, je m'étais rendu en Angleterre où j'ai retrouvé la trace d'une sirène de la deuxième génération. Mais lorsque je suis arrivé, elle était déjà devenue écume. J'ai reconnu cependant les traces du passage d'Eros. Mon cher petit frère a du s'en donner à cœur joie... Ils te cherchent Lorelei. Et ils te trouveront.
Je frissonne à l'entente de ses mots. Je passe ma main sur ma nuque et la surprise me gagne quand mes doigts effleurent l'endroit où la seringue du dieu s'est enfoncé. Je ne devrais plus ressentir de brûlure mais je suppose que parce qu'une grande dose de Ciguë Aquatique était contenue dans ce récipient et s'est déversé à cet endroit là, mon corps n'a pas encore cicatrisé.
Je ne peux m'empêcher de me demander pourquoi Poséidon possède sur lui la seule chose capable d'affaiblir une sirène, sa propre création... Mais vu l'état actuel des choses, je crois que je n'ai rien à perdre à tenter de l'interroger. Je penche la tête sur le côté et l'interpelle.
- Il y a une chose que j'ai besoins de comprendre... Pourquoi gardes-tu de la Cicuta Virosa dans ta cuisine ?
- Vous, sirènes, êtes des créatures vraiment imprévisibles. Il est impossible de savoir quand l'une de vous pétera un câble. Tu as bien vu l'état dans lequel tu t'es retrouvée à la mort du héro ? C'était inévitable. Sans oublier les toutes jeunes, celles de la troisièmes génération qui découvrent encore leurs dons et leur nature... La Ciguë aquatique m'aide dans les cas où je dois agir. Lorsque vous dérapez, il faut agir et vite, avant que vous commettiez une grosse bêtise qui se résumerait par une mise à mort. Je n'aimerais pas avoir à vous blesser.
- Ça ne s'est pas vu jusque là... je ricane.
- Tu es un cas à part. me coupe-t-il. Et puis, ne te mens pas à toi même. Ça te plaît autant qu'à moi, sinon plus, lorsque nous nous affrontons. À croire qu'au lieu de nous insulter ou de nous frapper nous nous soufflons des mots d'amour...
Cette dernière phrase arrache une quinte de toux à Seth qui marmonne un « cinglé ». Pourtant, il est vrai qu'avec Poséidon, nos disputes finissent immanquablement en baiser et s'accompagnent toujours d'un mélange épique de colère et de passion. Un mélange très dangereux. Rien qu'à ce souvenir, mon corps s'enflamme. Quelle stupide idée de se laisser mener par le désir... Qui est le crétin qui a décidé d'en doter les sirènes ?
« Le crétin qui attise à ce point ta passion, petite sirène. »
Faites taire cette foutue déesse, par pitié !
Comme pour se venger de cette remarque, la Discorde provoque en moi une remontée de souvenir concernant les baisers que j'ai pu échangé avec le dieu. Je me liquéfie sur place. Pourtant, mon esprit encore maître de lui même – au contraire de mon corps – parvient à me mettre en garde.
Rappelle-toi pourquoi tu es partie.
Il est de plus en plus dur de m'en tenir à cette règle lorsque le regard brûlant du dieu est posé sur moi sans s'en détourner. À croire que lui et sa sœur se sont mis d'accord pour briser toutes ma retenue émotionnelle. Son aura divine vient doucement s'étendre dans la salle pour m'enrober. Je finis par craquer et tape du plat de la main contre la table.
- Seth, tu peux nous laisser seuls s'il te plaît ?
L'humain me toise du regard. Il désapprouve. Lui qui me connaît, n'est pas aveugle au trouble qui s'est emparé de moi. Ses yeux lanceraient presque des éclairs. Je me hérisse automatiquement. Jamais il n'avait éprouvé autant de dédains qu'à présent, je le sens. Il se lève de sa chaise, s'approche suffisamment de moi et murmure à mon oreille :
- Tu joues avec le feu avec lui. Ne t'étonne pas si il allume lui même le bûcher qui causera ta perte.
Je soutiens son regard et rétorque :
- Je te rappelle que quoiqu'il arrive, tu m'accompagneras sur ce bûcher.
- C'est bien là le problème. »
Mon protecteur quitte la pièce d'un pas décidé, me laissant frustrée. Pourtant, je connaissais déjà son opinion par rapport à la situation avec Poséidon. Il m'a confié ses craintes et l'origine de son aversion. Est-ce pour ça que je dois les prendre en compte ?
« Bien sûr que non ! Te plier aux volontés d'un humain ? Tu tombes bien bas. »
Merci pour cette interruption pertinente Eris. Mais je ne me plie pas à ses volontés. Je rappelle simplement que je le traîne derrière moi depuis des décennies, qu'il est un des mes rares amis et que prendre en compte son opinion est utile. Cet humain est malin. Bien plus que certaines créatures surnaturelles que j'ai pu rencontrer.
Interrompant ces pensés, je me tourne vers Poséidon et gronde :
« Il faut que tu arrêtes !
- Que j'arrête quoi ?
- De me regarder comme ça, de chercher à attiser mes émotions. Je sais très bien que tu le fais exprès.
Il ne nie pas et se contente de sourire. Évidemment. C'est ce qu'il veut. Ma rancœur s'en retrouve attisée... Et voilà, on en revient au point de départ. Il est impossible de ressentir quoique se soit de stable avec ce cinglé de dieu.
- Quand comprendras-tu que je ne veux pas t'appartenir ou t'aimer. J'ai bien autre chose à faire que ça. Tes frères et sœurs cherchent à me détruire, ils ont tué Orphée, la seule personne à avoir encore une minuscule valeur à mes yeux avec Seth. Et toi, tu es là à me pousser à la faute !
- Et si tu nous laissais une chance ? m'interrompt le dieu, nullement intéressé par ce que je me tue à lui expliquer.
Ce qui m'agace grandement. Retenant un soupire d'exaspération, je siffle :
- Pourquoi le ferais-je ? Qu'aurais-je à gagner ?
Un sourire vient étirer ses lèvres tentatrices.
- Parce que nous savons tous que tu crèves d'amour pour moi. Quant à ce que tu as à gagner ? Une couronne. Laisse moi faire de toi ma reine.
- Wow... Tu me sors le grand jeu à présent.
Je lève les yeux au ciel. Pourtant, son regard se fait sérieux. Beaucoup trop même.
- Contrairement à ce que tu penses Lorelei, tout ça est loin d'être un jeu.
Il se lève et s'approche de moi. Je dois relever la tête pour soutenir son regard. La tension dans l'air pourrait presque en être palpable. Comme à chaque fois qu'il se trouve en sa proximité, mon corps réagit. Pourtant à en croire son expression, je ne suis pas la seule à être troublée... Oh oui, je crois le dieu sincère dans ses sentiments. Et c'est ce qui est effrayant. Ses « je t'aime » sonnent comme des sentences qui condamneraient mon bon sens et la vie que j'ai mené jusque là au néant. Et la violente passion qui m'anime à chaque fois que je croise son regard ressemble bien plus à une malédiction qu'à une bénédiction.
Pourtant... il serait si simple de l'embrasser. De l'étreindre. De répondre au désir qui anime son regard. Et puis... Au diable les doutes ! L'immortalité, ça ne se vit qu'une fois...
Poséidon approche son visage du mien, comme si il avait saisit mes pensés. Instinctivement un compte à rebours s'enclenche dans ma tête tandis que mon cœur cesse de battre. Et tandis qu'une parcelle de moi hurle que je ne suis qu'une pauvre imbécile, l'autre se pâme de bonheur sous l'influence de l'aura tendre du dieu.
- Embrassez vous, nom d'un chien ! Depuis le temps que j'attends ça...
Je me recule soudain, une grimace dégoûtée sur le visage. Poséidon fronce des sourcils, ne comprenant pas ce qui a pu me stopper dans mon élan. Je me passe une main dans les cheveux, et maudissant la déesse de toutes mes forces, je finis par lâcher, exaspérée :
- Poséidon, je crois que je n'ai jamais autant détesté ta sœur qu'en cet instant.
Le rire moqueur d'Eris résonne dans ma tête. Elle semble s'amuser comme une folle. Tout le contraire du maître des océans, plongé dans la consternation.
- De quoi parles-tu, Lorelei ?
- Il se peut que notre chère déesse de la discorde se soit invitée... dans ma tête. j'avoue, d'un ton empli de frustration.
Le dieu écarquille des yeux et son expression se fait dubitative. Je crois les bras et grogne :
- Ne me regarde pas comme si j'étais folle !
- Je ne te regarde pas comme si...
- Si !
Il pousse un long soupire et passe une main dans sa chevelure argenté.
- Je la croyais dans les limbes.
- Elle y est mais elle se sert de mon esprit comme d'un point de passage pour communiquer. Avec moi.
- Elle m'entend là ?
Je hoche affirmativement de la tête. Le dieu des mers croise les bras à son tour et siffle :
- Eris, si tu m'entends, va te faire voir !
- Je veux bien si c'est par lui...
J'écarquille les yeux et secoue la tête pour me débarrasser de ses pensés parasites. Mais que m'a-t-il pris d'accepter cette alliance avec la déesse même qui a cherché à me détruire et à tuer mes sœurs. Sans compter qu'elle comptait anéantir l'humanité avec ça... Le soupire du dieu s'élève dans la pièce.
- À en juger par ton expression, je suppose que ce qu'elle vient de dire était... Tordu ?
Je hausse des épaules et grogne :
- Pas tant que ça, je me suis habituée.
- Tu es au courant que tu as notre ennemie dans ta tête ?
Je pousse un profond soupire et me laisse tomber dans le divan. Je n'arrive pas à croire que je vais dire ça...
- Actuellement, ce n'est pas elle notre plus grande ennemie.
- Alors ça, c'est vexant petite sirène !
Et pourtant c'est la vérité. Actuellement les dieux libres sont ma seule source d'ennui. Si jamais je parvenais à me débarrasser d'eux, même la perspective de devoir affronter à nouveau Eris ne me paraît plus aussi éprouvante. Il ne s'agit que d'une seule déesse. Ses frères et sœurs sont des dizaines.
- Au fait, Lorelei... Je suis désolée pour le héro.
Je hausse des épaules, mon regard perdu dans le vide et souffle, plus pour moi que pour lui, ignorant l'étrange sentiment s'approchant bien trop de la peine qui s'empare de moi, m'écrase le cœur et me coupe le souffle et les yeux émeraudes qui hantent mon esprit :
- Ça ne sert à rien de s'excuser. Ce qui est fait est fait. Ils me le payeront. Je le vengerai.
- Tu pourrais perdre beaucoup dans ta vengeance...
- Qu'importe.
Un silence pesant s'installe entre nous tandis que je lutte pour ne pas me laisser emporter par le flot de mauvais sentiments que m'inspirent la... mort de mon plus ancien allié.
Le visage de Poséidon s'illumine soudain et il me tend la main. Je fronce des sourcils. Pourtant à en juger son expression, je n'ai rien à craindre. Ou alors, le dieu est un excellent menteur... Mais je rechigne à la saisir. Poséidon lève les yeux au ciel.
- Tu devrais me suivre. J'ai quelque chose à te montrer. »
Ma curiosité, bien plus forte que ma méfiance, me pousse à me lever et, après une courte hésitation, je saisis sa main. Un sourire fier fend son visage en deux, me faisant presque regretter mon choix. Il invoque son trident et une douce lueur s'en dégage alors. Et le monde s'efface autour de nous.
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