Chapitre 10.

Lorsque Seth pénètre dans la pièce. Son regard se fait interrogateur. En effet, Poséidon est tranquillement assis sur un canapé et s'amuse avec une bulle d'eau qu'il a créé lui même. Quand à moi, je m'arrache littéralement les cheveux devant cette fichue carte déjà recouverte de croix. Je ne sais vraiment pas où pourrais se retrouver Orphée. Mais sûrement pas en Finlande où partout ailleurs sur le globe. Si ça se trouve, cet imbécile est mort ! Il pourrait l'être que personne ne le saurait.

D'un geste rageur je déchire la carte en deux et donne un coup de pieds dans le pieds de la table. Poséidon relève la tête tandis que mon protecteur fronce des sourcils. Je les fusille du regard. Si seulement je pouvais broyer entre mes mains la tête d'Eris. Tout est de sa faute.

« Rejeter la faute sur moi, c'est méchant petite sirène.

Bien sûr, il ne manquait plus que la Discorde. Je n'aurai donc jamais droit à un peu de paix ?

- Planter tes petites canines dans la jugulaire d'un humain pourrait te faire du bien ma jolie... » ricane la déesse.

Elle n'a pas tort. Une furieuse envie de tuer me prend au cœur. Dire que je contrôlais mes pulsions il y a peu encore... Le stress me fait agir de façon inconsidérée.

Je me rends soudain compte que les deux hommes me regardent étrangement. Peu surprenant puisque je viens d'avoir une discussion mentale avec une déesse. Ignorant avec superbe l'expression narquoise dieu, je fusille du regard Seth en montrant des canines.

« Quoi ?

Il hausse des épaules. Ses yeux terre se posent sur les bouts de la carte déchirée en deux.

- Je suppose que tu n'as pas trouvé où pouvait se cacher Orphée ?

- Tu supposes très bien.

Il s'approche, ramasse les deux morceaux de papier et un pli se forme sur son front. C'est signe qu'il est plongé dans une profonde réflexion. Tandis que ses pensés s'assemblent et que son côté enquêteur se met en route, il m'exhorte :

- Réfléchis Mélusine. Il n'y aurait pas un endroit où le héro pourrait avoir trouvé refuge ?

- C'est à dire ?

- Et bien, un endroit sûr, où il est certains de ne pas être dérangé par ceux qui pourraient lui en vouloir... Un endroit dissimulé, caché aux yeux de tous sauf à ceux qui savent où chercher... Et puis un endroit que tu connais parce que du peu que je connaisse d'Orphée, il restera toujours à ta portée. Sûrement à cause de l'amour qu'il te porte, je suppose... Alors, tu ne connaîtrais pas un tel endroit ?

Je me passe une main dans les cheveux. Je farfouille avec tant d'énergie dans ma mémoire que c'en est presque épuisant.

- Non, je ne vois vraiment p...

Je me fige soudain et redresse la tête brusquement. Au moment où je croise le regard bruns de mon protecteur, celui-ci comprend.

- Caïan.

- Sa maison est protégée par une illusion perpétuelle...

Ma voix faiblit et je me laisse tomber dans le fauteuil. Pourquoi n'y avais-je pas pensé ? Pour quelqu'un désirant se cacher, cette maison est une aubaine... Bien que trop loin de la mer à mon goût. Voilà pourquoi je ne m'y suis pas réfugiée lors de ma fuite. Et puis... c'était la maison de Caïan. Étonnement, j'éprouve une certaine aversion à l'idée d'y remettre pieds. Penser à cette nuit où l'on s'est fait attaqué, où j'ai faillis mourir et où lui est mort provoque toujours chez moi un frisson de dégoût. Ma main se porte automatiquement à mon ventre couvert d'horribles cicatrices causées par le Discordant. Leurs blessures ne guérissent pas.

Poséidon intervient alors :

- Vous parlez de cette vieille bicoque en France ?

Je hoche affirmativement de la tête.

- Tu y as laissé une illusion ? Astucieux. Je ne m'en étais pas rendue compte.

- Normal, nos pouvoirs ne fonctionnent pas sur les di...

Seth m'interrompt brusquement en lâchant un juron bien sentit. Pas besoins qu'il n'explique pourquoi. Mes pouvoirs ne fonctionnent pas sur les dieux. Donc mes illusions leur sont invisibles. Orphée est à leur portée et si ils sont effectivement à ma recherche, ils en auront peut-être après lui...

- Il faut qu'on aille en France.

Le dieu semble en être entièrement d'accord. Il en profite même pour rajouté d'un ton cynique :

- Oh que oui. Sinon mes frères vont dépecer vivant ton cher héro. »

Un frisson me parcourt et j'écarquille des yeux quand je vois Poséidon invoquer son trident.

Oh non, pitié pas de teleportation...

*

Je me détache du dieu et recule de quelques pas. Seth titube et se penche en avant, soudain pris de nausée. Humain et teleportation ne vont pas bien ensembles. Le teint du jeune homme est verdâtre. Sachant que je n'apprécie pas plus que ça non plus ce moyen de transport, je ne peux que comprendre ce qu'il ressent. J'arrange ma chevelure d'un geste de la main. Poséidon, lui, semble en excellent état. Toujours aussi sûr de lui et séduisant. Je serre des dents et retient une remarque acerbe. Ce n'est pas vraiment le moment.

Je regarde autour de nous. Des montagnes nous entourent, recouvertes d'une végétation danse malgré la saison hivernale. Ici, dans le centre de la France, il fait bien plus froid qu'en Grèce. Nous nous tenons devant un amas de bâtiments délabrés, abandonnés et recouverts de tags et de plantes sauvages – lierres et autres fougères grimpantes. Je reconnais bien là mon illusion. Poséidon s'approche de moi et pose ses poings sur les hanches. Les sourcils froncé il finit par me confier :

« Maintenant que j'y fais attention, je la vois, ton illusion. C'est comme si deux univers se superposaient. Je peux en faire abstraction et dans ce cas là, je ne vois que cette petite maison au fond du vallon.

Je lâche un sifflement impressionnée. Puis je me penche en avant à la vue d'une pierre d'une couleur rouge improbable. Je la soulève alors, dévoilant l'écaille noire aux reflets bleus qui repose en dessous. Mon écaille. Je ferme les yeux un instant et l'effleure du bout des doigts. Une sirène reconnaît toujours ses écailles. C'est encore une part de moi et un peu de ma magie se situe en elle. Je repose la pierre, dissimulant de nouveau l'écaille et me relève.

- Allons y.

Mettre les pieds dans le bâtiment délabré puis avancer vers la maison provoque en moi un étrange sentiment. J'ai l'impression que chacun de mes pas se fait lourd, comme si un poids s'ajoutait à mes épaules. Mais autre que le fantôme de la présence de Caïan, je sens celle d'Orphée. Il est là ! Son parfum héroïque, qui a si souvent titiller mes narines, comme un appel à plonger mes crocs dans sa gorge, embaume l'air. Une nouvelle vivacité s'empare de moi. Je suis réellement heureuse à l'idée de revoir le héro. Dire qu'il ne m'a pas manqué serait un mensonge honteux...

Je donne un coup de pieds à la porte qui s'ouvre dans un craquement sinistre. Pourtant je reste figée sur le seuil.

Seth entre le premier mais je ne le suis pas. Quelque chose cloche, quelque chose me dérange. C'est une étrange sensation, comme si mon instinct me soufflait qu'en faisant le moindre pas au sein de la maison, tout se briserait. Puis j'entends un bruit et l'appréhension prend le dessus. Je me précipite vers l'intérieur mais Seth me barre soudain le passage. Ses bras entourent ma taille et il tente de me maintenir :

- N'entre pas Mélusine, je t'en prie...

J'écarquille des yeux en reconnaissant cette odeur.
Celle de la mort .

Tous mes sens se mettent en éveil et j'agis par automatisme. J'attrape le bras de mon protecteur et sans réfléchir je le balance avec force en arrière pour me libérer la route. Poséidon le rattrape de justesse avant qu'il n'aille s'échouer plus loin et se briser la colonne. Je rentre dans la maison délaissée et me précipite dans le salon. On dirait qu'une tornade a ravagé l'intérieur. Les murs sont calcinés, le sol jonché de débris... Je me fige soudain tandis que mon cœur cesse de battre un instant et tombe à genoux. Près du corps, sans vie, du héro.

Mes doigts tremblants caressent sont front, sa joue, décalent une mèche de cheveux tombant devant ses yeux. Il semble avoir vieillit et son visage est pâle, plus pâle que le nacre d'un coquillage. Son regard terne, sans vie, fixe le plafond, dans une expression figée par la peur. Il ne respire pas, son cœur ne bat plus. Il est gelé contre mes doigts, gelé contre ma paume... Gelé dans son cœur, dans le mien. Douleur. Sa harpe magique, qui aurait pu le protéger un peu est brisée en deux à côté de lui, les cordes dénouées. Sacrilège ! Qui peut avoir fait ça, briser cet instrument qui autrefois charmait les dieux... La réponse m'apparaît claire, beaucoup trop claire. Je secoue les épaules du héro, mes doigts se crispent sur son visage.

Un hurlement déchire l'air et il me faut quelque temps pour me rendre compte que c'est moi qui hurle. Ces foutus dieux ont osé... Ils ont osé... L'air me manque et il me semble que mon corps entier s'embrase. Mon sang dans mes veines me brûle et un terrible ras de marée se déchaîne dans mon esprit.

J'ai l'impression que le sol se met à trembler sous moi, que les murs se fissurent, que le plafond craquelle... Cette terrible sensation me brûle la gorge, me retourne le cœur. La nausée me prend. Pour l'une des premières fois de ma vie, je suis dépassée, complètement folle de chagrin. Mon esprit se trouble sous ce sentiment trop fort, trop perturbant. Trop humain et trop déchirant.

Les images du corps sans vie d'Orphée se mélangent à celles de Caïan, éventré par le discordant. Le sang se mêle au désastre des dieux. Les deux morts se superposent dans ma tête. J'ai l'impression d'entendre les rugissements de la bête et les ricanements des dieux. Des étincelles crépitent dans les airs, ma tête semble sur le point d'exploser...

C'est alors que je sens une seringue se planter dans ma nuque. Le liquide qui se déverse dans mes veines est gelé. Ma peau est parcourut d'un frisson tandis que l'air me manque brusquement. Je reconnais là les effet de la Cicuta Virosa que Poséidon conserve dans sa cuisine... J'essaye de lutter pour me maintenir réveillée mais la dose injectée est bien trop importante. Ma peau se recouvre d'écaille et je m'effondre au sol, encore à moitié consciente mais au bord de l'évanouissement.

Je sens le dieu s'accroupir à côté de moi et murmurer contre mon oreille, tout en caressant mes cheveux :

- Maintenant Lorelei, il est temps de dormir... »

Puis les ténèbres m'enveloppent de nouveau.

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