« Alexa ! Est-ce que tout va bien ? »

« Ne joue pas à l'innocent. »

« Je te jure que j'ai appris trop tard que le gouvernement avait organisé une Purge ! Je serais venu te prévenir. Qu'est-ce qu'ils ont fait ? Tu n'as rien ? »

« Sans toi, Alexa ne serait pas morte. »

À la lecture, les jambes de Killian se dérobèrent sous son poids, fauchées par l'émotion. Un torrent de larmes inonda ses joues.

— Non, non... Ce n'est pas possible, murmura-t-il pour lui-même, la voix interrompue par des hoquets compulsifs.

La phrase se flouta devant ses yeux. Il ne pouvait pas le croire. Un trou béant se fraya un chemin dans sa poitrine, tel un serpent vicieux à la morsure empoisonnée. La douleur le laissa pantelant sur le sol froid de la cabine.

« Elle est morte ?! Comment ? En quoi est-ce que je suis responsable ? Oh bon sang, je n'ai jamais voulu ça. Je le jure ! Que s'est-il passé ? Je peux faire quelque chose ? Qui êtes-vous ? »

Les jours passèrent, monotones, sans qu'aucune réponse ne lui parvienne. La vie reprit son cours, comme si rien ne s'était passé. Et pourtant, toutes les perceptions de Killian s'étaient modifiées. Chaque parole officielle du régime lui paraissait truquée, fausse, manipulatrice. Il se renfermait de plus en plus sur lui-même. Le jeune homme s'arrangeait aussi pour passer régulièrement à la cabine. Il y laissait un message, dans l'espoir qu'on lui répondrait un jour.

Un espoir qui se concrétisa.

« La fille avec qui tu parles depuis le début ne s'appelle pas Alexa. Je me suis méfiée. J'ai donné le nom d'une cousine éloignée. Elle a été exécutée pour contact illicite avec un Eveillé par les soldats. Il se peut que tu ne m'aie pas dénoncé, qu'un autre Eveillé ait découvert notre conversation avant que je n'efface le prénom du mur. J'aimerais y croire, mais la probabilité est bien mince. Adieu. « Alexa ». »

Après un moment de choc, dans lequel il encaissa la nouvelle, un sourire naquit sur les lèvres de Killian. Ses yeux sombres s'illuminèrent. Son Alexa vivait, respirait, écrivait. Il aurait presque pu en siffloter, tant il était heureux. Le reste du message lui inspirait des pensées plus sombres. Jill n'avait probablement pas lâché l'affaire. Une colère sourde chassa l'éphémère extase. Le jeune homme avait du mal à s'imaginer sa petite sœur ordonner le meurtre de quelqu'un... Et pourtant, les évidences s'étalaient devant ses yeux.

Il passa une main dans ses cheveux blonds et inspira profondément. Les problèmes devaient se résoudre un à la fois. Killian devait d'abord trouver les bons mots afin de reconquérir la confiance de son amie.

***

Attelé à son bureau, Killian secouait sa main, une grimace sur le visage. Il n'avançait pas. Une dizaine de boulettes de papiers reposaient déjà dans la corbeille. Ébloui par l'astre mourant à l'horizon, le jeune homme tira les rideaux. Les derniers rayons de soleil y restèrent coincés.

Le stylo effleurait le papier, le bousculait dans tous les sens à la recherche de la perfection. Poussé par la certitude qu'Alexa – il continuait à l'appeler ainsi – lirait son dernier message, il cherchait à la convaincre de sa sincérité. La jeune Débauchée avait pris une place importante dans sa vie ; Killian ne la laisserait pas s'en aller.

Mais l'inspiration se tarissait avec la descente du soleil, alimentant le stress et l'angoisse du jeune homme. Du coin de l'œil, il remarqua que les voisins fermaient leurs volets. Sa poitrine se soulevait de manière irrégulière.

Le soleil terminait son voyage et la feuille devant Killian était blanche. Immaculée. Il ferma les yeux et fit son choix. Une décision qu'il avait essayé de repousser pendant toute la journée, en vain.

Le jeune homme se redressa, dévala les escaliers en silence, attrapa son manteau et sortit de la maison. Les rues s'étaient vidées de leur monde et resplendissaient dans la douce lumière des lampadaires. Killian accéléra le pas et s'engouffra dans la cabine téléphonique. Il ferma le loquet. Puis, il attendit, le cœur battant la chamade.

La fraîcheur du métal remontait dans son dos, tandis que le silence se faisait lentement remplacer par une rumeur assourdie. Seule la lumière du lampadaire éclairait l'étroit habitacle. Le cœur de Killian résonnait dans ses oreilles. Il n'osait pas bouger.

Les chuchotements lointains devinrent plus distincts, des pas foulèrent la terre à côté de la petite cabine. Le jeune homme se recroquevilla et sursauta à chaque fois qu'une ombre interrompait le flux de lumière. Sa respiration s'alourdissait à chaque seconde, le faisait regretter son choix par la douleur qui résultait de sa position fœtale.

Des mélopées déchirèrent la nuit. Killian ferma les yeux, se boucha les oreilles, en vain. Il entreprit de fixer les messages qu'il avait échangés avec Alexa. Cela le tranquillisa.

Mais son imagination débridée se perdait dans un océan de monstres aux longues canines et à la peau blafarde. La réalité de la petite cabine se perdait parmi les frasques de son demi-sommeil. Une altercation le réveilla.

― Tu as promis que tu ne lui écrirais plus !

― Je veux juste voir s'il a répondu, répondit une voix humaine, douce.

Un long frisson parcouru l'échine de Killian. Il entreprit de se relever, les membres engourdis, puis s'écroula sur le sol froid avec un bruit sourd. Il n'avait décidément pas l'habitude de rester immobile pendant autant de temps.

― Qu'est-ce que c'était, ça ?

― Je ne sais pas.

Des pas se rapprochèrent de l'habitacle. La poignée s'abaissa.

― Tiens, on dirait que la porte est fermée, constata la Débauchée au timbre soyeux que Killian identifia comme étant celle du chant qu'il avait entendu.

― Bon, je vais essayer de trouver à manger. Ces fichus Clauderes ont dévalisé toutes nos réserves !

― On ne peut la fermer que de l'intérieur, pourtant, murmura la fille devant la porte, ignorant son compagnon.

Ses ongles raclèrent le métal. Killian frémit, voulut parler. Sa gorge sèche l'en empêcha. Les pieds de la Débauchée crissèrent sur le pavé. Les yeux du jeune homme s'écarquillèrent, tous ses atomes se muèrent instantanément en un flot de panique. Il ne la perdrait pas.

— Alexa, c'est toi ? parvint-il à émettre, le souffle rauque.

La personne s'arrêta, puis se retourna. Sa respiration irrégulière transperça la paroi de fer. L'Eveilla avala de la salive, se redressa péniblement et, après une hésitation, ouvrit le loquet qui retomba dans un claquement sonore.

Ils attendirent, muets, que l'un fasse le premier pas. Killian grelottait. Il se mit à chuchoter.

— Alexa. Enfin, quelque soit ton vrai nom... Je voulais m'excuser. Je n'ai pensé qu'à moi, au danger que j'encourais en te parlant.

Silence.

— C'est la première fois que j'entends ta voix...

La porte s'ouvrit, accompagnée d'un flot de lumière artificielle éblouissant. Killian combattit son instinct qui le poussait à reculer et plissa des yeux pour enfin mettre une image sur cette personne qui envahissait ses pensées depuis bien trop longtemps.

La silhouette se découpa d'abord à côté du lampadaire. D'apparence humaine, elle devait au moins faire une tête de moins que Killian. Ses traits apparurent ensuite, délicats, soutenu par de hautes pommettes lisses et brillantes. L'impression de différence n'était pas tant accentuée par les longs cheveux blancs qui flottaient dans le vent, mais par la clarté de ses yeux verts, presque translucides. Même les fines veines qui parcouraient ses prunelles se montraient, palpitantes.

Alexa tendit la main vers lui, l'enjoignant à sortir de la pénombre. Le jeune homme l'attrapa, puis sursauta au contact chaud et familier.

— Tu avais tellement peur de mon univers. Pourquoi es-tu venu ? demanda la jeune fille de son regard hypnotisant.

Son timbre envahissait le cerveau de Killian, remuait son ventre. Et cette fois-ci, au lieu de repousser ce sentiment de perte de contrôle, il l'accueillit, lui ouvrit les portes de son jardin secret. Lui donna un nom.

— Ton monde commençait à prendre trop de place sur le mien.

***

L'Humanité craint ce qu'elle ne connaît pas.

Un cas bien malheureux.

Car il suffirait qu'elle s'ouvre à l'inconnu.

Pour comprendre.

Et trouver le bonheur.

Alors, qu'avez vous pensé de cette nouvelle ? Pour ceux qui voudraient encore un peu explorer l'univers, j'ai publié des bonus dans « Mes pensées dans le vent » ^^