𝄞 Chapitre 8 : Carmen Odden 𝄞

Quelques jours plus tard

Le trajet d'une heure et des poussières nous ayant mené à Glasgow sans encombres m'a mise sur les rotules. Par chance, mes migraines et vertiges n'ont pas repointé le bout de leur nez depuis le show. C'est déjà ça de gagné... Des valises sous les yeux – et en main –, je gagne, accompagnée du reste de l'équipe, notre nouvel hôtel d'un pas traînant.

Ici aussi, une moquette épaisse rouge foncé recouvre le sol. Ornés de photos du bord de mer et de côtes sauvages disposées dans des cadres dorés pour certains et argentés pour d'autres, les murs bleu marine offrent un moment d'escapade aux plus curieux. Près du comptoir, un présentoir discret qui regorge de brochures et de magazines en tous genres se fond dans le décor luxueux et moderne. Sur la banque d'accueil, de somptueuses orchidées roses égaient l'aspect froid et dur du marbre immaculé.

— Bonjour, nous avons réservé au nom de Monsieur Jones, annoncé-je au réceptionniste.

— Bonjour, Madame. C'est un fait, je me souviens très bien. Vous ne souhaitiez pas être repérés par une horde de fans à votre venue, d'où ce nom d'emprunt.

— C'est exact.

Derrière sa monture acier, ses prunelles vertes parcourent l'écran de l'ordinateur placé devant lui. L'un de ses sourcils s'arque et un pli de contrariété sur son front apparaît. Puis, son visage se décrispe soudainement.

— Ah, ça y est ! Vous logerez au huitième étage. Nous nous engageons à ce qu'aucun autre client n'y ait accès le temps que vous serez là.

— Merci beaucoup.

D'un tiroir fermé à clé, il extrait six badges et me les tend.

— Tenez, les voici. Le numéro des chambres est noté dessus, me renseigne-t-il.

— Excusez-moi, mais je crois qu'il y a erreur. J'en avais demandé uniquement cinq, murmuré-je, en les récupérant.

— L'un de vos collègues, Monsieur Varvik, a téléphoné quelques minutes après vous et a voulu qu'une légère modification soit effectuée.

— Oh, très bien. Je vous remercie de votre diligence.

— N'hésitez pas à nous solliciter au besoin. Nous nous tenons bien évidemment à votre disposition et vous souhaitons un agréable séjour.

Poliment, je le salue d'un sourire affable et me retire. Comme si de rien n'était, je rejoins ensuite les Suédois qui m'attendent un peu plus loin. Je n'ai que moyennement apprécié ce changement opéré dans mon dos. Comptez sur moi pour mener l'enquête, mes cocos...

— C'est bon. Vous pouvez venir, les informé-je, d'une voix volontairement mélodieuse.

Bien trop happés par leur conversation, ils ne remarquent pas l'expression sur ma figure qui jure assurément avec le ton tout juste employé.

Désormais dans l'ascenseur, je regarde avec un certain intérêt les chiffres indiquant les étages changer en fonction de notre ascension. Olav et Nils semblent avoir des choses à raconter. Je n'entends qu'eux depuis tout à l'heure. De vraies pipelettes !

Cling !

Les portes s'ouvrent. Presque silencieuses. Idéalement placée, je laisse mes collègues sortir un à un. Puis, je foule à mon tour le lino gris. Feignant de chercher mon pass électronique, je perds un peu de temps et reste dans l'étroit couloir.

Aussi discrète qu'une souris, je relève le nez et découvre que Nils et Klara vont occuper le même endroit. Je peux donc en déduire que ce n'est pas eux.

Even ?

Le garde du corps m'a confié l'autre jour qu'il souhaitait à tout prix préserver son intimité en restant indépendant et véritable loup solitaire dans un lieu comme celui-ci.

Olav ?

À moins qu'il ait fait un caprice pour avoir deux pièces pour lui selon ses humeurs, ce qui en soi m'étonnerait fortement, il ne reste plus qu'une possibilité.

Carmen et Søren ?

Stupéfaite, j'observe l'influenceuse s'éloigner. Seule. Cela ne laisse place à aucun doute, ils feront chambre à part. Comme à Édimbourg. Bizarre pour un couple... Y aurait-il de l'eau dans le gaz ?

Ravie d'avoir eu le fin mot de l'histoire aussi promptement, je pénètre dans mes appartements et referme derrière moi.

S'accordant à merveille avec la moquette ivoire, une peinture aubergine d'aspect mat recouvre les murs. De couleur identique, des rideaux en velours tirés empêchent la luminosité de percer.

Le connaissant, Einar aurait exigé un remboursement immédiat et ne se serait pas gêné pour faire un scandale à la réception. Je sais, ô combien il détestait cette nuance sur moi. Mon corps s'en rappelle aussi... À la perfection. Rien que d'y penser, des frissons d'effroi remontent le long de ma colonne vertébrale et de mes cervicales puis parcourent mes bras. Sans que je ne puisse lutter, une crise de panique se déclenche soudain. Ma respiration devient saccadée, l'afflux de sang bat avec force dans mes tempes, ma vue se retrouve brouillée par les larmes. Il faut que je m'occupe l'esprit. Et vite.

Après plusieurs minutes de rangement intensif dans les armoires mises à disposition et dans la salle de bain, je me laisse choir sur mon lit. Exténuée, je soulève la couette et vérifie que tout est propre. J'ai hâte de m'y assoupir.

À l'évidence, ce ne sera pas pour tout de suite. Trois coups secs frappés à ma porte m'empêchent de rêver à une sieste plus longtemps. Les mains placées de chaque côté de mes cuisses, je m'appuie sur le matelas moelleux pour me donner de l'élan et me relève avec difficulté.

— Oh ! Qu'est-ce-qui vous amène ? m'étonné-je, en voyant l'équipe réunie, à l'exception de Søren.

— Le tour de l'établissement. Enfin, Thea, à quoi penses-tu ?

Sapristi ! Ça m'était complètement sorti de la tête. Comment ai-je pu oublier ?

— Pardon, pardon. J'étais ailleurs. m'excusé-je, encore troublée par ces pensées terrifiantes et douloureuses.

— Ce n'est rien, ne te tracasse pas.

La mine inquiète, je jette un dernier coup d'œil à mon reflet dans le miroir.

— Je suis prête, allons-y.

D'une démarche franche et décidée, nous retournons au rez-de-chaussée par les escaliers. De là, tels des détectives sur une scène de crime, nous arpentons les moindres recoins et passons au crible tous ces coins luxueux dignes d'intérêt.

Au détour d'une allée déserte, une salle de restaurant dans laquelle sont disposées de nombreuses tables rondes entourées par de hautes chaises en cuir noir nous font face. Suspendus au plafond, des pots de fleurs à proximité d'appliques murales en métal et verre de Murano embellissent le lieu. Sur un guéridon en acajou trône un bonsaï d'intérieur.

Un peu plus loin, un espace détente avec sauna, hammam et piscine attire mon attention. Bien que revêtue d'un carrelage qui ne paie pas de mine, la surface renvoie aussitôt une sensation de calme et sérénité. J'espère avoir l'occasion de pouvoir en profiter avant notre départ.


Point de vue de Carmen :

Bouillant intérieurement, je toise Thea. Cette cruche m'horripile au plus haut point. Derrière son air de vierge effarouchée, je suis sûre qu'elle est un véritable démon, prête à tout pour me piquer Søren. Le pauvre est bien trop aveuglé par le physique et la fausse gentillesse de cette écervelée. S'il croit que je n'ai pas remarqué qu'il commence à s'attacher à elle et à lui faire confiance, il se fourre le doigt dans l'œil jusqu'à la clavicule.

Dire que je la hais est un euphémisme. C'est pire que ça. Bien pire. J'ai tellement envie de resserrer mes doigts autour de son cou frêle et gracieux...

Les fausses accusations confiées à Olav n'ont rien donné. Pourtant, c'était crédible. Je vais devoir mettre les bouchées doubles si je veux me débarrasser d'elle. Søren n'y voyant que du feu, je me dois d'intervenir. Cette fille a plus de vies qu'un chat...

À bien y réfléchir, la faire virer serait un bon compromis. De cette façon, mon petit sucre l'aurait en horreur, comme moi.

Bye, bye, pétasse.

De quel droit se permet-elle de rassurer MON Søren ? Et comment y parvient-elle ?

J'ai beau lui proposer une bonne fellation quand il n'a pas le moral, il me repousse sans cesse et m'ordonne de le laisser tranquille d'un ton catégorique et puissant.

La mâchoire contractée, je les suis, légèrement en retrait. Longeant le bord de l'eau, Thea discute et rigole à gorge déployée avec Nils.

Bordel, faites-la taire. Je vais craquer.

C'est à ce moment précis qu'une merveilleuse idée germe dans mon esprit. D'un geste précis et mesuré, je lui donne un grand coup dans l'épaule. Déséquilibrée, elle tente d'empêcher la catastrophe d'arriver. En vain. Elle termine son périple dans le bassin, éclaboussant tout le monde au passage.

Pas étonnant. Gros tas.

— Oh, non. Je suis tellement désolée... Je n'ai pas fait exprès. Oups.

Les cheveux plaqués et les vêtements collés sur son corps parfait, elle ressort du bassin à la force de ses bras. Aussitôt, Klara et Olav lui viennent en aide. Assise sur le rebord, elle reprend son souffle. Je la déteste.

Comédienne de pacotille.

— Carmen, tu viens avec moi, me somme le manager du DJ. J'aimerais te toucher deux mots.

Prenant l'air le plus innocent qui me soit donné d'arborer, je le laisse m'entraîner, confiante, à l'abri des oreilles indiscrètes. À coup sûr, il va me déclarer sa flamme.

Pathétique.

— Je peux savoir ce qui t'a pris ? me questionne-t-il, sans détour.

— Hein ? De quoi tu parles ?

— Pas la peine de faire semblant. Je t'ai vu la pousser délibérément. Tu profites du fait que Søren soit au téléphone avec sa famille pour te découvrir ?

— Non... Pas du tout... balbutié-je, soudain mal à l'aise.

Comment diable a-t-il fait ? Aurait-il des yeux dissimulés sous sa tignasse épaisse ?

— Sache que dès qu'il a terminé son appel, je le préviens. Ton attitude est inadmissible. Mais enfin, quel âge as-tu ? tonne-t-il.

Non, il ne faut pas qu'il soit au courant. Il ne me le pardonnera jamais.

Réellement impressionnée par sa façon de rugir, je n'ose plus ouvrir la bouche. Je crains d'envenimer la situation si j'invente un prétexte farfelu et irréfléchi pour me dédouaner.

— Ne dis rien à Søren... le supplié-je, apeurée.

— Il fallait réfléchir à tes actes avant. La prochaine fois que je t'y prends, ton contrat est terminé.

Au bord du malaise, je le fixe de mes prunelles bleues.

Non, il n'a pas le droit. Tout mais pas ça.



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