𝄞 Chapitre 6 : Édimbourg 𝄞
« Mesdames, Messieurs. En vue de notre proche atterrissage, nous vous invitons à regagner vos sièges et à attacher votre ceinture. Les portes et issues doivent rester dégagées de tout bagage. Le temps à Édimbourg est pluvieux et la température est de 15°C. »
Le pilote n'a pas menti. Quelques instants plus tard, nous entamons la brusque et pénible descente dont il nous a fait mention. La première chose qui me vient à l'esprit est qu'il faut avoir l'estomac bien accroché ! Alors qu'il prend des virages qui font pencher l'avion à quatre-vingt dix degrés, j'ai le sentiment de me retrouver dans des montagnes russes... Les roues qui rebondissent finalement légèrement au contact du bitume m'empêchent de cogiter plus longtemps. Le jet privé parcourt encore une centaine de mètres avant de s'arrêter progressivement.
Ravie d'être arrivée sur la terre ferme en un seul morceau, je me détache, me redresse et m'étire.
— Klara, Nils et Thea, vous monterez dans la première voiture qui nous attend. Søren et Carmen, vous venez avec moi dans la seconde, nous informe Olav. Il y a des ajustements de dernière minute dont je dois vous parler.
— Ça marche, accepte Nils. On se retrouve à l'hôtel dans ce cas. Vous venez les filles ?
Sur ses talons, nous le suivons sans piper mot avec notre barda et descendons les marches métalliques de la rampe d'embarquement déployée. Le vent glacial et puissant qui s'engouffre sous mon ciré et se mêle à la pluie battante m'oblige à accélérer la cadence. Je suis transie de froid. Les cheveux collés sur le visage, je sprinte jusqu'au véhicule entre deux violentes bourrasques qui menacent de me faire décoller du sol, ouvre la portière à la volée et m'installe sur la banquette en cuir.
Moi qui ai été habituée à loger dans un deux pièces sans manger à ma faim, à partager ma chambre avec mon petit frère, Lars, pratiquement toute ma vie, je crois que je ne me ferai jamais à tout ce luxe...
Comme si la météo n'était pas déjà assez exécrable et capricieuse, le Fog typiquement londonien vient de s'inviter et remplace désormais le torrent qui se déversait sur nos figures il y a de cela une poignée de minutes... Redoublant de prudence, le chauffeur aguerri tente de nous amener à bon port. Les yeux plissés et le nez collé au pare-brise, il essaie de garder une bonne trajectoire et d'éviter à tout prix le phénomène d'aquaplaning. Ainsi, ce n'était pas une légende ! Je suis sûre que si je m'aventurais à faire l'expérience de sortir ma main, je ne parviendrais pas à la voir...
Pourvu que nous évitions l'accident... Ouf, c'était moins une !
Suivie de près par mes compagnons de voyage, je m'extirpe du SUV, récupère mes affaires dans le coffre et pénètre avec assurance dans le sas de l'établissement étoilé.
— Olav, Søren et Carmen ne vont pas tarder. On va peut-être les attendre ? propose Karla, la petite amie de Nils.
— Pourquoi pas, accepté-je.
Les poings sur ses hanches osseuses, elle me sourit d'un air satisfait. Du haut de son mètre soixante-dix sept, la mannequin m'observe avec intérêt. Ses prunelles bleues semblent sonder mon âme toute entière. Les joues rougies par la gêne, je détourne mon attention et m'arrête sur son nez fin, ses longs cheveux blonds qui tombent en cascade sur son dos puis poursuis mon examen sur ses clavicules qui ressortent et sa poitrine refaite. Suis-je donc l'unique créature à ne pas avoir recours à la chirurgie esthétique ?
— Les voilà ! s'écrie Nils.
La tête rentrée dans les épaules, les doigts resserrés autour des anses de son sac encombrant et la mine renfrognée, Søren se dirige vers nous d'une démarche déterminée. Il paraît contrarié. J'ignore ce qui a pu se passer durant le trajet mais j'imagine que les nouvelles exigences d'Olav ne lui auront pas plu...
— Vous êtes déjà allés à la réception ? s'enquiert le manager, comme si de rien n'était.
— Non, du tout.
Les seins bombés outrageusement vers l'avant, Carmen me lance un coup d'œil dédaigneux et me bouscule délibérément.
— Bouge de là, pétasse, susurre-t-elle entre ses dents. Tu vois pas que tu gênes ?
Quelle peste...
Je ne craindrais pas de perdre mon travail, je l'aurais remise à sa place sans hésiter. Et plutôt deux fois qu'une...
— Thea, tu viens ? m'appelle le DJ.
— Oui, tout de suite.
— Soumise, chuchote l'influenceuse avec haine.
Refusant de l'écouter ne serait-ce qu'une seconde de plus, je rejoins Søren au pas de course.
— Ne la laisse pas te marcher sur les pieds, me conseille-t-il. Si tu veux, je peux intervenir.
— Ne t'en fais pas, je gère. Mais merci.
— N'hésite pas si tu changes d'avis.
— Promis.
Prenant mon mal en patience pendant qu'Olav récupère les clés, j'en profite pour admirer les lieux. Les murs crème nus s'accordent à merveille avec la moquette rouge foncé impeccable qui recouvre le plancher. Un peu plus loin, des prospectus, brochures et dépliants disposés sur de petites tables en verre entourées de fauteuils bleu marine en tissu et par des plantes d'intérieur donnent des suggestions aux touristes quant aux endroits à visiter à proximité. Retenus par un cordon épais et torsadé, des rideaux en velours pourpre rendent la décoration élaborée avec goût plus intimiste. Au niveau du comptoir en bois laqué, une sonnette argentée est disposée sous une orchidée blanche.
— Søren et Thea, ne traînez pas. Il faut que vous déposiez vos valises dans votre chambre et que vous filiez pour l'interview. Allez, nous encourage-t-il en frappant dans ses mains, alors que nous cheminons vers l'ascenseur.
— Nien, nien, nien, se moque Carmen.
— Oh, ferme-la... lance le DJ, exaspéré.
✧·゚: *✧·゚:*
Frappant à la porte de Søren depuis une éternité sans obtenir de réponse, je commence à désespérer.
— Søren, je sais que tu es là ! Ouvre-moi !
— Je ne me sens pas bien, on ne peut pas annuler ? demande Søren, d'un ton presque inaudible.
— Ce n'est pas comme ça que ça fonctionne... soupiré-je. Je risque mon job, allez, fais un effort...
Le silence qui plane m'attriste. Je le croyais différent et moins égoïste que la moyenne. À mes yeux, il était une oreille attentive mais j'ai dû me tromper, comme toujours...
— Bon, je vois que tu te fiches complètement que je sois virée. Très bien, reste dans ta tour d'ivoire. J'ai été ravie de collaborer avec toi, même si ça a été sur une courte période. Bonne continuation...
Le cœur lourd, je m'éloigne et m'apprête à subir les remontrances sévères et inévitables d'Olav.
Clic !
— Thea ! Attends, m'apostrophe l'artiste. Je prends ma veste et j'arrive.
Soulagée qu'il soit revenu sur sa décision, je souffle.
— Ça y est, on peut y aller, me prévient-il.
Dévalant les escaliers quatre à quatre pour rattraper notre retard, nous nous dépêchons d'atteindre le sous-sol. Par chance, le taxi n'est pas encore parti. En vitesse, nous nous jetons à l'intérieur.
— Nils m'a dit que tu détestais promouvoir ce que tu fais auprès des journalistes. Ne te tracasse pas, tout va bien se passer.
— J'ai du mal à respirer, murmure-t-il, paniqué. Je sens des picotements dans mes joues, partout même.
— Hey, je suis là. Inspire avec moi, ok ?
Une inspiration. Une expiration.
Deux inspirations. Deux expirations.
Trois inspirations. Trois expirations.
La paume malmenée par ses ongles courts, je tâche de ne pas hurler de douleur. Pour mon plus grand bonheur, il desserre son emprise, sa crise d'angoisse maintenant derrière nous.
— Je crois que c'est bon, je vais bien.
— C'est super. Surtout, ne te mets pas la pression. D'accord ? Je serai là pour intervenir dans tous les cas.
— Merci, Thea.
Une fois briefé, je l'entraîne dans les couloirs du palace dans lequel le point presse va se dérouler et le mène jusqu'à la suite réservée pour l'occasion.
— Bonjour Monsieur Hedgeland. Je me présente, John Davenport. Entrez, je vous en prie, et mettez-vous à l'aise. Si vous le voulez bien, nous allons procéder à l'installation d'un micro sur votre chemise pour que les internautes puissent comprendre ce que vous allez raconter. Madame Løvdahl, vous pouvez prendre place derrière le caméraman. Si jamais vous souhaitez prendre la parole, les scènes pourront toujours être coupées au montage.
— Entendu, merci.
— Et, action !
— Bonjour à toutes et à tous, c'est avec un immense honneur que nous accueillons aujourd'hui le DJ suédois internationalement reconnu, Søren Hedgeland ! Bonjour Søren, et bienvenue en Écosse.
— Bonjour, merci beaucoup.
— Alors, Søren, nous avons entendu dire de sources sûres qu'un nouvel album est actuellement en préparation. Pouvez-vous nous le confirmer ?
La moue inquiète, il me fixe et paraît attendre mon aval avant de s'exprimer sur le sujet. Encourageante, je hoche la tête et lui adresse un sourire qui, je l'espère, sera perçu comme bienveillant.
— Oui, c'est bien ça. Nous avons prévu d'enregistrer une dizaine de titres.
— Avez-vous déjà contacté des artistes pour qu'ils mettent leurs voix sur vos compositions ?
— Pour le moment, je me concentre sur le processus de création. Je ne souhaite pas m'éparpiller.
— Nous comprenons tout à fait. Pourriez-vous nous dire combien de temps la réalisation va-t-elle durer ?
Ayant besoin de se rassurer, il me regarde une nouvelle fois.
Tu peux le faire, Søren, l'encouragé-je par la pensée.
Prenant une grande inspiration, il reprend.
— Tout dépend. Nous devons prendre en compte différents facteurs.
— Qui sont ?
— Premièrement, l'inspiration. Il y a des jours où je peux réussir à trouver une mélodie en trois heures, d'autres où je ne vais avancer à rien. Deuxièmement, les shows et les tournées prévues. Par exemple, là, ma tournée va débuter. Ce soir, je me produirai devant des milliers de personnes, je devrai enchaîner les concerts d'une destination à une autre quasi non-stop. Troisièmement, les déplacements. Il peut m'arriver de travailler sur des projets dans l'avion mais je peux tout aussi bien, si je suis trop fatigué, essayer de me reposer.
— Et bien, merci, Søren, de toutes ces précisions. Une dernière question et je vous libère. Dans quels pays allez-vous rencontrer votre fandom ?
— Je ne vais pas être en mesure de tous vous les citer, je vais vous parler uniquement de ceux qui ont le plus de dates. À savoir : les États-Unis, le Canada, l'Argentine, la Suède, la Norvège.
— Cet entretien exclusif est désormais terminé. Un grand merci, Søren. Merci de nous avoir accordé de votre temps. C'était un réel plaisir d'échanger avec vous.
— Merci pour l'invitation et à bientôt.
— Coupé ! C'était parfait, tout est dans la boîte.
Pressé de partir, Søren retire lui-même tout cet harnachement et vient me prendre dans ses bras. Surprise au premier abord, je finis par répondre à son étreinte chaleureuse. Je suis si fière de lui. Il aura géré d'une main de maître cette entrevue malgré le stress !
— J'ai réussi ! s'exclame-t-il, alors que nous sortons du bâtiment. Je suis si heureux ! Je n'ai pas été paralysé par l'angoisse pour une fois, tu es mon Lucky charm, Thea.
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