𝄞 Chapitre 27 : Les sœurs de Søren Hedgeland 𝄞
Quelques semaines plus tard
Point de vue de Sara :
Retenu par un empêchement de dernière minute, Søren m'a demandé d'emmener Thea se promener dans les rues de Göteborg et le long du canal Göta. La pauvre n'est pas sortie depuis les événements qui se sont produits avec son ex compagnon. La peur qui lui tiraille le ventre l'en empêche.
Bien que je n'aie jamais été amenée à le vivre, je ne peux que comprendre. Cette crainte est légitime. Après tout, elle plus que personne d'autre, connaît Einar Roed et sait de quoi il est capable. C'est le flou artistique pour nous qui ne connaissons pas tous les tenants et aboutissants de cette relation que mon frère a jugée toxique. Pour qu'il le dise, il doit disposer de sérieux éléments.
Assise sur la banquette arrière avec mon fils, Thea regarde le paysage défiler d'un œil distrait. Stella m'empêche de l'observer plus longtemps en m'indiquant une place que je peux prendre. Je freine en douceur, enclenche mon clignotant puis me gare en créneau. Une fois le contact coupé, je m'extirpe ensuite de la voiture et ouvre la portière pour détacher Ubbe.
Thea a lu dans mes pensées. Elle sort la poussette du coffre, la déplie et me l'apporte. Ubbe est sage comme une image et gazouille en fixant la collègue de Søren de ses grands yeux étonnés. Il se laisse porter sans pleurer et attend patiemment que je l'installe.
Quant à elle, Stella, armée de son smartphone, remplit la plaque d'immatriculation sur l'application pour payer le stationnement en ligne. Quelle fine équipe !
Et pour compléter ce tableau parfait, le beau temps est au rendez-vous. Que demander de plus ?
D'un commun accord, nous nous mettons en route. Des bourrasques de vent accompagnent nos pas. De nombreux passants semblent avoir eu la même idée que nous et déambulent sur les trottoirs. Des skateurs zigzaguent entre nous et évitent in extremis à chaque fois des personnes sur leur trajectoire. Des remarques cinglantes fendent l'air, des éclats de rire fusent. J'aime cette ville pleine de vie. Qui se pare de ses plus belles couleurs et renaît de ses cendres tel un phénix à l'approche de l'été.
Rien ne pourrait venir obscurcir cette agréable sortie.
Le cadre est idyllique. Des bateaux amarrés se déportent au rythme des légers courants, reviennent à leur place puis voguent à nouveau vers de nouveaux horizons. Pour longer le canal, nous traversons. Même les voitures ont déserté les lieux pour mon plus grand bonheur.
La foule se fait plus rare. On pourrait croire que le chemin a été aménagé spécialement pour nous. Il fait tellement bon que je m'arrête et retire ma veste en jean.
Lorsque je relève la tête, des nuées d'oiseaux tournoient dans le ciel bleu, parcourent son immensité joyeusement. Une odeur forte et étrange de feuille fraîche rappelant le melon parvient à mes narines entraînées et frémissantes. Un bruit m'alerte soudain. Celui d'un moteur.
À peine ai-je le loisir de me retourner qu'un véhicule lancé à plein régime fonce droit sur nous. Pied au plancher, le conducteur à la carrure athlétique nous scrute, le visage déformé par la haine. Je n'ai pas le temps de comprendre ce qui se passe. Tout se déroule très vite. Alors que je berce Ubbe, Thea me pousse violemment dans un cabanon de pêcheur sur pilotis à proximité et en fait de même avec Stella. Puis, remarquant qu'elle ne peut plus éviter le bolide, elle se fige. Son corps se contracte prêt à encaisser l'impact.
Qui ne vient pas !
Un vacarme tonitruant retentit. Énorme. Puissant. Perçant presque mes tympans. La Volvo s'enroule autour d'un lampadaire qui se tord dans un son glaçant sous la violence du choc. Dans l'habitacle le sang gicle, éclabousse et recouvre les vitres qui explosent dans un immense fracas ainsi que l'airbag d'une substance poisseuse.
Le crissement désagréable des pneus sur le goudron m'a tellement effrayée que je suis sortie de ma cachette sans m'en rendre compte. Thea tombe à la renverse pour sa part. Malgré ma vue brouillée, je distingue des gens se précipiter dans notre direction. Stella glisse à terre, livide. Comme si ma vie en dépendait, je serre Ubbe contre moi et m'adosse au pan en bois dur du petit bâtiment.
Mon cœur bat à tout rompre et mes oreilles bourdonnent. Des points noirs dansent devant mes yeux. Alors que je m'accroupis, de l'eau ruisselle le long de ma colonne vertébrale, entre mes seins, sous mes aisselles et sur mon front. Ma respiration devient saccadée. Je me sens tellement mal.
— L'homme... voiture... chuchote Thea.
Des bribes me parviennent. Dans un effort surhumain, je me concentre sur la voix grave qui répond.
— Mort, Madame. Il a perdu le contrôle. Nous n'avons rien pu faire pour le réanimer. Nous avons jeté un œil à ses papiers d'identité. Il s'appelait Einar Roed.
Mais quel monstre ! Quel psychopathe ! Son ex nous a tracées et souhaitait nous tuer ? Ce n'est pas correct mais bon débarras ! Le monde se portera bien mieux sans ce malade !
Submergée par diverses émotions, j'éclate en sanglots. Mon pauvre Ubbe... Stella... Thea... Si cet enfoiré avait réussi son coup, nous serions tous étendus, là, les yeux révulsés et les membres crispés dignes d'imposantes statues grecques. La classe en moins. Réunis dans les limbes pour toujours et à jamais.
L'air hagard, je fixe la marée humaine s'agiter autour de nous.
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Les examens que les ambulanciers nous ont fait passer n'ont rien montré d'anormal. Stella a contacté Søren pour lui exposer la situation avant qu'il ne l'apprenne par les médias qui ont été dépêchés sur place. Thea est toujours sonnée. Elle n'a pas dit un mot depuis l'annonce du décès d'Einar. Elle doit être tellement choquée par cette nouvelle. Et qui plus est, l'adrénaline étant retombée, elle doit avoir pris conscience que sa vie et la nôtre auraient pu basculer si le lampadaire n'avait pas fait barrage.
Les mains reposant sur ses cuisses, elle fixe un point lointain. Un point qui l'empêche de craquer, de fondre en larmes. Les épaules voûtées, la mâchoire contractée, elle ne le quitte pas des yeux. Elle ne veut surtout pas lâcher prise. Ses cheveux fins volent dans tous les sens et le vent souffle de plus en plus fort autour d'elle mais elle n'en a cure.
Elle se force à rester concentrée sur son objectif et s'oblige à ne pas s'effondrer tel un château de cartes. Elle doit croire que laisser libre cours à ses sentiments provoquerait sa perte. Pourtant, c'est bien connu, ce n'est jamais bon de tout garder pour soi. C'est important d'évacuer. L'explosion peut être destructrice si l'on accumule trop longtemps sans rien dire.
Tant elle l'a tordue et emprisonnée entre ses doigts, sa chemise en jean est froissée en bas. Assise en tailleur sur le sol couvert de débris de verres ensanglantés, Thea Løvdahl est dans un piteux état. Un bien triste sort que l'on ne souhaiterait pas, même à notre pire ennemi.
Finalement, Ubbe est celui qui s'en sort le mieux. Il s'est endormi paisiblement dans la poussette et suce son pouce. Avec une infinie tendresse, je réarrange ses mèches sur son front lisse. Il faudra que je prenne bientôt rendez-vous pour lui chez le coiffeur.
Jurant comme un charretier, Søren débarque sur les lieux à son tour, remonté comme une pendule. Il a dû mettre fin à son interview plus tôt que prévu. Lorsqu'il nous aperçoit, il accourt. Thea s'ancre à nouveau dans la réalité quand il s'accroupit face à elle et pose ses mains sur ses genoux tremblants.
Et nous ? On compte pour du beurre ? C'est limite vexant !
— Cette enflure ne te fera plus de mal, mon... Euh... Thea. se rattrape-t-il en regardant à droite et à gauche, comme s'il avait été pris en faute.
Stupéfaite, j'arque un sourcil. Quelque chose se tramerait-il entre ces deux-là ? Tous les doutes sont permis si je me réfère à ce à quoi je viens d'assister.
Mon frère semble bien plus proche de sa chargée de communication qu'il n'ose nous l'avouer. J'en suis certaine. Il y a des signes qui ne trompent pas. En premier lieu, le fait qu'il accorde du jour au lendemain une importance toute particulière à son look. En second lieu, le fait qu'il se soit précipité vers Thea plutôt que vers nous. En troisième lieu, ses pommettes remontées en sa présence. Et enfin cette retenue de dernière minute louche au possible.
Détective Sara va mener son enquête dans la plus grande discrétion. Je serais ravie en tout cas pour eux. Plus que personne d'autre, Søren mérite d'être heureux. Surtout après ce qu'il a vécu dans son enfance et son enlèvement en Argentine.
Thea serait la première femme à qui il accorderait sa confiance depuis une quinzaine d'années. Quel miracle ce pourrait être !
Mais sans doute est-ce juste moi qui me monte la tête avec mon esprit fleur bleue ? Mine de rien, j'ai moi aussi été profondément secouée par ce qui s'est produit.
Moi qui suis habituée à mener une vie tranquille et posée, me voilà propulsée dans une autre galaxie bien moins paisible et pleine de rebondissements. Je m'en serais bien passé. Être auto-entrepreneuse et maman à plein temps me suffit amplement.
Mon esprit est tellement affublé de pensées que je réagis à peine en voyant la figure inquiète de mon mari plonger de sa hauteur et s'agiter devant moi. Et puis je réalise.
Son débit trop rapide m'empêche de saisir toutes ses questions qui fusent comme des balles de ping-pong. Hébétée, je l'écoute d'une oreille distraite. C'est à n'y rien comprendre. De quoi parle-t-il au juste ? Mon cerveau est incapable de suivre le rythme imposé. Il tourne au ralenti depuis le drame.
— Sara, ma chérie, m'appelle-t-il en me secouant en douceur. Tu m'entends ?
— Oui, je suis là.
— Je suis venu dès que j'ai vu les images à la télé. Comment te sens-tu ? Et comment va Ubbe ?
Après dix ans de relation, Åke est toujours aussi prévenant et délicat. Il se soucie de moi comme au premier jour. Je me sens terriblement chanceuse de me réveiller chaque matin à ses côtés. Je ne sais pas ce que je ferais sans lui. Il me pousse sans cesse à donner une meilleure version de moi-même. Il est ma moitié. Il est mon tout. Mon âme sœur. Grâce à lui, je suis une femme épanouie qui remercie le destin de lui avoir permis de croiser son chemin.
— Ubbe se porte comme un charme. Il est dans les bras de Morphée depuis une demi-heure. Et moi, je crois que je vais m'en remettre. Je suis un peu perdue... J'imagine que ça ira mieux demain après une bonne nuit de sommeil.
Affectueusement, il m'attire à lui. Je me blottis dans ses bras sans me faire prier et laisse reposer ma tête contre son large torse. Je me sens davantage en sécurité maintenant qu'il est là. C'est comme si plus rien de terrifiant ne pouvait m'arriver.
Du coin de l'œil, j'observe les policiers s'affairer. Certains analysent la voiture accidentée, d'autres relèvent des empreintes, d'autres encore se penchent sur les traces de freinage inexistantes. Thea est interrogée par un cinquantenaire qui prend des notes sur un carnet gondolé.
Je n'aimerais pas être à sa place. Devoir répondre à un interrogatoire après avoir subi un choc pareil relève de l'exploit. Elle est pleine de ressources mine de rien. Je l'admire.
Sans vouloir être méchante, même si Thea semble être un vrai chat noir, Søren a mon aval s'il veut sortir avec elle. Ils vont très bien ensemble. Et je suis sûre, qu'elle, plus que personne d'autre, saura l'aider à s'épanouir dans ce monde de brutes.
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