𝄞 Chapitre 25 : Toxicité 𝄞

Point de vue de Søren :

Le médecin que j'ai convié à mon domicile m'a rassuré. Le malaise de Thea n'a été que passager et ne cache rien de plus grave. Il n'a pas estimé nécessaire qu'elle passe des examens plus approfondis à l'hôpital compte tenu de ses blessures superficielles.

Une chance que nous soyons intervenus à temps ! Même si elle avait l'avantage à notre arrivée, tout peut basculer d'un moment à l'autre. Je suis bien placé pour le savoir...

Le gémissement plaintif de Thea m'ancre à nouveau dans la réalité. J'ai appuyé trop fort. J'applique aussitôt sans exercer de pression (ou presque) une pommade pour les hématomes.

Tremblant comme une feuille, elle m'observe en silence m'affairer au niveau de son poignet.

Des milliers de questions trottent dans ma tête. Il faut que je sache.

— Si j'ai bien compris, c'était ton ex ?

— J'aurais aimé que tu ne le croises jamais mais oui, c'était bien lui.

Après avoir pesé le pour et le contre, je me lance. Si elle ne se sent pas à l'aise ou si elle estime que c'est trop indiscret, elle n'y répondra pas de toute manière. À première vue, elle semble en tout cas bien disposée.

— Je ne t'oblige pas à m'en parler mais tu pourrais m'en dire plus sur votre relation ?

Ses mains se joignent, elle triture ses doigts avec nervosité puis soupire.

— J'ai beaucoup retardé ce moment. Tu as droit à des explications. Il est temps que je te raconte.

Sa mine s'assombrit. Son récit ne va pas être des plus joyeux. Je m'y suis préparé.

— Après plusieurs semaines d'échanges sur un site de rencontre, nous nous sommes vus. C'était un lieu basique. Un café où se réunissaient des habitués. Lorsque je l'ai aperçu, il m'a aussitôt fait forte impression. Il était attentionné et doué pour dire exactement ce que j'attendais. Nous avons décidé d'un commun accord de nous revoir au terme de ce premier rendez-vous tant le courant passait bien entre nous. Je lui ai donné sa chance. Mal m'en a pris... Au début, tout était beau, tout était rose. Il me couvrait de cadeaux et me complimentait sans cesse. Puis, les choses ont fini par changer.

Rattrapée par le train de ses souvenirs douloureux, elle déglutit avec difficulté. J'en ai conscience, le plus dur est à venir. Son récit ne va pas être des plus joyeux mais je m'y suis préparé.

Pour lui témoigner mon soutien, je caresse ses avant-bras.

— Il s'est mis à me reprocher le tournant que prenait notre relation, reprend-elle d'une voix chargée d'émotions. Ça a commencé par des mots perfides qui me laissaient penser que ce n'était pas exprès, pas volontaire. Il m'a accusée ensuite de l'avoir fait sombrer dans l'alcool, de gâcher toujours tout. Il est allé encore plus loin en me convainquant, à force de le répéter, que j'étais un monstre, un danger pour les autres et pour lui en particulier. Et comme tu t'en doutes, non satisfait de cette emprise sur le plan psychologique, il s'est mis à me frapper quand il était contrarié. Une claque, deux, puis trois. Un coup de poing ensuite, cogner ma tête jusqu'à ce que je perde connaissance contre le meuble de la cuisine pour que ce qu'il me répétait soit assimilé.

Tristement, elle sourit.

— Et le pire, c'est que je trouvais ça normal. Je ne voyais pas où était le problème et étais sûre que je méritais ce qu'il me faisait subir. Mes amis et ma famille avaient beau me rabâcher sans cesse le contraire, je m'emportais contre eux et m'enfermais dans cette bulle toxique.

— C'est souvent le cas malheureusement. Les victimes suivent le même raisonnement que le tien.

— J'étais persuadée qu'ils ne comprenaient rien. Je me raccrochais à Einar, essayais de changer, de le satisfaire, de ne pas le provoquer sans me douter qu'il trouverait dans tous les cas toujours des prétextes, des excuses pour lever la main sur moi.

Plus elle avance dans ses confidences et plus mon cœur se serre. J'aurais tant voulu la protéger. Elle ne méritait pas de vivre ce cauchemar avec cet être crapuleux à enfermer.

Mes lèvres se retroussent de dégoût.

— Et j'ai fini par avoir un déclic. J'ai commencé à douter en croisant des couples dans la rue, j'ai lu des titres et articles dans les journaux parlant de femmes battues, de féminicides. J'ai été interpellée par certains faits divers en voyant des similarités avec ce que je subissais. Je me suis identifiée. Nos discussions et celles que j'ai pu avoir avec Diana ont fini de me convaincre. Il fallait que je sorte de ce bourbier. Ce travail a été ma porte de sortie.

— Einar t'a lâché la grappe dès que tu as décroché ce job ?

— Non. Il a tenté de m'empêcher de m'y rendre en m'attachant comme il l'avait déjà fait. Il voulait à tout prix éviter que je noue des liens avec qui que ce soit. Il m'a ensuite envoyé des messages, m'a annoncé sa décision de rompre quand il était à un tournoi de boxe puis est revenu dessus. J'ai réussi à davantage lui échapper quand la tournée a commencé. J'ai fini par bloquer son numéro et tu as eu la chance d'assister à nos retrouvailles mouvementées tout à l'heure.

Ses tremblements se sont intensifiés au fur et à mesure de ses déclarations. Pauvre Thea.

Sans avoir réfléchi au préalable, je l'attire contre moi. J'aimerais tant faire plus pour elle. Prendre sa douleur par exemple. Lui faire oublier ces mois de souffrance.

— Je veux que tu sois fière de toi, mon ange. Tu n'as pas de reproches à te faire. Te sortir de tout ça a été très courageux et maintenant, je ne laisserai plus ce connard revenir t'agresser. Tu peux avoir confiance. Je sais que ça peut être pesant mais je préférerais que tu sois accompagnée maintenant dès que tu vas à l'extérieur. Ce ne sera que provisoire, juste le temps que les choses se tassent.

— Merci mon Søren. Ça me rassurera en effet de ne pas être seule.

— D'ailleurs, pourquoi tu étais livrée à toi-même dans ce quartier ? Je croyais que tu retrouvais ton frère dans un café ?

Penaude, elle fuit mon regard et baisse le nez. Visiblement elle ne semble pas résolue à en parler. Je n'insiste pas, culpabilisant déjà assez de lui avoir demandé des informations indiscrètes. Il faut que je me rattrape si je ne veux pas la perdre. Je me triture les méninges à la recherche d'une activité qui pourrait lui permettre de prendre un peu de temps pour elle.

Une poignée de secondes s'écoule avant que je n'ai une révélation. La connaissant, ma proposition va lui plaire à coup sûr.

— Que dirais-tu de prendre un bain pour te relaxer pendant que je m'occupe de préparer le repas ?

— C'est une excellente idée ! Me détendre après ces événements me fera le plus grand bien.

Après avoir déposé un chaste baiser sur ma bouche, elle s'élance à l'étage. Je perçois le bruit de ses pas légers s'éloigner jusqu'à ne devenir qu'un infime murmure quand elle atteint la chambre qu'elle occupe. De mon côté, je commence à m'activer en cuisine. Je sors les ingrédients pour un délicieux lax med färskpotatis och dillsås (saumon avec des pommes de terre nouvelles et une sauce à l'aneth) ! Rien que de penser à l'explosion de saveurs lorsque le plat entrera en contact avec mon palais, j'ai besoin de me réfréner. J'en salive tellement déjà.

Une notification sur mon portable me coupe cependant bien vite dans mon élan. Un fan m'a envoyé un nouveau message. Il me supplie de visionner la vidéo qu'il a prise car c'est très important.

Je n'ai pourtant pas pour habitude de le faire mais cette fois-ci, je suis curieux de voir le contenu. Je vais peut-être le regretter mais je préfère en avoir le cœur net. De toute manière, je ne lui répondrai pas donc il n'aura aucune preuve que je l'ai ouvert ou non.

Lorsqu'elle se lance, mon sang ne fait qu'un tour. Einar fait barrage et empêche Thea de passer dans cette rue malfamée. Autour d'eux, seules des voitures carbonisées font office de décor. Les fenêtres ont explosé et des bris de verres jonchent le sol recouvert d'ordures. Ce monstre pourri jusqu'aux os est donc dans son élément. Dans son habitat naturel.

L'affreuse scène vécue par Thea se déroule sous mes yeux horrifiés. À en juger les images, le jeune homme qui a pris contact avec moi filmait de son appartement situé en hauteur. L'enchaînement des actions toutes plus violentes les unes que les autres me fait l'effet d'un électrochoc. Impossible pour moi de rester les bras croisés. Il faut que j'intervienne. Je compose le numéro du commissariat.

Au bout de trois tonalités, une personne décroche.

— Bonjour. Commissariat de Göteborg, j'écoute.

Fais-je le bon choix ? Je ne devrais peut-être pas agir dans son dos... Thea risque de m'en vouloir.

Hésitant, je n'ose pas parler immédiatement. Mais en même temps, si je ne dis rien, ne serai-je pas complice s'il lui arrive quelque chose ? Je ne me le pardonnerai jamais.

— Bonjour, Søren Hedgeland à l'appareil. Je voudrais faire un signalement.

— Oh ! Le DJ ? Enfin, excusez-moi. Je me reprends. Très bien, Monsieur. Allez-y.

— Ma chargée de communication a été agressée par son ex compagnon cet après-midi. J'ai pris des photos avant d'elle et je viens de recevoir une vidéo qui permet de voir le déroulé des événements.

— C'est noté. Pourriez-vous m'indiquer le nom de la victime et celui de l'autre individu ?

— Bien sûr. Ma collègue s'appelle Thea Løvdahl et celui qui l'a attaquée est Einar... Euh, je ne sais pas... Je peux vous fournir les preuves que j'ai sans problème et vous pourrez peut-être l'identifier ?

— J'imagine que nous pouvons toujours essayer avec les logiciels que nous avons à disposition.

Lax med färskpotatis och dillsås : Grand classique en Suède, ce plat se trouve un peu partout lors de sorties au restaurant ou de repas avec les natifs. 


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