𝄞 Chapitre 24 : Le destin 𝄞

Point de vue de Thea :

Grâce à la générosité de Søren, j'ai pu me rendre dans le centre-ville avec sa Mercedes. Les yeux de Nils étaient arrondis comme des soucoupes lorsque le musicien m'a remis les clés. Apparemment, il ne la donne à strictement personne. Pas même à sa famille ou à ses meilleurs amis de longue date.

Søren a cependant trouvé une excellente excuse : le caractère d'urgence suite à l'appel de Lars. Je le rejoins d'ailleurs dans un café où il s'est retranché complètement paniqué. Dans le froid mordant, je remonte une allée déserte au pas de course. Tant je suis frigorifiée, je sens mes membres s'engourdir au fur et à mesure que j'avance. La distance jusqu'à l'établissement me paraît interminable. Le vent frappe de mille lames gelées mes jambes tremblantes et probablement violettes à l'heure qu'il est.

Pressée d'en finir avec cette histoire, j'accélère encore la cadence. Je n'aurais pas dû me garer aussi loin par ce temps capricieux. Je voulais limiter les risques pour le véhicule. Mal m'en a pris...

Heureusement pour moi, je pousse enfin les portes du Fristad*. Aussitôt, je me retrouve enveloppée d'une chaleur réconfortante qui me ferait presque oublier mon cauchemar pour venir. Presque. Lars est assis à une table tout au fond. Je ne l'aurais pas remarqué si je n'avais pas reconnu la casquette vissée sur la tête qu'il porte tant elle dissimule son visage. Je la lui ai offerte pour ses dix-huit ans. Je me souviens avoir économisé longtemps avant de pouvoir l'acheter. Sa réaction m'avait confortée et fait plaisir quand j'avais assisté à cet engouement de sa part.

J'avais tout gagné. Mon frère était heureux. Et ça, ça n'avait pas de prix.

D'une démarche rapide, je comble l'espace qui nous sépare.

— Hey, le salué-je en m'asseyant. J'ai fait du plus vite que j'ai pu.

— Hello sœurette. Merci d'être venue. J'ai besoin de ton aide.

— Dis-moi ce que je peux faire, l'encouragé-je.

Son regard sombre s'ancre dans le mien et sa mâchoire carrée se crispe. Avec difficulté, je déglutis. Je ne l'ai pour ainsi dire jamais vu dans cet état. Que va-t-il m'annoncer ?

J'ai le sentiment que ça ne va pas me ravir...

— Je me suis mis dans un sacré pétrin et je ne sais pas comment réparer cette grosse bêtise.

Perdue, je le scrute. Il n'y a pas plus évasif ! Comment pourrais-je comprendre toute la teneur de sa bourde s'il ne me dévoile rien de plus ?

— Mais encore ? insisté-je, un sourcil arqué.

Il soupire, vaincu, et rentre au maximum son cou puissant dans ses épaules.

— Un mec m'a vendu de la drogue, chuchote-t-il pour que je sois la seule à l'entendre. Je n'ai pas pu le payer et maintenant il réclame son dû.

— Bordel, Lars ! Tu m'avais promis que tu avais arrêté !

— Je suis désolé, j'étais stressé. Il fallait que je décompresse. C'était la seule solution.

C'est à mon tour de souffler.

Avant de réussir à s'en sortir, Lars a galéré pendant des mois. Le chemin pour en arriver là n'a pas été un long fleuve tranquille et voilà qu'il replonge.

Les soirées où il était en manque surgissent devant moi. Les insultes adressées quand je vidais ses réserves dans les toilettes et tirais la chasse d'eau. Son teint cireux. Ses cheveux collés sur son front. Et pour couronner le tout, la transpiration excessive qui imprégnait ses vêtements. Le cauchemar en somme...

— Et je n'ai pas rechuté. ajoute-t-il. C'était juste une fois. Sauf que je n'ai pas l'argent.

— C'est pour ça que tu m'as appelée ? Pour que j'y aille à ta place ?

— Oui. Je ne peux pas aller au rendez-vous fixé les mains vides... Ils vont me refaire le portrait. Le délai a été dépassé en plus. Si c'est toi qui les rencontres, ils ne te feront rien.

— Tu me promets de ne plus toucher à cette merde si je m'en occupe ?

— Je te le promets.

Pour me prouver sa bonne volonté, il me tend son auriculaire. J'enroule le mien autour du sien puis reprends.

— Bon, tu leur dois combien ?

— Trois mille euros.

C'en est trop. Je recrache sur lui ma gorgée de thé pomme-cannelle.

— Mais tu as acheté pour un régiment ou quoi ?

— Thea, calme-toi. Je peux t'expliquer.

— Je t'écoute.

— C'était pour une rave-party. On était beaucoup. Je n'ai pas trop consommé.

— Je vais devoir retirer. Je n'ai pas cette somme sur moi.

— Merci, tu es géniale.

— C'est la dernière fois, Lars. Je ne rigole pas. Envoie-moi l'adresse de rendez-vous. Tu abuses. Tu sais très bien ce que j'ai subi en Argentine en plus.

Sans broncher, il baisse le nez et pianote sur l'écran de son portable.

— Je suis désolé, vraiment.

Lorsque je ressors du café, le soleil qui brille dans le ciel bleu a changé du tout au tout l'atmosphère qui m'avait accompagnée à l'aller. Le vent s'est calmé et a cédé face aux rayons plus forts de l'astre au terme d'une longue bataille.

Motivée comme jamais, je file à toute allure en direction du distributeur le plus proche. Plus vite cette histoire sera clôturée, moins je stresserai. Mes prières semblent avoir été entendues.

Deux minutes plus tard, je retire plusieurs liasses de billets. Lorsque la banque m'avait proposé une carte plus prestigieuse, je m'étais retenue pour ne pas leur rire au nez. Je dois l'admettre, le plafond qu'elle permet de débloquer m'a bien servi aujourd'hui tout compte fait. Pourvu que personne n'ait vu mon retrait conséquent... Sinon, je ne donne pas cher de ma peau !

Je reprends ma route en suivant l'itinéraire que m'indique le GPS sur mon portable. Je relève la tête et découvre un quartier totalement différent, plus menaçant. Des carcasses de voitures carbonisées sont garées le long de trottoirs jonchés de déchets. Des impacts de balles ont transpercé les murs. Je me remémore mon évasion dans la périphérie de Buenos Aires.

Le bruit épouvantable des coups de feu se répercute dans mon esprit.

Alors qu'aucun effluve pouvant me le rappeler n'émane en ville, l'odeur âcre de poudre envahit mes souvenirs effroyables et cruels. Je suis prise d'une quinte de toux et tente d'expulser l'air qui brûle à l'intérieur de mes poumons. Vivement que le travail avec le psychiatre débute. Je n'en peux plus. Je vais devenir folle. J'ai l'impression d'apercevoir Einar à l'autre bout de la rue.

Ces hallucinations vont finir par avoir raison de moi. Mieux vaut que je regarde où je pose les pieds pour ne pas m'étaler à plat ventre au lieu de délirer de la sorte.

Je poursuis mon chemin et finis par arriver dans une ruelle étroite. C'est ici.

— C'est toi la sœur de la flippette ? me hèle un jeune homme tatoué.

— Il a un prénom, figurez-vous. Et pour répondre à votre question, c'est moi.

— T'as le fric ?

— Évidemment. Je dois le déposer à un endroit précis ?

— Approche et remets-le moi directement. Il faut que je compte, m'explique-t-il.

Il pointe un pistolet vers moi, menaçant. Mes nerfs décident de lâcher à ce moment précis. Telle une personne échappée de l'asile, j'explose d'un rire tonitruant.

— Y a quoi de drôle ? s'emporte-t-il.

— Oh, rien du tout. J'ai déjà été mise en joue plusieurs fois ces derniers jours. Ça fait beaucoup. Un peu trop, expliqué-je, les larmes aux yeux.

— Attends, mais c'est toi qui t'es échappée d'une grange avec le DJ en Argentine ?

— La seule et l'unique.

— Respect, meuf. Ils étaient pleins à vos trousses apparemment.

— Merci, mec. En effet, c'était un gang qui n'en était pas à son premier coup.

— Putain, t'es trop forte. Viens tranquille, m'intime-t-il en rangeant son arme dans sa ceinture.

Davantage en confiance, j'avance et lui tends l'argent.

— Ça m'embête de te faire payer plein pot alors que t'es une héroïne. Par contre, tu diras à ton frère que j'ai tout pris. Je veux pas passer pour n'importe qui. La moitié ça va être suffisant. Ça sera notre petit secret à tous les deux.

Interdite, je le scrute. Blague-t-il ? Non, il paraît on ne peut plus sérieux. Il me rend mille cinq cents euros et me donne une tape dans le dos comme si nous étions amis.

— Allez, rentre bien.

— T'inquiète pas pour moi. Salut, mec.

— Salut, meuf. Transmets mes amitiés à Hedgeland, conclut-il avant de s'éclipser derrière une porte métallique inégale.

Me voilà enfin seule. Je m'autorise à reprendre une respiration normale. C'est terminé ! J'ai géré cet échange d'une main de maître. Ça s'est mieux passé que je ne l'aurais imaginé.

Craignant cependant qu'il change d'avis vu ma chance coutumière, je quitte les lieux en quatrième vitesse. Et, alors que je détale comme un lapin, je rentre de plein fouet dans un torse musclé.

Celui d'un boxeur. D'un boxeur que je connais. Que je connais très bien.

Horrifiée, je fais un bond en arrière mais il est trop tard. Einar se tient devant moi. Il me barre la route avec une facilité déconcertante. D'une main puissante, il capture mon poignet et le tord de toutes ses forces. Un cri de douleur m'échappe. Un cri de trop. Un cri qui le déchaîne. Il me fait un crochet du droit et m'envoie valser par terre.

Ma tête rencontre la tôle froissée d'un des véhicules brûlés alignés en file indienne. Un craquement retentit. Impossible pour moi de savoir s'il vient de moi ou non. Mieux vaut ne pas savoir.

L'adrénaline pulse dans mes veines. Je suis déterminée à ne pas me laisser faire cette fois-ci. Tandis qu'un mince filet de sang coule d'une lèvre fendue, je prends appui sur une main et me relève. Einar voit rouge. Il a immédiatement compris que j'ai changé depuis notre relation toxique.

— Ah... Le destin... susurre-t-il entre ses dents serrées.

Les pupilles animées d'une lueur féroce, il vient vers moi. Son visage est déformé par la haine.

— Tu m'as foutu en rogne, Thea. Tu croyais qu'ignorer mes messages étaient la solution ?

— Laisse-moi tranquille ! hurlé-je. Je n'ai pas peur de toi !

Je me mets en position, prête à me battre.

— Tu n'as qu'une chose à faire et j'arrête.

— Laquelle ?

— Reviens avec moi, ma petite fleur.

— Jamais de la vie !

Sans que j'ai le temps de réagir, il fond sur moi, hors de lui. Son poing vient s'abattre contre ma joue. Sans mal, il me déséquilibre ensuite et me balance sur le coffre d'une vieille Volvo. Je n'ai pas dit mon dernier mot cependant. Alors qu'il s'approche une nouvelle fois, je feins d'être sonnée.

La réalité est toute autre.

Estimant qu'il est à une distance convenable, je lui assène un coup de genou dans les côtes. Furax, il s'apprête à lever encore la main sur moi. C'est sans compter sur ma réactivité. Je roule sur le côté et le laisse enfoncer ses doigts noueux dans la carcasse de la voiture.

Lorsque je retombe sur la chaussée, mes chevilles supportent encore mon poids. Une Saab s'arrête à notre hauteur tandis que je vacille. Nils lâche le volant et s'empresse de sortir.

L'air mauvais, il avance vers Einar. Søren, quant à lui, se précipite vers moi.

Il me soulève comme une princesse et m'installe sur la banquette arrière.

— Tu as bien fait de m'envoyer ta localisation. me dit-il.

— Hein ? Mais je n'ai pas utilisé mon portable.

— Alors c'était le destin. On devait intervenir pour te protéger de ton connard d'ex.

— Tu as raison. Merci beaucoup.

Je pivote en direction de Nils et remarque qu'il roue Einar de coups. Puis, c'est le noir complet.


* Fristad : Havre de paix en suédois.


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