𝄞 Chapitre 23 : Créations 𝄞

Point de vue de Thea :

Lorsque je me réveille le lendemain matin, de discrets rais de lumière percent à travers les volets. Je soupire, encore ensommeillée, et observe d'un œil distrait les murs framboise à ma tête et le plafond crème. Je n'ai aucune envie de me lever. Je suis si bien sous la couette.

Au prix de grands efforts, je me décide à rouler sur le côté au bout de quelques minutes et cherche à tâtons mon portable sur la table de chevet pour y lire l'heure.

09:09

Je n'ai pas pour habitude de traîner autant au lit mais celui-ci est si confortable, si douillet... Je dois cependant réagir comme une adulte. Je ne peux pas me permettre d'y rester éternellement.

Grandis un peu. Enfin, Thea.

J'ai assez retardé le moment fatidique comme ça. Il est temps que je me lève. Prenant appui sur l'un de mes coudes, je me redresse. J'enfile mes chaussons puis me dirige vers la fenêtre. Je déclenche le système pour lever les stores, ouvre en grand les battants pour renouveler l'air et admire le ciel bleu.

Cette journée s'annonce définitivement parfaite.

Après avoir pris une douche, je sors de la salle de bain vêtue d'une blouse fluide florale et d'un jean. Les cheveux remontés en une queue de cheval, je quitte mes appartements et descends l'escalier. J'ai hâte de retrouver Søren. À en juger les bruits ainsi que les effluves qui s'élèvent de la cuisine, il doit préparer le petit déjeuner. Rien que de sentir ces délicieuses odeurs, j'en ai l'eau à la bouche.

Alors que je pénètre tout juste dans le séjour, mon regard accroche un coffret turquoise fermé par un ruban en satin blanc sur la table oblongue. Piquée par la curiosité, je m'approche. Je me demande ce qui peut être à l'intérieur. Un bijou peut-être ? Ou une broche ? À moins que ce ne soit une montre ?

Je me résous finalement à rejoindre Søren et enroule mes bras autour de son corps sculpté à souhait.

— Hey, bien dormi ? m'enquiers-je.

— Hey, comme un bébé et toi ?

— Pareil.

— Tu as ouvert ton cadeau dans la salle à manger ?

— Ah, il n'était pas pour toi ? Non, je n'y ai pas touché mais je vais le faire maintenant.

Excitée comme une puce, je file m'installer sur une des chaises du salon et prends la boîte entre mes doigts, tremblants sous le coup de l'émotion. Je dois m'y reprendre plusieurs fois avant de réussir à défaire le nœud mais le jeu en vaut la chandelle. La peine que je me suis donnée laisse apparaître de magnifiques boucles d'oreilles en or blanc. Retenue par un papillon en diamant, une perle de culture au reflet nacré attire mon attention. Émerveillée, je les fixe la bouche ouverte. Elles sont sublimes. Il n'aurait cependant pas dû dépenser autant pour moi. Ça me gêne.

— Elles te plaisent ?

Je sursaute et porte la main à mon cœur. Perdue dans mes pensées, je ne l'ai pas entendu arriver.

Pourtant, il se tient derrière moi et attend ma réponse, un sourire aux lèvres.

— Elles sont trop belles, murmuré-je d'une voix rêveuse. Merci mon ange.

— Je peux te les mettre si tu veux ?

— Avec joie.

D'un geste assuré, il passe la tige dans mes trous cicatrisés et propres et ajoute les fermoirs. Comme s'il avait fait ça toute sa vie, il se place ensuite devant moi et les observe sous toutes les coutures. Je n'ose pas bouger de peur de le contrarier.

— Ma sœur aînée, Stella, est vendeuse en bijouterie. m'explique-t-il en remarquant ma mine ébahie. C'est elle qui a déposé le colis ce matin pour que tu puisses l'avoir dans les meilleurs délais.

Profondément touchée, je le regarde. C'est si délicat de sa part.

Rien ne l'obligeait à le déposer et pourtant, elle n'a pas hésité à le faire une seule seconde.

— Elle ne pouvait pas rester ? J'aurais tant aimé la remercier de vive voix.

— Malheureusement, elle avait un emploi du temps bien chargé mais ne te tracasse pas, je peux lui envoyer un message de ta part sans problème ou même l'appeler.

— Si ça ne te dérange pas, je veux bien.

— Je m'en occuperai après le petit déjeuner dans ce cas.

Satisfaite, je hoche la tête. Søren s'éclipse alors dans la cuisine et revient avec des assiettes remplies d'une multitude de choses : des tartines de pâté de foie, du jambon, des œufs brouillés, du fromage, du poisson mariné et au centre, un bol de muesli dans du lait. De mon côté, je vais chercher le café.

C'est dérisoire comparé à la façon dont il s'est investi mais pour le principe, je ne suis pas restée les fesses sur la chaise tout du long.

Nous faisons pour ainsi dire honneur à ce repas savoureux et complet. Le silence qui règne n'est pas pesant. Au contraire, il est appréciable. Repu, Søren m'annonce qu'il va travailler dans le studio qui a été aménagé à l'étage près de ma chambre et me demande si je veux me joindre à lui.

— Je préfère te laisser travailler seul. Tu as besoin de te concentrer, décliné-je sa proposition tout en douceur. Je risquerais de t'empêcher d'avancer comme tu veux.

— Mais qu'est-ce que tu vas faire en attendant ?

— Je vais faire un tour en ville. Ça fait longtemps que je n'y ai pas mis les pieds.

— Sois prudente, princesse. Mon portable restera à côté de moi si tu veux me contacter.

— Promis. D'ailleurs, je te préviens quand j'arrive pour que tu ne t'inquiètes pas.

— Et tu y vas comment ?

— Mes parents passent me prendre et me ramèneront. Ils ont insisté pour me voir. Je crois qu'ils ont besoin d'être rassurés après ce qu'il s'est passé en Argentine.

— Je ne peux que les comprendre. Ils ont dû avoir tellement peur de te perdre, dit-il le nez baissé.

À l'entente de son timbre tremblant, mon cœur se serre. Sa famille n'a pas réagi lorsqu'il a tenté des appels après notre enlèvement. Sa mère lui a envoyé un simple SMS des jours plus tard en justifiant leur silence radio de la pire des façons : d'incroyables vacances sous les tropiques.

Pas une seule fois elle n'a jugé bon de s'enquérir de l'état de santé de son fils. Son père n'a, quant à lui, pas donné le moindre signe de vie.

Sans réfléchir, je fais le tour de la table et enlace Søren de longues minutes. Il a besoin de réconfort. À cause de ma gaffe. Oui. À cause de moi. Je m'en veux tellement.

— Pardon, Søren. Je n'aurais pas dû aborder ce sujet épineux. Ce n'était pas malin de ma part.

— Tu n'es pas responsable du comportement à vomir de mes parents. Je ne t'en veux pas, Thea. Pas le moins du monde. C'est juste difficile d'accepter que je ne compte pas pour eux.

Ses mots n'ont pas le don de me rassurer. Se sentir rejeté est terrible, brise chaque personne victime. À l'avenir, je tournerai sept fois ma langue dans ma bouche avant de parler pour le préserver.

— Je vais monter. Il faut que je planche sur mes prochains hits.

— Tu as raison. Je ne te retarde pas plus.

Ses yeux ont retrouvé une lueur qui me tranquillise. Je me penche vers lui et dépose mes lèvres avec tendresse sur son front puis sur son nez et termine mon parcours improvisé sur sa bouche.

Pour mon plus grand bonheur, il arbore un joli sourire et m'embrasse à nouveau.

Je préfère le quitter dans cette humeur un peu plus joyeuse. Je m'inquiéterai moins une fois dehors.

Avec souplesse, il met un terme à notre étreinte complice et file pour de bon à l'étage. De mon côté, je me dirige vers la penderie. J'y ai laissé mes chaussures ainsi qu'un manteau et une écharpe.

À en juger les branches qui s'agitent vivement à l'extérieur, cette précaution supplémentaire ne sera pas de trop. Je referme derrière moi la porte d'entrée et marche sur une cinquantaine de mètres. Mes parents m'attendent comme prévu à l'endroit où je leur ai donné rendez-vous.

De ses mains puissantes, le vent glacial m'accompagne sur le court trajet. Je suis transie par le froid. Des larmes roulent lentement sur mes joues et mes yeux me brûlent. Je n'ai qu'une hâte : poser mes fesses sur la banquette arrière et profiter de la chaleur qui doit inonder l'habitacle.

Papa et Maman me font de grands signes. Mes jambes me démangent tant je suis impatiente à l'idée de les retrouver. Vite, je m'élance vers eux pour combler la distance qui nous sépare encore et ouvre la portière à la volée. À peine assise, ils rompent le silence pendant que je m'attache.

— Comment vas-tu ma chérie ? s'enquiert Maman en se tournant dans ma direction.

Ses longs cheveux bruns qui tombent en cascade sur ses épaules bordent son visage ovale. Des pattes d'oie commencent également à faire leur apparition au coin de ses yeux chocolat. C'est si bon de les revoir tous les deux. Ils m'ont tellement manqué. Les pommettes relevées de Papa m'indiquent qu'il est ému. Et, bien que sa barbe dissimule ses lèvres sèches, je pourrais jurer voir un sourire naître sur sa figure joviale après avoir croisé son regard complice dans le rétroviseur. Son parfum magnétique, de bois musqué et ambré, embaume mes sens.

— En dépit de ce qui est arrivé à Buenos Aires, je vais bien. Et vous ?

— Avoir eu de tes nouvelles nous a redonné un petit coup de boost.

— Je suis navrée de vous avoir inquiétés.

— Ne t'excuse pas, Thea. Tu en as assez vécu comme ça.

Papa démarre en douceur pendant que nous continuons notre discussion. Le paysage défile sans que j'y prête trop attention. Seule la succession de différents types de luminosité me permet de savoir que nous sommes en mouvement.

Sombre. Angoissant.

Clair. Apaisant.

Nébuleux. Alarmant.

Limpide. Rassurant.

Bien trop absorbée par les différents sujets de conversation abordés, je ne remarque pas tout de suite que le trajet est déjà terminé. Je n'ai aucune envie de quitter cette chaleur réconfortante.

Pourtant, il le faut.

— Ça me fait plaisir que vous ayez pu vous libérer. déclaré-je en m'extirpant du véhicule.

✧・゚: *✧・゚:*

Ces quelques heures à errer en ville avec Papa et Maman m'ont fait le plus grand bien. Je reviens au domicile de Søren les mains chargées de victuailles. Papa m'a déposée cette fois-ci au plus près.

Le temps capricieux fait toujours rage dehors. Le vent siffle de mécontentement et s'infiltre entre les tuiles du toit. Il emporte dans sa course des feuilles isolées qui se regroupent et tourbillonnent.

À la hâte, je gravis les marches du perron et adresse un dernier signe en direction de mes parents. Je sors ensuite de ma poche les clés prêtées par le musicien et déverrouille la porte. Tandis que Papa et Maman s'éloignent sur le sentier étroit, je referme derrière moi.

À l'étage, une mélodie entraînante retentit. Søren semble s'être surpassé encore une fois. En vitesse, je range mon écharpe, dispose mon manteau sur un cintre et me déchausse. Précautionneusement, je prends les sacs en papier kraft et monte en silence. Les sons émis me guident jusqu'au studio.

Afin de ne pas le déranger dans son travail, j'abaisse la poignée avec lenteur et pénètre dans la pièce qui m'était inconnue jusqu'alors. Un casque sur les oreilles, Søren est installé sur un fauteuil en cuir près d'une immense fenêtre donnant sur la forêt que nous avons traversée pour venir ici. Ses doigts agiles pianotent sur un Keyboard disposé devant lui alors que ses yeux fixent l'écran de l'ordinateur qui enregistre les rythmes créés au fur et à mesure. Lorsque je balaie l'espace, le plafond et les murs sont recouverts d'un matériau épais pour l'isolation acoustique. La moquette grise paraît avoir subi le même sort.

Émerveillée, j'observe les différentes récompenses obtenues tout au long de sa carrière. Elles ornent fièrement deux larges pans dans un espace aménagé pour se détendre.

Après avoir hésité un long moment, je m'approche finalement de Søren.

Il est tellement concentré qu'il sursaute lorsque j'effleure son épaule. Pour me faire pardonner cette interruption, je lui tends une part de brownie ainsi qu'un gobelet de café encore chaud.

— Je suis content que tu sois là, princesse. m'accueille-t-il. Tu t'es bien amusée ?

— C'était parfait. Papa et Maman m'ont dit que grâce à une partie de mon salaire, ils ont pu acheter un tas de choses pour retaper le bateau de papa. Il risquera moins sa vie maintenant en allant pêcher.

— Tu leur envoies de l'argent régulièrement ?

— Dès que je peux. C'est ma façon de les remercier quand les mots ne suffisent plus.

— Tu es si généreuse, me complimente-t-il.

— Dit-il alors qu'il verse d'énormes sommes pour des associations caritatives, chuchoté-je.

Un sourire franc vient illuminer sa figure. Tendrement, il caresse ma joue et reprend.

— Tu veux bien me donner ton avis sur ce que j'ai produit ?

— Bien sûr.

Satisfait par ma réponse, il lance sa première composition. Puis la seconde. Et la troisième. Chaque morceau me fait vibrer de par sa justesse et l'émotion qui se dégage dès que les notes retentissent. Il a un talent incroyable. Je suis heureuse qu'il le mette chaque jour à profit.

— Tu as super bien avancé. J'adore. Tu as trouvé un nom pour la deuxième ?

— Oui. We were broke.

— C'est ma préférée. Je suis tombée sous le charme.

— Je te la dédierai pendant mes shows.

— Tu n'es pas obligé, tu sais, roucoulé-je, flattée.

— J'y tiens.

— Merci, petit cœur.

En douceur, il me saisit par la taille et me tire à lui. Je m'assois sur ses genoux, admire son visage et les petits détails que j'aime tant. En confiance, je laisse ses lèvres parsemer de baisers mon cou. J'ai décroché le gros lot. Sa délicatesse et sa prévenance n'auront de cesse de me surprendre. Mes doigts remontent dans ses cheveux soyeux. Il se redresse légèrement et vient m'embrasser sur la bouche. Il provoque en moi encore de nouvelles sensations agréables que je me plais à découvrir. Et, alors que je m'apprête à approfondir ce bisou, un message d'alerte se met à clignoter sur l'écran du PC.

Le mot intrusion en lettres capitales apparaît à plusieurs reprises. Mon cœur va lâcher. C'est certain. Parti comme c'est, les malfrats n'auront même pas le temps de m'effrayer. Ils risquent d'être déçus. L'une des caméras zoome et nous présente le lieu où une voiture suspecte vient d'être aperçue.

Au bord du malaise, je déglutis avec difficulté. Søren éclate de rire pour sa part en voyant mon état. Stupéfaite, je pivote vers lui.

— C'est Nils, Thea. Ne t'inquiète pas. Le portail s'est refermé donc il ne peut pas rentrer. Je vais le chercher. La télécommande à distance ne marche plus. Je suis à court de piles.

Cette fois-ci soulagée, je m'autorise à respirer. Bon sang. J'ai eu tellement peur !

Alors qu'il se relève et s'apprête à sortir, je le retiens par le poignet.

— Attends ! Tu as quelques traces de rouge à lèvres.

Docile, il me laisse retirer le surplus à l'aide de mes pouces.

— C'est bon, l'informé-je alors que mon portable se met à sonner.

Pendant que je réponds à l'appel de mon frère, Søren s'éclipse du studio. Les informations que Lars me donnent sont trop nombreuses pour que je les retienne. Je peine d'ailleurs à comprendre tout ce qu'il me raconte tant son débit est rapide mais je suis sûre d'une chose : il a fait une connerie. Seule une phrase claire me parvient. « Thea, il faut que tu viennes. » Ça n'annonce rien de bon... 


Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top