𝄞 Chapitre 20 : La positive attitude 𝄞
Point de vue d'Olav :
Mu par l'inquiétude, je me jette hors du taxi et n'ai cure de me savoir suivi par le reste de l'équipe ou non. Je sprinte jusqu'au commissariat et envoie valser la porte contre le mur bleu ciel.
— Bonjour, je suis Olav Varvik, le manager de Søren Hedgeland. Il m'a contacté. J'aimerais le voir.
— Bonjour, Monsieur Varvik. Bonjour, Messieurs. Suivez-moi, je vous en prie.
Even et Nils m'ont rejoint en silence sans que j'y prête attention.
Le dos droit, ils se tiennent derrière moi et arborent une expression grave sur le visage. Tout ce qu'il y a de plus normal étant donné les circonstances. Nous n'avons pas fermé l'œil depuis deux jours. Il nous faut les voir maintenant pour nous assurer qu'ils sont bien là, bien vivants.
Je ne pense pas qu'ils savent à quel point nous nous sommes faits un sang d'encre. Malgré toute leur bonne volonté, ils ne peuvent pas imaginer et ignorent peut-être même que quarante-huit heures se sont écoulées depuis leur enlèvement.
Quarante-huit heures que les chaînes d'informations ne parlent que d'eux. Quarante-huit heures que la famille de Thea est prête à débarquer en Argentine et ratisser le pays pour les retrouver.
Quarante-huit heures que tous les scénarios possibles et imaginables ont tourné en boucle dans nos têtes. Quarante-huit heures que nous retenons notre souffle et vivons un cauchemar éveillés.
Sur les talons du jeune homme de l'accueil, nous passons devant quelques bureaux en désordre d'où des tapisseries vieillottes se décollent et tombent en lambeaux. Le carrelage est fissuré dans certains endroits et des plantes vertes semblent y avoir passé l'arme à gauche. Et pour couronner le tout, une odeur âcre qui pique le nez s'en dégage. On ne peut pas dire que les locaux soient très accueillants.
C'est à ce moment que je les aperçois.
Au bout du couloir étroit, Thea et Søren sont assis sur des fauteuils usagés qui laissent apparaître de la mousse jaune de mauvaise qualité. Les habits recouverts de sang séché, Thea a changé de couleur depuis la dernière fois. Tout comme Søren. Leur peau, rouge écrevisse, semble avoir été bien brûlée par le soleil. Les lèvres desséchées, ils tentent une ébauche de sourire. Ils me font de la peine. Tant de peine. Les vêtements de mon petit protégé sont déchirés. Leur regard perdu. Déboussolé.
Il ne m'en faut pas plus.
Partagé entre ma joie, le soulagement de les voir en chair et en os et l'inquiétude quant à leur état de santé, je fonds en larmes. Passant un bras autour de mes épaules voûtées par le chagrin, Nils essaie de me réconforter. Les menaces voilées au téléphone par leurs agresseurs, la demande de rançon, les nombreuses angoisses, le manque de sommeil et la chaleur ont eu raison de moi. N'en jetez plus, la coupe est pleine ! Mes nerfs ont fini par lâcher d'un coup d'un seul après cette accumulation à n'en plus finir. Il faut que je me ressaisisse. Et vite.
Alors que je commence à ouvrir la bouche pour parler, l'intervention d'Even me coupe l'herbe sous le pied.
— Merci, Monsieur. Nous allons prendre le relais.
— Je vous en prie. Nous vous avons noté l'adresse d'un hôpital réputé. Ils ont été prévenus de votre arrivée. Des collègues vont vous escorter pour limiter les risques.
En file indienne, nous sortons du poste et prenons place dans un van noir dont les vitres fumées vont empêcher tout un chacun de distinguer qui se cachent à l'intérieur. Suivis de prêt par le photographe et le garde du corps, Thea et Søren sont les premiers à monter dans la voiture réservée par nos soins. Je ferme pour ma part le cortège et fais coulisser la portière derrière nous.
Après avoir vérifié que nous sommes attachés, le chauffeur démarre sur les chapeaux de roue. Søren s'assure que la vitre peut se baisser puis la remonte aussitôt en sentant l'air chaud s'engouffrer dans l'habitacle. À califourchon sur des motos flambant neuves, les policiers encadrent le véhicule.
Pour notre plus grand soulagement, le trajet se déroule sans encombres.
Le conducteur se gare devant les portes puis nous propose de rester le temps que les examens soient passés. Les policiers également. Avec plaisir, nous acceptons avant de filer dans l'immense bâtiment gris terne. Aussitôt, les urgentistes prennent en charge les deux rescapés. Je m'approche de l'accueil et, alors que je m'apprête à expliquer la situation, la secrétaire me coupe en m'affirmant qu'elle sait qu'il s'agit des personnes disparues. Tant mieux. Je n'aurais pas à gaspiller de salive.
Pour exprimer ma bonne compréhension, je hoche la tête puis la salue poliment. Je tourne les talons et rejoins alors Even et Nils qui se sont assis sur des sièges métalliques noirs. À chaque mouvement, le mobilier semble prendre vie et émet un grincement désagréable. L'attente est insupportable.
Pour éviter de trop cogiter, je m'occupe l'esprit de diverses manières.
Je balaie du regard l'espace qui nous entoure dans un premier temps. Des affiches habillent les murs blancs décrépis et des néons blafards clignent à maintes reprises au-dessus de nos têtes. Aucun signe d'une quelconque plante verte apportant un semblant de vie à l'horizon. À peine propre, la salle qui a été aménagée pour les personnes blessées donne envie de s'enfuir à toutes jambes. Le carrelage se fait la malle dans certains coins et des traces de moisissure ont élu domicile au niveau des fenêtres. C'est à se demander s'ils ne l'ont pas fait exprès pour que le service soit régulièrement vide.
Lassé, je lève les yeux au plafond dans un second temps et commence à compter les secondes. Puis, non satisfait, je finis par lire les notifications reçues sur mon portable. Les parents et le frère de Thea me remercient chaleureusement dans leur message.
Pour ce qui est de la famille de Søren, c'est tout autre chose. Ils expriment à peine leur soulagement et encore moins leur reconnaissance pour les avoir tenus informés. Ils me préviennent qu'ils doivent prendre leur jet pour profiter de leur séjour aux Bahamas.
Deux salles, deux ambiances.
Le retour de Thea et Søren m'ancre à nouveau dans la réalité.
Le médecin en blouse blanche aux cheveux poivre et sel les raccompagne et se poste devant nous, la mine grave. Aïe. Je sens les mauvaises nouvelles pointer le bout de leur nez.
— Bonjour, Messieurs. Vous devez être les collègues de Monsieur Hedgeland.
— Bonjour. Tout à fait.
— Compte tenu de ce qu'ils ont vécu, vous pouvez d'ores et déjà être rassurés. Madame Løvdahl et Monsieur Hedgeland sont victimes de déshydratation. La batterie d'examens n'a rien révélé d'autre. Pour éviter une aggravation des pertes en eau et sels minéraux dans leur corps, ils vont devoir boire et s'alimenter aussi normalement que possible. Je vous fournis également une crème efficace contre les brûlures. Tout devrait rentrer dans l'ordre rapidement. Il n'y a aucun caractère de gravité.
— Merci, docteur. Nous allons rentrer le cœur plus léger à l'hôtel. Un peu de repos nous fera le plus grand bien après toutes ces émotions.
— Prenez garde sur la route. Même si je doute que les agresseurs de vos amis veuillent intervenir en plein jour devant des centaines de témoins, il faut impérativement rester prudents tant qu'ils n'ont pas été retrouvés et arrêtés.
— Nous ferons attention. La sécurité a augmenté ses effectifs.
Satisfait par notre échange bercé de paroles sincères, il s'éclipse l'expression toujours sévère. Peut-être est-ce juste sa façon d'être finalement ?
De notre côté, nous regagnons l'extérieur et retrouvons sans surprise le van et le convoi de policiers. Malgré le barrage de la langue, ils comprennent que Thea et Søren vont être tirés d'affaire. Souriant de toutes leurs dents, ils s'en réjouissent puis reprennent une posture fidèle à leur poste.
Nous montons dans le véhicule et faisons le trajet inverse.
— Au fait, je n'ai pas encore eu l'occasion de l'aborder avec vous mais j'ai bien entendu annulé les shows prévus. Les fans ont très bien compris dès l'annonce parue. Nous reviendrons ultérieurement et ceux ne pouvant pas se déplacer aux nouvelles dates seront remboursés de la totalité du billet.
— C'est une bonne chose, murmurent-ils à l'unisson d'une voix monocorde.
Ils ont été tellement secoués. Je ne peux que comprendre ce détachement. Ils mettront un moment à se remettre de ce qu'ils ont subi, n'oublieront probablement jamais ce cauchemar. J'ose espérer que cet épisode s'atténuera avec le temps et grâce à un suivi adapté à leurs traumatismes.
Point de vue de Søren :
L'angoisse me noue l'estomac à notre sortie de voiture. Je suis aux aguets, prêt à me jeter à terre si une déflagration retentit. Pourtant, rien ne se produit malgré une effroyable appréhension. Je pénètre dans l'établissement rempli d'hommes en costume qui parlent dans leur oreillette. Lorsqu'un jeune lève le bras pour mieux écouter ce que lui ordonne son supérieur, une arme rangée dans sa ceinture apparaît. Des frissons remontent le long de mon échine. Des flashs me reviennent en mémoire.
Les visages tordus de haine des malfrats. La lueur malsaine dansant dans leurs yeux perçants.
Le pistolet braqué sur mon front puis sur ma tempe. La planche en bois que Thea avait trouvée pour se défendre, pour nous sauver. Un coup de feu qui retentit comme si j'y étais encore.
D'effroi, mes poils se hérissent et m'arrachent une grimace. J'ai si mal à mes coups de soleil. Si mal tout au fond de mon cœur meurtri par des blessures principalement morales. En silence, je suis mon équipe dans l'ascenseur. Les portes se referment. Je me sens pris au piège dans une cage. Oppressé.
L'air vient à me manquer, n'atteint plus mes poumons pourtant demandeurs, nécessiteux.
Vite, je me précipite dehors dès que les barrières métalliques s'ouvrent. Inquiet, Olav me traîne à sa chambre et intime à Thea de veiller sur moi pendant qu'il vérifie avec la plus grande minutie que la suite que je partage avec elle n'abrite aucun forcené à enfermer. Secouée elle aussi, Thea m'observe la moue traversée par de multiples expressions.
Après plusieurs minutes de réflexion, je décide de me lancer.
Je n'ai plus rien à perdre de toute manière.
— Ça te dirait d'aller dîner un soir rien que tous les deux ? lui proposé-je, faussement détaché.
— J'aimerais beaucoup. Ça nous permettrait de nous changer les idées après ce qu'il s'est passé.
— Tu as raison. On en a bien besoin.
— Je ne te le fais pas dire.
— La voie est libre, nous informe mon manager en revenant. Rien à signaler.
Nous nous redressons. Maintenant qu'Olav a fait le tour, nous allons pouvoir contacter nos familles respectives et leur donner des nouvelles. Pourvu qu'ils ne se soient pas trop inquiétés...
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