𝄞 Chapitre 2 : La Suède à l'honneur 𝄞
La veille, ma soirée de bienvenue s'était terminée aux environs de minuit. En véritable gentleman et bien que je ne craigne rien, Nils avait insisté et m'avait raccompagnée chez moi. Nous avions pu échanger sur le chemin du retour, heureux de partager le même domaine de prédilection. Il avait d'ailleurs eu la chance de faire la connaissance d'Einar, qui m'attendait sur le palier, complètement avachi et aviné. L'islandais s'était mis à vociférer des paroles blessantes et rabaissantes à mon égard devant mon nouveau collègue. Prêt à intervenir, Nils m'avait lancé un coup d'œil inquiet. Toutefois, malgré sa mine concernée, je lui avais demandé de prendre congé pour ne pas envenimer davantage la situation. Il n'aurait jamais dû assister à ce genre de scènes dont Einar est depuis maintenant plusieurs mois, coutumier du fait.
Rien que d'y penser, je me sens honteuse. Il ne me reste plus qu'à prier pour que Nils n'en ait pas parlé...
Tentant par tous les moyens qui me soient donnés – merci le fond de teint – de camoufler les traces laissées par les nombreux coups reçus hier, je tapote chaque parcelle tuméfiée de mon visage, de mon cou et de mes avant-bras. Chaque fois, c'est la même chose. Einar me promet qu'il va changer. Et à la moindre contrariété, il relève aussitôt la main sur moi, me tenant responsable de tous ses malheurs, cherchant toujours à me culpabiliser en me disant que si je n'étais pas comme je suis, que si je ne le provoquais pas constamment, rien de tout cela ne se passerait.
Le cœur lourd, je soupire.
Et si mon nouvel emploi ne changeait en rien ce qu'il me fait subir lorsqu'il cède à ses pulsions perverses et prend plaisir à me torturer moralement et physiquement ?
L'heure qui s'affiche sur mon portable m'indique que je n'ai plus de temps à perdre. Sortant en trombe de la salle de bain, je prends mes affaires, enfile mes vêtements chauds et laisse claquer la porte derrière moi. Dieu merci, Einar est parti très tôt ce matin à un stage de boxe. Je ne préfère pas imaginer le torrent d'insultes auxquelles j'aurais eu le droit si je l'avais réveillé...
Au pas de course, je dévale les escaliers puis saute par dessus la rambarde en bois pour gagner quelques précieuses secondes. Sans que je ne l'y ai invitée, une violente bourrasque de vent s'engouffre dans le hall déjà glacial. Je sprinte ensuite jusqu'au point de rendez-vous, les joues mordues par le froid, et coupe mon effort une fois arrivée à hauteur des garçons. Hormis nous, pas un chat n'a pris le risque de mettre le pied dehors. Je ne peux que les comprendre. C'est comme si à tout moment, une tempête pouvait se déclencher.
Malgré un ciel orageux qui menace de nous tomber sur la tête d'un moment à l'autre, la petite place pavée encerclée par des arbres m'apaise. Libérées d'un poids, mes épaules s'affaissent enfin. Ça y est : je me sens bien.
— Nils, on peut discuter un peu plus loin, s'il te plait ? demandé-je, mine de rien.
Il me dévisage, tâchant de dissimuler la surprise qu'il est en droit d'éprouver.
— Euh... Oui bien sûr, je te suis.
Soulagée qu'il accepte de m'écouter, je l'entraîne à quelques mètres de là.
— Thea, avant toute chose, je voudrais savoir comment tu vas ? Ton copain s'est calmé après que je sois parti ?
— Oui, oui, ça s'est arrangé. Mais justement, à ce propos... J'aimerais que tu oublies ce à quoi tu as assisté hier... Crois-moi, c'est mieux pour tout le monde.
— Je sais qu'on ne se connaît pas encore des masses mais si tu as besoin d'une oreille attentive, je suis là, ok ?
— Merci Nils, c'est très gentil de ta part.
— Et... Euh... Thea ? se risque-t-il, la voix hésitante.
— Oui ?
— Il se pourrait que je n'ai pas réussi à tenir ma langue... J'étais tellement inquiet en te quittant que j'ai appelé Søren et Olav...
À l'entente de cette phrase, je me sens défaillir. Les battements de mon cœur s'accélèrent. Je respire avec difficulté. Mes jambes se transforment en coton. Mes mains deviennent moites. Nils doit avoir un humour très particulier et a décidé de me faire une blague, ce n'est pas possible autrement.
— Quoi ? Tu me fais marcher, j'espère ?
— Je suis désolé Thea, j'ai paniqué...
Si seulement j'avais su qu'Einar serait là... Rien de tout cela ne se serait produit...
Dépitée, je scrute Nils. Je ne peux pas lui en vouloir. S'il y a bien une responsable ici, c'est moi. Tout est de ma faute. Je n'aurais jamais dû accepter sa proposition. Il n'est pas le premier à réagir de cette façon, et certainement pas le dernier...
— Bon, ne te tracasse pas, il n'y a pas de mal, murmuré-je, après réflexion. J'aurais préféré que personne ne soit au courant mais bon, tant pis. Ce qui est fait est fait. Si vous ne me jugez pas, alors ça me va.
— Promis, rien ne changera entre nous.
Je souffle, satisfaite, et laisse coulisser mon regard en direction du reste de l'équipe. À première vue, nous sommes attendus. L'ayant également remarqué, Nils plisse les yeux d'un air entendu. Pleins de bonne volonté, nous revenons alors sur nos pas.
Peu sûr de lui, Søren m'adresse un timide sourire.
— Søren et Thea, vous pouvez déjà prendre place, propose Olav. Je vous rejoins tout de suite.
Nous obtempérons et nous nous installons à l'arrière de la voiture.
— Tu ne le sais peut-être pas encore mais on va pas mal se déplacer aujourd'hui. Je tenais à ce qu'on mette la Suède à l'honneur dans mon prochain clip, du coup on va filmer dans plusieurs endroits, m'explique le disc-jockey.
— Oh, d'accord. Merci pour ces infos. C'est une bonne idée. Je trouve que c'est important de montrer ses racines.
— Et les scènes finales se dérouleront dans une maison typique qu'on a louée pour l'occasion. Si tu le souhaites, tu pourras rester bien au chaud à l'intérieur avec Carmen, ajoute Olav, qui vient de s'engouffrer à son tour dans le véhicule tout-terrain.
— Carmen sera là ? Je ne suis pas sûre de vouloir profiter de sa compagnie... pesté-je. Au cas où vous ne l'auriez pas remarqué, nous ne sommes pas vraiment parties sur de bonnes bases. Les prises de vues sont prévues uniquement aujourd'hui ?
— Oui... Enfin, si tout se passe comme on veut. En ce qui concerne Carmen, on a tous un peu du mal aussi. Le moins qu'on puisse dire est qu'elle a un caractère assez particulier.
— Ouf, ça me rassure dans un sens. Je me sens un peu moins seule. Si ça ne vous dérange pas, je préfère rester avec vous. J'aimerais beaucoup assister au tournage.
— Dans ce cas, allons-y, conclut le manager.
Le contact mis, Olav démarre. Tandis que la Volvo* part au quart de tour, je décide de me laisser porter par le moment et admire le paysage qui défile une fois la ville quittée. Les routes sinueuses que nous empruntons et qui longent la côte me donnent envie de goûter à ce parfum de liberté que l'on peut connaître en naviguant sur l'eau, contre vents et marées. Celles qui traversent la forêt de conifères me donnent envie d'aller à la rencontre de la nature et des animaux. La mine rêveuse, je m'enferme dans ma bulle et fais abstraction de tout ce qui m'entoure.
Loin d'Einar, j'ai le sentiment de redevenir moi-même. L'angoisse de ne jamais être à la hauteur, la peur qui me crée des maux de ventre quasi constants ont entièrement disparu. Ou presque.
— Thea, tu viens ?
— Oui, oui ! Deux secondes ! les préviens-je, encore assise dans l'habitacle.
Alors que je commence à m'extirper de l'automobile, la vibration de mon cellulaire m'indique qu'une notification vient de s'afficher. Un SMS assurément.
De qui cela peut bien être ? Diana ? Ma meilleure amie ?
Piquée par la curiosité, je baisse le nez.
Non, ce n'est pas elle. Plus j'avance dans la lecture du message et plus je sens mes forces m'abandonner. Mes doigts crispés autour de mon téléphone ne répondent plus et desserrent leur emprise. Je ne parviens pas à le retenir, il m'échappe des mains. Einar vient de me larguer. Et en guise de justification, il m'annonce que je ne lui sers plus à rien depuis que je refuse son contact et ses avances.
Je suis perdue... Je ne sais même pas comment réagir... Dois-je me réjouir ? Ou au contraire, très mal le prendre ?
La journée risque d'être difficile... Surtout si je dois continuellement faire semblant...
* Volvo : Société fondée en 1927 en Suède. Le siège social du constructeur automobile Volvo se situe à Göteborg.
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