𝄞 Chapitre 14 : Mauvaise surprise 𝄞
Point de vue de Thea :
L'heure d'un énième show a sonné ! Søren se produit pour la deuxième fois à Stockholm. Angoissé, il fait les cent pas avant de monter sur scène tandis que je tente de le tranquilliser. Je comprends en même temps l'état dans lequel il se trouve.
Non seulement, il craint pour sa vie suite à la menace voilée reçue sur sa page Instagram mais aussi, il est effrayé à l'idée que la foule de ce soir ne soit pas réceptive au set préparé. Pour le protéger, les effectifs ont été augmentés considérablement. Je suis sûre que ces dispositions prises à la dernière minute suffiront. C'est un comble pour moi qui n'ai pas pour habitude d'être si positive.
Des coulisses, je l'observe s'élancer. Encerclé par ses gardes du corps, le chemin jusqu'aux platines se déroule sans encombre. Ses fans se mettent à crier lorsqu'ils le voient apparaître face à eux. Avec énergie, il salue son public puis commence le concert par l'un de ses tubes les plus connus. Aussitôt, une vague humaine de corps dansants se forme et s'échoue contre les barrières métalliques.
Fort heureusement sans gravité. Les personnes présentes entrent comme en transe, se déhanchent au rythme de la musique, semblent vénérer le DJ en brandissant des pancartes à son effigie. Je m'active sur scène de mon côté en aidant Nils à prendre des photos et vidéos.
Armée de mon Reflex, je mitraille tout ce que je peux et prie intérieurement pour que le résultat soit le reflet de la réalité. En vitesse, Søren descend l'escalier improvisé, me contourne puis prend place au piano pour poursuivre avec une poignée de chansons dont les paroles ont été écrites par un artiste présent ce soir. Les premières notes retentissent. Un sourire aux lèvres, Søren m'observe puis balaie l'assemblée du regard. Son œil perçant s'arrête sur une femme mûre juste devant lui en contrebas. Il semble la connaître. La suite va très vite. Alors que le chanteur commence son interprétation, Søren devient livide. Ses doigts glissent du clavier, retombent sur ses cuisses tandis qu'il tombe en arrière. Je le rattrape in extremis d'un bond en avant, me retourne vers Olav pour que le Suédois soit évacué puis continue à jouer le morceau que je connais par cœur. Le dos reposant contre ma poitrine, Søren ne bouge plus. Perturbé, l'artiste fixe son ami mal-en-point et se presse de finir sa prestation.
Comme Olav ne bouge toujours pas d'un pouce, je prends le problème à bras-le-corps. Je passe un des bras de Søren autour de mon cou et quitte la scène avec lui accompagnée du chanteur irlandais. Exaspérée face à ce manque indéniable d'assistance, je l'emmène dans sa loge. Je cherche dans mon sac une bûchette de sucre individuelle que j'ai toujours sur moi et la lui tends. L'effet sera rapide.
Les minutes défilent aussi lentement qu'un escargot piquant un sprint sur une piste d'athlétisme.
Contre toute attente, Nils vient prendre des nouvelles de Søren et nous annonce qu'Olav a décidé de prendre la parole sur scène. Il explique au public présent que nous nous voyons obligés d'annuler le show en raison de ce qui s'est passé et que les billets seront remboursés à hauteur d'un pourcentage établi ultérieurement. Scandalisés, des individus hurlent leur mécontentement, crient à l'arnaque. Ils ne sont heureusement pas suivis par la majorité et s'essoufflent rapidement. Je trouve aberrant qu'ils ne se soucient pas plutôt de l'état de santé de leur idole. C'est une honte.
D'une voix faible, Søren me demande d'aller à l'extérieur avec lui pour prendre l'air. Il ne se soucie pas de ce que ses fans lui reprochent et préfère se concentrer sur l'instant présent. Il est déterminé à se remettre sur pied. Je ne peux que le comprendre. Je suis préoccupée par ce qui a pu lui arriver. Je crois qu'apercevoir cette mystérieuse femme a été l'élément déclencheur de son malaise. Je soutiens à nouveau le corps du DJ et l'assois sur une caisse en bois laissée sans surveillance. Je prends place ensuite à côté de lui, soucieuse. De discrets effluves viennent chatouiller mes narines. Je crois sentir des agrumes mais je me trompe peut-être. Loin de l'agitation, je me sens revivre.
L'air vivifiant du soir laisse remonter une traînée de frissons le long de mes bras nus. C'est agréable. Quitter cette chaleur suffocante est la meilleure décision que nous ayons prise jusqu'ici.
Je le laisse reprendre ses esprits de longues secondes avant de commencer mon interrogatoire. Je ne peux pas retenir bien longtemps cette question qui me taraude depuis tout à l'heure.
— Qu'est-ce qui s'est passé ? Tu sais que tu nous a tous inquiétés ?
Hésitant, il me scrute. Pèse le pour et le contre. Me répond finalement.
— Tu as été la seule à t'occuper de moi alors j'imagine que je te dois une explication, murmure-t-il.
— Ne te sens pas obligé si tu n'en as pas envie ou si c'est trop personnel. Je ne te force pas la main.
— Et je t'en remercie mais il est temps pour moi de te partager à mon tour une partie de mon vécu.
Cette phrase ne me dit rien qui vaille... Et le fait de le voir secoué à l'idée de se replonger dans son passé non plus. Je crois que je ne vais pas aimer ce que je vais entendre... Je crains le pire.
— Je crois que tu l'as vue dans le public. Elle était au premier rang, avait une cinquantaine d'années et était teinte en rousse. Tu ne pouvais pas la louper.
— En effet, je l'ai remarquée. Tu la connaissais ?
— Depuis petit. Hormis avoir pris quelques rides, elle n'a pas changé. C'était ma nourrice. Elle m'a gardé à plusieurs reprises entre mes onze et quinze ans quand mes parents s'absentaient pour raison professionnelle.
Bouleversé, il s'arrête, lève les yeux au ciel pour empêcher ses larmes de rouler sur ses joues. Je me doute que la suite de ce qu'il s'apprête à me confier n'en sera que plus terrible. J'appréhende déjà. Il a dû tellement être traumatisé. Il y a des choses dont on ne se remet jamais, qu'on garde enfouies en nous pour toujours malgré notre bonne volonté à tirer un trait sur le passé.
— Il faut savoir que je viens d'un milieu aisé. Mon père dirige une maison de disques et ma mère a rapidement grimpé les échelons pour devenir réalisatrice. Leur carrière est toujours passée avant la famille. Lorsque mes sœurs restaient dormir chez des amis, ils faisaient venir Ilda à la maison. Ils la payaient grassement pour s'occuper de moi et lui accordaient une confiance aveugle. Plusieurs fois, lorsque j'étais couché, elle venait dans ma chambre et se glissait sous les draps entièrement nue. Au début, j'ai pensé que c'était moi qui étais coincé, qui avais un problème. J'étais très mal à l'aise, très gêné. Davantage encore lorsqu'elle passait ses mains sous mon pyjama, caressait mon ventre et mes parties intimes. Plus les jours passaient et plus j'ai pris conscience que c'était tout sauf normal. J'ai résisté au début, Thea. Je peux te le jurer. Et puis j'ai changé de tactique. Je me suis mis à attendre que ça passe, à prier pour qu'elle en vienne à se lasser en voyant mon absence de réaction. Quand je me suis décidé à la dénoncer à mes parents, ils m'ont pris au sérieux mais ont décidé de taire ce que j'ai subi. Ils avaient trop honte. J'ai été suivi par un psy qui m'a aidé à mettre des mots sur ce vécu. J'ignore si ce travail avec lui a réellement porté ses fruits. Aujourd'hui, je reste méfiant quand la gente féminine vient près de moi. Je suis constamment sur mes gardes.
— Oh mon dieu, Søren. Je suis tellement désolée pour tout ce qui t'est arrivé.
— Je me rends compte que je suis devenu assez introverti et que je me suis refermé sur moi-même.
— Est-ce-que je peux te prendre dans mes bras ? J'aimerais retirer tous ces effroyables souvenirs, te réconforter, t'apporter tout mon soutien.
— Vas-y. Merci de me demander avant.
En douceur, je m'exécute. À mon contact, il sursaute légèrement puis se laisse aller contre moi. Sa tête vient trouver du réconfort contre ma poitrine. Il a dû se sentir si seul, si délaissé, si incompris.
Pauvre Søren. Je n'imagine pas l'horreur entre l'abus sexuel et la réaction honteuse de ses parents.
Soudain, le message crypté reçu la veille me revient en mémoire. C'est elle qui l'a envoyé. J'en suis certaine. Elle ne regrette rien des années après, n'éprouve pas le moindre remords. Quel monstre !
Elle ne mérite pas d'exister.
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