𝄞 Chapitre 13 : Dépôt de plainte 𝄞

Point de vue de Thea :

Lorsque je me réveille le lendemain, je sens aussitôt que je ne suis pas dans mon assiette. Des flashs de la veille me reviennent. Le petit déjeuner du matin. La balade sur le toit de la salle de concert. La préparation du show par les équipes. Les jeux de société pour décompresser avant l'arrivée des fans. Les angoisses de Søren à l'idée de monter sur scène. L'ambiance de folie pendant le set. La soif qui asséchait affreusement ma gorge. Le cocktail commandé au bar. Mon frère. Puis, le flou total.

Le blanc. Un véritable trou noir qui fait impasse sur les minutes et heures qui ont suivi.

Complètement paniquée, je me redresse brusquement.

Et si quelque chose de terrible s'était produit ? Et si un garçon avait profité de moi pendant que son complice avait frappé Lars pour l'empêcher d'intervenir ?

Vite, je saute sur mes jambes tremblantes, me rattrape à la table de chevet lorsque la tête me tourne, avance pliée en deux, sors en trombe de ma chambre puis martèle à coups de poing la porte de mon cadet. La mine ensommeillée, il m'ouvre. Son visage n'est pas tuméfié. Quel soulagement ! Il ne lui est rien arrivé !

— Bordel, Thea. Tu dois te ménager ! Søren a demandé au personnel de t'apporter ton repas dans ta chambre. Il t'emmène ensuite au poste.

Sans rien ajouter, il me soulève du sol et me jette sur son épaule comme un vulgaire sac à patates. Il me ramène ensuite dans mes appartements et me dépose sur le lit plus en douceur. Le souffle coupé, je me contente de le regarder, toute groggy.

Soudain, sa dernière phrase me revient comme un boomerang. Je me sens encore plus mal. Qu'ai-je donc fait pour que le DJ veuille à tout prix que je finisse derrière les barreaux ?

Profondément choquée, je ramène ma main devant ma bouche. Les larmes me montent aux yeux. Je suis un monstre. Ai-je revu Einar ? Ai-je tué un innocent de sang froid ? J'ai accumulé tellement de rage en moi ces dernières années que ça ne m'étonnerait pas.

— Tu pourras témoigner en ma faveur ? Assurer au jury que ce n'était pas intentionnel ?

Les yeux ronds comme des soucoupes, Lars me dévisage. Il semble inquiet. J'aurai tout gagné. J'ai réussi à effrayer mon propre frère. Ce doit être vraiment très grave.

— Pardon ? Thea, tu ne te rappelles plus rien ?

— Non. Je devrais ?

— Tu as été droguée. Tu vas porter plainte contre X avec Søren.

— Comment le sais-tu ?

— On t'a emmenée à l'hôpital. Tu as passé des examens et les résultats ont été sans appel.

Abasourdie, je le fixe comme un canard qui a trouvé un timbre-poste. Ceci expliquerait cela... Cette amnésie qui m'empêche de me souvenir ce qui s'est passé après mon échange avec ce jeune homme à la carrure aussi imposante que celle d'un rugbyman. Et s'il avait joué un rôle dans cette histoire ? Et s'il en avait même été le cerveau, le commanditaire ?

— Je vais manger et me préparer dans ce cas, murmuré-je d'une voix blanche.

— N'hésite pas si tu as besoin de quoi que ce soit. Je suis à côté. Tu m'appelles et je viens.

— Promis. Merci.

Lars s'éclipse au moment où le garçon d'étage m'apporte un plateau plein de viennoiseries. Un vase contenant une magnifique rose rouge est disposé dans un des coins. Cette petite et délicate attention me va droit au cœur. Ils n'étaient pas obligés d'ajouter cette subtile touche de gaieté. Et pourtant, ils n'ont pas hésité à le faire. Chapeau, matelot !

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Comme convenu, Søren m'accompagne. Durant le trajet, il m'exprime l'une de ses craintes. Ce que j'ai vécu a été une véritable prise de conscience pour lui. Il a désormais peur que ce genre de choses puisse arriver à d'autres femmes. Je n'ose pas lui dire que c'est déjà le cas. Sans vouloir le critiquer, il y a des fois, j'ai le sentiment qu'il est vraiment dans son monde.

Nous descendons du véhicule, marchons quelques mètres sur le trottoir jusqu'au commissariat, puis pénétrons dans le préfabriqué d'apparence austère. Lorsqu'il nous reçoit, le commandant a honte de nous accueillir à cet endroit temporaire, se justifie en mentionnant des travaux pour leurs locaux qui prennent, à son grand dam, plus de temps que prévu.

Compréhensive, je tente de le rassurer en lui certifiant que cela nous importe peu et que nous nous tenons devant lui non pas pour le sermonner mais pour déposer une plainte. En vain. L'intervention de Søren en revanche change la donne. Sa tactique de monter le ton a su faire son effet.

Le cinquantenaire se reprend aussitôt. Voulant reprendre une certaine contenance, il se redresse sur son siège, passe une main dans ses cheveux gominés, et m'affirme qu'il est prêt à m'écouter. Après avoir soufflé un bon coup, je me lance dans un récit rempli de trous. J'ai beau essayer de me creuser la cervelle, de raviver ma mémoire, il reste beaucoup de questions sans réponses.

Heureusement, le musicien m'aide en rapportant des remarques de Lars, en mentionnant ma venue à l'hôpital et les examens passés qui ont décelé la présence de drogue dans mon organisme.

Pour me montrer son soutien et me donner du courage, il presse ma main contre la sienne. Il est pris dans ses explications et ne remarque pas que je rougis jusqu'aux oreilles suite à cette proximité qui s'est faite tout naturellement.

Après nous avoir écoutés d'une oreille attentive, le commandant relit ses notes. Son front se plisse, sa mâchoire se crispe. La mine sérieuse, il relève ses yeux d'un bleu délavé vers nous au bout d'une poignée de minutes et nous demande si nous validons la déposition. Après nous être concertés, nous hochons la tête. Ce document est fidèle à la réalité. Peut-être pourra-t-il faire bouger les choses pour d'autres victimes ? Du moins, je l'espère.

À notre retour à l'hôtel, Nils s'empresse de venir à notre rencontre.

— Thea, on peut parler en privé ?

Bien que surprise, j'accepte sa requête et le suis dans une salle un peu plus loin. Vu l'air qu'il arbore ce doit être sérieux. Inquiète, je m'assois et attends qu'il reprenne la parole.

— On a eu un message crypté sur le compte Instagram de Søren. À ton avis, ton ex pourrait en être l'auteur ? s'enquiert-il.

D'une main tremblante, il me tend son portable. Je parcours l'écran, tente de comprendre, fronce les sourcils lorsque le contenu fait sens. Je pâlis. Il est écrit noir sur blanc les mots « je t'avais dit que je te retrouverai ». Ce texte pourrait provenir de n'importe qui. L'angoisse coule dans mes veines. Et si cette personne cherchait à l'attaquer faisant fi de la présence de son garde du corps, Even ?

— Je ne saurais pas te dire. Tout le monde aurait pu envoyer ça mais je pense qu'il faut le prendre au sérieux. Ce n'est pas anodin. Je le ressens comme une menace voilée, marmonné-je, grimaçante.

— Pareil. J'ai eu la même réaction que toi. Il va falloir augmenter les effectifs de la sécurité.

— Tout à fait. On ne peut pas prendre de risques.

— Je peux te laisser prévenir Søren ? Il ne faut pas qu'il s'alarme en voyant toute l'escouade autour de lui avant le show.

— Pas de soucis, je m'en occupe.

Alors que je me relève, Nils poursuit.

— Au fait, ça s'est bien passé au poste ?

— Très bien, oui. Søren a su compléter les parts d'ombres de mon discours et m'a tenu la main pour me rassurer.

Stupéfait, il ouvre la bouche.

— Quoi ? J'ai dit quelque chose qu'il ne fallait pas ?

— Non du tout. Je suis juste étonné. Il n'a jamais été vraiment tactile avec les autres. Il change à ton contact. Il s'ouvre grâce à toi. Tu es une magicienne, Thea Løvdahl.

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