𝄞 Chapitre 1 : Göteborg 𝄞

Terrorisée à l'idée de me retrouver d'ici quelques instants devant le studio de Søren Hedgeland, je ralentis la cadence et m'arrête pour reprendre mon souffle. Pourquoi diable ai-je cette manie de me mettre en retard lorsque je dois faire bonne impression ? Et pourquoi suis-je obligée de souffler comme un veau ? Quelle classe Thea... Franchement, tu n'en loupes pas une !

Agacée par mon comportement, je lève les yeux au ciel et laisse claquer ma langue contre mon palais. Il faut que je me ressaisisse, et vite ! De toute manière, ce n'est pas en pleurant sur moi-même que je vais pouvoir arriver à l'heure. Il est temps que je me remette en route.

Cette fois-ci transie de froid, je remonte la dernière allée de pavés inégaux qui me sépare de ma destination et passe devant le musée municipal de Göteborg. La mine dépitée, je n'ai pas le loisir d'admirer comme j'en ai l'habitude son architecture qui me plaît tant. Situé dans une ancienne maison du milieu du dix-huitième siècle dont la façade est caractérisée par d'innombrables fenêtres, le bâtiment ocre, à la fois élégant et sévère, abrite des collections qui retracent l'histoire culturelle de la ville et de l'Ouest de la Suède, de l'ère des Vikings à aujourd'hui.

Longeant toujours le plan d'eau qui traverse la ville de part et d'autre, j'observe d'un œil vif les gens descendre du terminal du ferry.

Ça y est : j'y suis ! Et en avance qui plus est !

D'une main hésitante, j'appuie sur l'interphone. Je me demande si, tout compte fait, il ne serait pas plus prudent de faire demi-tour et de rentrer chez moi... Exactement comme si j'avais reçu un choc d'une violence inouïe, l'angoisse se propage dans chaque parcelle de mon corps et cela prend davantage d'ampleur à l'entente de la voix qui résonne maintenant dans le boîtier.

— Oui, c'est pour quoi ?

— Bonjour, c'est Thea. Olav m'a donné rendez-vous ici, l'informé-je simplement, le cœur au bord des lèvres.

— Oh, bonjour Thea. C'est Olav. Je viens te chercher, ne bouge pas !

Allez, Thea. Tout va bien se passer, m'encouragé-je par la pensée. Tu es qualifiée pour ce poste et l'équipe sera sans doute bienveillante envers toi... Il n'y a pas de raison. Et puis au fond, qu'as-tu à perdre ? Einar, le lâche et violent Islandais qui te sert de petit ami, ne s'est jamais soucié de toi et ne le fera jamais... Rien ne sert de s'accrocher à des personnes dont nous ne sommes pas la priorité...

— Tu n'as pas eu trop de mal à trouver ? s'enquiert Olav, m'arrachant à mes divagations.

Du haut de son mètre soixante-quinze, le rouquin mal rasé m'accueille d'un sourire qui dévoile ses dents blanches et aiguisées. Je croirais presque me retrouver face à un vampire... Toutefois, sa carrure peu athlétique et son ventre proéminent sous sa doudoune marron me fait reprendre du poil de la bête. Je ne crains rien. Ou du moins, je cherche à m'en convaincre.

— Non, non, je connais ce coin comme ma poche. Merci de m'accueillir parmi vous.

— Tout le plaisir est pour nous. Ça va vachement décharger Nils !

— Je suis ravie de pouvoir jouer un rôle dans tout ça. C'est vrai qu'en communication, on ne s'ennuie jamais ! Il va lever un peu le pied, ça va le soulager d'un poids.

— Je te rejoins totalement. Je crois qu'on va bien s'entendre tous les deux. Allez viens, ne traînons pas. Tout le monde a hâte de te rencontrer !

La porte franchie, mon attention se pose sur les murs à la chaux dans les tons blancs qui laissent davantage apparaître les caméras de sécurité disposées dans les moindres recoins du lieu. Bien que l'ascenseur soit en panne, tout est mieux que je n'aurais osé l'imaginer. Montant les marches de l'escalier en marbre à la suite du manager de Søren, j'en profite pour laisser mes doigts courir le long de la rambarde en azobé* et me familiariser avec les lieux. Après tout, j'y reviendrai très certainement. Et plutôt deux fois qu'une !

Toujours sur ses talons, je pénètre enfin dans l'espace d'enregistrement. Dès lors, la chaleur agréable régnant dans la pièce et qui jure complètement avec la température extérieure m'enveloppe toute entière. Comme je me l'étais imaginé, personne ne manque à l'appel. Tournés vers moi, les membres du staff me dévisagent d'un air intrigué. Seul Søren ne semble pas me calculer.

— Les gars, je vous laisse saluer bien chaleureusement Thea.

— Et les filles, ça compte pour du beurre ? s'emporte aussitôt une femme d'une vingtaine d'années ayant apparemment eu maintes fois recours à la chirurgie esthétique. Je suis pas n'importe qui, je te rappelle. D'ailleurs, toi, dit-elle en me pointant d'un index accusateur, ne t'avise pas de t'approcher de mon mec. C'est mon Søren, compris ?

Surprise par son ton méprisant, je ne peux m'empêcher de fixer ses lèvres piquées au Botox dont vient tout juste de s'échapper un sournois venin. En poursuivant mon examen, je remarque sa teinture blonde et ses yeux bleus qui me lancent des éclairs. Rien ne semble naturel chez elle : son nez est refait, ses fesses et ses ballons de baudruche à n'en pas douter non plus. Elle est le stéréotype de la Barbie. Et encore, c'est insultant pour ces pauvres poupées qui n'ont rien demandé...  

— Toujours là pour te la ramener, Carmen... soupire Olav. Thea, tu peux peut-être te présenter et expliquer en quoi tes missions vont consister ?

Encore décontenancée par ce qui vient de se passer, je balaie du regard l'assemblée et prends une grande inspiration avant de me lancer. M'ignorant du mieux qu'il le peut, Søren se concentre sur son portable. Décidément, ce n'est pas ma journée... Blessée par sa volonté féroce à m'éviter, je prends la parole sur un accent chevrotant.

— Comme vous le savez déjà, je m'appelle Thea. J'habite à Göteborg depuis ma naissance. Je suis ici pour venir en soutien à Nils. Lors des différents shows, je vais être amenée à prendre des photos et des vidéos. Je vais également animer les réseaux sociaux et réaliser des teaser* à partir de maintenant. Hormis le community management, je vais accompagner Søren lors des points presse et je vais tenir également le merch* avant chaque début de concert.

— Merci pour tes explications, c'était parfait, intervient Olav. Je vous propose de boire un coup et d'aller voir Thea pour faire davantage connaissance. Du peu que j'ai eu affaire à elle, elle est très gentille et douce. Je suis certain qu'elle se fera un plaisir d'échanger avec chacun d'entre vous. D'ailleurs, si tu as un moment, j'aimerais beaucoup te parler d'un truc. C'est important.

Prête à l'écouter, je hoche la tête. Avec affabilité, Olav m'entraîne plus loin. Puis, une fois satisfait de l'endroit où nous nous trouvons, il se lance dans des explications.

— Il ne faut pas que tu prennes pour toi la façon dont se comporte Søren. J'ai bien vu que tu ne savais pas trop sur quel pied danser mais ce n'est pas contre toi, tu n'as rien fait de mal. Il faut juste y aller doucement avec lui, surtout ne pas le brusquer. Il a besoin de temps avant de s'ouvrir, tu comprends ?

— Je suis soulagée que tu m'en parles. J'avais l'impression que le problème venait de moi... Je te promets que je me montrerai vigilante, je ferai tout pour qu'il se sente à l'aise. Et si ne pas l'approcher en fait partie, alors il n'y a pas de souci. J'attendrai qu'il le fasse de lui même, quand il se sentira prêt.

— Merci Thea. Tu es vraiment une crème. Honnêtement, j'avais peur que tu réagisses différemment...

— Ne t'en fais pas, je ne le prends pas mal. Pas du tout même, tenté-je de le rassurer. 

Lui aussi apaisé, Olav m'emmène jusqu'au buffet, entouré de ballons posés sur le parquet, dressé pour l'occasion. Timidement, je me saisis d'une coupe de champagne et porte quelques amuse-bouches à mes lèvres.

Devant s'entretenir avec Nils, châtain aux yeux marron de vingt-six ans, petit et trapu, le jeune homme à la chevelure de feu me présente ses excuses avant de s'éclipser. Désormais esseulée, j'essaie de faire bonne figure.

Tiens, le disc-jockey pour lequel je viens offrir mes services ne semble plus être présent. Je ne peux pas lui en vouloir, on ne peut pas dire qu'il y a une ambiance de folie... Le silence règne en maître, ou presque.

Un raclement de gorge dans mon dos m'empêche de cogiter plus longuement et me fait sursauter.

Stupéfaite, je me perds dans les prunelles bleues de Søren. Assez courts sur le côté et légèrement plus longs sur le dessus de la tête, ses cheveux châtain fins et d'apparence soyeuse me donnent aussitôt envie de les toucher. Sa grande taille, un mètre quatre-vingts, met en valeur sa silhouette travaillée par une pratique sportive presque excessive.

— Salut Thea, je tenais à te souhaiter la bienvenue personnellement. J'espère que tu vas te plaire et t'épanouir dans l'équipe. Si jamais, n'hésite pas à me solliciter au besoin, déballe-t-il dans la foulée, les joues rougies par l'émotion. 

Le cou rentré et les épaules anormalement hautes, il triture le bas de son t-shirt vert sapin. Son visage, dont les sourcils froncés et la mâchoire crispée ne laissent place à aucun doute, est tourné de façon à ce qu'il puisse fixer le mur.

Remarquant son mal-être, je ne peux m'empêcher d'être touchée. Malgré son appréhension, il aura pris sur lui pour venir discuter.

Ahuris, Nils et Olav nous observent de là où ils sont. 

— Merci, Søren. Je n'hésiterai pas. C'est vraiment très gentil de ta part.


*azobé : bois foncé provenant d'un arbre qui est exploité dans les forêts équatoriales.

*teaser : courtes vidéos qui ont pour objectif de susciter l'intérêt.

*merch : signifie « merchandise store ». Différents membres du staff peuvent vendre des produits annexes comme des vêtements, des coques de téléphone, des bijoux et accessoires. 


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