9 | M'accorderiez vous cette danse ?

- Tu me demandes de te faire sortir du monde des éléments ? déglutit Maura.

- Tout à fait, répondis-je sérieuse.

- Je ne peux pas.

- Je t'en pris Maura !

- Même si je le voulais - ce qui n'est absolument pas le cas - je ne pourrais pas. Seul le dirigeant du pays à le pouvoir d'ouvrir le portail.

- Mais il n'y a plus de monarchie, lui rappelais-je.

- Non. C'est le ministre Campbell qui a ce pouvoir désormais. Et il connaît les prophéties. Il ne te laissera jamais sortir.

- Mais il ne sait pas que je suis la sœur de Diana ! soulignais-je.

- On ne laisse pas sortir des gens comme ça, m'explique Maura. Il faut passer devant plusieurs ministres, l'affaire peu prendre des mois voir des années.

- Alors trouvons un autre moyen, dis-je déterminée.

- C'est absolument hors de question !

- Tant pis... soupirais-je. Je m'occuperais de ça une autre fois. En attendant, explique moi tout à propos de Marley !

La sibylle soupire et me fait signe de m'assoir sur un canapé à ses côtés. Je m'exécute et je me rapproche pour qu'elle n'ai pas à parler trop fort.

- Le père de Marley est un fantôme. Il a pris une apparence humaine et il a séduit sa mère. Cela arrive parfois...

- Ça veut dire que les fantômes peuvent sortir à leur guise des terres maudites ? la coupais-je.

- Bien sur que non, sinon nous serions tous morts. Non, certains arrivent à s'échapper malgré les sortilèges de protections mais c'est presque impossible.

- Et donc, l'invitais-je à continuer, Marley est tombée du côté obscure ?

- On peut dire ça comme ça... Ça s'est fait cette année. Son désire de rencontrer son père était si fort qu'elle a fait le souhait de pouvoir passer la barrière maudite, une pleine lune.

- Et Morgane le lui a accordé ? m'etonnais-je.

- Non, répond Maura. Elle savait que ça inciterait Marley à faire les mauvais choix. Donc, Marley est allée voir une prêtresse de l'ancien temps.

- Qu'est ce que c'est ?

- Des sorcières très puissantes. Elles sont une vingtaine. Nous, sibylles, sommes élevées par les prêtresses. Leurs pouvoirs sont très puissants, plus puissants que les nôtres. Même si elles ne savent pas autant de choses que nous.

- Et elles ont eu le pouvoir d'exaucer le vœux de Marley ?

- Elles l'ont toutes. Mais certaines possèdent de la magie noire... Elles sont très dangereuses mais elles ne font pas du mal directement. Elles aident seulement ceux qui ont le courage de se salir les mains.

- Et ce sont les prêtresses de magie sombre qui ont aidé Marley ?

- Oui.

- Mais, les druides acceptent ça ?

- Les druides vénèrent les prêtresses de l'ancien temps. Elles ne peuvent pas mourir de vieillesse, elles sont quasiment immortelles. Et leur magie - bien si parfois maléfique - est puissante et les druides en ont besoin.
Mais les demandes aussi complexes ont un prix. Et celui que Marley à payé est terrible...

- Qu'est ce que c'était ? demandais-je intriguée.

- Les prêtresses ont fait disparaître du cœur de Marley toute forme de joie, d'amour ou de calme. Desormais, elle n'est plus que desespoire, malheur et son seul but est de servir le Sombre Seigneur. Comme son père. Marley veut à présent ressembler à son père et le rendre fier d'elle.

- C'est affreux ! m'exclamais-je. Il faut que tu préviennes Henderson, ou même Mr Campbell !

- Je ne peux pas.

- Mais pourquoi ? Elle pourrait faire des désastres !

- Je sais... Mais elle détient quelque chose de précieux... Et je ne peux pas me permettre de la dénoncer, au risque qu'elle détruise cet objet.

- Que détient-elle ?

- Je ne peux pas te le dire Mélissa.

- S'il te plais... Je veux t'aider. Et ça ne sera pas possible si je ne sais pas.

- Tu ne peux pas m'aider.

- Je suis certaine que si. Aller... je t'en pris.

- Elle détient la pierre de pouvoirs de la dernière sibylle. Et si elle la détruit, la sibylle perdra ses pouvoirs et s'éteindra peu à peu.

- Tu sais qui est la dernière sibylle n'est-ce pas ?

- Non, mentit-elle.

- Je suis sûre que si.

- Pour ta propre sécurité, je t'assure que ignorer ce détail te rendra la vie moins lourde.

- Bon... Très bien.

Comme Maura avait l'air épuisée, elle partit vers sa chambre. Des centaines de questions tournaient en boucle dans ma tête mais aucune réponse ne venait les compléter. Je décide donc de retourner voir Mr Henderson pour lui parler de mon pouvoir du feu.

Je monte les marches quatre à quatre et tout à coup, je heurte quelqu'un. Je lève la tête et je vois Jake, étalé sur le sol. J'allais me précipiter pour l'aider et m'excuser mais il se releva sans mon aide et me dit d'un ton glaciale :

- Fais un peu attention où tu marches !

Cette réplique cinglante me fit l'effet d'une giffle.

- Tu veux pas qu'on en parle ? lui proposais-je.

- Pour moi c'est clair qu'on a plus rien à se dire tous les deux.

Il ramassa ses livres et partit. Je reste un moment plantée au milieu du corridor. Médusée. Comment cette personne qui était ma famille, mon confident... a pu devenir un étranger ?

J'étais si heureuse de le savoir près de moi, de savoir qu'il était le neveu de ma mère... Je ne pouvais pas concevoir que tout cela était assez fragile pour s'effondrer ainsi.

Je reprend mon chemin vers le bureau du directeur et je toque une nouvelle fois. Cette fois ci il ouvre grand sa porte.

- Entre Mélissa je t'en pris...

Je m'assieds sur le fauteuil qui fait face au sien et je lui dit :

- Mon pouvoir du feu s'est manifesté comme vous le savez.

- Oui on me l'a dit.

- C'est la personne qui était dans votre bureau qui vous l'a dit ?

- Qu'est ce que tu insinues ?

- Personne ne le sait à part... Oh non ne me dites pas que c'est...

Faites que je ne me sois pas trompée sur Kyle... Il ne peut pas m'avoir dénoncée.

- Si c'est à quoi tu penses, rassures toi Mr Weaver ne m'a rien dit. Je l'ai d'ailleurs invité à me rejoindre dans quelques minutes pour lui faire promettre de ne rien dire.

Je promenais mes yeux entre les encriers remplies d'un sombre liquide, les plumes soyeuses, les livres anciens et poussiéreux, une vieille chandelle, le tas de lettres entassées sur le coin du bureau et tout ce qui pouvait traîner sur la table de travail. J'étais mal à l'aise d'avoir pensé que Kyle aurait pu me dénoncer.

- Mais alors, qui ? interrogeais-je.

- Mr Stevens.

- Quoi ?! m'etranglais-je.

- Il vous a vus. Il est venu me l'informer.

- Mais alors il sait pour moi ? conclus-je affolée.

- Oui. Je ne suis pas censé te le dire mais nous avons une sorte de réunion secrète une fois par mois. Avec plusieurs autres personnes dont je ne peux pas te révéler l'identité, nous... nous planifions la défaite du Sombre Seigneur et de toute sa communauté. Nous étudions les prophéties...

Tout se mettait en place dans ma tête tels des rouages qui fonctionnaient et faisaient tourner correctement mes méninges.

- Vous m'avez fait venir ici pour votre seul intérêt...

- Pas du tout, me coupe Henderson.

- Si. Tout est clair maintenant... Vous m'observez pour voir si mes pouvoirs sont assez puissants pour que je me rallies à votre cause.

- Tu prends les choses sous le mauvais angle.

- Pendant tout ce temps vous me disiez que c'était ma place, que j'allais m'y sentir comme chez moi.

- C'est la vérité ! essaie-t-il de se défendre tant bien que mal.

- VOUS ME MENTEZ DEPUIS LE DÉBUT !

Je me lève comme une furie et je cours vers la porte, les larmes aux yeux. J'avais quitté ma grand-mère, mon monde, ma vie d'avant... Je m'étais embarquée dans cette galère pour finalement apprendre que tout ça n'est qu'une mascarade.
J'ouvre la porte à la volée et les larmes coulent abondamment sur mon visage.

- Mélissa revient ! m'appelle Henderson.

Je me tourne vers lui et je lui lance :

- Vous me contrôlez comme un pantin ! Je ne suis qu'un pion dans votre revolution.

- Non Mélissa ! Tu es bien plus que cela. Tu es notre Elue.

- Trouvez vous en une autre dans ce cas.

Je fais volte face et je vois Kyle. À quelques mètres seulement, les yeux écarquillés, il est abasourdit.

Je n'ai pas le temps de lui expliquer quoi que soit, je sens les larmes monter à nouveau et je m'empresse de prendre la fuite pour ne pas qu'il me voit dans cet état.

Je cours à tout en sanglotant et en m'essuyant les yeux à travers les couloirs déserts. Je déboule dans le jardin et je me laisse tomber au pied d'un chêne. J'enfouis mon visage au creux de mes mains et je laisses aller ma colère et ma tristesse. J'ai l'impression d'avoir seulement maintenant découvert le vrai visage de gens qui m'entouraient. J'ai la sensation d'avoir été roulée dans la farine, d'avoir été trahie.

J'entends des pas derrière moi et j'espère juste que je ne suis pas visible.
Mais raté, une main se pose sur mon épaule et je reconnais tout de suite la voix brumeuse de Kyle :

- Je sais que c'est pas le moment. Mais je voudrais savoir...

- Oui, sanglotais-je, je suis la vraie Élue. Diana est ma sœur.

Je n'avais même plus le cœur à protéger mes secrets.

- Wow... murmure-t-il. Je m'attendais pas à ça.

- Pourtant tu as dis que tu ne pensais pas que j'étais de sang impur.

- C'est vrai. Mais je n'avais même pas cherché à savoir la vérité.

- Pourquoi ?

- Je m'en fiche. Princesse, sang impur ou n'importe quoi d'autre... Je sais que tu es bien plus que ça.

Je lève enfin le visage vers lui et je rougis de le voir d'aussi près. Nos visages sont à quelques centimètres l'un de l'autre et ses yeux ardoises sont plongés dans la détresse des miens.

- Je ne le dirais à personne, chuchote Kyle.

- Je sais, lui assurais-je.

Il se rapproche encore de moi et affiche un sourire taquin.

- Et comment tu peux en être aussi sûre ?

Il glisse ses mains sur mes joues et essuie mes larmes avec ses pouces. Son regard est tendre et ses gestes sont délicats.

- Parce que je te fais confiance, repondis-je.

Il dépose ses lèvres sur les miennes avec une infinie douceur, ce qui me fait penser à une brise délicate ou à la rosée du matin. Quand a la chaleur de ses mains sur mon visage, elle me rappelle les rayons du soleil de ce monde qui caresse la peau.
Son baiser est si tendre que j'ai l'impression qu'il a peur de me casser comme une petite chose fragile. J'enroule mes bras autour de sa nuque et je m'accroche à lui comme on s'accroche à un rêve dont on ne veut pas se réveiller.

Quand nous nous séparons à bout de souffle, je cru que mon cœur allait se déchirer tellement il battait fort. Kyle pose son front contre le mien et je lui avoue d'une voix faible :

- Je suis en colère.

- Essaie de ne rien faire brûler cette fois, me conseille-t-il.

- Je ne promets rien.

Et cette fois-ci, c'est moi qui l'embrasse. Avec moins de retenue et plus de passion, animée d'un sentiment étrange au creux de mon ventre. Mes doigts s'entremêlent dans ses cheveux de jais et quand nous nous séparons, j'ai comme un feu d'artifice qui éclate dans ma poitrine. Je remarque seulement maintenant que la sensation que je ressentais s'est transformée en magie et qu'une pluie épaisse s'abat sur le Royaume. Heureusement, les branches de l'arbre nous protège de l'eau. Je rougis, honteuse d'avoir laissé mes émotions me dépasser. Kyle pouffe de rire en regardant les cordes qui tombaient du ciel. Nous nous sourions et je poses ma tête sur son épaule.

- Future reine du monde des éléments, rien que ça ! siffle-t-il.

- Et ouais... On fait moins le malin maintenant ! repliquais-je ironique.

- Je dois te faire une révérence ?

- J'allais te dire non mais la perspective de te voir faire une petite courbette est assez tentante.

- Soit.

Il se lève et me tend une main.

- M'accorderiez vous cette danse Votre Majesté ? continue-t-il.

J'explose de rire et je réponds :

- As tu remarqué qu'il pleut ?

- À qui la faute ? réplique-t-il.

Il finit par me porter en travers de son épaule et je n'arrive plus à m'arrêter de rire. Je pousse un léger cri de surprise quand il m'emmène au milieu des jardins et que je me retrouve complètement trempée. Il me dépose sur le sol, glisse sa main dans la mienne et met l'autre au creux de ma hanche. La mienne vient se poser sur son épaule et il me fait valser sous la pluie pendant un long moment.

Je riais aux éclats et il était visiblement fier d'arriver à me rendre joyeuse. Il me fit tournoyer sur moi même avant de me reverser en arrière puis de me déposer un chaste baiser sur la bouche.

- C'était sympa, me dit-il.

- Mieux que quand je t'ai vomi dessus ?

- Maintenant que tu le dis... rigole Kyle.  Rien ne pourra jamais égaler ce moment.

- Je me disais bien aussi.

Nous rentrons à l'école et quand nous nous affichons, trempés jusqu'aux os et un sourire béa aux lèvres, les élèves nous dévisagent comme si nous étions des intrus. Ce qui était peut être le cas. Mais on s'en fichait, notre bonheur surmontait tout cela facilement.

- Je veux tout savoir ! s'écrie Nina en me voyant arriver, l'uniforme gorgé d'eau.

- Comment ça ? fais-je innocemment.

- Rooo je t'en pris ! Amber et moi avions le nez collé à la vitre. Nous n'avons pas perdu une seule miette de votre valse !

Je me tords de rire et Amber rajoute :

- Écoute Mélissa, je sais qu'il est mignon mais, Kyle Weaver...

- Ne l'écoute pas ! me dit Nina. Moi je trouves que vous êtes adorables ensemble.

- Heu... Merci ?

- Ses chaussures ne sont même pas cirées... soupire Amber en se parlant à elle même.

Cette nuit là je m'endormie avec la sensation d'une brise sur ma bouche et la chaleur des mains de Kyle sur mes joues.

Le lendemain matin, je fus réveillée à l'aube par une Maura en panique.
Elle me secouait de toute ses forces et je sursauta en la voyant.

Elle avait accroché ses longs cheveux blonds en un chignon et une grande cape noire l'enveloppait. Ses yeux noirs étaient vides et je commençais à croire que cela lui arrivait quand elle avait une vision.

- Marley va faire quelque chose de mal ! Il faut aller dans le pays des druides tout de suite !

Je jette mes couvertures sur le côté et je m'habille. J'accroche mes cheveux comme me le demande Maura et elle me couvre d'une longue cape noire. Elle rabat la capuche sur mon visage et en fait de même pour elle. Elle m'explique qu'il est plus prudent de ne pas se faire reconnaître dans ce genre de mission.

Nous dévalons les escaliers avant que tous les élèves se réveillent. Maura déverrouille la porte avec une clef qu'elle a sûrement volée et nous partons. Englouties par la brume du matin.

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