Taehyung

Médusa était Taehyung.

C'était la seule chose que la bête lui ait accordée avant que le rideau d'Aurélies ne recouvre la paroi de verre une dernière fois.

Il lui avait dit « Appelle-moi Taehyung. Tu sauras bientôt pourquoi tu es là mon amour. »

Et Taehyung avait disparu une fraction de seconde avant que l'aquarium ne s'ouvre et que les couloirs ne s'inondent de lumière.

Le noiraud détestait se l'avouer mais tous ces surnoms sucrées susurrées lui étaient montés à la tête. Il s'était arraché à l'aquarium, avait couru si vite que la vieille femme de l'entrée n'avait pas réussi à l'attraper. Il avait cru entendre un rire un peu grave et humiliant.

Il était de retour chez lui maintenant, l'esprit cotonneux et les yeux lourds. Il se coucha dans ses draps défaits, c'était la première fois qu'il se sentait moins observé, peut-être que Médusa lui donnait l'illusion d'un peu de répit.

Il sortit la petite boîte en métal de son sac, pleura un peu, pensa aux larmes sang tombant à la verticale sur le visage de Yoongi.

Dans sa bêtise d'aimé, il n'avait pas pensé à regarder comment Yoongi faisait pour rouler ces bâtons d'évasion. Il l'avait laissé faire, l'avait même laissé lui apporter jusqu'à ses lèvres et c'était bien un problème de profiteur. Il roula ce que l'homme appèlerait un déchet, fit tomber la moitié des boulettes marrons dans les sillons de ses draps. Il voulut le fumer d'abord et puis le pinça seulement entre ses lèvres, tourné sur le dos, il contempla le plafond.

Ça avait toujours calmé ses humeurs, ses nuits blanches, ses cauchemars, cette énorme tache qui grignotait la peinture blanche. Ça ressemblait à du café renversé sur une nappe en papier, à l'écorce brune d'un arbre pâle, à une marque de naissance sur une peau miel. Jungkook se savait capable de l'observer pendant des heures. Il imaginait parfois des formes dans ses courbes aléatoires, se laissait songer, penser, partir.

Ce soir, il y chercha ce réconfort qu'il trouvait avant et alors qu'il se sentait s'éloigner, la feuille à rouler s'humidifiant entre ses lèvres, il se glaça tout entier.

C'était un dégât des eaux, un accident de pauvre en immeuble qu'il avait découvert quand on lui avait fait visiter l'appartement. Lorsqu'il l'avait pointé du doigt, l'homme lui avait soufflé qu'elle avait toujours été là, cette tache. Que le proprio n'avait pas eut les moyens de refaire tout le papier peint, que ça n'avait pas dérangé les anciens locataires, et étant donné le poids de son portefeuille dans son jean, ça ne dérangeait pas non plus Jungkook.

Et cette eau stagnante, qui s'était infiltrée à travers le cèdre et avait fait moisir les fondations, qui avait laissé la trace de son crime jusqu'à dans l'appartement d'en dessous.

Cette eau,

La bouche de Jungkook s'assécha d'un coup et l'atmosphère rassurante qu'il avait réussi à se créer s'épaissit. Il s'étouffa un peu sur sa salive dans le fond de sa gorge, voulu se redresser mais s'en trouva pétrifié.

c'était les pupilles de Taehyung.

« - Médusa., s'étrangla-t-il. »

Et la tache commençait à se mouvoir tant il ne la quittait pas des yeux.

« - Médusa, il répéta comme pour l'appeler. Médusa. »

Il crut qu'il avait perdu sa raison, puis encore une fois, comme devant la porte de l'aquarium, hier, su, bientôt, qu'il n'était pas si fou.

Jungkook déglutit, les cornée sèches et brûlantes.

« - T-Taehyung. Taehyung. »

Une goutte s'écrasa sur son coussin, son sourd mais silencieux et un sinistre frisson le traversa. Elle venait du plafond, là où la tache brunissait comme si l'eau était à nouveau là. Une deuxième sur sa joue, il eut un dernier réflexe lorsque qu'une troisième tomba sur sa paupière.

« - Taehyu-»

Ses lèvres tremblèrent et il n'eut plus le courage d'ouvrir les yeux.

« - Je te manque déjà ? »

Il pensait qu'il pleurait pendant ses nuits, retrouvait au matin le coton humide des coussins et se demandait pourquoi il était aussi pathétique. Tandis que Taehyung l'observait dans sa forme sans forme et laissait tomber ces larmes qui n'en étaient pas vraiment.

« - Laisse-moi tranquille..., dégage.

- C'est toi qui m'as appelé, trésor. Bégayant mon prénom comme si t'étais désespéré. »

Jungkook secoua la tête, les sourcils froncés et ses lèvres pincés. Il refusait de croire à cette voix qui avait l'air à la fois partout et nul part, qui caressait ses oreilles et transperçait sa peau de milles aiguilles.

Lorsqu'il battit des paupières, hésitant, une silhouette se tenait au bout de son lit. Il poussa un cri strident et paniqué, s'ensevelit sous sa couette qu'il crut être sa tombe pendant un instant. Il ne savait pas si l'obscurité le rassurait beaucoup plus car maintenant les gouttes tombaient sur son abri ridicule et elles sonnaient tellement plus dangereuses.

« - Jungkook.

- Dégage. Dégage. Dégage. Tu m'observes depuis quand espèce de gros taré ! Va crever ! Laisse-moi tranquille ! »

Il haleta sous cette chrysalide de coton qu'il prenait comme cercueil sous terre, trembla de tous ses membres, les ongles plantés dans le gras de ses paumes.

Il dût attendre si longtemps avec que son souffle d'animal se calme et qu'il puisse tendre l'oreille. Il ne voulait risquer un coup d'oeil et retrouver sur ce palier deux grands yeux qui le sonderaient, bouche cousue, alors se fia à cette ouïe qui lui jouait pourtant des tours. Ses muscles se détendirent quand il remarqua que le clapotement des gouttes s'était tu. Il glissa ses doigts sur la tranche de la couette, créa une brèche qui pourrait lui couter la vie.

Taehyung avait disparu.

Et il ne restait que l'étrange esquisse d'un sourire au plafond.


___


Jungkook avait voulu dompter son effroi.

Il avait gagné deux heures de sommeil en tombant de fatigue et avait trouvé au réveil l'autre côté de son lit humide et de l'eau séchée sur ses joues. Un terrible frisson l'avait prit et il s'était refusé le luxe d'une douche pour fuir de l'appartement.

Il était de ceux qui ne savaient rien faire d'autre que travailler. De ceux qui trouvaient refuge dans l'illusion d'une occupation, en enfouissant bien loin l'idée qu'il finirait rongé par le chimique de ses marionnettes. Travailler pour vivre, vivre pour travailler, n'était-ce pas morbide lorsqu'on y pensait vraiment ?

Il était arrivé avec l'écume aux lèvres, ses noirs cheveux plaqués sur son front et son vêtement lourd de transpiration. Il retrouva ce local plus petit que des WC, et son chariot qui roulait dans des directions qui le dépassaient. Quelle belle ironie. Quelle belle image, son existence s'échappant entre ses doigts comme des poussières.

Parfois c'était l'hôtel, et ses chambres à la moquette souillée par la saleté d'humain qu'il préférait ignorer. Ces draps parfois couverts de sang, d'autres et parfois si propres qu'il pensait qu'on avait pas dormi dedans.

Du moins aujourd'hui c'était les bureaux, ces microcosmes qui respiraient le pouvoir, ces petits bijoux de pièce abandonnés l'espace de quelques heures. Parfois c'était les innombrables dossiers qui y trainaient, d'autre fois l'orgueil de presse-papiers qui ne retenaient qu'une feuille. Et ces grandes vitres, qui donnaient sur cette capitale aux gratte-ciels, Jungkook s'y sentait parfois aspiré, tiré, avalé par ce vide si séduisant parfois. Aujourd'hui il avait encore plus envie de tout arrêter, bizarrement, étrangement, ce seul aquarium posé par soucis d'esthétique au fond de la pièce, ô qu'est-ce qui lui donnait envie de plonger.

Le regard de Taehyung sur lui n'était plus qu'une caresse familière, c'était presque effrayant la vitesse à laquelle il s'était habitué, à cette présence oxymore, réelle et pourtant si, si folle. Quand elle n'était plus là, c'était lorsqu'il lui manquait quelque chose, comme s'il quittait le réconfort d'un feu de cheminée et retrouvait cette froideur de réalité.

Il n'était pas certain d'être capable d'arrêter ces regards à la dérobée pour n'être servi que de yeux globuleux et du ronron silencieux de la machine. Comme si dans une sens, il cherchait à croiser ce regard figeant de toute part, qu'il tendait à sa propre perte.

Ils lui donnaient trente minutes, pour tout nettoyer, les vitres, le parquet, les poussières, tous savaient qu'il fallait une heure toute au moins, surtout pour faire fuir cette odeur de tabac froid qui flottait comme ces odeurs de cuisson dont il ne s'habituait toujours pas. Mais trente minutes, et sa propre transpiration qui coulait sur ses bras, sur son visage, Médusa imbibant sa propre peau, ces minutes étaient une vaste arnaque.

Monsieur smoking, cheveux plaqués à la cire et chic barbe de trois jours, monsieur smoking et son air un peu hautain, son cri scripté lorsqu'il découvrit Jungkook à quatre pattes pour enlever cette tache qui ressemblait un peu trop à du sperme.

Son visage rougit par cette colère, ce tutoiement qu'il n'aurait jamais autorisé, ces 't'auras finit quand, j'ai besoin de bosser moi.', 'ça put la transpiration', jurons faussement marmonnés, téléphone plaqué contre oreille 'non, on a pas finit de nettoyer mon bureau. je sais pas, ça prend trois plombs et va falloir que j'aère de toute façon.'

Ô et le pire dans tout ça Jungkook pense que c'est Méduse, qui observe, sait, moque la scène qui se déroule, cliché du valet et son roi.

Jungkook imagine un rictus narquois sur ce visage qui le hante alors il passe sa journée à essayer de le chasser et à faire disparaitre toute cette merde dans les bureaux sans qu'on lui laisse le temps de le faire.

On lui donne deux heures, il en fait trois et une demi, n'est payé que deux. Son anxiété l'a fait grignoter ses doigts, sa peau crevassée alors les produits blancs ne désinfecte pas que les meubles. Il a envie d'hurler, de sauter.

Saute.

Rit.

Cri.

Viens.

Jungkook.

Ridicule.

Regarde.

Toi.

Viens.

Écoute.

Moi.

Aide.

Moi.

Tu serviras peut-être à quelque chose.

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