7. Médée

Pour ne pas éveiller les soupçons de mon père, je revins rapidement au palais après avoir fourni la fiole et la pierre à Jason. J'avais chaud, très chaud. Mais était-ce dû à cette douce journée printanière ou à l'amour aussi brûlant qu'inexpliqué que je portais à Jason ?

De mon balcon, j'avais une jolie vue sur la ville. Les rayons de cette fin d'après midi teintaient le paysage de nuances pastel. Un instant, je fus prise de nostalgie à l'idée de quitter bientôt cette île qui m'avait vu naître. Mais ces pensées mélancoliques furent aussitôt chassées par le souvenir des enfants m'insultant et de leur parents qui, uniquement par crainte de mon sang royal, éloignaient leur progéniture en me lançant des regards venimeux. Et ce, alors que je n'étais encore qu'une jeune enfant. Puis la vie recluse dans le palais, caressant amèrement du regard la ville et les collines que je ne parcourais plus que la nuit, ou encapuchonnée. La jalousie envers mon frère qui se faisait des amis, grandissait et se sociabilisait, comme narguant ma solitude. La haine mêlée de honte quand mon père me rendait responsable des malheurs qui frappaient cette île. Et le regard méfiant des gardes du palais après quelques années passées auprès de ma tante Circé, la célèbre magicienne. Les rumeurs qui sifflaient entre les colonnes, qui chuchotaient l'inquiétude du roi à trouver un parti intéressant pour sa fille, Médée l'ensorceleuse. Nul doute que chacun des habitants de cette île serait ravi de me voir disparaître.

Dans quelques heures, ce serait chose faite. Jason avait promis de m'épouser et de m'être fidèle. Il tiendrait sa parole, j'en étais sûre. Il m'emmènerait loin de cette île et de tous ces malheurs, et peut-être connaîtrais-je enfin la paix et la tranquillité... Oh, que j'avais hâte de le revoir !

Lorsque, de mon balcon, je le vis marcher vers le palais, tenant sous le bras plusieurs casques de combattants cabossés, un sourire victorieux aux lèvres, je sentit mon cœur battre aussi fort que les tambours qui exaltent nos soldats sur le champ de bataille, faisant vibrer tout mon être. Et lui était toujours dans une forme olympique, ne faisait pas état d'une seule égratignure ! Ah ça, il n'y avait vraiment que lui pour m'inspirer autant de joie et d'optimisme ! Le cœur battant à tout rompre, je descendis en courant vers la salle d'audience, où se tenait mon père, le roi.

J'arrivai juste à temps pour voir Jason s'agenouiller devant Aètès. Après avoir déposé les casques au pied du trône, il se releva. Dans la lumière dorée de la fin de journée, il avait un air d'immortel. Une force sereine émanait de lui, l'assurance de celui qui se sait triomphant. Il aurait été digne de l'Olympe, songeai-je. Son regard tranquille croisa le mien, il m'adressa un bref sourire. Des papillons s'envolèrent dans mon ventre.

- Aètès, voici les casques des guerriers nés de la terre et des dents de dragon. J'ai réussi les épreuves que tu m'avais imposées, la Toison d'Or m'appartient à présent.

Un long et lourd silence s'installa. Aètès fixait le visage fier et déterminé de Jason. Je sentais les problèmes arriver : mon père ne supportait pas d'être en position de faiblesse, il n'allait pas laisser Jason s'en tirer comme ça.

Le soleil se coucha derrière une colline, emmenant avec lui cette belle lumière dorée. Le marbre qui pavait la salle du trône perdit sa splendeur presque divine, seule restait sa beauté glacée. Alors le rire narquois d'Aètès résonna entre les colonnes de cette large salle.

- Ah, la jeunesse... Quelle naïveté...  Croyais-tu vraiment que j'allais te céder ce bien précieux ? Tu as réussi ces épreuves, bravo. Vraiment, toutes mes félicitations ! Mais la Toison est à moi.
- Seigneur, nous avions conclu un accord, protesta Jason.
- J'ai décidé de revenir sur ma décision.
- Votre parole n'a donc aucune valeur ?

Jason brûlait d'une colère froide.

- Ainsi, tout ce qu'on disait de vous s'avère bel et bien fondé ! L'avarisme, le mensonge, la lâcheté...
- Ne me manque pas de respect, jeune insolent, ou tu risques de le regretter ! Je veux que toi et tes amis aient disparus avant le prochain lever de soleil. C'est non négociable. Je me rendrais personnellement au port pour constater votre départ. Si vous n'avez pas encore levé les amarres, alors vous pourrez observer l'efficacité de mes soldats à exécuter des moins-que-rien dans votre genre.

Le regard noir, Jason ne bougea pas.

- Rentre chez toi ! Tu n'as plus rien à faire ici.

Alors Jason tourna amèrement les talons. Je voulu le suivre sans me faire remarquer, mais mon père s'aperçut de ma présence et se tourna vers moi d'un air mauvais. Heureusement, mon frère Absyrtos entra alors en courant dans la grande salle et interpela notre père, détournant son attention. Sans plus attendre, je filai hors du palais.

Peu de temps après, je rattrapai Jason qui marchait d'un air sombre et les poings serrés en direction du port. Il m'écarta avec peu de ménagement.

- Jason, je suis vraiment désolée... insistai-je. Mon père tient plus à la Toison d'or qu'à ses propres enfants, il ne supporterait pas de s'en séparer.
- Tu savais qu'il réagirait comme ça n'est-ce pas ? Tu aurais mieux fait de me dire de renoncer, plutôt que de m'aider, en vain. Maintenant, laisse-moi, je pars.
- Attend ! Écoute-moi s'il te plaît. Il te reste encore une chance de t'emparer de la Toison d'or. Je sais comment la dérober. Fait moi confiance.

Il m'adressa un regard las. Et pourtant, il accepta mon aide dans un drôle de sourire fatigué, désespéré. Alors je l'entraînai sans plus attendre vers le bois sacré, vers la Toison d'or. 

Ce que je proposais à Jason était totalement illégal. Impossible pour moi de revenir sur mes terres après avoir volé la Toison : c'était un acte de haute trahison, passible de mort. Mais peu m'importait, puisque Jason m'avait promis de m'emmener loin d'ici. J'étais prête à tout pour lui !

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