8
Je me ferai un drap de ton souvenir. Nue et silencieuse dans mon lit, je passerai la journée à tisser et tricoter. Les gestes mécaniques, les doigts qui s'emmêlent, les fils qui glissent et bouclent. Répéter encore et encore, de manière entêtée, ces nœuds qui finissent par irriter la peau. Fermer les yeux et continuer, savoir le chemin par cœur, sentir les liens se serrer et s'enlacer, puis recommencer pour se faire peu à peu ensevelir. Les pieds, d'abord, puis tout le corps. Dans la périphérie floue de mon champ de vision, ses reflets bruns qui ondulent entre mes phalanges et descendent vers mon nombril. J'aurai l'impression de tenir sa tête entre mes mains, comme je le faisais quand il s'endormait sur mon torse, le visage enfoui dans ses propres cheveux. Après tout, ça ne sera que de la coiffure. Je brosserai, je démêlerai, je tresserai et bientôt, comme le tissu s'allongera jour après jour, tu finiras par me recouvrir. En attendant, je sais que tu seras là, entre mes doigts, sur mon ventre, au creux de mes mains, que tu t'échapperas mais qu'aussitôt, tu me reviendras. Je sais que tu t'approcheras peu à peu à chaque fois que la machine de mes gestes se mettra en route, faisant lentement fondre le drap entre mes cuisses. Je pourrais prendre le temps de m'arrêter pour le caresser mais je serai trop fatiguée pour ça. Parfois, mes mouvements deviendront maladroits. Je raterai une maille, la chaînette se desserrera et la trame se relâchera, mais peu importe. Je continuerai sans quitter le placard des yeux.
Puis, lorsque le drap m'arrivera jusqu'au cou, je pourrai enfin m'endormir, recouverte de ton fantôme. Je n'aurai plus froid. Tu seras là, sur ma poitrine, contre mes cuisses, me voilant de l'odeur poudreuse de ta chevelure, et parmi les mèches, je devinerai le frémissement de ta voix.
Tu me raconteras des histoires de fantôme, de maisons vides et de présences transparentes. Tu me diras comment tu as retrouvé mes ongles dans la salière, derrière la commode et au bord des étagères. Tu m'expliqueras comment tu les as conservés dans des petits pots pour en faire des boucles d'oreilles et des colliers, et surtout comment tu les as porté alors que le moindre bijou te semblait trop lourd. Comment tu as fait de la nacre de mon souvenir, comment tu t'es décoré de mon fantôme, comment tu t'es enfin coupé les cheveux, aussi.
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