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Mon amie m'a demandée si j'avais gardé ces mèches avant son départ, volontairement. Pourtant elle sait qu'il ne s'était jamais coupé les cheveux, que c'était sa fierté. Elle s'inquiète, elle croit que je veut le garder avec moi alors que c'est lui qui ne veut pas me quitter. Je lui ai parlé de hantise, de fantôme, de malédiction, puisque c'est tout ce qui me semble plausible, mais même sans me l'avoir dit, je sais qu'elle a trouvé ça ridicule. Elle m'a redemandé où j'avais eu ces cheveux, ce que je comptais en faire, mais je n'avais aucune réponse. Elle n'a pas voulu les toucher, je crois qu'elle trouvait ça dégueulasse. A la place, elle a mis sa main sur la mienne, sûrement en pensant me réconforter, et m'a parlé de ces reliquaires funèbres qu'elle avait vu chez un antiquaire. Des tableaux en cheveux brodés, des bijoux de deuil tressés, avec le nom d'une femme ou d'un enfant sur une petite plaque. Des chevelures inconnues, enfermées dans de petits placards, laissées sur le coin d'une étagère à s'effiler. Elle m'a aussi raconté un souvenir d'enfance, la fois où une peste de son école lui avait coupé une mèche dans son dos et qu'elle en avait pleuré toute une nuit. Elle m'a parlé des moires, du fil de la vie, des ciseaux et de la pelote. Je crois qu'elle ne savait plus trop quoi dire mais sa main restait sur la mienne, inflexible.
Je ne lui ai pas dit que je gardais maintenant les cheveux dans un tiroir de ma chambre, là où il avait l'habitude de ranger sa lingerie. Dès que j'en trouve un coincé sous mon pied ou entre les pages d'un livre, je le prélève et le dépose méticuleusement au milieu de ses compagnons. C'est devenu un rituel quotidien, si bien que les mèches ont finit par recouvrir les quelques vêtements qu'il restait au fond du rangement. Parfois, le matin, je ferme les yeux et plonge doucement la main dans le tiroir, avec appréhension. Je reste comme ça quelques secondes, les doigts enveloppés de chaleur, avec l'impression d'avoir de nouveau quelque chose à tenir, puis le referme lentement. Je m'habitue à sa présence, je crois.
Une fois, alors qu'il faisait nuit et que je n'arrivais pas à dormir, j'ai séparé une mèche du reste de la chevelure et l'ai portée à mon front, debout devant le miroir de notre chambre. Ça faisait longtemps que je ne m'étais pas vue avec les cheveux longs. Ça ne m'allait pas si bien que ça, pas aussi bien qu'à lui. En réalité, je me suis trouvée un peu ridicule et un peu seule, avec la sensation grandissante que j'avais une chose morte dans la main, collée à mon visage, contre ma joue. Après ça, j'ai gardé le tiroir fermé pendant quelques jours, je pense qu'il vaut mieux que je ne le refasse pas.
Je n'ai pas non plus dit à mon amie que j'allais faire appel à une médium trouvée en ligne. Elle est venue aujourd'hui, a fait le tour de l'appartement et a caressé les murs. Je lui ai montré les cheveux mais elle n'a rien dit. Elle est partie rapidement, sans vouloir être payée. Elle s'est excusée mais elle n'avait rien ressentie, rien perçue. Elle aussi a posé sa main sur la mienne pour me dire que s'il se passait quelque chose ici, ce n'était pas une affaire de mort. J'ai insisté, elle a répété plusieurs fois. S'il se passe quelque chose ici, ce n'est pas une affaire de mort, ça n'a rien à voir avec un mort, rien à voir du tout, ce n'est pas un mort, c'est autre chose mais pas un mort, pas lui. J'ai insisté encore une fois, mais ce n'est pas lui, vraiment pas. Elle a dit que c'était moi mais à ce moment là, je pleurais déjà. De toute façon, elle ne pouvait rien savoir, ce n'était qu'une médium trouvée sur internet après tout.
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