Chapitre 7 : Exercice




Hôpital Saint-Louis, niveau -2

Prendre une douche m'a fait le plus grand bien. Je me sens bien réveillé, en possession de tous mes moyens. J'ai envie de faire du sport, de me défouler. Je gigote mon bras droit dans tous les sens pour tenter de maîtriser mes mouvements. Le Dr Jones entre en poussant un chariot blanc, sur lequel trône une cage en plexiglass : un chimpanzé s'y trémousse avec excitation.

- Eden, je te présente Jim.

Un chimpanzé, oui, mais il n'a plus grand chose de naturel. Une jambe et un bras robotiques, sans aucun emballage. C'est impressionnant de voir ces rouages et ces petits pistons qui s'agitent dans tous les sens dès que l'animal fait un geste. Il est particulièrement agité d'ailleurs, mais il ne semble pas handicapé le moins du monde.

- Je me doutais que ça te ferait du bien de le rencontrer. Ton large sourire et ton visage rayonnants m'indiquent que j'avais raison.

- Oui ! C'est juste... incroyable ! Il utilise votre technologie comme s'il était né comme ça ! Ça semble si naturel pour lui !

Bon sang, si ce singe en est capable, je ne vois pas pourquoi je n'y arrive pas aussi bien.

- Exactement Eden ! D'autant plus que toi, tu n'es pas autant affecté : je n'ai pas entièrement remplacé ton bras ou ta jambe par une machine. Tu es un alliage. Les composants robotiques sont implantés directement dans ta clair.

- Je veux m'entraîner. Je veux sortir de cette chambre. J'ai l'impression d'étouffer.

- On a tous l'impression d'étouffer. L'air est appauvri en oxygène, tu te rappelles ? Je viendrai te chercher après manger, on ira faire un tour en salle de motricité. En attendant, je te laisse avec Jim. Observe-le, ça t'aidera. A tout à l'heure.

Je lui adresse un signe de la main et me redresse dans mon lit pour m'asseoir. Je ne lâche pas Jim des yeux, c'est tellement fascinant de le voir évoluer dans sa cage comme un animal normal. Jones lui a servi une assiette de fruits frais, il se régale.

J'approche mon plateau-repas en faisant glisser la tablette sur roulettes, et je commence à manger quelques haricots verts. Pas fameux ce repas. Je donnerais tout pour une bonne pizza. Je goûte la viande, pas meilleure. Elle est grise pour avoir été trop longtemps bouillie. De la semelle. Je serais bien incapable de dire si c'est du porc ou du veau. A croire que parmi les 92 survivants, aucun n'était cuisinier. J'ai hâte de rencontrer ces gens, d'avoir un contact avec mes semblables en dehors de Jones.

Alors que je boude mon assiette, elle revient finalement. Elle entre dans ma chambre en poussant un fauteuil roulant, et me tend un petit paquet.

- Une part de gâteau. J'ai pensé que ça te ferait plaisir.

J'accepte volontiers et mange en quelques bouchées. C'est un gâteau étrange, plutôt tassé et plat. Une sorte de flan.

- Nous n'avons plus d'œufs ici. Nous cuisinons sans. Désolée si ce n'est pas à ton goût. Tu t'y habitueras.

- C'est pour quoi faire, le fauteuil roulant ? Je peux marcher ! Ça me fera un bon exercice même !

- Non Eden, la salle est assez loin, je préfère que tu économises tes forces. Allez, installe-toi.

Je descends de mon lit avec peu de souplesse et encore moins de grâce. Je m'installe dans la chaise roulante et me laisse pousser en ronchonnant. Je déteste cette situation. Vivement que je retrouve toute mon autonomie.

Les couloirs se succèdent, ils sont déserts. Cependant, en passant devant une double porte, j'entends tout un brouhaha. Jones m'éclaire :

- Le réfectoire. Deuxième service. Il est 13h30, certains sont encore à table.

- Je pourrais y manger aussi ?

Elle hoche la tête avec un sourire encourageant, mais je devine que ce ne sera pas avant plusieurs jours. Le temps que je tienne vraiment debout. Après avoir bifurqué plusieurs fois, nous arrivons dans une chambre. Je dévisage Jones avec inquiétude.

- C'est ta nouvelle chambre. Tu n'es plus sous perfusion ni assistance respiratoire, alors tu seras mieux ici.

- Si vous le dites... Personnellement, je la trouve parfaitement identique à la première. Je crois que vous avez un problème avec la décoration.

- Elle n'est pourtant pas identique... Il y a une porte en plus ! Et elle conduit à la salle de motricité. Tu auras un accès libre et illimité.

- Parfait, je vais pouvoir me prendre en main !

- Lève-toi de ton fauteuil, et pousse cette porte.

Elle ne me le dira pas deux fois ! Je bondis comme un fauve - ou presque - et entame les quelques pas qui me séparent de la porte blanche. Je saisis la poignée de ma main gauche, et j'ouvre. Je perds immédiatement l'équilibre, tant ce que j'y découvre me laisse pantois. Incroyable ! Une vraie salle de sport ! Tapis de course, vélos elliptiques, haltères... Tout est là ! Jones m'attrape le bras et m'invite à entrer.

- Eden, il faudra commencer doucement. Le tapis de course par exemple : tu feras une marche quotidienne, et on ajoutera un peu de distance et de vitesse à chaque fois. Viens, on va le régler.

J'enjambe tant bien que mal le rebord pour mettre les deux pieds sur le tapis et, après quelques bip, il s'actionne. C'est lent, mais je ne peux pas faire mieux sans risquer une chute : chaque mouvement de ma jambe droite me demande un effort de concentration. Mais au bout de 50 mètres, je me sens déjà plus à l'aise. 200 mètres, et Jones éteint l'appareil.

- C'est bien, inutile de trop tirer sur la corde, mieux vaut varier les exercices. J'ai l'impression que tu maîtrises moins bien ton bras droit. Il faut t'exercer. Et n'oublie pas que l'oxygène est en dessous de la normale, tu vas te fatiguer plus vite.

- Oui, je suis déjà essoufflé. On dirait un grand-père.

- Assis-toi sur cette chaise. Il y a deux balles sur le bureau. Ce sont des balles de jonglage. Mais avant de jongler, tu vas commencer par des choses simples : attrape une balle avec la main droite, et fais la passer dans ta main gauche.

Je ne gère pas du tout ma poigne :  je serre la balle beaucoup trop fort, et les petites billes de polystyrène s'éparpillent au sol. Je l'ai percée. Quel abruti. Jones ouvre le tiroir du bureau et en sors une nouvelle. "Recommence", ordonne-t-elle sèchement. Mais cette-fois, traumatisé par mon premier essai, je ne parviens pas à l'étreindre : elle me glisse entre les doigts. Je n'ai pas de patience, l'exercice m'énerve et je bous intérieurement. Saleté de balle ! Lorsqu'enfin ma prise s'affermit, je la lâche dans ma main gauche. Mission accomplie. Qui aurait cru qu'un geste si simple pouvait devenir un casse-tête ?

- Demain je t'apporterai un ballon de basket. Le rebond te permettra de jauger ta force. Il y a un panier sur le mur d'en face.

- Très bien. Mais pour le moment, je veux marcher encore. Je vais continuer le tapis.

- Entendu, mais au ralenti alors.

Elle m'accompagne et, prêt à l'effort, j'ôte ma tunique avant que le tapis ne démarre. Elle le met en route et tandis que je marche en caleçon, entreprend de me faire la conversation :

- Tu dors bien ? Pas de cauchemars ?

- Non, je m'endors comme une souche et je me réveille comme une fleur.

- Tant mieux. Beaucoup de survivants souffrent de cauchemars.

- Jones, vous ne m'avez pas dit : Solène est-elle en vie ?

- Non, aucune Solène Hervik dans notre liste. Je suis désolée.

- Dommage, je me rappelle qu'elle était drôle. Et très mignonne.

- Des souvenirs te sont revenus ?

- Oui, quelques uns. Ce n'était pas vraiment une relation sérieuse, mais nous avions une certaine complicité...

Sur le point de répondre, elle soulève imperceptiblement son sourcil gauche, et un sourire en coin rehausse ses lèvres :

- Mmmm... oui, j'imagine... Mais je parie qu'elle te suçait moins bien que moi.

Je manque de me casser la figure mais retrouve mon équilibre in extremis. Wow ! Bon sang, Eden, trouve quelque chose à dire ! C'est pas le moment de bafouiller !

- Euh... c'est à dire que... j'en sais rien, je...

Idiot ! Tu ne pouvais pas répondre autre chose ? Un truc plus direct quoi. Réfléchis !

- En fait, je ne suis pas en mesure de comparer, pour le moment.

Voilà, ça c'est mieux ! Elle appuie sur le bouton off et le tapis s'immobilise. Sans même me laisser le temps d'en descendre, elle s'agenouille devant moi, pose ses mains sur mes reins et relève les yeux pour murmurer :

- Je vais te laisser vérifier.

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