Chapitre 4 : Créatrice
Lorsque j'ouvre à nouveau les yeux, j'ai les idées plus claires, je n'ai rien oublié : cette chambre blanche, le Dr Jones, l'injection pour me faire dormir... mon oeil.
Je regarde autour de moi. Aucune fenêtre dans cette chambre d'hôpital. Je dois être sous terre, comme elle me l'a expliqué. Au deuxième sous-sol. La voilà déjà qui pousse la porte. Je dois être sous étroite surveillance pour qu'elle débarque aussitôt après mon réveil. Mais surveillé par qui ? Est-elle seule ici ? Pourquoi je n'ai vu aucune infirmière ?
Hors de question de me laisser mener en bateau cette fois-ci. Je suis bien réveillé, elle va devoir répondre à mes questions. Les mots se précipitent en dehors de ma bouche :
- Dr Jones, je veux une discussion sérieuse. J'ai le droit de savoir, inutile de chercher à me protéger. Je veux me regarder dans un miroir !
Et sans lui laisser le temps de protester, je dégage mon draps et me redresse pour me lever.
- Oh là, jeune homme, on se calme. Ça oui, je vois que tu es bien réveillé. C'est assez... flagrant.
Son regard descend et je comprends immédiatement à quoi elle fait référence. A travers ma blouse bleu ciel, c'est effectivement flagrant. Bordel, c'est l'érection du siècle.
- Eh oui, Eden, tu vois, je n'ai pas modifié toutes les parties de ton corps, certaines étaient encore en bon état.
Elle éclate d'un rire clair et chantant. Et comme si ça ne suffisait pas, elle ajoute :
- Cet organe-là, c'est bien le tien, tu ne me le dois pas.
Elle pouffe encore de rire. Je laisse mon dos retomber sur mon oreiller, et marmonne, d'un air bougon :
- Oui bon, ça va. Vous êtes médecin, non ?
- Tu as raison, trêve de plaisanteries. Tu as dormi 48h non-stop depuis la dernière fois que nous nous sommes vus. Il est temps de te lever. Il y a un miroir dans la salle de bain.
Elle plie son coude et me le tend. Je l'attrape avec fermeté de la main gauche et tente de me hisser. Je me sens faible. Une fois assis au bord du lit, la tête me tourne. Une cicatrice court le long de ma jambe droite. Je l'effleure doucement. Elle est propre et ne semble pas très récente. Devinant les questions qui se bousculent, elle m'explique :
- C'était durant la première vague d'interventions que tu as subies. C'était la plus simple celle-ci. Ta jambe était en assez bon état, j'ai pu conserver tes os. Seuls tes muscles ont été remplacés par des pistons, et la rotule par une prothèse. Pour le dire simplement.
- C'est du délire ! On ne voit presque rien ! Ma jambe a une forme normale, j'ai l'impression que rien n'a changé !
- Merci. C'est un travail très soigné, n'est-ce pas ?
- Dr Jones... ne le prenez pas mal mais... vous devez avoir quoi, genre 35 ans ? Comment avez-vous pu développer de telles technologies du jour au lendemain ?
- Ah non, ce n'est pas nouveau. J'ai repris les travaux de mon père. Il travaillait dans ces locaux avant moi. Je perfectionne ses recherches. Il avait déjà greffé de la robotique sur des chimpanzés. Mais en quelques années, les technologies ont tellement évoluées que j'ai pu avancer vite. Notamment grâce à la miniaturisation des composants.
- C'est juste... incroyable.
- Il faut savoir que cette partie de l'hôpital n'était pas accessible au public. Tu es dans une zone militaire, sous l'hôpital Saint-Louis. Le grand public ne savait pas que tout un service existait ici, avec sa propre cafétéria. Je te ferai visiter à l'occasion. Quand tu te débrouilleras mieux avec l'utilisation de ton nouveau corps.
Elle m'envoie un clin d'œil amical. Quoi que... amical, ou séducteur ?
Elle me tourne le dos et ouvre la porte de la salle de bain. Je la regarde de la tête aux pieds. Ok, elle n'est pas seulement brillante, c'est aussi une belle femme. De belles boucles rousses qui tombent en cascades sur ses épaules. Des yeux bruns. Ou kakis plutôt. Un petit nez légèrement retroussé, qui s'entoure de tâches de rousseurs discrètes. Une blouse blanche qui épouse un corps filiforme mais élégant. Le genre de femmes qu'on voit plus à la télé que dans la rue, car même si elle ne colle pas totalement aux canons de beauté des magazines, elle dégage une électricité palpable. Du charisme.
- Allez Eden, première tentative. Je vais te tenir et on va aller jusqu'à la salle de bain.
Elle m'attrape l'épaule et m'aide à me mettre sur pieds. Mes jambes ne me portent pas comme d'habitude, je chancelle et retombe sur le lit.
- Wow... Qu'est-ce que vous m'avez fait ? Ma jambe droite ne m'obéit pas.
- Normal, c'est celle que j'ai modifiée. Concentre-toi sur les mouvements que tu souhaites faire. Comme quand on apprend à conduire : on se concentre sur le fait de passer les vitesses, alors qu'au bout de quelques mois, c'est devenu instinctif. Allez, on recommence, concentre-toi. Pense aux mouvements que tu souhaites faire en même temps que tu engages ton corps.
J'arrive enfin à me mettre debout. J'ai l'impression d'être un petit papy tant je suis voûté. J'ai horriblement mal dans le ventre. Je serre les dents pour ne pas trop le montrer. Je ne voudrais pas passer pour une chochotte.
- C'est bien, tu es debout ! Demain je t'emmène en salle de motricité !
La salle de bain n'est qu'à quelques pas de mon lit, mais cette distance me paraît soudain insurmontable. Je déteste me sentir faible ainsi ! J'ai l'impression d'être à la merci du monde entier. Incapable de tout. Je me concentre comme un forcené sur ma jambe pour tenter un pas. J'y arrive, je fais mon tout premier pas. Il est saccadé, mécanique. Je me déplace comme une machine. Les larmes me montent aux yeux malgré moi.
- Très bien, tu t'en sors très bien ! Ce n'est que la première fois ! Dans quelques temps, tu te déplaceras tout à fait normalement. Rappelle-toi ce que je t'ai dit : je ne t'ai pas seulement modifié. Je t'ai amélioré. Tu verras de quoi tu es capable.
Elle est excitée comme une gamine qui déballe sa première poupée Barbie. Sauf qu'en l'occurrence, c'est son premier robot. Et c'est moi.
Deuxième pas. Troisième. Je suis épuisé. Mais je suis presque entré dans la salle de bain. Les deux pas suivants me permettent de me poster devant le miroir. Et elle allume la lumière. Et je me contemple pour la première fois. Mon visage. Il est à l'identique ou presque : barbe mal rasée, cheveux mi-longs en bataille, bouche sévère. Je suis moi. A un détail près : mon œil droit. Le gauche est toujours d'un bleu acier, mais le droit est... difficile à décrire. Ma paupière est légèrement gonflée et rouge. En dessous, le globe blanc a laissé place à une bille noire. En son centre, à défaut de pupille, un large point lumineux orangé. C'est déstabilisant.
D'une voix basse et profonde, elle souffle dans mon cou :
- J'aurais pu l'arranger, pour qu'il ressemble à l'autre. Mais j'ai préféré le laisser brut. Pour que tu te rappelles que tu n'es pas comme tout le monde, et que je t'ai créé.
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