Chapitre 27 : Comprendre
Jones me pousse à entrer dans un bureau, tandis que le Colonel nous accompagne toujours.
Le sédatif me fait tourner la tête, et l'espace d'un instant j'ai peur de perdre l'équilibre. Valbert semble interpréter ce raté comme une tentative de leur fausser compagnie, car il empoigne mon bras fermement et m'écrase sur l'assise d'une chaise avec brutalité.
Pourtant, dans ma tête, les idées fusent. Irréalistes. Violentes. Sanglantes. Terrifiantes. Je n'ai qu'une envie : les tuer. Tous. Ils sont complices. Léna. Finny. Et tous les autres. Ils savent. Je comprends désormais les larmes de Finny lorsque je parlais de la nourriture, et la réponse de ma tablée, au sujet des sacrifices qu'il fallait faire.
Depuis des jours, je mange ces steaks carbonisés. Une cuisson qui ne laisse pas de goût de chair et de sang, afin de nous préserver. Oublier sa mauvaise conscience.
- Eden, tu vas bien ? Tu es tout pâle. Souhaites-tu boire quelque chose ?
Sa voix cristalline me tire de mes pensées, mais ravive ma nausée : je ne veux plus ni boire ni manger dans cet enfer.
- Je sais à quoi tu penses. Tout ceci est difficile à accepter. C'est...contre-nature. Mais nous n'avons pas le choix.
- Il y a des stocks de nourriture, dehors. Les rayons des magasins regorgent sans doute de boites de conserve, dis-je pour tenter d'utiliser ma raison.
- Eden... Ce ne serait viable qu'un temps... Nous arriverions sans doute à nous en sortir, mais les générations futures ? Les animaux sont morts, les plantes sont irradiées. Il n'y a plus d'élevage possible, en dehors de celui que nous avons mis en place. Nous avons dû trouver des solutions avec le peu que nous avions. Nos plantations ne sont pas assez diversifiées pour que l'on puisse se passer de viandes. Si nous ne mangeons que des pommes de terre, nous serons bientôt tous carencés. Il faut voir plus loin que la survie immédiate, Eden. Il faut reconstruire une société viable, vigoureuse !
Je ferme les yeux pour ne plus la regarder. Si nous n'avons plus rien à manger sur Terre en dehors de nous-mêmes, alors nous aurions tous dû mourir. L'humanité aurait dû disparaître, avant de sombrer dans la monstruosité.
- Bordel, vous n'avez pas exploré toute la Terre ! Il se peut que quelque part, des animaux ou des plantes aient survécu. La planète se régénère, vous avez dit vous même que l'air était désormais respirable, bien que de mauvaise qualité. Mais vous avez cessé d'espérer !
- En réalité, coupe Valbert, nous ne t'avons pas dit toute la vérité sur ce qui se passe dehors. C'est plus hostile que tu ne l'imagines.
- C'est exact, reprend Jones, nous ne pouvons pas sortir aussi facilement que nous l'aurions voulu. On n'a pas choisi de vivre cloîtrés sous terre par masochisme. Nous savons qu'il n'y a plus de survivants à chercher, car il y a cette chose...
Je la dévisage avec soudain davantage d'intérêt. C'est bien ce que je pensais, on m'a menti depuis le début.
- C'est une sorte de parasite. Il est microscopique, on l'attrape en l'ingérant : il suffit d'avoir les mains sales, ou d'avaler de la nourriture contaminée. J'ai essayé de l'étudier, car certains survivants étaient porteurs. Il reste plusieurs jours en sommeil, bien caché dans notre corps. Il circule tranquillement dans le système digestif, où il se développe. Ensuite, une fois à maturité, il remonte vers le cerveau, qu'il commence tout doucement à... grignoter. Il y détruit les cellules, modifiant petit à petit nos goûts, notre caractère. On peut le comparer à une sorte de tumeur, sauf qu'il migre dans le corps. Tant et si bien qu'on finit par ne plus être nous-mêmes. Tant que l'on reste ici, nous sommes protégés : les filtres assainissent l'air qui entre. Cette chose est également très indisposée par les ultra sons. C'est pourquoi nous en émettons sur une distance de quelques mètres tout autour de l'hôpital Saint-Louis. Mais dès que nous sortons du périmètre, nous sommes exposés.
- Mais, Jones... Brillante comme vous êtes, vous pouvez trouver un remède ou un vaccin !
- Ce n'est pas si simple. J'ai trouvé des traitement pour le détruire, mais en le tuant, je tue le porteur également.. Car lorsqu'il meurt, il libère aussitôt des toxines fatales à son porteur. Je n'ai aucune solution : toute personne infectée est condamnée à court terme. Il faudrait une autre méthode... Mais je ne suis pas une spécialiste de l'infectiologie. Parmi les survivants, nous n'avons aucun médecin qui soit suffisamment compétent dans ce domaine. Et ça c'est trop pointu pour moi. Et puis c'est inédit : il n'y a aucune étude sur laquelle je puisse m'appuyer et je n'ai même pas accès au web ! J'ai essayé de comprendre son fonctionnement de façon empirique, mais je n'obtiens rien.
- Et moi alors, quel rôle j'ai dans tout ceci ?
- Eden, nous n'avons pas d'autre choix que d'évoluer pour nous protéger. C'est là que tu interviens. Tu es la version évoluée de l'humanité. Comme je te l'expliquais, le parasite s'installe d'abord dans le système digestif, où il se développe tranquillement. Il ne migre vers le cerveau qu'au moment de sa maturité. En modifiant ton système digestif comme je l'ai fait, je pense t'avoir immunisé. Si tel est le cas, nous pourrons appliquer cette méthode sur les autres survivants, et bientôt nous pourrons tous sortir d'ici. Grâce à toi, la science a progressé. Je t'ai exposé à ce parasite via des injections. Et il ne s'est pas attaqué à toi, ton corps l'a rejeté naturellement, sans que le parasite ne libère ses toxines mortelles. Nous devons encore faire de nombreux essais sur toi, mais si cette immunité se confirme, alors nous pourrons modifier le système digestif de tous les survivants. Et nous pourrons quitter cet endroit. Il me faudra plusieurs mois pour opérer tout le monde. Peut-être que la Terre et l'air auront le temps de se régénérer d'ici là. Mais les animaux ne reviendront pas. Notre élevage humain est le seul moyen de nous nourrir, que ce soit à court où long terme. Il faut survivre, à tout prix.
Non. La survie à n'importe quel prix, c'est des conneries. Parfois, il vaut mieux qu'une espèce s'éteigne. J'aurais préféré que l'humanité meurt simplement, dignement. Qu'elle assume ses erreurs. Au lieu de ça, l'humanité est morte pour laisser place à l'ère des monstres. Il n'y a plus d'humains ici-bas, seulement des monstres. Quand je les regarde, ces survivants, c'est tout ce que je vois : des monstres.
Il y a eux.
Et il y a moi.
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