Chapitre 23 : Escapade
J'entends de légers ronflements provenir des couchettes proches de l'entrée du bloc. Tout ce petit monde semble endormi. Je me redresse doucement, à l'affût du moindre bruit. Mais la pièce entière est léthargique. Je me glisse en dehors de ma couverture et frissonne lorsque mes pieds nus touchent le sol en béton. J'enfile mes chaussures et me dirige à pas de loup jusqu'à la porte.
Une fois dans le couloir, je constate que la base est plongée dans le noir. Seule une timide lumière verte éclaire le seuil des différents blocs. J'espère qu'il n'y a pas d'alarme de nuit. J'atteins l'ascenseur sans embûche, et la voix automatique me fait faire un bond disproportionné. Dans le couloir silencieux, elle sonne et résonne si fort que je m'attends à ce que tous les blocs soient réveillés. Je passe un bras en travers pour retenir la porte, le temps de m'assurer que rien ne bouge derrière moi. Depuis que j'ai quitté ma couchette, j'ai une sensation bizarre, comme si on me suivait. C'est sûrement un peu de paranoïa. Pourtant, j'ai l'impression d'entendre une respiration lointaine. Je ferme les yeux pour me concentrer sur les sons.
L'expérience s'avère surprenante : j'entends soudainement tellement de choses que je rouvre les yeux immédiatement, affolé. Mais il n'y a rien devant moi, le couloir est vide. Je ferme à nouveau les yeux, et me voilà encore submergé par tout un tas de sons. L'espace d'un instant, je crois devenir fou. Mais je me rappelle ensuite les promesses de Jones : mes sens ont été améliorés. Mon ouïe doit faire partie du package. Encore une fois, je ferme les yeux pour écouter. Je perçois alors très clairement des battements de cœur, que je parviendrais presque à distinguer les uns des autres. Ce sont des battements lents, qui parviennent à l'évidence du bloc le plus proche de moi : les Résidents y dorment tranquillement, d'où ces rythmes cardiaques apaisés.
En revanche, j'entends la respiration de tout à l'heure comme si la personne était à quelques centimètres de moi. Je perçois également les assauts stressés de son palpitant : cette personne est angoissée. Respiration haletante, cœur emballé. Et mon odorat rajoute sa petite information quand des effluves de transpiration me parviennent. J'ignore comment je fais le lien, mais je sais qu'il s'agit d'un individu de sexe féminin. Peut-être suis-je désormais capable d'identifier les phéromones ? Toutes ces informations qui m'assaillent, claires comme de l'eau de roche, me donnent le tournis.
Je monte pour de bon dans l'ascenseur et laisse la porte se refermer devant moi. J'appuie sur le -2, pour avoir un alibi si mes soupçons se confirment. Je sors et fais quelques pas sur le côté, prêt à accueillir mon espion. Mes doutes ne tardent pas à se confirmer, puisque les portes s'ouvrent à nouveau. Je bondis sur l'individu et plaque ma main sur sa bouche tout en l'attirant contre moi pour l'immobiliser.
Je relâche aussitôt toute étreinte, quand je reconnais la frêle silhouette...
- Finny, qu'est-ce que tu fiches ici ?
- Je t'ai vu te lever. Tu pars visiter le -7, c'est ça ?
- Non, pas du tout, tu vois bien que je suis monté au -2. Je n'arrivais pas à dormir, alors je vais faire un peu de sport en salle de motricité.
- Je ne te crois pas... Eden, je ne veux pas te perdre ! Si tu vas au -7, je ne te reverrai jamais. Personne n'a le droit d'y aller, en dehors de ceux qui sont affectés à ce service.
- Et... ceux qui ne suivent pas la règle, ils disparaissent ?
- Non, mais ils restent là-bas pour toujours.
- Dis-moi ce qui se passe au -7. Finny, dis-le moi.
- Je n'ai pas le droit. Et je ne veux pas qu'on m'y envoie.
- Très bien, alors retourne te coucher. Et ne dis à personne que tu m'as vu sortir ce soir. C'est compris ?
- Eden, n'y va pas, je t'en...
- Je vais y aller, que tu me couvres ou non. Jones veut me cacher des choses, mais j'ai besoin de savoir dans quel monde je vis. Je dois savoir. Ne me dis rien, comme ça tu restes innocente. Tu as essayé de m'en dissuader, tu as fait ce qu'il fallait. Alors maintenant retourne te coucher.
- Je m'en fiche d'être innocente. Je veux que tu restes avec moi. Et si tu pars là-bas, je ne te reverrai plus.
- Jones ne peut pas me faire disparaître. Je suis sa création. Même si je ne sais pas encore très bien pourquoi, elle a besoin de moi. Le colonel aussi a besoin de moi. Il ne m'arrivera rien. Je te le promets.
Je l'entraîne à ma suite dans l'ascenseur, appuie sur le -3 et le -7. Au premier arrêt, je la pousse vers l'extérieur, "à demain, Finny." Elle acquiesce avec un air de chien battu et des larmes dans les yeux, tandis que les portes se referment sur moi.
A vrai dire, je n'ai aucune idée de ce que je vais découvrir, ni des risques que cela me fait encourir. Pourtant mes nouveaux talents, et surtout le mal que Jones s'est donné pour me transformer, me donnent l'impression que je suis invincible : je l'imagine mal se débarrasser de moi après avoir passé des jours entiers à m'opérer. Je suis la concrétisation de tous ses travaux. Je suis intouchable. Et pourtant, on me maintient dans une évidente ignorance.
Perdu dans mes pensées, j'entends vaguement la voix automatique annoncer l'étage -7. Si seulement je m'étais arrêté quelques secondes et questionné sur le nom donné à ce niveau, j'aurais alors compris l'utilité de cet étage maudit. J'aurais eu un indice sur l'horreur que j'allais découvrir. Ce mot, si anodin, m'aurais peut-être averti de ce qui se tramait dans ce sous-sol. Mais je suis sorti de l'ascenseur, sans y réfléchir, sans savoir vraiment à quoi je devais m'attendre. Qui aurait cru qu'un nom aussi banal pouvait recouvrir une réalité aussi sordide ?
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