Chapitre 21 : Radiations


Rien. Aucun dispositif militaire n'est visible ici. Je m'attendais à toute la panoplie : des camions, des tanks, des armes, des soldats, des drônes prêts à survoler les abords de la base. Rien. Seulement des décombres, de la poussière. Un passage a été dégagé : il conduit à une porte quelconque. 

Jones avance devant moi, elle ne semble pas remarquer ma déception. Mais je ne comprends pas. Pourquoi n'y-a-t'il aucun dispositif en place pour nous défendre et explorer le monde ? Tandis que nous approchons de la porte, j'observe les décombres autour de moi. Et tout à coup, entre deux pans de plafonds en place, j'aperçois une large bande dégagée. Dégagée sur le ciel. Ce seul spectacle suffit à me faire perdre le contrôle de mes poumons qui hument l'air frais comme par réflexe vital.

- Agréable, n'est-ce pas ? On en oublierait presque les explosions nucléaires qui ont eu lieu il y a quelques mois...

- Racontez-moi.

Elle s'installe sur un débris de béton armé comme on s'assoit sur un rocher au bord de l'eau. Je prends place à côté d'elle et la supplie du regard pour qu'elle me raconte.

- Tu as vécu les premiers grands cataclysmes : tremblements de terre, tsunamis... Toutes les failles sismiques se sont emballées en l'espace de quelques heures funestes. Les premières explosions nucléaires en ont découlé directement, puisque des sites ont été touchés. Une grande partie de la population est morte à ce moment-là, quand je t'ai amené ici. Mais ce n'est pas tout. Tout le monde était paniqué. Résultat, partout les survivants ont cherché à se rendre auprès de leurs proches, les axes routiers étaient saturés, chacun a délaissé ses fonctions pour tenter de sauver sa peau. Il n'y avait plus aucune organisation, impossible de raisonner les gens. Les centrales nucléaires encore en état ont arrêté de tourner au bout de quelques heures seulement. Nous avons rapidement été plongés dans le noir, sans moyen de communication. Les secousses ont repris dans les jours qui ont suivi, rajoutant un peu plus à la panique générale. Les dirigeants ont tenté de s'organiser grâce à leurs systèmes d'urgence. Mais ils ont vite été dépassés, sans moyen de communiquer avec la population livrée à elle-même. Les militaires qui répondaient encore aux instructions ont organisé des points de regroupement, distribué de la nourriture... C'était peine perdue :  l'eau des centrales nucléaires à l'abandon s'est évaporée dans l'indifférence générale, engendrant des séries d'explosions partout dans le monde, à la hauteur de Fukushima et Tchernobyl. Là aussi, de nombreux survivants ont été éradiqués. Et tout le monde a été pris de vitesse, car ces faits se sont enchaînés en un mois. 

- Tout le monde est donc mort, comme ça ? Seule votre petite enclave a survécu ?

- Non, il y avait encore pas mal de survivants au moments des explosions nucléaires. Sauf que l'air est devenu mortel, ils ont vite été victimes de la radioactivité ambiante : ceux qui ont été les plus exposés ont traversé une courte phase de délires et convulsions, avant de décéder. Ceux qui n'ont pas été exposés à des doses aussi fortes ont commencé à ressentir des nausées, des diarrhées... Puis ils ont eu l'impression d'aller mieux, durant la phase dite de "latence". Mais rapidement, en quelques jours, la phase aiguë s'est déclarée. Ils sont morts d'hémorragies internes, d'insuffisance respiratoire, d'ulcères... Beaucoup se sont rués vers les hôpitaux quand ils ont ressenti ces symptômes. Mais le plupart du personnel avait déserté. Et nous savions qu'ils étaient tous condamnés. Plus rien ne pouvait les sauver. Ici, à St Louis, nous avions déjà coupé tout contact avec l'extérieur en prévision du risque nucléaire. Nous nous étions enfermés, gardant un maigre lien par le biais de drônes. Nos ingénieurs avaient eu le temps de peaufiner notre système d'aération pour filtrer toute particule. Ensuite, il ne nous restait que la patience : nous avons attendu que la Terre se régénère suffisamment. Finalement, c'est arrivé plus vite que nous ne l'attendions : il a suffi de trois mois pour que l'air redevienne respirable. Les doses de radioactivités sont retombées à moins de 0,5 Gy.

- Et depuis, vous ne recherchez pas les autres survivants ? Peut-être que...

Je suis coupé par une voix grave et tranchante, surgissant derrière mon dos.

- Eden, il n'y a pas de survivants. Oubliez tout de suite cette idée, si vous ne voulez pas devenir fou. Nous sommes seuls.

Je fais volte-face dans un bond pour découvrir un homme en uniforme militaire. Le colonel Valbert, j'en suis certain. Je lui réponds respectueusement :

- Bonjour, Colonel. Aucun survivant en dehors de nous, vous êtes sûr ?

- Quelques personnes se sont réfugiées dans des bunkers, notamment aux Etats-Unis, mais ils sont sortis dans la phase d'accalmie, juste avant que l'eau des centrales ne s'évapore. Tout le monde a pensé que c'était terminé, qu'on avait traversé le plus dur. Ils ont ensuite été irradiés comme les autres. Nous sommes arrivés à ces conclusions après avoir récupéré du matériel militaire et envoyé des drônes dans les principaux pays développés. Cela fait un mois que nous avons renoncé. Nous ne sortons plus depuis. Il est inutile que vous nourrissiez ce type d'espoir. Abandonnez immédiatement l'idée de retrouver quelqu'un dehors. 

- Pourquoi ne plus sortir ? Il faut continuer à chercher, le monde est suffisamment vaste pour que quelqu'un se trouve dans un coin. 

- Plus rien ne vit dehors. Plus d'animaux. Quelques plantes inconnues et toxiques ont commencé à pousser, mais le sol est encore contaminé. Ce n'est plus la planète que vous avez connue.

Mes épaules s'affaissent d'elles-même. Je ne comprends pas que l'on puisse ainsi renoncer à tout, et se contenter de vivre enfermé sous terre à l'étroit. Il me semble évident que nous devons reconquérir cette planète, puisque l'air est de nouveau respirable. Et surtout, je ne comprends pas le rôle que l'on veut que je tienne là-dedans.

Le colonel nous fait signe de le suivre dans son bureau, la fameuse porte dégagée parmi les débris. J'y découvre un système de caméras de surveillance, braquées sur les abords directs de l'hôpital. Enfin, ce qu'il en reste : ce gros cratère qui dévoile partiellement le -1.  Je regarde les écrans, perturbé par l'idée que le colonel surveille l'extérieur alors qu'il m'a lui même assuré que plus rien ne vit dehors. Il semble comprendre mes interrogations de lui-même :

- Ces caméras n'ont plus grand intérêt ces dernières semaines, puisque nous avons stoppé les explorations et compris que plus rien n'existe en dehors de nous.

- Je trouve votre position sur ce sujet très radicale.

- Facile à dire quand on vient de se réveiller, Eden, me répond calmement Jones, d'une voix douce, mais le colonel s'est investi corps et âme, jour et nuit, pour déterrer la vie. Il n'y a plus rien de bon à attendre de l'extérieur.  

- Alors quelle mission voulez-vous me donner ?!

Le colonel inspire profondément, puis déclare d'un air solennel :

- Tu incarnes, peut-être, notre avenir. Cette planète hostile te sera peut-être agréable, compte-tenu de tes spécificités. Mais c'est à Jones d'évaluer ton potentiel dans ce domaine. En attendant ses conclusions, ton rôle sera de maintenir l'ordre. Tu es une arme dissuasive : une sorte de super-gendarme. 

- Attendez, je ne vous suis pas. L'extérieur est hostile en fin de compte ? Je croyais que l'air était respirable ? Et vous voulez que je me contente de faire le vigile dans la base ? 

Ils se regardent tous les deux, d'un air profondément mal à l'aise. J'ignore ce qu'ils me cachent, mais à l'évidence la version qu'ils me donnent est confuse. Valbert semble prêt à parler, mais Jones l'en dissuade en posant la main sur son bras, tout en répondant :

- Eden, le colonel Valbert t'expliquera plus en détail tes missions, mais effectivement, tu auras un rôle de surveillance. Il est difficile pour des êtres humains de vivre enfermés les uns avec les autres. Certains développent des comportements nuisibles : vols, agressions mineures, remise en cause de l'organisation... Je veux que tu sois une sorte de pacificateur. Par ta seule présence, tu dois rassurer les plus faibles et recadrer les plus téméraires. 

- Vous voulez que je veille à ce que personne ne sorte du rang. C'est méprisable comme vision des choses.

- Non Eden, c'est nécessaire. Pour vivre en bonne harmonie, nous devons calmer les fortes têtes. Chaque personnalité peut s'exprimer, mais pour notre survie collective, cela doit se faire de manière raisonnable. Sans menacer la sécurité et la stabilité du groupe. Je ne te demande pas d'opprimer les gens, mais simplement de les protéger contre les excès. Tu dois veiller à leur sécurité. 

La déception est rude. Ces deux-là me frustrent au plus haut point. Le futur qu'ils me destinent ne m'enchante pas du tout, mais je sais que c'est inutile d'en discuter davantage : ils ne sont pas ouverts à la négociation, et me cachent des choses. Je vais devoir me débrouiller par moi-même pour comprendre quels sont réellement les enjeux. 

- Bien, merci pour la visite et les explications, je vais retourner dans mon bloc.

Je n'ai qu'une idée : m'entraîner un peu dans la salle de motricité en nouant des liens avec les Résidents, puis fausser compagnie à tout ce beau monde pour une escapade en solo. La soirée promet d'être mouvementée.

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