Chapitre 20 : Banal
Tandis que je somnole tranquillement sur ma couchette, quelqu'un frappe à la porte. Je me redresse et vais ouvrir, l'œil embué et le dos douloureux. Bon sang, ces matelas n'ont rien à voir avec ceux des chambres médicalisées. Je n'aurais jamais dû demander à changer de quartier.
- Eden, tu dormais ? demande Jones d'un air contrit.
- J'essayais. On ne peut pas dire que le lit soit confortable.
- Tu t'y habitueras vite. J'aimerais que tu continues à utiliser la salle de motricité régulièrement. Sache seulement qu'elle est de nouveau accessible aux résidents. Je te l'avais privatisée les premiers jours, mais on est revenu à la normale : elle est ouverte à tous le soir de 18h à minuit. Alors profite d'y aller en journée quand elle est fermée au public. Ton badge te donne un accès permanent et illimité. Essaye d'éviter les heures d'ouverture, ce serait mal venu que tu te donnes en spectacle avec tes capacités hors-normes.
J'acquiesce distraitement, sachant pertinemment que j'irai pendant les heures d'ouverture, histoire de sympathiser avec les autres.
- C'est marrant, j'ai l'impression que vous voulez me maintenir à l'écart des Résidents...
- Bien sûr ! Ils te prendraient pour une bête de foire s'ils se rendaient compte de ce que tu es vraiment. Il faut t'introduire en douceur dans notre micro-société. Quand tu sera bien accepté et prêt à prendre tes fonctions, nous te présenterons officiellement aux Résidents. En attendant, je préfère que tu restes discret. D'ailleurs, à l'avenir, je souhaite que tu portes une lentille couvrante. Ton œil attire trop l'attention, tout le monde te dévisageait à la cafétéria ce midi. Les Résidents posent des questions sur toi. Je ne veux pas que tu sois anxiogène pour eux.
Elle me tend une boite en plastique que j'ouvre pour découvrir la fameuse lentille. Je n'apprécie pas tellement la manière dont elle me parle, mais la curiosité est la plus forte, je file dans la pièce du fond pour l'essayer devant un miroir. Elle me suit. Je glisse la lentille sous ma paupière et cligne des yeux plusieurs fois.
- Ça vous convient ? Déguisé comme ça, rien ne laisse penser que vous m'avez transformé en mutant.
- C'est très bien, tu es un jeune homme parfaitement banal.
- Je n'ai jamais été banal. Si non vous ne m'auriez pas choisi, quand je crevais sur ce trottoir.
- Je t'assure que tu l'étais. Mais aujourd'hui tu es mon petit miracle, murmure-t-elle en approchant ses lèvres des miennes. J'ai hâte de te révéler aux Résidents. Mais je profite de ces derniers instants où tu n'es encore qu'à moi...
Alors qu'elle tente habilement de glisser sa langue dans ma bouche, je la repousse abruptement.
- Je ne vous appartiens pas. Ni aujourd'hui, ni jamais. Et je n'ai plus envie de ce petit jeu entre nous. Tenons-nous en à des rapports professionnels ou médicaux. Faites-moi visiter le reste de la base, et indiquez-moi mon poste.
Son visage change radicalement. Son air mielleux laisse place à un masque froid. Elle est vexée, mais je l'imagine surtout surprise de la tournure des événements.
- Tu veux me faire payer mon mensonge par omission, parce que je t'ai caché mon mari. C'est ta petite vengeance, ton orgueil parle pour toi.
- Non, je ne vous en veux pas. On s'est bien amusés. J'avais besoin de ça pour me remettre sur pieds, et j'ai trouvé ça... distrayant ! Mais bon, finalement, il y a plein de femmes qui ont survécu à la fin du monde. Je n'ai plus aucune raison de me jeter sur la première que je vois... Pas vrai ?
Elle rit jaune et reprend, sérieusement, pour se donner une contenance :
- Tu as raison, prends ton temps pour découvrir ton nouvel univers. On s'amusera plus tard. Je dois terminer un travail, puis nous irons au -1. Je te présenterai le colonel Valbert.
Je ne peux réprimer un sourire en coin, trop content d'avoir obtenu ce que je voulais. Je suis certain qu'elle comptait utiliser mes appétits charnels pour me garder sous sa coupe, et me conduire où elle veut, renforcer mon sentiment d'appartenance. A peine étais-je réveillé qu'elle tentait de créer une dépendance physique. Mais il est hors de question que je la laisse m'asservir ainsi. Elle m'a sauvé, c'est un fait, elle a pris possession de mon corps en le trafiquant, c'est indéniable. Mais je ne lui appartiens pas, je ne serai pas son objet docile. Et visiblement, je peux la mener où je veux en lui résistant. Je l'ai déstabilisée.
Je la remercie d'une voix détachée, et elle quitte le bloc 3.
Je ne suis pas longtemps sans m'endormir. Malgré ma curiosité, les dernières semaines de coma ont laissé des traces : je m'enferme dans un sommeil très profond et ne me réveille que bien plus tard. La pendule au dessus de la porte des sanitaires annonce 17h15. Les Résidents auront bientôt terminé leur journée. Jones entre en silence et m'adresse un sourire attendrit en me découvrant encore à moitié endormi sur ma couchette.
- On y va ? demande-t-elle d'une voix douce.
Je la suis docilement dans l'ascenseur, et ne peux réprimer un frisson d'excitation lorsqu'elle appuie sur le bouton -1.
Les portes s'ouvrent sur un univers si surprenant que je fais un petit bond en arrière quand la voix féminine annonce "-1 : sas extérieur. Zone de haute sécurité. Veuillez vous identifier". Jones bipe son badge devant l'interface de l'ascenseur, et la grille qui nous fait face se déverrouille.
Je m'attendais à trouver là un complexe militaire prêt à nous défendre contre toute attaque ou catastrophe naturelle. Mais la réalité n'est pas conforme à mon imagination. Rien de ce que j'aurais pu soupçonner n'aurait ressemblé à cela...
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