Chapitre 11 : Ballon


Hôpital Saint-Louis, niveau - 2

Je marche sur ce tapis d'un pas rapide depuis une bonne demi-heure. Je suis très essoufflé, mais je n'ai pas envie d'arrêter. Je veux réussir à courir. Courir. Courir. Pour me vider la tête, pour évacuer la pression. Pour la première fois depuis que je me suis réveillé entre ces murs, je me sens en souffrance. Je n'ai mal nulle part, mais je souffre. Je souffre d'être ici, à moitié prisonnier de ce bâtiment, prisonnier de ce corps qui ne réagit plus comme s'il m'appartenait réellement, prisonnier de mes souvenirs. Alors je veux courir, pour évacuer la tension. Mais je n'en suis même pas capable.

Cette Camille... Elle est morte maintenant. Je ne l'ai jamais revue. En réalité, j'ai quitté l'appartement de Solène, et je suis monté dans ma voiture. Il y avait peu de circulation, je suis très rapidement arrivé devant la maison de ses parents. Je me suis garé, et j'ai posé le doigt sur la sonnette. Mais je n'ai pas appuyé. Je suis allé faire un tour, j'ai marché une bonne demi-heure. Elle m'a réécrit, elle m'attendait. Je suis remonté en voiture, je suis retourné dans Paris. 

J'ai trouvé une épicerie de nuit, acheté deux paquets de bonbons, et j'ai retrouvé Solène endormie dans le canapé. A son réveil, vers deux heures du matin, elle ne se sentait plus fatiguée. Nous avons regardé un DVD en mangeant des bonbons, puis nous avons fait l'amour. Je ne lui ai jamais parlé de mon escapade avortée. Mais ce soir-là, j'ai décidé de ne plus lui dire "je t'aime". Et j'ai pris la décision de la quitter la prochaine fois qu'elle me demanderait ces mots. Parce que non, je ne l'aimais pas. C'était simplement la fille avec qui j'avais envie d'être à cet instant précis. Et je savais que mon envie du moment pouvait varier. Ce soir-là, l'envie d'être avec elle avait été la plus forte. Mais pour combien de temps ?

Les semaines qui ont suivi, nous nous sommes peu vus à cause de nos emplois du temps chargés. Elle ne m'a pas demandé de lui dire les mots interdits. Et elle n'en a plus jamais eu l'occasion. Elle est morte en pensant que je l'aimais. C'est horrible, elle a emporté mon mensonge dans sa tombe. Je ne pourrai plus jamais lui dire la vérité. La rectification n'est plus possible. Et ça m'angoisse : le néant m'angoisse. Parce qu'il fige tout pour toujours. Je garderai mon mensonge en moi pour toujours, parce que je n'ai pas eu le courage d'être honnête.

Et je cours sur ce tapis pour oublier.

Je cours. Je cours !?

Ma cheville se tord et je me ramasse sur le tapis qui continue son rythme effréné. Mais je ris aux éclats. J'ai couru, bordel, couru ! Sans même y penser ! Je me relève avec aisance. Ça y est, cette jambe est à moi. Je n'ai plus besoin de concentration pour effectuer les mouvements de base. Je suis enfin comme ce fichu singe. Je me sens tout puissant, capable de tout. Tout. Tout. L'euphorie m'enivre complètement. J'attrape le ballon de basket fourni par Jones et jauge quelques rebonds. D'abord avec les deux mains, mais comme j'y arrive facilement, j'essaie de n'utiliser que ma main droite. Je ne tape pas assez fort, le ballon rebondit à peine. Et de nouveau, c'est un sentiment d'échec qui prend le dessus. L'espace d'un instant, quand j'ai réussi à courir, j'ai cru que j'avais eu un déclic. Foutu ballon ! Ça ne va pas se passer comme ça ! Je l'attrape des deux mains, le lâche, et tape dedans avec la main droite comme un forcené pour accomplir le dribble du siècle. Le ballon éclate. Je reste bouche-bée. Ce n'est pas normal, un ballon de basket n'éclate pas comme ça contre le sol. 

Je regarde ma main droite comme si elle ne m'appartenait pas. Pris d'un mauvais pressentiment, je plie un genou et envoie un coup de poing violent dans le sol. Les murs tremblent tandis que mon poing s'enfonce de quelques centimètres dans le béton fissuré. C'est quoi ce sol en carton ? Je ne comprends pas. Et si ça ne venait ni du sol, ni du ballon, mais bien de ma main droite ?! Mes phalanges présentent de sérieuses lésions sur les articulations, aux points d'impact. Mais de nouveau, un liquide blanc s'échappe des plaies, et la cicatrisation est presque immédiate. Je serre ma tête entre mes mains, comme pour ralentir le flux des idées qui m'assaillent. J'arrête immédiatement : j'aurai l'air malin si je serre trop et que ma tête explose comme le ballon de basket. 

Je veux comprendre, il faut que j'en ai le cœur net. J'envoie un coup de poing dans le mur et me fracasse la main gauche. Quel con ! La douleur est immédiate, et le mur n'a pas bougé. J'imagine que je me suis cassé quelque chose. Mais là aussi, un liquide blanc s'échappe des pores de ma peau et recouvre toute la zone endolorie, emportant aussitôt toute douleur en séchant. Ce foutu mur n'a aucune séquelle. Je tape maintenant avec mon poing droit : immédiatement, mon bras traverse le mur. Ma main est passée dans ma chambre. Et elle se régénère. 

Je dois donc accepter deux évidences : mon corps entier est capable de se réparer en accéléré, et ma main robotique est dotée d'une force surhumaine.

Jones m'avait prévenu : elle ne m'a pas seulement réparé, elle m'a amélioré. 

Je tape du pied droit pour voir si ma jambe est également capable de prouesses. C'est gagné, le sol se fissure sous mon pied. Je ne sais plus si je dois rire ou pleurer. Je suis un monstre. Je suis un super-héros. Je suis un homme. Je suis une machine. Je suis...

- Tu peux être tout ce que tu veux désormais. 

Jones ! Elle se tient sur le pas de la porte, l'épaule appuyée sur le montant. J'ignore depuis combien de temps elle me regarde.

- Vous savez lire dans mes pensées ?

- Non, c'est juste facile de deviner à quoi tu penses. Si tu voyais ta tête...

- Qu'est-ce que vous m'avez fait ? C'est quoi ce délire ? Je peux... Je vais...

- Calme-toi, jette-t-elle sans sympathie. Il faut que tu te calmes tout de suite. Dans cet état, tu es dangereux. Tu dois maîtriser ta force. Respire et reprends-toi.

- Jones, je répète : qu'est-ce que vous m'avez fait ? Je ne saigne même pas !

- Non, je sais. Le sang humain n'était pas totalement compatible avec tes parties robotiques. Nous avons donc modifié ta moelle osseuse, elle ne produit plus du sang ordinaire. Mais ne t'inquiète pas, ce liquide blanc est assez proche dans sa composition. Ton corps est autonome, il te suffit de t'alimenter normalement. Tout fonctionne très bien. Nous allons refaire des tests régulièrement pour nous en assurer, mais tes dernières analyses étaient parfaites. C'est pour cela que nous t'avons réveillé : tu étais stable. Viable.

- Je ne suis plus humain.

- Mais si, ne dramatises pas. Je te dis que ce liquide est très proche du sang, et qu'il est produit par ton corps lui-même. Tu fonctionnes un peu comme une plante verte. C'est à mi-chemin entre le sang et la sève. Les plantes ont la capacité de se régénérer très vite.

- Et ma force ?

- Oui, j'aimerais que tu la maîtrises mieux. Parce que là tu as fait trembler tout le sous-sol, les gens ont eu peur.

- Pourquoi je suis si fort ?

- Tes parties robotiques sont très puissantes. Grâce aux systèmes de pistons. Ils sont capables d'encaisser bien plus que de simples articulations et muscles. Leur rapidité est également impressionnante. Ton tapis de course est relié à mon bureau. J'ai été bipée tout à l'heure : lorsque tu t'entraînais, tu as légèrement dépassé les 60 km/h. Une personne ordinaire court en principe à 30 km/h. C'est grâce à ta nouvelle jambe.

Je suis pris d'un vertige. Je passe devant elle et m'assois sur le rebord de mon lit. Ce qu'elle m'annonce est incroyable.

- Eden, il est temps, tu es prêt. Je vais te faire visiter la base et t'expliquer ton futur rôle. Prends une douche, je reviens dans quinze minutes.


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