Chapitre 10 : Dîner




5 semaines avant l'Apocalypse

Mon client repart satisfait, sourire aux lèvres et téléphone à la main. Je suis content de ma journée, et j'ai hâte d'aller retrouver Solène. Depuis la soirée désastreuse chez Fred, notre relation a changé. Elle pardonne ma trahison un peu plus chaque jour, et je maintiens un niveau élevé d'investissement personnel.

Je monte dans ma petite voiture noire, et prends la direction de son appartement, dans le 12ème. Je lui ai demandé de me donner ses clés, et elle a accepté. Je lui ai expliqué que c'était nécessaire pour que je passe un cap dans ma tête : elle me confie ses clés, et je lui donne les miennes. En réalité, je voulais juste pouvoir rentrer avant elle pour lui préparer un dîner surprise. Elle interprète tous mes actes comme des preuves d'amour, mais j'essaie juste de la garder, de ne pas la laisser m'échapper. Je ne l'aime pas, mais j'ai besoin d'elle. Je connais la nuance, mais elle non. Alors chacun de nous s'y retrouve. Quand mes petites attentions lui font plaisir et apaisent son chagrin, je me sens mieux : je cesse de culpabiliser, et je me dis que je suis quelqu'un de bien. Si je ne l'aime pas, quelle importance ? Je la rends heureuse, et je me sens bien. Je lui dis ce qu'elle souhaite entendre. Voilà tout.

Lorsque j'entre chez elle, je souris immédiatement : si on se fie à l'état de la pièce principale, on imagine tout de suite qu'une guerre mondiale est à l'oeuvre. Paquets de gâteaux vides, magazines oubliés, chaussettes percées, vaisselle sale... On trouve de tout. Comment lui en vouloir ? Elle vit à cent kilomètres à l'heure. Coiffeuse à mi-temps depuis 6 mois, elle alterne les brushings et le baby-sitting dans tout Paris. Elle arrivera vers 21h, quand les enfants seront couchés et les parents rentrés. J'ai donc deux heures pour tout préparer. Je commence par ouvrir les fenêtres pour aérer, et je me mets au rangement. Je ne suis pas spécialement doué pour les tâches ménagères, mais je sais qu'elle n'en sera que plus touchée par mon geste.

Je me lance ensuite dans la cuisine : je coupe quelques légumes que je dispose dans un plat, rajoute de la béchamel toute prête, un peu de gruyère, et le tout au four. Soyons honnête, j'ai dû regarder quelques vidéos en ligne pour en arriver à ce résultat. Des escalopes à la poêle, recouvertes de sauce tomate, et on aura l'impression de manger un poulet basquaise.

Il est temps de mettre la table. J'ai apporté deux jolis bougeoirs, pour l'ambiance. Jamais je ne me suis autant cassé la tête pour quelqu'un. J'espère qu'elle appréciera.

A peine ai-je terminé mes préparatifs, la voilà qui rentre. Sa mine fatiguée laisse place à un grand sourire lorsqu'elle m'aperçoit devant le four, tablier autour de la taille.

- Eh bien ! Jolie surprise, souffle-t-elle en m'embrassant, mais tu aurais quand même pu te raser ! Tu piques !

- Jamais contente, je réplique en réprimant un sourire en coin.

- Si, c'est parfait... merci, glisse-t-elle à mon oreille en passant sa main dans mes cheveux.

- On passe à table ? Ensuite on pourra comater devant un film. Ça te convient ?

Elle hoche la tête et s'installe. Je lui sers un verre de vin blanc en guise d'apéritif et sors quelques gâteaux. Une ombre passe sur son visage. Je sais qu'elle ressasse encore et toujours ma trahison, même quand tout va bien. Mal à l'aise, je lève mon verre et tente de faire diversion. Notre conversation reste généraliste, nous ne parlons que de banalités. La météo, les tremblements de terre aux Etats-Unis et les risques qu'ils font peser sur les installations nucléaires... Rien qui ne nous concerne directement, comme pour éviter les sujets qui fâchent.

Elle mange avec appétit, et je savoure mes progrès culinaires. Comme quoi, avec un peu de bonne volonté... Elle regarde le programme télé sur son téléphone, et je lui propose de nous installer dans le canapé pour le dessert. J'ai acheté ses glaces préférées. Il y a quelques jours, je ne savais même pas si elle aimait la glace. Aujourd'hui, je connais chacun de ses goûts. Je crois que nous avons plus discuté en l'espace d'une semaine que ces deux dernières années. Et pourtant, je ne l'aime pas. J'aimerais savoir ce qui cloche chez moi. Je la dévisage, comme pour y chercher une réponse. Je la désire, c'est une certitude. Depuis une semaine, je n'ai pas le droit de la toucher. On s'embrasse, elle m'adresse quelques gestes de tendresse, mais c'est tout. Elle me fuit dès que je tente de la prendre dans mes bras. Une semaine seulement, et la distance me pèse déjà. Nos conversations ne remplaceront jamais nos parties de jambes en l'air. J'espère qu'elle est d'accord avec ça.

Elle zappe pour mettre un film romantique. Je lève les yeux au ciel, malgré moi. Allez, on poursuit les efforts. J'attrape sa main pour la câliner. Ce simple contact est électrisant tant la sensation de sa peau contre la mienne me manque. Je lutte contre les pensées déplacées qui défilent brusquement dans mon cerveau, et tente de me concentrer sur le film. Elle cale sa tête contre mon épaule, et voilà que son parfum titille mes narines. Bon sang, ce que les filles peuvent nous faire comme effet, c'est délirant. J'expire avec force pour relâcher la pression et me détendre. Mes yeux regardent l'écran, mais mon esprit visionne un autre film. Sans trop bouger sa tête, je tends le bras et attrape mon verre laissé sur la table basse puis bois une gorgée pour me rafraîchir un peu. Sa respiration est devenue régulière, et elle pèse de tout son poids sur moi. Solène s'est endormie... Mon téléphone vibre dans la poche de ma veste, restée sur ma chaise. Délicatement, je me défais de cet étau, l'allongeant en travers du canapé. Elle ne réagit même pas.

Un message s'affiche. Camille.

"Matt, je sais que tu ne veux (ou ne peux ?) plus me voir... Mais si tu changes d'avis, sache que j'ai la maison pour moi toute seule ce soir. Et il n'est que 22h."

Je soupire. Je regarde Solène, endormie paisiblement. J'efface les messages immédiatement et fais quelques pas en direction du canapé. Je vais regarder la fin de ce film naze allongé contre elle, point.

Le téléphone vibre à nouveau dans ma main, un second message s'affiche.

"On pourra discuter. Ou pas."

Je serre mon téléphone plus fort, passe l'autre main dans mes cheveux.

Et merde. Les hommes sont des animaux.

J'attrape ma veste, et je sors.

"J'arrive".

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