Le fracas impitoyable de l'alarme tira brusquement Maëlle de son sommeil paisible. Sa chevelure rousse, ébouriffée, dissimulait un visage aux traits adoucis par le sommeil. Indifférente aux plaintes incessantes de la petite horloge, elle se couvrit jusqu'à la tête. Elle flottait encore dans l'univers de ses rêves, où les nuages prenaient la forme de barbe à papa, les arbres se transformaient en sucettes géantes, et les routes étincelaient de chocolats délicieux. Dans ce monde féerique, les haricots, ces légumes détestés, étaient tout simplement inexistants. Cependant, le destin cruel avait ordonné que cet infernal réveil sonne indéfiniment. Les yeux toujours clos, elle tendit sa main droite pour le chercher sur sa table de chevet, en vain.
- Soit maudit stupide machin ! marmonna-t-elle d'une voix ensommeillée, à moitié perdue entre rêve et réalité.
Finalement, elle se résigna à l'évidence : elle devait quitter son douillet cocon et faire face à une nouvelle journée qui commençait.
Dans un long et profond soupir de lassitude, la jeune fille se résolut à quitter son lit douillet, si confortable et accueillant, pour se rendre dans la salle de bain, une larme solitaire perçant le coin de son œil. Les courbatures douloureuses qui tiraillaient son corps étaient le souvenir cruel des humiliations subies aux mains de Déborah et de sa clique servile la semaine précédente.
Depuis déjà deux longues années, Maëlle endurait le martyre, soumise aux caprices de certaines personnes du lycée. Malheureusement, sa timidité naturelle et son apparence d'intellectuelle ne lui accordaient ni la force ni le courage de riposter ou même de se défendre. Elle se laissait faire en se persuadant que cela toucherait bientôt à sa fin, car c'était sa dernière année de lycée. Elle s'auto-qualifiait de lâche, de poltronne, de couarde, de peureuse, de pleutre, une gamme de termes sévères pour décrire la personne qu'elle croyait être.
Elle ne s'aimait guère et n'avait aucune confiance en elle. C'était une triste réalité. Pourtant, Maëlle était ainsi, timide, refermée sur elle-même, et profondément complexée.
"Une autre magnifique journée en compagnie de mes tortionnaires préférés qui commence. Il ne faudrait surtout pas que je sois en retard," pensa-t-elle avec une pointe d'ironie, alors que l'eau de la douche coulait sur elle.
Une fois sa toilette achevée, elle enfila l'uniforme de rigueur du lycée : la chemise blanche, la cravate rouge, la veste rouge, accompagnés de la jupe assortie. Elle ajusta ses lunettes à la Harry Potter sur son nez, et accrocha son sac de cours sur son épaule. Ainsi préparée, elle se dirigea vers la cuisine pour prendre un rapide petit déjeuner avant de se rendre en cours.
Un dernier coup d'œil dans le miroir, et Maëlle se trouva à détester cette tenue, une haine mutuelle exprimée par l'image que lui renvoyait la glace.
- Bonjour chérie, fit Beckie, sa mère, en déposant un baiser sur son front. Bien dormi ?
Elle plaça devant sa fille un bol, une boîte de céréales au chocolat, et une brique de lait.
"Céréales avant le lait !!! C'est pas un débat, juste une implacable logique", Maëlle sourit à sa pensée.
- Tu as encore une bonne vingtaine de minutes avant que le bus n'arrive, lui dit Beckie. Prends ton temps.
- Merci, maman, la remercia-t-elle, puis se tourna vers Marc, son père, qui venait d'entrer dans la pièce. Bonjour Papa, ajouta-t-elle simplement.
- Bonjour Princesse, lui répondit-il en l'embrassant à son tour, avant d'embrasser son épouse.
- Horrible spectacle pour mes pauvres yeux d'enfant, fit Maëlle en grimaçant et en mimant le dégoût. Ce n'est pas que tout ça me dégoûte, mais j'ai l'estomac très fragile, plaisanta-t-elle.
Ils rirent de la réaction taquine de leur fille avant de vaquer à leurs occupations. Marc s'assit en face d'elle et commença son petit-déjeuner.
Les parents de Maëlle étaient tous deux psychologues et professeurs d'université. Il n'était pas toujours facile de leur cacher ce qu'elle ressentait. Alors elle s'était habituée à être taquine et à rire plus souvent pour qu'ils ne remarquent pas qu'elle était épuisée, tant physiquement que moralement, après chaque journée de cours.
- Ça te dirait que je te dépose au lycée aujourd'hui ? demanda son père. J'ai encore assez de temps avant d'aller à l'Université.
Aussi attentionné soit il, la proposition de son père lui avait valu de presque s'étouffer avec ses céréales. Elle eut une légère quinte de toux. Ce qui ne manqua pas de surprendre ses parents.
- Oh... euh... ne te dérange pas, je prendrai le bus, répondit-elle entre deux cuillères.
- J'insiste, fit-il. Ça fait longtemps que je ne l'ai pas fait. Et puis, c'est ta toute dernière année avec nous avant que tu ne partes pour l'Université l'année prochaine. Alors laisse-moi profiter du peu de temps qu'il nous reste.
Elle lui rendit simplement son sourire sans dire un mot. Elle ne voulait pas le contrarier en refusant sa proposition. Mais surtout, elle craignait qu'il découvre la vérité en la déposant au lycée.
Ses parents ne savaient rien de ce qu'elle subissait chaque jour à l'école. Elle avait déjà assez honte d'elle-même pour ne pas oser leur en parler. Elle n'aurait jamais le courage. Elle avait aussi et surtout peur de les décevoir. Ils lui disaient souvent que l'échec n'était pas une option. Le secret du talent, c'était l'exercice, l'entraînement. Du point de vue scolaire, elle ne les avait jamais déçus, mais être aussi faible qu'elle l'était devait être une autre forme d'échec à ses yeux.
Elle détestait l'idée de les décevoir. Elle ne voulait pas qu'ils la voient comme la perdante qu'elle était persuadée d'être. Elle aimait quand ils la regardaient avec des étoiles dans les yeux et disaient qu'ils étaient fiers de leur petite fille. Elle ne voulait pas perdre la seule chose qui lui donnait le courage de repartir chaque jour à l'école.
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- Merci papa, elle déposa un bisou sur la joue de son père avant de descendre du véhicule.
- Passe une excellente journée chérie, lui souhaita-t-il avant de démarrer la voiture.
Elle se retourna et resta immobile un instant devant l'énorme portail de l'établissement. Magnolia était un lycée d'une réputation incontestable dans le pays, un véritable privilège d'y être admis. Ses résultats exceptionnels aux examens annuels lui conféraient une solide réputation. Il réunissait les meilleurs étudiants du pays, qui brillaient dans les domaines scientifiques, techniques, sportifs, littéraires, culinaires ou autres, mais aussi les rejetons de familles fortunées qui semblaient avoir plus d'argent que de matière grise.
Eh oui, Maëlle n'avait pas que l'apparence d'une intellectuelle, c'en était une. Il y avait bien des neurones qui fonctionnaient dans sa tête. Ce n'était pas pour rien qu'elle se classait dans le top cinquante de ce lycée qui comptait plus de cinq mille élèves.
Elle chercha du regard trois filles qu'elle espérait du fond du cœur pouvoir éviter. Mais juste au moment où elle pensa que la voie était libre, parce qu'elles étaient en retard ou gravement malades, elle les aperçut devant l'entrée du bâtiment scolaire.
Déborah, la chef de la bande, était, comme d'habitude, au centre de l'attention. La belle brune aux cheveux d'ébène et aux yeux noisette captivait tous les regards, filles et garçons confondus. Sarah, grande athlète aux cheveux blonds et aux yeux bleus, se tenait adossée avec les bras croisés, ignorant délibérément le monde autour d'elle. Enfin, Manuella, la plus légère du groupe, adorait comme d'habitude être entourée de garçons qui la vénéraient.
Elles étaient célèbres dans le lycée, non pas pour leurs talents personnels, mais pour les fortunes de leurs familles. En effet, elles étaient les plus riches de l'établissement, leurs parents occupant des postes influents dans le pays. Il valait mieux ne pas se mettre en travers de leur chemin.
Maëlle jeta un coup d'œil à sa montre et constata qu'il était 07h55, cinq minutes avant que la sonnerie ne retentisse et que la porte ne se referme. Elle n'avait d'autre choix que de tenter de passer inaperçue devant elles, espérant qu'elles ne la remarqueraient pas. Elle se baissa au maximum pour se faire discrète, mais malheureusement...
- Maëlle, viens par ici ! La hêla Déborah qui l'avait repérée. Tu ne nous dis pas bonjour ?
Elle avala difficilement sa salive et se tourna vers son interlocutrice, baissant la tête pour répondre d'une voix à peine audible :
- B... bo... bonjour, murmura-t-elle, le cœur battant.
- B... bo... bonjour, répéta Manuella en se moquant. Mdr, tu me fais trop pitié.
- Tiens ! Lança Sarah en lui jetant son sac à dos en plein visage. Sois un gentil porte-bagages et prends nos sacs. Ils commençaient à nous peser.
Quelques élèves alentour rirent de la situation, tandis que d'autres la toisèrent avec un profond dégoût. Comme d'habitude, elle n'opposa aucune résistance et s'exécuta. Elle se plaça sur le côté avec leurs sacs, attendant que la sonnerie retentisse, ce qui, à son goût, prenait tout son temps, avant de pouvoir partir, si elles le voulaient bien.
Soudain, le bruit d'une moto se fit entendre devant le grand portail. Tous les élèves présents tournèrent leurs regards dans cette direction, stupéfaits de voir l'engin pénétrer et se garer dans le parking de l'établissement. La conductrice, car c'était une jeune fille, descendit de sa moto et prit son sac.
- Elle porte l'uniforme du lycée ! S'exclama un des élèves.
- Qui est-ce ? Demanda un autre.
La fille ôta son casque, et touts les étudiants poussèrent un petit cris de surprise. Elle était très belle. Elle s'approcha d'une démarche nonchalante mais gracieuse à la fois en ignorant tout autour d'elle. Arrivé au niveau de Maëlle, elle s'arrêta net. Elle la dévisagea de haut en bas. Aïe. Le cœur de la rousse rata un battement, ou peut-être cent. Elle était encore plus belle mais surtout plus intimidante de près.
La peau basanée, les cheveux touffus et bouclés retenus par un serre-tête tout aussi noir que ces derniers, elle avait de beaux petits yeux légèrement étirés aux iris d'un beau marron clair, un tout petit nez et une toute petite bouche aux lèvres pulpeuses dont l'inférieure d'un rose comme on en a jamais vu sur des lèvres. Avec tous ses détails sur son visage un peu long et ses joues légèrement rebondies lui donnait un air drôlement mignon. Elle ressemblait à une poupée de porcelaine version noire.
Sa petite voix sortit Maëlle et peut-être bien d'autres brusquement de leurs pensées.
- Hey, Déborah. Fit elle en dirigeant son regard vers cette dernière. Comme on se retrouve. Un sourire étirait légèrement ses lèvres à cette instant.
- Q...qu... qu'est-ce que tu fais ici ? Demanda Déborah en bégayant un peu les yeux écarquillés de surprise.
- Quelle question. Tu ne vois pas ma tenue ? Elle dressait un sourcil. Je me suis inscrite la semaine dernière.
- Impossible. Déborah semblait paniquée.
- Oh que si. Retoqua la nouvelle élève. Je crois même que nous sommes dans la même classe. Euh... attends que je m'en rappelle. Elle fit mine de réfléchir. Ah oui, la Terminale A-2. C'est bien ça ?
Déborah ne répondait plus. Comme tous, elle semblait sous le choc. C'était assez inhabituel de voir quelqu'un comme elle, toujours prônant le self-control, dans un état de panique aussi manifeste.
La nouvelle fixa de nouveau Maëlle, ce qui la fit sursauter. Du haut de son mètre soixante-sept, elle ne pouvait que lever la tête pour la regarder. Normalement, sa timidité l'aurait incitée à baisser immédiatement les yeux devant cette inconnue, mais cette fois-ci était différente. Le regard de la nouvelle était si perçant, profond et effrayant qu'il en devenait hypnotique. Elle dégageait une aura intrigante.
Tous les regards étaient rivés sur elle. Il n'était pas étonnant que quelques garçons soient totalement subjugués. Elle était, il fallait le reconnaître, particulièrement séduisante.
Elle adressa un sourire à Maëlle, puis franchit la grande porte pour pénétrer à l'intérieur du bâtiment. Maëlle ne la quitta des yeux que lorsque la nouvelle disparut complètement de son champ de vision.
Les retentissements de la sonnerie sortirent brusquement Maëlle et le reste des élèves présents de leurs rêveries.
"Génial !" pensa Maëlle, épuisée par le poids de ses fardeaux.
- Yo, la morpionne ! L'apostropha Sarah. Ramène ta carcasse, tu crois qu'on va t'attendre !?
"La journée commence bien", pensa-t-elle avec amertume.
- Désolée, dit-elle faiblement en avançant péniblement sous le poids qu'elle portait. J'arrive.
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