𝐂𝐡𝐚𝐩𝐢𝐭𝐫𝐞 𝐯𝐢𝐧𝐠𝐭-𝐡𝐮𝐢𝐭
« Prête moi ta voix »
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tw; imagerie choquante/gore (je ne sais pas trop définir ce chapitre mais je préfère mettre un avertissement, sait-on jamais)
Beomgyu fixait le paysage qui défilait sous ses yeux, le regard brillant. La tête collée contre la vitre de sa voiture, il ne quittait plus ce sourire immense depuis qu'ils avaient quitté les auditions. À l'avant, ses parents n'en revenaient pas : c'était un rêve qui se concrétisait. Un rêve d'enfant, longtemps fantasmé. Beomgyu aimait lire, Beomgyu aimait jouer au foot, Beomgyu aimait des tas de choses, mais Beomgyu aimait par-dessus tout chanter. Ses parents l'avaient toujours encouragé, refusant d'être de ces parents qui brisent les rêves de leurs enfants. Et quand il avait été repéré, il y a trois mois, ils avaient sauté sur l'occasion. Leur fils passerait les auditions dans l'agence qui s'était approchée de lui. Et Beomgyu avait rêvé encore plus grand. On lui voyait un avenir radieux, un potentiel énorme à exploiter. Il apprendrait à danser plus tard, sa voix elle, était un atout hors norme. Le rêve de Beomgyu était devenu celui de ses parents.
– Alors Beomgyu ? Comment tu te sens mon chéri ?
– C'était génial !
Sa mère qui s'était retournée pour lui parler se retourna vers son père, qui avait le regard rivé sur la route.
– Tu crois que je vais être sélectionné ?
– Il n'y a pas de doutes là-dessus !
Il s'agita sur son siège, un sourire immense sur le visage. Il avait fait une forte impression au jury, et il le savait. Douze ans, c'était jeune pour tenter quoi que ce soit, mais personne n'avait relevé son âge comme un souci : il était une star née, et le jury avait été conquis.
– Chéri, tu veux que l'on s'arrête pour faire une pause ? Il nous reste encore deux bonnes heures de route.
– Ça ira, ne t'en fais pas.
Beomgyu tendit le bras pour tapoter l'épaule de son père, aux anges.
– Quand je serais grand, je vous ferais une chanson à maman et toi.
– Oh, mon grand, tu as tout ton temps pour ça, rigola-t-il.
Beomgyu se renfrogna un peu, mais sans quitter son sourire immense. Il attrapa sa console portable et l'alluma. Dehors la pluie se mit à tomber, et Beomgyu se fit la réflexion que le vent soufflait de plus en plus fort. Il s'enferma dans sa petite bulle, et chantonna cette chanson qu'il aimait tant, tout en commençant une nouvelle partie de son jeu favori.
– Ralentit chéri, la route devient compliquée...
Leur voiture se mit à ralentir, et quand Beomgyu leva les yeux, ce fut pour constater le brouillard épais qui s'était installé.
– Oh, trop génial ! s'exclama-t-il.
Il laissa tomber sa console pour coller son nez à la vitre, fasciné. Dehors, la météo avait quelque chose d'irréaliste.
– On est dans des bois magiques !
Sa mère pouffa, imitée par son père : Beomgyu avait gardé son âme d'enfant. À douze ans, il était encore de ceux qui rêvassaient de mondes imaginaires. Il s'extasiait devant la beauté des choses simples, et avait le don de transformer chaque situation délicate en un instant féerique.
– Ce sont des phares au loin ?
– Il doit y avoir des bouchons, répondit son père.
– Oh, non !
– Ce n'est pas grave Beomgyu, ils vont vite rouler !
– Je n'ai pas l'impression que ce soit des bouchons chéri, les phares se rapprochent.
– Qu'est-ce qu'il fout celui-là, grommela son père.
Beomgyu tordit son cou pour regarder entre les deux sièges avant et plissa les yeux. Son père avait encore ralenti, anxieux.
– Bordel... Il...
– Chéri !
La dernière chose que Beomgyu aperçut avant que sa voiture ne soit percutée de plein fouet fut le visage de cet homme en face de lui, dans cet énorme camion. Sa mère hurla et, dans un ultime espoir de les sortir de là, son père donna un coup de volant brutal.
Un bruit fracassant se fit entendre et soudain, plus rien. L'espace d'un instant, Beomgyu eut l'impression que le temps venait de se figer. Leur voiture sembla voler dans les airs, avant de retomber lourdement sur le côté, et de rouler. Il hurla à s'en arracher les cordes vocales. La voiture retomba et, en équilibre précaire sur le bord de la route, menaça de plonger totalement dans le fossé qui bordait le bitume. Quand enfin elle sembla se stabiliser, Beomgyu rouvrit les yeux, paniqué. Son cœur battait à cent à l'heure, et il eut bien l'impression que ce dernier menaçait de s'arrêter à chaque instant.
– Ne regarde pas derrière toi mon chéri, regarde maman.
Beomgyu avait les lèvres scellées, paralysé.
– C'est ça, regarde maman, tout va bien, d'accord ?
Il opina doucement de la tête, comme si le moindre mouvement brusque pouvait tout faire chavirer.
– Papa va sortir doucement son téléphone et appeler les pompiers. Toi, tu me regardes. Tu ne me quittes pas des yeux mon bébé. D'accord ?
– O-oui...
– Bien, c'est bien.
Le camion, lui, avait fini sa route un peu plus loin. Et il n'y avait plus un signe du conducteur. Le brouillard, mêlé aux fumées du véhicule accidenté un peu plus loin pénétrait lentement dans leur véhicule, par la vitre arrière brisée par l'accident.
– M-maman j-je...
Son père extirpa avec lenteur son téléphone portable et composa le numéro des pompiers. Sa mère avait lentement posé son bras sur son avant-bras, sans quitter Beomgyu des yeux.
– Ne pleure pas mon bébé, chante-nous quelque chose, d'accord ?
– J-je p-peux p-pas...
– Ce n'est pas grave, reste avec maman, d'accord ?
La voiture tangua un peu et il ferma les yeux, laissant échapper un gémissement aigu.
– Donne ta main à maman Beomgyu.
Elle tendit sûrement son bras et, les lèvres tremblantes, Beomgyu leva la sienne. À nouveau, la voiture tangua.
– C'est le vent mon chéri, c'est le vent...
Une larme puis deux, puis un torrent se mirent à dévaler sur son visage poupon.
– Maman ne veut pas te voir pleurer, mon bébé, s'il te plaît... Les pompiers vont arriver. Tu vas rester fort jusque-là ?
– O-oui.
– Et quand on rentrera, je t'achèterais un CD de ce jeune groupe que tu aimes tant, mmmh ?
À ce moment précis, Beomgyu releva les yeux, un sourire aux lèvres. Il effleura une dernière fois son rêve du doigt. Et la voiture bascula.
Sa tête lui tournait atrocement. La première chose que Beomgyu percuta, fut qu'il était bel et bien en vie. La seconde, qu'il était à nouveau seul sur l'île. Et son pouls s'emballa tandis qu'il relevait la tête pour jeter des regards apeurés un peu partout autour de lui. Où était la chose qui l'avait amené jusqu'ici ? Il se releva, épousseta sa salopette autrefois blanche, et fronça le nez, les yeux plissés. Ses mains se portèrent aussitôt à la poche avant de son habit, et il lâcha un soupir de soulagement en se rendant compte que les précieux mots étaient toujours là.
Il n'y avait nulle trace de son monstre dans les parages. Mais ses chevilles, elles, ne l'avaient pas oublié. Elles étaient cerclées de rouge, comme si quelqu'un – quelque chose – les avait enserrées très fort, jusqu'au sang. Elles lui faisaient mal, engourdissant ainsi le bas de ses jambes et le haut de ses pieds.
Taehyun.
Il avait perdu Taehyun. Taehyun qui s'était jeté sur lui, pensant pouvoir le sauver. Pour la première fois depuis longtemps, il avait été incapable de traduire le regard qu'il lui avait lancé. Les larmes dégringolèrent à nouveau sur ses joues, quand il pensa qu'il devait très certainement le croire mort, à l'heure actuelle. Il avait échoué. Il avait échoué à les conduire en sécurité, là où l'enfant lui avait promis que tout irait bien. Pardon, pardon les garçons, j'ai vraiment été un boulet jusqu'au bout pour tout le monde. Soudain, quelque chose craqua derrière lui. Il se raidit, et prit une profonde inspiration, le souffle court. Il se retourna, aussi lentement que possible, essayant de refréner les tremblements de son corps. Il y avait de nouveau cette drôle d'odeur dans l'air, que Beomgyu avait en horreur.
Beomgyu recula d'un pas, effrayé. Le buisson devant lui continuait de frémir, comme s'il s'apprêtait à dévoiler le plus grand monstre de son enfance. L'air s'était soudain alourdi et il sentit ses mains picoter puis ses jambes trembler. Sa vue se brouilla à nouveau de larmes, et quand les feuilles s'écartèrent une à une pour laisser entrevoir la chose qui se cachait derrière, sa gorge se noua. Il trébucha, tomba en arrière, et une flopée de gémissements plaintifs s'échappèrent de sa bouche.
Ferme les yeux. Ferme les yeux. Tout est dans ta tête. Ta tête Beomgyu... dans ta... stupide... tête...
Mais ses yeux ne parvenaient pas à se fermer; il détaillait avec horreur le monstre qui sortait lentement de l'ombre. Il aurait voulu hurler, si cela lui avait été possible.
– Je n'ai jamais vu de pareils miraculés.
C'était la phrase qu'il lui avait semblé entendre en boucle ces dernières heures. Ou jours. Beomgyu ne savait pas, ne savait plus. Il y avait sans cesse de l'agitation autour de lui, et son esprit était confus.
– La voiture a fait plusieurs tonneaux, et... Vous avez vu son état après le choc dans cet arbre ?
– Une horreur absolue, c'est un miracle que les deux parents s'en soient tirés indemnes.
– Un poignet foulé et une coupure au bras, c'est un miracle oui.
Les deux parents ? Beomgyu voulait ouvrir les yeux. Il voulait à tout prix voir ce qui se tramait autour de lui. Comprendre pourquoi il se sentait aussi ankylosé. Pourquoi ses membres lui semblaient aussi lourds ? Sa tête semblait sur le point d'exploser elle aussi. Ses petits sourcils se froncèrent, quelque chose tira sur son crâne. Un bandage ? Autour de lui, l'agitation reprit de plus belle.
– Il se réveille. Allez chercher le médecin !
Médecin.
L'accident.
La voiture.
Les odeurs, c'étaient des odeurs d'hôpital. Il n'avait jamais trop aimé les odeurs d'hôpital.
Il lui sembla se battre contre son propre corps pendant des heures avant que ses yeux n'acceptent de s'ouvrir à nouveau. Et quand il papillonna des paupières, ce fut pour découvrir une équipe en blouse blanche au grand complet alignée devant lui.
– Il est réveillé !
Nerveusement, il racla sa gorge. Quelque chose n'allait pas. Mais Beomgyu était incapable de mettre le doigt dessus. Un homme immense s'approcha de son lit, et tira une chaise pour s'asseoir à ses côtés. Il baissa son masque, le visage concerné, et posa une grande main sur son avant-bras. Beomgyu se fit la réflexion que ses doigts étaient étrangement grands. Et puis il releva les yeux, et quelque chose dans le regard de cet homme le remplit d'effroi. Il y avait un air malsain qui dansait au fond de ses prunelles.
Ou bien, c'était lui qui inventait tout. Un enfant encore sous le choc qui s'imaginait les pires horreurs.
L'homme esquissa un sourire immense, dévoilant une rangée de dents très grandes. Et les yeux de Beomgyu cherchèrent à le fuir à tout prix.
– Calme-toi mon garçon, tu es en état de choc.
Par réflexe, il chercha à se dégager quand l'homme au visage si singulier pressa un peu plus son bras.
– Tu es en sécurité maintenant, mmmh ? Nous allons bien nous occuper de toi. Je vais bien m'occuper de toi.
L'homme en blouse blanche lui semblait immense, et il se souvint que, quelques secondes plus tôt, il était tombé à terre.
Ce n'est pas un vrai... être humain...
Mais il avait beau se répéter que rien de tout cela n'était vrai, la chose devant lui continuait d'avancer. Il ne peut pas être ici, ce n'est pas lui, c'est autre chose, c'est ton imagination, il n'existe pas. Pourtant, il souriait, avec cette bouche fondue, difforme et tordue qui tombait dans un coin de son visage. La chose dévoilait une rangée de dents impeccables, mais trop grandes, qui le rendait mal à l'aise. Quelque chose n'allait pas avec ce corps. Il voulait fermer les yeux, s'ôter cette image immonde de la rétine, oublier les grandes mains molles qui pendouillaient au bout de ses bras, qui semblaient incapables de tenir le moindre objet. Et puis la chose se massa devant lui, et s'agenouilla. Avec horreur il la vit fouiller dans ses grandes poches, pliant ses doigts, ses poignets, craquant ses os et bafouillant quelque chose de parfaitement inaudible.
L'odeur infecte de chambre d'hôpital lui envahit les narines. Beomgyu recula du mieux qu'il put, et en face de lui, l'homme en blouse blanche esquissa un sourire encore plus grand. Puis son cou se tordit légèrement et soudain, il l'entendit. Cette voix rauque, gutturale, qui semblait vomir les mots un à un. Comme s'il lui manquait quelque chose, dans ce semblant de gorge ridée, qui l'empêchait de parler à sa guise. Le tout résonnait dans la forêt, tout autour d'eux. Une main s'approcha de son visage et Beomgyu se pétrifia quand les longs doigts noueux se posèrent sur sa joue. Elle ouvrit de nouveau la bouche, le son résonna à nouveau. Puis, elle parla.
– C'est ce que tu veux... Beomgyu... ?
Son prénom dans sa bouche sonnait comme une provocation. L'autre main, jusqu'alors dans sa poche, s'éleva lentement et ce fut là qu'il les vit. Ce tas de chair infâme, blanchâtre. Il blêmit immédiatement, incapable désormais d'esquisser le moindre geste.
– Tu veux parler... Beomgyu... ?
Alors il réalisa. Il réalisa avec horreur ce que cette chose tenait entre ses doigts et ses yeux furent incapables de se détacher de ce petit bout d'organe rougi, sanguinolant. Elle l'approcha de son visage, Beomgyu essaya de reculer, mais la main sur sa joue continua sa route bien plus bas, jusqu'à sa gorge, et l'immobilisa.
Non, non... non !!
– C'est... un cadeau... Beomgyu....
Tout ce qu'il avait dans l'estomac remonta. Il avait envie de vomir, et la créature ne cessait d'approcher son cadeau de son visage. Un son plaintif lui échappa, les larmes dégringolèrent. Son corps tout entier était incapable de lui répondre. Ses lèvres restaient scellées, incapables de s'ouvrir à mesure que la chose rapprochait son butin. Le petit tas de chair était devant ses lèvres, puis sur sa joue.
– Mange...
Il voulait en finir. Maintenant. Il voulait disparaître pour de bon de cette île, mourir ici. Beomgyu voulait tout abandonner, s'excuser mille fois envers ses amis : il n'avait pas réussi à garder la tête haute. Il pleurait, gémissait sans ouvrir les lèvres, et sentait son corps trembler de toute part. La créature s'était penchée au-dessus de lui, son genou calleux sur l'un des siens et deux grands doigts tordus se posèrent alors sur ses lèvres.
– Si tu veux parler.... Beomgyu...
La chose écartait ses lèvres sans aucune douceur et il puisa tout l'air qu'il avait dans ses poumons pour protester comme il le pouvait. Le corps paralysé, les jambes raides et les joues inondées de larmes, il sentait cette chose visqueuse se faufiler dans sa bouche et ses yeux s'agrandirent d'effroi. Son envie de vomir le reprit soudainement, mais il en fut tout bonnement incapable. Ses muscles abdominaux se contractèrent de plus en plus vite, mais le reste de son organisme fut incapable de réagir.
Il perdait le contrôle. Son corps tout entier tressauta, il essaya de se débattre, puisant dans ses dernières réserves. Il eut l'impression que le temps se figea soudainement autour d'eux. Il était seul, avec ce médecin qui par le passé l'avait tant fait cauchemarder. Il était seul, sans ses amis, sans Taehyun. Il n'entendait plus les bruits de la forêt, le vent. Il ne sentait plus que lui.
Il le sentait dans sa cavité buccale, puis dans sa gorge, la bouche écartelée par son avant-bras tout entier, et Beomgyu cessa de bouger complètement. Il le percevait dans son corps tout entier, dans sa gorge, dans ses entrailles, partout. Et il continuait de s'enfoncer, encore et encore. Son corps avait doublé, puis triplé de volume jusqu'à le dominer totalement. Son sourire était devenu encore plus large, encore plus menaçant. Avec horreur il distingua ses pupilles grossir à mesure qu'il descendait dans sa trachée. Soudain, il réalisa que ses pieds ne touchaient plus le sol. Le bout de ses baskets l'effleurait seulement. Les bras ballants le long du corps, paralysé entièrement par la créature qui s'immisçait lui, Beomgyu ferma les yeux, souhaitant plus que tout que sa vie s'achève.
Beomgyu s'agita légèrement dans le lit, et le médecin lui tapota le bras avec douceur. Il voulait voir ses parents. Il ne voulait pas le voir lui, avec ses yeux intimidants et sa bouche bizarre. Il voulait ses parents à tout prix. Seulement, pour une raison qu'il ne comprenait pas, sa bouche restait scellée.
– Beomgyu, il faut que tu restes calme. Tu as pris un gros coup à la tête, et ton bras est blessé lui aussi.
Ce fut là seulement qu'il remarqua le plâtre sur son bras. Il se figea, et leva sa main de libre pour effleurer le plâtre. Ses yeux s'humidifièrent immédiatement et le médecin reprit la parole. Il détestait sa voix, elle n'était pas sincère.
– Nous allons chercher tes parents, d'accord bonhomme ? ajouta une jeune femme.
Il opina du chef, laissant rouler quelques larmes sur ses joues rondes.
– Allons, allons, ne pleure pas Beomgyu...
Il voulut l'esquiver, mais l'homme lui attrapa le visage avant de l'essuyer lentement. Lâchez-moi avait-il envie de hurler, mais les mots ne sortaient pas. Ses lèvres restaient scellées. Le temps sembla s'étirer à l'infini avant que ses parents ne franchissent enfin le pas de la porte, catastrophés. Il se redressa d'un seul coup dans son lit.
– Beomgyu mon bébé !
Maman !
Mais aucun mot n'était sorti. Juste un gémissement aigu, plaintif, qui lui déchira la gorge. Elle se jeta dans ses bras, aussitôt imitée par son père qui poussa l'affreux médecin aux grandes dents.
– Oh mon dieu mon chéri, nous avons eu si peur que tu ne te réveilles jamais !
Sa mère avait fondu en larme, embrassant son visage sans s'arrêter. Beomgyu ouvrit la bouche à nouveau, mais une seconde fois, quelque chose l'empêcha de parler. Il eut l'impression désagréable qu'on avait bouché ses cordes vocales. Il les regarda sans comprendre, et ce fut le médecin qui prit la parole.
– Je vous disais hier que Beomgyu garderait quelques séquelles de son accident. Nous avions besoin de le voir réveillé pour constater l'étendue des dégâts.
Beomgyu balaya la pièce du regard, s'arrêtant sur chaque personne présente dans cette dernière. Sa tête avait recommencé à lui tourner, et l'homme en blouse lui appuya sur le torse pour qu'il se rallonge.
– Allons mon grand, allonge-toi.
Les yeux brillants il supplia sa mère de ne pas lui lâcher sa main valide.
– Pouvons-nous parler dans mon bureau ?
Sa main serra un peu plus fort celle de sa mère.
– Je voudrais rester auprès de mon fils, cela le concerne également, lâcha sa mère.
– Bien sûr, je comprends. Vous conviendrez que Beomgyu devra rester parmi nous encore quelques jours, pour que nous puissions faire quelques examens supplémentaires, et poser un diagnostic complet ?
– Évidemment.
Son père avait la voix grave, défaite. Et Beomgyu leva vers lui des yeux tristes.
– Pour son bras, ce n'est rien de grave, il devra garder le plâtre trois semaines. Il y a d'autres blessures minimes, quelques cicatrices qu'il gardera très certainement sur les mains.
Il baissa le regard sur sa main visible et sentit les larmes lui monter aux yeux. Une boule se forma dans sa gorge, tandis que d'une oreille distraite, il écoutait l'homme poursuivre son monologue. Il ferma les yeux un instant, juste assez longtemps pour que des images terribles lui reviennent à l'esprit, et il hoqueta, dans l'indifférence générale : ses parents étaient suspendus aux lèvres du médecin.
Il ressentait à nouveau le choc à l'arrière de son crâne. La chute de la voiture. La branche qui avait traversé le pare-brise et l'avait évité de peu. Le deuxième choc. Puis une série de petits contrecoups pendant lesquels la voiture s'était immobilisée dans le ravin, ayant entraîné avec elle de nombreux branchages épais. Elle avait fini sa course encastrée dans un arbre, et à ce moment-là, Beomgyu avait senti un goût de sang lui emplir la bouche. Ses oreilles s'étaient mises à bourdonner très fort, et il avait perdu connaissance.
– ... Mais chanter serait de nouveau possible pour votre fils.
Il se redressa dans son lit, et entrouvrit la bouche.
– Il ne va pas rester comme ça, n'est-ce pas ?
– Tout dépend de ce que les analyses donneront ! Ne perdez pas espoir, des rééducations existent.
Des rééducations ? À nouveau il voulut répondre, mais un gargouillis lui échappa, accompagné d'un drôle de couinement.
– N'essaie pas de parler mon ange.
– Il doit passer la suite de ses auditions. Notre fils doit pouvoir parler à nouveau.
– C'est très important pour lui. Pour nous.
– Son avenir en dépend.
Et Beomgyu avait cessé d'écouter à cet instant précis. Sa bouche continua de s'ouvrir, et de se fermer, sans qu'aucun son en sorte. Parler à nouveau. Lentement, mais sûrement, il comprit. Il en était désormais incapable.
Plongé dans le noir complet, Beomgyu se demanda s'il était encore en vie. Il se sentait étrangement en sécurité, là où il se trouvait. Il sentait de nouveau les arbres et l'herbe de la forêt, et le vent lui caresser les mollets et les cheveux. Il sentait son corps dans son intégralité, mais étrangement froid. Il avait froid. Cette conclusion le frappa de plein fouet. Il se sentait glacé de l'intérieur, comme après avoir avalé beaucoup trop de glaces devant l'un de ses dramas favoris. À ce souvenir, il sentit son corps tressaillir légèrement et ses yeux s'humidifier. Il craignait d'ouvrir ses paupières closes, et de se découvrir à nouveau dans ce lieu qui le tétanisait.
Ou bien, il était mort, et enfin en paix.
Beomgyu tripotait ses doigts, anxieux. Aujourd'hui, il retournait chez lui. Tremblant, il salua cet homme dont le visage carnassier lui donnait des sueurs froides. Il le regarda craquer ses doigts, comme à chacune de leurs séances, et détourna le regard, proprement dégoûté.
– C'est hors de prix, lâcha son père.
– Nous n'avons pas les moyens, nous mettons déjà tellement dans nos traitements, le soin de son bras...
Beomgyu pleurait. Il n'avait pas cherché à se retenir une seule fois devant eux. Mais aucun des trois adultes ne lui accorda une réelle importance.
– Et vous nous dites qu'en plus de cela, tous ces traitements, toutes ces choses... Ne sont d'aucune garantie pour qu'il puisse à nouveau parler ?
– Soyons honnêtes monsieur et madame Choi, quand bien même votre fils retrouverait sa voix, plus rien ne sera de nouveau pareil. Il ne chantera pas comme un ange.
Il renifla, et son père lui tapota le dos, dans un ultime geste de consolation.
– Alors à quoi bon ? Nous n'allons certainement pas tenter quelque chose d'aussi coûteux.
– Sa voix ne reviendra pas comme par miracle, expliqua l'homme en blouse blanche. Il devra apprendre une nouvelle langue, vous allez devoir vous adapter, sans doute l'envoyer dans une école spécialisée, bien qu'elles soient extrêmement rares dans notre pays.
Sa mère étouffa un hoquet et baissa les yeux sur sa tignasse brune. Beomgyu n'aima pas le regard qu'il venait de voir. C'était celui d'une mère qui faisait le deuil d'un enfant qu'elle n'avait pourtant pas perdu.
– Mais vous nous dites que la démarche est incertaine, très coûteuse...
– Je m'occuperais personnellement de lui. Je veillerais à ce que tout se passe au mieux.
Il refusait. Il ne voulait pas de cet homme dans sa vie quotidienne.
– Ma collègue peut estimer avec vous les coûts.
Il se retourna vers la femme debout à côté de lui qui, depuis le départ, ne disait pas un mot.
– Je vais m'entretenir avec votre fils, à part, j'ai besoin de connaître son opinion sans qu'il ne se laisse influencer par vous.
Avec désarroi, il regarda ses parents quitter la salle avec la femme.
– Alors Beomgyu.
Il lui déposa une feuille et un crayon.
– Tu sais ce que j'en pense ?
Il secoua la tête.
– Regarde-moi.
Il releva les yeux, et à contrecœur, posa sa rétine sur le visage de l'homme en face de lui.
– Je pense que tes parents ne feront jamais les démarches. Tu n'es pas le premier que je vois défiler ici, ah ah. Tu sais pourquoi ? Parce qu'au fond, il n'y a plus aucun espoir pour que tu retrouves ta jolie voix.
Il baissa les yeux, mais l'homme en face de lui leva la main pour attraper la sienne.
– Allons, allons, ne pleure pas. Une procédure comme la tienne coûterait si cher pour eux, mais surtout pour nous, médecins. Il faut que tu comprennes Beomgyu.
Non, il ne comprenait pas. Cet homme devait le soigner. C'était ce qu'on lui avait appris depuis sa plus tendre enfance. Les médecins soignaient les gens.
– Mais toi et moi, allons être amenés à nous revoir.
Son pouce caressa le revers de sa main, et Beomgyu se dégagea d'un geste vif.
– Il faudra être plus gentil que ça.
Il craqua. Beomgyu renifla, et inonda son visage de larmes. Il voulut se lever, mais, plus rapide que lui, l'homme en blouse blanche contourna son bureau pour s'agenouiller devant lui. Il attrapa son menton avec ses grands doigts fins, et esquissa un drôle de sourire tordu. Il voulait lui donner un coup de pied et s'enfuir d'ici, mais l'aura qu'il dégageait le retenait sur place. Il sentit à peine une main se poser sur son genou, et il se pencha vers lui, les yeux brillants.
– Ce n'était qu'un rêve de gosse Beomgyu. Tu en trouveras un autre, comme tous les adultes de ce monde.
Quand il rentra chez lui, ce soir-là, son père alluma sa première cigarette, la première d'une longue lignée. Sa mère lui lança un regard vide, plein de compassion. Dans un excès de rage et de colère, Beomgyu planqua tous les films et extraits vidéos où il se trouvait. Il planqua ses vidéos d'audition dans une boite sous son lit qu'il cadenassa avant de jeter la clef depuis le toit de son immeuble. Il s'énerva, se força à hurler ce qu'il pouvait encore hurler. Ce fut la dernière fois que ses parents se jetèrent sur lui pour l'arrêt, en pleine crise de colère. Quand la pression retomba, Beomgyu comprit que plus rien ne serait comme avant.
Ce n'est qu'un rêve de gosse, Beomgyu.
Et son rêve, cet homme venait de le piétiner. Il l'enferma dans une boite, au fin fond de son esprit, pour ne plus jamais y penser. Désormais, il resterait scellé, et secret.
Un nouveau coup de vent frais lui glaça le corps, mais cette fois-ci, Beomgyu se redressa immédiatement, tous ses sens en alerte. Assis, les yeux grands ouverts, il regardait partout autour de lui, complètement affolé. Il baissa les yeux sur ses mains, recouvertes de terre après avoir été traînées au sol. Il était sale. Ses genoux étaient écorchés, il saignait sur l'une de ses jambes et ses chevilles étaient toujours aussi rougies. Une tache plus sombre entre ses jambes le fit tiquer et il plaqua une main sur sa bouche, complètement affolé. Il n'avait aucun souvenir de s'être laissé aller, mais sans doute la peur lui avait-elle fait perdre le contrôle total de son corps. Il se trouva d'abord répugnant avant de soudainement se souvenir des dernières images qui précédaient son évanouissement. Il se releva, complètement en alerte, et s'écroula immédiatement de tout son long, incapable de tenir debout.
Face contre terre, il souffla, et sentit des larmes de frustration poindre. Un drôle de bruit s'échappa de sa bouche, mais Beomgyu ne le percuta pas immédiatement.
Il faut que je les retrouve.
Il faut que je le retrouve. Où est-il passé ?
Il releva la tête, jetant des regards inquiets autour de lui. Où était le monstre ? Que lui avait-il fait ? Et pourquoi ses souvenirs refusaient de se remettre en ordre ? Il le revoyait devant lui, s'avancer lentement, avec son sourire ignoble.
Beomgyu lâcha un rire.
Pour être ignoble, il l'était. Il se souvenait avec précision de la sensation de ses doigts immenses autour de lui. De sa bouche écartée par sa main tout entière. Il toussota, secoué par ce souvenir troublant. Il était forcément mort. Cela ne pouvait être que ça. Cette chose lui avait fait quelque chose. Il y avait quelque chose de différent chez lui. Moins de peur. Beaucoup de froid. Et une sensation étrange dans le fond de sa gorge. Son ventre se contracta, au souvenir d'une chose visqueuse coincé entre ses lèvres.
Beomgyu rigola à nouveau.
Tout va bien, regarde autour de toi. Il est parti.
Il se releva, cette fois-ci beaucoup plus assuré. Il avait une allure effroyable, mais personne n'était là pour le constater. Il soupira, passa une main dans ses cheveux, ignorant le mal qui lui torturait les entrailles. Il craqua ses doigts, se faisant la réflexion que ce geste ne lui ressemblait pas. Taehyun avait toujours eu en horreur ce genre de son, se souvint-il tout à coup. Il ouvrit de grands yeux, réalisant soudain qu'il s'était éloigné pour quelque chose. Il devait les retrouver. Avant que la chose leur mette la main dessus.
Un rire rauque lui échappa, et cette fois-ci, Beomgyu tiqua. Il n'avait jamais ri de cette manière. Parce qu'il en était incapable. Il plaqua une main sur sa bouche, choqué par le son qui venait d'en sortir.
Alors je suis vraiment mort, hein ? Si je peux le faire, c'est forcément que je le suis.
Le visage de Taehyun se matérialisa dans son esprit et Beomgyu ouvrit la bouche. S'il avait ri, alors, peut-être que... Il se souvenait des après-midi entières que Taehyun avait essayé de lui consacrer. Il en avait été persuadé à l'époque, qu'il pouvait réaliser ce que tous les médecins auraient pu faire, dû faire pour lui, mais avec des années de retard, et aucune expérience. Il se revoyait tenter d'articuler des sons, des mots, en vain. Il avait tenté en boucle de prononcer le prénom de son meilleur ami, sans jamais y parvenir totalement. Il avait consolé Taehyun ; rien n'était de sa faute, il n'avait pas été pris en charge assez tôt.
Tu dois essayer. Dis quelque chose, juste pour t'en assurer. Si tu peux, c'est que tu es très certainement mort, car une chose pareille est impossible.
L'exercice aurait dû être ardu. Pourtant, il ne fut pas le moins du monde. Il n'y avait pas grand-chose qui lui venait à l'esprit en cet instant, juste un prénom qu'il chérissait et qui tournait en boucle dans sa tête. Et ce fut lui qu'il prononça avec une facilité déconcertante. Comme si sa voix ne s'était jamais envolée.
Sa mère le regarda d'un air las, puis triste. Maladroitement, dans la nouvelle langue qu'il apprenait depuis deux semaines, Beomgyu demanda où se trouvait son père.
– Je comprends rien mon bébé, attrape une feuille et écrit.
Il s'exécuta sans rechigner, et lui reposa sa question, à l'écrit cette fois-ci.
– Oh, il est parti voir le médecin.
Beomgyu pencha légèrement la tête sur le côté. Avaient-ils entendu ses prières ? Il refusait de retourner le voir lui. Il voulait sa collègue, femme douce au visage gentil qui était toujours collée à ses basques. Voyant que son fils attendait la suite, sa mère soupira et écrasa sa cigarette dans son cendrier.
– On arrête là tes sessions.
Beomgyu ouvrit de grands yeux.
– Tu apprends très bien la langue des signes, et ton père et moi allons nous y mettre.
Beomgyu agita les mains, paniqué. Non, ils ne pouvaient pas lui arracher ses maigres chances de pouvoir parler à nouveau.
– Il faut que tu comprennes mon bébé : tout ça coûte atrocement cher. Nous n'étions déjà pas bien riches, mais là... L'assurance nous a versé à peine de quoi repayer une voiture.
Et Beomgyu savait quel modèle, ses parents s'étaient fait plaisir.
– Et il n'y a pas d'espoir, de toute façon.
D'un air morne, elle se retourna vers la télévision qu'elle alluma. Frustré, en colère, Beomgyu tapa du poing sur le canapé sur lequel elle était assise.
– Pas de ça Beomgyu !
Il entrouvrit la bouche, et un gémissement plaintif s'en échappa. Aussitôt, elle se boucha les oreilles, offusquée.
– Arrête ça mon bébé ! Tu ne vois pas à quel point maman est ravagée de te voir comme ça ?
Elle s'était levée, pour lui attraper le visage en coupe. Beomgyu ne sut pas trop si elle était en colère, ou sur le point de s'effondrer.
– Ton père et moi, nous comptions sur toi. Tu devais nous aider. Tu avais un don Beomgyu, et tu l'as perdu. Nous avons tout perdu. Tu ne comprends pas ma peine en te voyant gémir comme ça ? Alors arrête. Arrête d'être en colère.
Pourtant, il l'était. La colère grouillait en lui, menaçant d'imploser à n'importe quel instant. Sa mère lui tapota la tête, et Beomgyu se demanda pourquoi. Pourquoi avait-il mérité ça ? Pourquoi ses parents ne se battaient pas pour lui comme ils l'avaient toujours fait ? Pourquoi avaient-ils pris l'argent de leur maigre assurance pour se payer une nouvelle voiture, et non l'aider ?
– Comprends que maman soit triste mon bébé. Elle a perdu son fils ce soir-là.
« Ne prends pas de place. »
« Soit plus discret. »
« Tu nous dois beaucoup Beomgyu, nous avons tout fait pour toi. »
« Nous allons déménager Beomgyu. »
« L'appartement n'est pas si mal, tu n'auras qu'à te faire une place sur la mezzanine, tu te baisseras pour y circuler. »
« Il n'y a pas d'école pour toi mon chéri. »
« Ce ne sont pas des amis, juste des gens voulant profiter de ton handicap. »
« Pense à ton père qui vieillira avec un fils inapte. »
« Cette société n'est pas faite pour toi mon bébé. »
« Arrête de nous parler de ce garçon, ce qu'il veut, c'est faire son intéressant avec toi. »
Avec les semaines, puis les mois qui défilèrent, il eut l'impression de devenir une coquille vide. Jusqu'à lui.
– Taehyun...
─ 𝐊𝐔𝐊𝐈𝐇𝐈𝐌𝐄 𝐓𝐈𝐌𝐄 ─
Bon bon bon ! Tout d'abord, je suis super heureuse de vous partager ENFIN ce chapitre. Il fait partie des premières scènes un peu "horrifiques" que j'ai imaginé pour cette fiction, j'ai vraiment essayé de lui donner vie comme je l'avais imaginé, et j'espère que ce chapitre vous aura plu autant qu'à moi ** Il était un peu plus long que d'habitude, dense avec beaucoup d'infos... Mais c'est un de mes chapitres favoris, sachez-le (oui, j'ai des goûts particuliers).
Bref, je vous dis à la semaine prochaine pour la suite, un énorme merci aux petits nouveaux qui sont arrivés récemment, et à tout ceux qui m'encourage de fou avec cette fiction ! ♥
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