𝐂𝐡𝐚𝐩𝐢𝐭𝐫𝐞 𝐭𝐫𝐞𝐧𝐭𝐞-𝐧𝐞𝐮𝐟
« Un naufragé dans l'écume »
❘✶❘
Yeonjun marchait à une distance raisonnable derrière les deux garçons. Les yeux rivés sur leurs mains entrelacées, il se demanda combien de temps encore tout cela allait durer. Il guettait de temps à autre les autres chemins qu'ils croisaient, en se demandant si Taehyun allait ressurgir de l'un d'entre eux. Puis la culpabilité le rongeait à nouveau, et Yeonjun avançait un peu plus vite, la tête basse. Tu ne peux pas être parti. C'était les mots qui tournaient en boucle dans sa tête. Taehyun était forcément encore là. Sur l'île. Non loin de leur petit groupe. Il n'avait pas pu disparaître comme ça, aussi vite. Il éternua, faisant tressaillir les deux garçons devant lui, et leur fit signe de poursuivre leur route. Le silence était pesant, étouffant. Et jamais Yeonjun ne s'était senti aussi mal.
À bien y réfléchir, il y avait eu de nombreux bas dans la vie de Choi Yeonjun. Le jour où il avait compris que jamais la danse ne serait un rêve réalisable. Le jour où il était devenu grand frère. Le jour où il avait su que jamais il ne pourrait véritablement rendre fiers ses parents jusqu'au bout. Le jour où Soobin et lui s'étaient disputés violemment pour la première et dernière fois. Et aujourd'hui. Le jour où il avait magistralement tout foutu en l'air. Mais pour une fois, Yeonjun n'avait pas honte de se l'admettre, quelque chose l'avait poussé à le faire, à ouvrir sa bouche et à dire les mots de trop.
Il l'avait sentie s'insinuer en lui comme une bête vicieuse. Il l'avait sentie décupler sa colère, sa hargne. Il avait parlé, guidé par elle, et uniquement par elle. Bien sûr qu'il avait été jaloux. Bien sûr qu'il n'aurait jamais voulu entendre parler de cet été-là. Mais cela avait été plus fort que lui. Il s'était senti trahi, et à ce moment précis, il avait ressenti le besoin urgent de leur faire savoir. De hurler sur Taehyun, de l'insulter. De lui faire du mal. À lui, le seul garçon qui n'avait voulu que son bien. Le seul qui avait gardé un véritable contact avec lui après le lycée. Celui qu'il avait longtemps considéré comme son petit frère de coeur. Un meilleur ami que tous rêvaient d'avoir. Il l'avait détruit par ses mots. Il avait meurtri son coeur, poussé par cet élan qu'il ne contrôlait pas. Il l'avait frappé. Il ravala un sanglot avec difficulté pour ne pas interpeller Kai et Soobin.
Il se haïssait. Plus que d'habitude. Plus que le garçon qu'il avait eu l'habitude de maudire en regardant le miroir mural de sa chambre d'adolescent. Plus que l'adulte qu'il avait regardé grandir et mûrir dans le miroir de sa salle de bain, dans son propre appartement. Choi Yeonjun avait toujours été très doué pour prétendre avoir une haute estime de lui-même. Il l'avait eu, fut un temps. Et cette estime avait été balayée très vite par les tracas que la vie n'épargnait à personne. Il les avait confiés à Taehyun, par le passé.
Le même Taehyun qui lui manquait cruellement aujourd'hui.
C'est de ta faute.
Soobin avait raison. Soobin avait toujours raison. Il l'avait blessé aussi, en un sens, sans même le vouloir sincèrement. Il ne lui en avait pas voulu un seul instant. Il avait été jaloux, ravagé par ce sentiment si fort qu'il haïssait. Mais il n'avait pas souhaité le voir ainsi. Soobin avait été prêt à lui en mettre une. Jamais l'autre garçon n'en était arrivé à une extrémité pareille.
– Il y a des traces de lutte...
La voix de Kai le sortit de ses pensées. Des traces de lutte ? Il se rapprocha, curieux, le coeur battant légèrement plus vite. Il constata avec horreur que le noiraud disait vrai. Il y avait bien des traces de pas un peu fouillis, des branches cassées, de la terre humide légèrement retournée. Comme si quelqu'un avait été acculé juste là. Comme si quelqu'un était passé par ici avant de totalement disparaître. Car c'était là ce qui l'intriguait le plus : aucune trace de pas ne repartait de cet endroit, malgré le sol humide. Il se tourna vers les deux autres garçons, le regard interrogateur. Seul Kai croisa le sien et fronça les sourcils en retour.
– Vous pensez que c'est... Un des deux ?
– Ne dis pas ça, murmura Soobin.
Yeonjun esquissa un geste de la main avant de se reprendre : ce n'était ni le moment, ni le lieu pour lui tapoter tendrement l'épaule en essayant vainement de le faire aller mieux. Son semblant de geste ne sembla pourtant pas échapper au plus grand des garçons qui lui jeta un regard mauvais avant de s'éloigner un peu, sans quitter la main de son meilleur ami.
– Ce n'est pas une hypothèse à ignorer, ajouta Yeonjun.
– Il a raison, murmura Kai.
Soobin leur lança un regard presque terrifié ; qu'ils aient raison était la plus épouvantable des possibilités, pourtant, quelque chose en lui lui hurlait que Beomgyu avait passé le pire moment de sa vie avec cette chose monstrueuse qui l'avait enlevé. Il peinait à oublier cette masse sombre informe, ses dents trop grandes et ses râles ignobles qu'il poussait en avançant. Il peinait à oublier l'effroi et la peur brute dans le regard de l'autre garçon. Sa peur l'avait contaminé instantanément, et elle revenait s'insinuer doucement en lui. Yeonjun frissonna, en sentant à nouveau cette sensation de froideur sur tout son corps. Il va bien, il va bien, il va bien. Comme si se répéter ces mots en boucle allait faire revenir Beomgyu. Comme si... Comme si une simple prière mentale pouvait tout arranger. L'île leur avait déjà prouvé que non, et à de maintes reprises.
Kai lui jeta un drôle de regard, et Yeonjun déglutit, soudain mal à l'aise. Il n'aimait pas la l'expression curieuse sur son visage. Depuis son évanouissement dans la grotte, il semblait ailleurs. Il n'avait pas lâché Soobin, ni reparlé de ce qu'il avait vu et appris pendant son malaise. Kai leur cachait quelque chose, il en était intimement persuadé.
Il l'avait toujours trouvé étrange de toute façon.
Depuis leur arrivée sur l'île, il émanait de son camarade de lycée une aura qu'il peinait à expliquer. Quelque chose qui le repoussait presque. Pire, qui le terrifiait sans qu'il ne sache trop pourquoi.
– Quelque chose ne va pas Yeonjun?
– Sérieusement Kai ? Qu'est-ce qui pourrait aller au juste, hein ?
Il soupira, et reprit sa marche, les sourcils froncés.
– Ne restons pas ici putain ! héla-t-il.
Et les deux autres se remirent en route eux aussi. Calme-toi, calme-toi... Ne la laisse pas te submerger à nouveau... Mais l'appréhension de tomber sur quelque chose de pire que le monstre, ou de se retrouver à nouveau sous un orage le rendait nerveux, le terrifiait.
Taehyun vous a quitté et c'est de ta faute.
Les battements de son cœur s'accélérèrent, comme à chaque fois que ce reproche résonnait en lui. Comme à chaque fois que les derniers mots de Taehyun lui revenaient en mémoire. Tu n'avais pas fait ça, hein ? Tu bluffais. Tu bluffais forcément. Je t'avais toujours foncièrement interdit de le faire bordel, Taehyun ! Désormais il était seul. Seul avec ses secrets, dont ce secret qu'il emporterait avec lui à jamais sur cette île. Il n'avait plus l'oreille attentive qui l'avait écouté pendant des années. Pour la première fois depuis qu'ils se connaissaient, Taehyun avait réellement jeté l'éponge. Il inspira profondément, sans cesser de continuer à ruminer, les yeux rivés droit devant lui. Il devait retrouver Taehyun. Et Beomgyu. Jamais je ne me le pardonnerai si l'on arrive à quitter cette île sans vous. Jamais, tu m'entends ? Et comme en guise de réponse, un souffle de vent un peu plus glacé que les autres lui répondit. Il frissonna, sentant son coeur s'emballer de nouveau. Taehyun lui avait fait une promesse, et Taehyun tenait toujours ses promesses. Alors celle-ci n'allait pas faire exception à la règle : ils allaient se retrouver, sortir d'ici ensemble et continuer à exister, ensemble.
– Yeonjun ? Ralentis ! Tu cours presque !
Il se stoppa net, le souffle court et la respiration sifflante. À nouveau une douleur aiguë lui transperça la poitrine et il serra les dents, les larmes aux yeux.
– Fais chier, siffla-t-il entre ses dents serrées.
– Yeonjun...
– Je vais bien, je vais bien !
Soobin ne disait pas un mot. Il sentait son regard sur son dos courbé, tandis qu'il peinait à reprendre une respiration correcte. Tu me détestes, hein ? Il avait toutes les raisons de le détester, et il savait. Au nom de leur relation passée chaotique. De ce qu'il avait osé faire à son meilleur ami. Pour ce qu'il lui avait dit. Pour tout ce qui se passait depuis qu'ils avaient atterri sur l'île... Je te jure que je change, que je fais des efforts, que j'essaie de voir la vie autrement Soobin. Mais sur cette île, tu ne me croirais pas, hein ? Et il ne pouvait pas l'en blâmer. Il avait laissé ressortir son caractère infâme depuis son réveil ici. Le pire de lui-même ressortait, de minute en minute. Toutes ces choses qu'il avait tenté de dompter depuis quelques années... Elles lui riaient de nouveau au nez, crachaient sur ses efforts vains.
Et pourtant, à chaque fois que Soobin le regardait avec ses yeux là, il était incapable de se dire que tout était réellement terminé. Il voulait continuer à espérer plus, même si tout espoir était désormais éteint, il en était persuadé. Un nouveau pincement lui serra le coeur en repensant à la photo que Soobin gardait toujours dans sa poche. Je l'aurais déchirée en mille morceaux si j'avais été à ta place. Mais Soobin n'était pas lui. Soobin avait un bon fond, d'une gentillesse inouïe que personne ici ne pouvait réellement comprendre ni rivaliser. Soobin n'avait de cesse, sans même le faire exprès, de lui offrir des secondes chances. L'aimait-il toujours comme il l'avait aimé au lycée ? Souvent – tous les jours – la question le hantait.
Une main lui tapota maladroitement le dos et Yeonjun tressaillit en se rendant compte qu'elle n'était pas celle qu'il avait espérée. Kai le regardait avec son regard si calme, trop doux, un demi-sourire sur le visage.
– On va y arriver, reprends-toi Yeonjun, lui murmura-t-il. Continuons par là !
Il se demanda si Kai savait réellement où se rendait, où s'il les guidait au hasard dans les bois. Yeonjun avait déjà l'impression d'être passé par là, à de multiples reprises, et n'aimait pas la sensation étrange qui le rongeait peu à peu.
– Les gars, vous ne sentez pas... Qu'il y a quelque chose qui cloche ? demanda-t-il d'un air absent.
À sa grande surprise, ce fut Soobin qui lui répondit d'un air grave.
– Je commençais à penser que je me faisais des idées.
– L'air...
– ... Est plus froid.
– On se rapproche peut-être de l'eau ? tenta Kai.
– Non, c'est autre chose, marmonna Soobin. J'ai l'impression qu'on s'approche de quelque chose d'horrible... Je ne saurais pas dire quoi, mais... Je le sens.
– Moi aussi, répondit Yeonjun. Franchement, Kai, tu es certain que c'est par là ?
L'autre garçon eut l'air soudainement un peu tendu, puis totalement absent. Il semblait perdu en pleine réflexion, quand tout à coup, son regard se remit à briller d'une étrange lueur.
– Beomgyu est là.
– Pardon ?
– Beomgyu est là ! répéta-t-il un peu plus fort.
Yeonjun jeta un regard confus à Soobin, que ce dernier lui rendit immédiatement.
– Kai comment -
– Il faut y aller.
– Attends, mais...
– Par là !
Et Yeonjun le regarda tirer Soobin en avant, un air déterminé qu'il ne lui connaissait pas sur le visage.
Il le suivit sans comprendre, hélant son prénom à travers les bois, mais Kai n'en démordait pas. Il courrait, comme si sa vie en dépendait, lui hurlant de temps à autre de lui faire confiance. Le souci était là Kai, je ne parviens pas à te faire confiance sur cette île. Il ne pouvait pas s'empêcher de penser que Kai était bien trop à part depuis qu'ils s'étaient tous réveillés au milieu des bois. Que Kai avait eu des pressentiments étranges qui s'étaient bien souvent révélés juste. Que Kai n'avait jamais vraiment été clair sur le calvaire qu'il avait vécu seul, à bord de ce train magique qui faisait le tour de l'île, encore et encore. Kai savait des choses que personne d'autre ici ne pouvait savoir sur l'île.
Kai ne leur disait pas tout, il l'avait toujours pressenti, il en était désormais sûr.
Parfois, une petite voix lui susurrait que Kai n'était plus vraiment en vie, dans leur monde. Et cette voix lui donnait des vertiges.
Sous ses pieds la texture du sol changea et Yeonjun fut ralenti dans sa course par son souffle, devenu plus faible, mais aussi par le sable sous ses semelles. La plage. Ils étaient non loin de la plage. Non, ils étaient de retour sur la plage. Kai se stoppa net à la lisière de la forêt, le nez en l'air, puis un air songeur sur le visage.
– Je le sens... souffla-t-il.
– Kai, tu veux bien nous expliquer à la fin ?!
Soobin avait haussé le ton et Kai sembla sortir de sa transe avant de se tourner vers lui, hagard.
– Je... Beomgyu est là... Je ne saurais pas dire pourquoi, mais...
– Ça n'a aucun sens ! Bon sang !
Kai fronça légèrement son nez et Yeonjun s'avança un peu plus sur la plage, les laissant un peu en retrait, convaincu que Kai ne leur dirait jamais toute la vérité. Où es-tu Beomgyu... Où es-tu... Il plissa des yeux, balayant du regard le bord de la plage, complètement désert, puis les rochers des yeux. Il s'avança encore un peu, essayant d'ignorer les complaintes de Soobin qui cherchait à comprendre l'incompréhensible. Soudain, quelque chose attira son regard sur le tas de roches grises qui brillaient au loin.
Un tout petit quelque chose qui n'échappa pas à sa vue de lynx, ce sens qu'il trouvait décuplé depuis qu'il se trouvait sur l'île de tous leurs cauchemars. Il lui sembla voir une petite paire de baskets. Incertain, hypnotisé par cette vision lointaine, il se rapprocha à grands pas.
– Yeonjun ?
– Il y a un truc, là-bas... murmura-t-il.
– Yeonjun, attends-nous !
Il en était certain à présent, il y avait bien une paire de baskets autrefois blanche posée sur les rochers à une dizaine de mètres d'eux. Il pressa le pas, et quelques grandes enjambées plus tard, il se planta devant la paire de baskets, trempée, sur laquelle avaient été pliés minutieusement quelques bouts de papier. Derrière lui Soobin et Kai arrivèrent, fatigués et Yeonjun plissa les yeux.
– Qu'est-ce que c'est que ça... murmura Soobin.
Yeonjun leva le nez et suivit du regard la direction pointée par le doigt du grand noiraud. Des habits. Il y avait des habits qui flottaient contre les rochers.
– C'est les fringues de Beomgyu, souffla Yeonjun.
– Bordel, il...
– BEOMGYU !
La voix de Kai le fit sursauter. Il venait d'escalader sur l'un des rochers à côté d'eux, et, tout aussi paniqué, Yeonjun balaya la plage et l'étendue marine des yeux. Je t'en supplie ne me dis pas que tu as disparu là-dedans, je t'en supplie...
Quelque chose flottait dans l'eau, loin des rochers sur lesquels ils étaient et hurlaient le prénom de leur ami. Quelque chose qui ressemblait à un corps endormit dans les flots. Et sans aucune hésitation, Yeonjun descendit à la mer.
– Yeonjun bordel !
– Il est là !
– Yeonjun revient !
Il n'écouta pas la voix éraillée de Soobin, ni les mises en garde de Kai.
– C'est peut-être un piège !
Il n'en avait que faire. Les eaux étaient calmes. Et il y avait un corps qui flottait juste là. Il lui était impossible de le laisser ainsi. Ses jambes furent englouties dans l'eau, puis son ventre, et enfin, Yeonjun commença à nager. Une nage incertaine, brouillonne, mais guidée par l'envie de le sortir de là, coûte que coûte. Il héla son prénom tout en nageant, ne provoquant aucune réaction, lui faisait craindre le pire. Un nouveau courant un peu plus fort le porta vers ce corps flottant et enfin, il parvint à effleurer sa peau nue.
– Merde! Beomgyu !
Il semblait dormir, bercé par le bruit des vagues. Il dormait sur elle comme s'il reposait sur un lit confortable. Maladroitement, Yeonjun lui agrippa l'un des poignets pour le tirer vers lui, bataillant contre le courant, agitant ses jambes pour essayer de se stabiliser. Au loin, il percevait les silhouettes de Kai et Soobin, aux aguets, qui lui hurlaient de revenir tout en faisait de grands signes.
– Tu viens avec moi, tu... Je ne... te laisserais... pas... ici... tu m'entends ?
Il le hissa avec peine contre lui, et esquissa un mouvement de nage difficile, gêné par le corps de Beomgyu. Il eut l'impression de se faire emporter un peu plus loin, par cette mer d'apparence si calme, et redoubla d'efforts. Les rochers, je dois me rapprocher des rochers et des garçons...
Il était à bout de souffle, avec contre lui ce poids mort qui ne cessait de dériver dès qu'il baissait sa garde. Pourtant, le garçon garda la tête hors de l'eau. Il puisa dans ses dernières ressources pour se maintenir à la surface, avec Beomgyu. Jamais nager ne lui avait semblé si difficile. À genoux sur les rochers, Soobin lui tendait une main, le visage déformé par la peur et l'effroi de le perdre lui aussi. Encore un peu Yeonjun, tu y es presque ! Kai l'avait imité, et essaya aussitôt d'attraper les épaules de Beomgyu dès qu'ils arrivèrent devant eux, ballottés par les flots pourtant calmes, mais agités en profondeur par des courants forts et violents qui semblaient vouloir les attirer vers les abîmes.
– Soobin !
Il but la tasse, et manqua de griffer ses doigts sur les rochers tranchants. Aussitôt, le plus grand des garçons lui agrippa l'avant-bras pour le tirer en avant et, aidé par Kai, il sortit de l'eau avec Beomgyu, toujours inerte. Il s'écroula sur la roche chaude et se retourna presque immédiatement vers le garçon aux cheveux ébène et à la peau rougie qui avait trop vu le soleil. Soobin lui lança un regard mortifié, sans oser s'approcher du corps presque nu de leur ami. Yeonjun chercha des yeux ses habits, que Soobin avait repêchés, et qui séchaient désormais sur les rochers. Ils étaient en piteux état, déchirés par endroit, salis. Il se rapprocha de Beomgyu et attrapa l'une de ses mains, écorchées comme les siennes.
– Beomgyu ! Merde, merde... Putain...
Il dégagea Kai sans aucune douceur et Soobin se poussa avant qu'il ne fasse de même avec lui.
– Il... Il est...
– Il est pas mort !
– Yeonjun, calme-toi, lança Kai.
– Non ! Il va m'tuer, tu m'entends ?
Il se retourna vers Kai, les yeux fous.
– Si Taehyun revient, et que Beomgyu est plus là, il va m'tuer. Et vous aussi !
– Yeonjun, sa poitrine, murmura Soobin à voix basse.
Il tourna la tête et ouvrit de grands yeux en la voyant se soulever très lentement.
– Beomgyu ?
Il se pencha pour prendre son pouls, la respiration sifflante. Le coeur battait toujours, à un rythme régulier et encourageant.
– Pourquoi Taehyun n'est pas là quand on a besoin de lui, hein ? renifla-t-il.
Maladroitement, il apposa ses mains sur le corps du noiraud pour essayer de faire les premiers gestes de secours, puisant dans ses souvenirs de lycéens pour se remémorer les bons gestes à faire. Il avait toujours suivi avec minutie les rares cours de secourisme que son collège et lycée lui avaient dispensés, mais aujourd'hui, les gestes lui semblaient confus, trop lointains. Il tremblait à l'idée de mal s'exécuter, et de le blesser encore plus.
Tout à coup, les yeux de Beomgyu s'ouvrirent en grand, et Soobin laissa échapper un cri de surprise, aussitôt imité par Kai. Yeonjun sursauta et retomba maladroitement sur les fesses, se cognant contre un rocher derrière lui. Une petite vague lui arrosa les pieds, et sous ses yeux effarés, Beomgyu se redressa d'un seul coup, la poitrine se soulevant à un rythme fou. Il les dévisagea comme d'illustres inconnus et avant même que l'un d'entre eux ne puisse esquisser un geste ou une parole, il se recula précipitamment et attrapa ses habits trempés pour les serrer contre lui. Apeuré comme une bête que l'on aurait poussée dans ses derniers retranchements, complètement acculée, il se tassa contre la roche et se recroquevilla, les bras autour de ses jambes.
– Beomgyu... C'est nous... on..., commença Soobin.
– On ne te veut aucun mal, ponctua Kai.
À ces mots, il releva les yeux vers lui. Lui, Yeonjun. Mal à l'aise par ce regard qu'il ne reconnaissait pas, Yeonjun dû prendre sur lui pour ne pas baisser les yeux. Beomgyu semblait tétanisé.
– Tu étais dans l'eau..., expliqua doucement Soobin en esquissant un pas vers lui.
Beomgyu recula à nouveau, comme s'il essayait de s'enfoncer dans la roche pour y disparaître pour de bon.
– Ça va aller, d'accord ? Tu es en sécurité maintenant.
– Soobin, arrête de t'avancer, souffla Yeonjun.
– Je -
– Arrête, il est mort de peur. Il va se faire mal...
Beomgyu tourna de nouveau la tête vers Soobin, puis vers Kai. Il la secoua, et esquissa des signes fouillis que Yeonjun fut bien incapable de comprendre, une nouvelle fois.
– Je ne comprends pas, répondit Soobin.
Yeonjun se tourna vers lui, surpris. Beomgyu regarda ses mains avec effarement et signa à nouveau quelque chose.
– Qu'est-ce qu'il dit ?
– Je n'en ai pas la moindre idée... Kai ?
– Je n'arrive pas non plus à comprendre... Ce n'est pas du tout la langue des signes, ça ne veut rien dire.
Beomgyu s'agita, et plaqua un peu plus son dos nu contre le rocher, essayant de glisser lentement sur le côté de ce dernier, comme pour s'éloigner d'eux le plus vite possible. Il semblait en plein combat intérieur, partagé entre l'idée de rester en place, et celle de fuir pour de bon.
– Qu'est-ce que ce monstre t'a fait Beomgyu ? demanda Soobin d'une voix douce.
Désemparé, Yeonjun le regarda secouer la tête, ses deux mains plaquées sur ses oreilles, les yeux désormais clos. Il se rapprocha, doucement, une main tendue vers lui.
– Beomgyu...
Quand il fut assez près, il parvint à poser une main sur l'une de ses épaules dénudées. Sous sa paume, la peau de Beomgyu était redevenue froide, couverte de chair de poule. Le garçon ouvrit lentement les yeux et baissa ses mains, tremblant comme une feuille.
– Eh, eh... ça va aller, ok ?
Kai se rapprocha à son tour, aussitôt imité de Soobin. Avec précaution, Yeonjun s'approcha encore un peu, et sans prévenir, Beomgyu lui sauta dans les bras. D'abord pris de panique, il se calma très rapidement quand Soobin puis Kai se joignirent à lui pour étreindre leur ami retrouvé. Il lui sembla entendre Beomgyu sangloter dans son oreille, d'un sanglot qu'il trouva plus grave qu'à l'accoutumée. Il tremblait tout contre lui, encore trempé de sa mésaventure maritime. Là, et seulement là, Yeonjun poussa un soupir de soulagement. Il le serra fort contre lui, soulagé de sentir son coeur battre contre le sien, soulagé de le savoir en vie. Soulagé de l'avoir retrouvé, enfin.
Beomgyu sentait le sel, l'humidité, le sang et une autre odeur plus discrète, mais tout aussi désagréable et Yeonjun se demanda tout ce qu'il lui était arrivé pendant leur absence. Il se demanda comment il avait éraflé ses mains, pourquoi son visage était rougi comme s'il l'avait frotté contre le sable. Et pourquoi s'était-il retrouvé dans cet accoutrement plus que léger.
Ni lui, ni les autres garçons n'avaient conscience du temps qui s'était écoulé depuis son enlèvement. Plus aucun d'entre eux ne parvenait à comprendre quand commençait le jour, où finissait la nuit. Pourtant, en cet instant, Yeonjun avait l'impression qu'on leur avait arraché Beomgyu bien trop longtemps. Ils se décollèrent tous les uns des autres, les yeux rouges et des sourires soulagés sur leurs visages respectifs. La joie dura quelques secondes à peine, avant que Beomgyu ne réalise pleinement qu'ils n'étaient pas tous là. Il tordit son cou pour voir derrière eux, avant de leur jeter un regard lourd de confusion. Et ils comprirent immédiatement.
– Beomgyu..., commença Soobin d'une voix tremblante.
Il le dévisagea, les lèvres pincées. Il sait, se dit immédiatement Yeonjun. Sentant que Soobin ne parviendrait pas à finir sa phrase, il attrapa les mains du jeune homme en face de lui et prit une profonde inspiration. Il le regarda mordiller l'intérieur de ses joues avec appréhension, et sentit son coeur s'emballer de nouveau.
– Taehyun est parti.
Là, quelque part au fond de ce regard qu'il avait toujours trouvé si innocent, une drôle de lueur s'alluma.
─ 𝐊𝐔𝐊𝐈𝐇𝐈𝐌𝐄 𝐓𝐈𝐌𝐄 ─
✧ hello ! comment allez-vous ? Beomgyu est de nouveau parmi eux, yeay ! Bon, on est loin de la fin des problèmes mais... C'est déjà ça, non ? J'espère que ce chapitre vous aura plu en tout cas, autant qu'à moi quand je l'avais rédigé ! Je vous dis à la semaine prochaine pour la suite des aventures ! (ᵔ◡ᵔ)
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