𝐂𝐡𝐚𝐩𝐢𝐭𝐫𝐞 𝐬𝐨𝐢𝐱𝐚𝐧𝐭𝐞-𝐭𝐫𝐨𝐢𝐬

« Le dernier obstacle »

❘✶❘

(tw;; araignées.)



– Kai ?

Soobin trouvait sa voix méconnaissable. Il agrippa un peu plus fort les épaules de son meilleur ami, et le secoua doucement, en essayant de le faire revenir à lui. Il répéta son prénom, encore et encore, sans le lâcher une seule seconde. Dans ses bras, Kai tremblait, secoué de sanglots violents et entrecoupés de hoquets l'empêchant de respirer.

– Kai je t'en prie, reprends tes esprits !

Tous attroupés autour de lui, les quatre garçons se tenaient fermement par les épaules pour le protéger du vent de plus en plus violent. Sous ses pieds, Soobin sentit la terre trembler et paniqua.

– Kai nous y sommes presque, fait quelque chose, s'il te plait ! hurla Taehyun en essayant de faire porter sa voix.
– Je... Je me suis souvenu...

Soobin ouvrit de grands yeux, terrifié.

– Tout est là, bredouilla Kai en tapota le sommet de son crâne. Tout refuse de partir...

Il agrippa son visage entre ses mains, le forçant à planter son regard dans le sien.

– Ça va aller, respire... Je t'en conjure Kai, respire... Si tu nous lâches maintenant, on est foutu...

Son visage se tordit bizarrement entre ses doigts, Soobin ne sut s'il devait y voir un sourire ou une grimace de douleur. Il le vit essayer de reprendre son souffle, de se canaliser. En vain.

– Ne la laisse pas gagner, murmura-t-il, fébrile.

Il sentit les doigts de son meilleur ami se cramponner un peu plus à lui. Je te l'ai promis, on ne se quitte pas, jamais. Je ne te lâcherai pas maintenant. Il avait déjà l'impression de l'avoir trop fait ici. Il avait manqué de le perdre pour de bon, comme ce soir où il l'avait regardé partir sous la pluie, impuissant. Il s'entendait encore hurler son prénom à travers les rideaux d'eau dévalant du ciel. Il s'entendait encore hurler à Yeonjun de prendre le volant pour le rattraper, essayer de téléphoner à Kai, en vain. Il avait détesté cette soirée, du début jusqu'à la fin. Pourtant, il y avait été de bon cœur. En entendant que Kai ne se souvenait de rien, il avait été égoïstement soulagé. L'île ne leur avait pas laissé le temps de remuer le passer, de clarifier les choses ou de se pardonner : elle les avait plongés dans un enfer imminent. Désormais, ils étaient au pied du mur, incapables de défaire la vérité.



– Est-ce que tu le penses vraiment ?

Ils se retournèrent à l'unisson, cherchant des yeux cette voix usée et rauque qui s'adressait à eux. Au bout de l'ancien chemin fleuri, se tenait un vieil homme. Kai se raidit immédiatement et tout à coup, le vent retomba. Il fallut une bonne dizaine de secondes silencieuses pour que Soobin réalise que tout autour d'eux, le temps semblait s'être figé. L'herbe à leurs pieds resta de biais, tout comme tout le reste des fleurs et autres végétaux. Figés dans l'air, les feuilles des arbres et quelques bouts de terre semblaient attendre le signal pour reprendre leur course folle. Plus rien ne parvenait à ses oreilles, hormis la voix de ce nouveau venu.

– Est-ce que tu resteras vraiment avec moi... On ne se quittera jamais Soobin ?

Terrifié, il se tourna vers son meilleur ami, devenu pâle comme la mort. L'apparition fit un pas hésitant vers eux, tendant vers lui une main cadavérique.

– Ne le touche pas !

Kai s'était redressé comme un diable sortant de sa boite. D'un nouveau pas vacillant, le vieil homme s'avança vers eux, un rictus sombre sur le visage.

– Tu n'aurais peut-être pas dû descendre de son train, ricana-t-il.

Le cauchemar de Kai lui revint en mémoire.

– Tu aurais dû rester avec moi... Et tous tes amis.

Il s'arrêta, et prit une profonde inspiration, les yeux clos. Soobin fronça les sourcils, sentant à ses côtés ses amis se raidir un à un. Il crut sentir les ongles de Yeonjun traverser le tissu de son pull rouge au même moment. L'expression du vieillard était indéchiffrable. Il semblait réfléchir, analyser le moindre de leurs gestes mais aussi... Retenir l'intégralité de leur attention.

– Sors de ma tête, gémit Yeonjun à ses côtés.

Soobin se tourna vers lui, étonné. À qui parlait-il ? Beomgyu s'était figé lui aussi, les yeux dans le vague, le visage ruisselant de larmes collé contre l'épaule de Taehyun, exactement dans le même état. Il le vit recommencer à s'avancer à pas lents, presque mesurés. Il entendit Yeonjun, puis les autres, vaguement supplier quelqu'un. Ils retenaient des pleurs, puis des cris... Et les ongles de Yeonjun terminèrent de toucher sa peau. À deux mètres d'eux, le vieillard s'arrêta. Il rouvrit les yeux, et un sourire satisfait étira son visage maigre. Il semblait plus abîmé, plus sombre. Une étincelle étrange et malicieuse brilla alors dans ses pupilles et soudain, Soobin capta son regard. C'était des yeux qu'il avait vu des milliers de fois dans sa vie. Un regard très doux, pétillant. Un regard pour lequel il aurait tout donné, et continuait de le faire. Les yeux de Kai étaient particuliers. Il se retourna vers lui, les yeux emplis d'effrois et se figea immédiatement. Kai, Yeonjun, Beomgyu et Taehyun semblaient figés comme des statues.

– Qu'est-ce que vous... Les gars ?
– Ne le regardez pas, murmura Kai. Ne le...

Confus et paniqué, Soobin l'interrogea du regard mais Kai ne lui répondit rien. Son visage se figea lentement sous ses yeux, une fine pellicule grisée statufiant son visage horrifié. Qu'avaient-ils vu qui lui avait échappé ? Il pivota la tête, tremblant comme une feuille. Le visage de l'homme à une dizaine de centimètres du sien le terrorisa davantage.

– Tu es encore là...

Devait-il être parti ? Il n'osa pas croiser son regard, relever les yeux, craignant de finir comme les quatre autres garçons. Ils ressemblaient à des statues de glace, la peau légèrement bleutée. L'avertissement de Kai ne le quittait plus. Ne le regardez pas. Parlait-il de lui ?

– Ils sont encore là... Et le resteront longtemps pour me tenir compagnie.

Il détestait sa voix. Il détestait son odeur, ce corps, le ton mesquin et moralisateur qu'il employait avec lui. Soobin aurait voulu disparaitre en cet instant, loin de ce cauchemar sur pattes, mais abandonner ses amis lui fut impossible.

– Tu sais ce que je suis ?

Il secoua à peine la tête.

– Je suis lui, répondit-il calmement en désignant Kai – il le savait – d'un geste du menton. Je suis ce qu'il déteste, ce qu'il craint de devenir. Un vieillard seul, sans personne. Un enfant qui n'a jamais vraiment réussi à remonter dans son train. Un enfant qui a toujours peur, qui est resté ici jusqu'à devenir vieux, très vieux. Tu pourrais exaucer son vœu et rester aussi ici, comme tes amis.

– Jamais.

Sa voix ne lui avait jamais semblé aussi faible.

– Tout ce que tu as à faire c'est te laisser faire, arrêter de résister.
– Jamais, répéta-t-il.
– J'ai eu les autres, je t'aurais aussi.

Sa main ridée empoigna son épaule, et le tira vers lui.

– Je suis rentré dans leurs petites têtes, pour y faire voir des petites choses absolument hideuses.
– Jamais, souffla-t-il, presque tétanisé.
– Ils m'ont dit jamais eux aussi, pendant que le vent soufflait. Mais tu sais ce qu'ils étaient Soobin ?
– Ja–
– Morts de peur.

Ils avaient laissé tomber les dernières barrières. Après tout ce temps, toutes ces épreuves, la peur et la crainte de ne finalement jamais s'en sortir avaient pris dessus.

– Et il n'y a aucune raison pour que tu m'échappes aussi.

Sa main resserra son poignet, et Soobin hurla. Il se débattit comme un diable, traîné à quelques mètres de ses amis par une force qu'il n'avait pas soupçonnée.

Je sais de quoi tu as peur...

Sa main le lâcha subitement, comme brûlé vif et il se retourna vers lui, un air furibond sur le visage. Autour de son visage, voletaient ses cheveux fins grisonnants, comme une aura dangereuse. Son regard avait changé. Il n'y avait plus le regard de Kai, plus aucune douceur ou naïveté. Soobin baissa de nouveau les yeux, craignant de croiser ses yeux vides une seconde de trop : à la place, deux globes blancs laiteux le dévisageaient, et sous son regard apeuré, une patte noire et velue s'extirpa d'entre ses lèvres fines et gercées. Une seconde, puis une troisième s'en suivirent, avant que le corps d'une araignée noire comme la nuit ne tombe mollement sur le sol, toujours figée par le temps. Le souffle coupé, il retint un cri, basculant en arrière... Quand la chose s'effrita comme une feuille trop sèche, à quelques centimètres de lui. Il redressa la tête, paniqué. Devant lui, désormais à quatre pattes, l'homme toussait à s'en arracher les poumons. De sa bouche tombait un flot d'arachnides incontrôlé qui se massait autour de lui et de ses membres frêles. Quand il releva la tête, Soobin manqua de vomir le peu de choses qu'il lui restait dans l'estomac.

L'homme n'en était plus vraiment un. Autour de lui, grouillaient ces centaines d'araignées qui continuaient à pulluler, sans jamais l'atteindre. Toujours à quatre pattes, il se hissa à sa hauteur, traînant derrière lui ses jambes dégarnies. Son cœur battant à tout rompre, Soobin recula du mieux qu'il put, essayant de se relever à plusieurs reprises, en vain. Stop, Soobin, c'est dans ta tête, il ne te fera rien, il ne te fera rien, il ne te fera... Rien. Exactement. Il redressa la tête, les yeux clos. Ne le regardez pas. Il avait peur de ce qu'il trouverait à nouveau dans ce regard. Peur de perdre la face en voyant à nouveau ces choses noires immondes et velues grouiller à ses pieds. Alors, les paupières closes, il se releva, les jambes flageolantes. La chose se massa à ses pieds, et laissa échapper un sifflement qui n'avait plus grand-chose d'humain. Il le sentit presque se redresser à son tour et alors qu'il lui sembla le sentir tout près de son visage, Soobin ouvrit de grands yeux.

Devant lui, un magma noir et immense le dominait de toute sa hauteur. Le visage du vieillard était toujours là, encadré par un reste de cheveux fins et grisonnants et par le corps de milliers d'araignées qui grouillaient autour de lui. Comme un rempart d'horreur, il se dressait devant lui, enflant davantage dans une tentative de venir à bout de lui.

– J-je vous vois maintenant...

Au même moment, les bras dégarnis du vieillard s'extirpèrent du conglomérat.

– Vous vouliez me montrer, alors allez-y. Montrez-moi.

La chose remua en face de lui.

– Vous ne pouvez rien me faire.

Un rire rauque résonna jusque dans ses os, et Soobin sentit un frisson lui parcourir l'échine.

– Vous ne pouvez rien me faire, parce que tout ça – il balaya d'un geste de la main la forêt autour de lui – c'est lui. C'est Kai.

En face de lui, la bête de noirceur se figea. Soobin esquissa un pas, sentant perler sur son front de nouvelles gouttes de sueur. Puis, augurant que le moment était venu, que cela était certainement le bon moment pour tenter le tout pour le tout, Soobin leva une main vers la chose.

Il aurait pu entendre Kai et les garçons lui hurler de ne pas faire ça, s'ils avaient pu s'exprimer. Sa main s'enfonça dans l'obscurité et les araignées, et Soobin sentit le froid attaquer le bout de ses doigts, puis son avant-bras tout entier. Lentement, le visage du vieillard se baissa et il posa ses yeux vitreux sur ce bras qui ne tremblait pas. Ses propres bras dégarnis et tombants n'eurent aucune réaction. À la place, il redressa légèrement la tête, comme pour l'interroger du regard. Ses doigts effleurèrent quelque chose de doux, comme un pan de tissu, et ses sourcils se froncèrent légèrement. Sans trop qu'il ne sache comment, Soobin comprit que son instinct l'avait guidé justement.


Alors il s'y enfonça de tout son être.


Il chassa d'un revers de la main les amas de tissu devant ses yeux, progressant tout d'abord dans une mer de vêtements. Quelques secondes plus tard, il le vit. Un garçonnet recroquevillé dans un coin de placard géant, caché par des vestes trop grandes et les pendants des pantalons autour de lui. Soobin s'approcha en silence, écartant les habits devant lui avant de se pencher à sa hauteur. Il releva timidement la tête, avant d'entrouvrir la bouche, comme surpris de le trouver là.

– Eh, tout va bien... je suis avec toi.

Il n'osa pas tendre une main vers lui, ou encore moins s'approcher davantage. Assis en tailleur face à lui, Soobin essaya de garder son calme. L'endroit était silencieux, coupé de tout. Il aurait pu en oublier qu'il se trouvait toujours sur l'île, et que ses amis étaient figés dans le temps eux aussi.

– Tu attends depuis longtemps qu'on vienne te chercher, n'est-ce pas ?

Il agita à peine la tête, craintif.

– C'est... tu es cette chose dehors, et tu... Tu es mon meilleur ami, c'est ça ?

Aucune réponse, mais à son regard, Soobin comprit qu'il avait vu juste.

– Tu as aidé Beomgyu un peu plus tôt...

Il agita fermement la tête et Soobin lui adressa un sourire tendre.

– Parce que tu n'as jamais voulu nous faire de mal, et je le sais.
– Est-ce que je suis en train de mourir ? Est-ce que les autres vont mourir aussi ?

Sa voix le fit presque sursauter. Il avait le même ton, léger et plaisant à entendre que son meilleur ami. Mais sa voix, elle, était celle d'un enfant.

– Tu... Tu es le Kai de dehors ?
– Oui.

Dans le corps de l'enfant qu'il avait été.

– Je te l'ai promis, non, tu ne vas pas mourir. Yeonjun a dit qu'on ressortirait tous vivants d'ici. Il faut que... Que tu combattes cette chose dehors Kai. Je sais que tu as peur de lui.
– De ce qu'il représente, souffla-t-il. Ma fin... Et la fin tout court d'ailleurs. Tout ce que j'ai toujours détesté. Mais toi, il ne t'a pas eu.
– Parce qu'il est une petite partie de toi.
– Ça ne l'a pas empêché d'avoir les autres.
– Parce qu'avec les autres tout est différent... Moi... Notre relation c'est...

Kai leva sa petite main pour la poser sur sa poitrine, assez pour sentir son cœur battre un peu plus fort.

– Parce que tu le sais, non... ? murmura-t-il.


Tu m'aimes. Évidemment que tu m'aimes. Pas comme j'aime Yeonjun, encore. Pas comme Beomgyu aime Taehyun, ou comme Taehyun aime Beomgyu. Pas comme j'ai aimé Taehyun par le passé. C'est quelque chose, de fort aussi, de différent et de transcendant.


– Tu es mon refuge, souffla Kai.

Soobin esquissa un sourire. L'intérieur du placard trembla, comme si dehors, la chose venait d'être affectée par ces mots. Nous y sommes... Une des petites mains de Kai s'agrippa aux siennes.

– Je me souviens de certaines choses...
– Kai, à propos de la soirée –
– Non, certaines choses après. J'ai entendu vos voix plusieurs fois.

Il écarquilla les yeux. Parlait-il de lui dans sa chambre d'hôpital ?

– C'est compliqué, mais je me souviens.
– Nous sommes tous venus te voir, tous.
– Je sais que mes parents ne sont jamais venus. Je ne me trompe pas, hein ?

Il aurait voulu lui mentir en cet instant, mais le sourire étrange de Kai l'en dissuada.

Elle est venue aussi. Presque tous les jours, s'empressa de répondre Soobin.

Le garçonnet esquissa un sourire triste, et Soobin vit ses yeux briller d'une lueur nouvelle. Quelque chose lui sembla alors limpide en cet instant, et les précédentes révélations de Yeonjun à propos de son ex petite-amie ne firent que conforter l'idée qui venait de germer dans sa tête.

– J'entendais ses histoires..., lui glissa-t-il. Et ça me faisait oublier que je n'entendais jamais leurs voix.

Un frisson lui parcourut l'échine.

– Si jamais je–
– Kai..., le coupa-t-il.
– Si jamais je ne me réveille pas, conforte-la sur tout ça. J'aimais l'entendre plus que tout.

L'image de Jiwon assise à côté de son lit s'immisça dans ses pensées. Elle avait été là dès le premier jour, avant même la première visite de sa mère. Il la revoyait avec ses jolis carnets, son écriture parfois un peu brouillonne et ses dizaines de marque-pages qu'elle avait glissés au fil des pages et des lectures.

– Je ferais ça, lui assura-t-il.

Autour d'eux, les vêtements s'agitèrent d'un tremblement léger.

– Il faut que tu viennes avec moi...
– Je ne sais pas si j'en ai envie, Soobin.
– Kai, tu ne peux pas rester dans ton placard.

Il le regarda secouer la tête et soupira.

– J'aurais dû te le dire, ce jour-là...
– À propos de Yeonjun ?

Soobin se demanda s'il pensait réellement à la même chose que lui.

– Pour la photo qui a circulé. J'ai compris que c'était lui. Je l'ai gardé pour moi.
– Tu l'as fait pour me protéger, et je sais que ça t'a coûté.

Sentant les larmes lui grimper aux yeux, il les chassa d'un revers de sa manche.

– Si tu sors d'ici, on affrontera tout ça ensemble.

Kai releva légèrement le menton.

– S'il te plait Kai.

Les murs tremblèrent de nouveau, et Kai se redressa légèrement. Il l'aida à se relever, le regarda frotter son jean et baisser les yeux. Il le sentit serrer sa main, un peu plus fort, dans la sienne et recula d'un pas, vers l'amas de vêtements d'où il venait.

– On va y parvenir, ensemble.

Kai lui lança un regard décidé et se tourna une dernière fois vers ce coin de placard où il avait trouvé refuge. Soobin crut y distinguer une ombre légère, comme une silhouette peinte sur bois, vestige d'un passé qui était le sien. Il se demanda combien d'heures Kai y avait passées. Combien de fois il s'était enfermé ici, dans ce lieu protecteur. Combien de fois l'île s'était dessinée sous ses yeux pour qu'il puisse s'évader et fuir ce monde qui l'oppressait sans cesse.

– Je n'y retournerais plus, chuchota-t-il.
– Jamais.

Soobin en était persuadé.

L'atmosphère changea brutalement, les plongeant dans une quasi-obscurité oppressante. Il sentit immédiatement les ongles de Kai dans sa peau, et retint un cri de douleur et de surprise.

– Qu'est-ce qui se passe...

La voix de Kai n'était plus qu'un murmure à peine audible, et en le sentant se presser de nouveau contre lui Soobin réalisa qu'il demeurait à présent son seul rempart. Il s'enfonça alors dans le tas de vêtements, repoussant les cravates du père, et les hauts de la mère. Quand il rencontra à tâtons de nouveau la masse sombre du bout des doigts, sa gorge se noua. Il ne peut rien m'arriver. Il ne me fera aucun mal. C'est Kai. Il baissa le regard vers lui, et le distingua les yeux clos, les paupières pressées et une moue crispée sur le visage. L'imitant alors, il ferma les yeux à son tour, et s'y enfonça de nouveau.


Des sensations singulières s'emparèrent de lui. D'abord, l'impression de ressentir la tristesse à son extrême. L'envie de pleurer le saisit, les larmes lui échappèrent et tout à coup, il tomba à genoux. Un rire nerveux lui échappa, puis deux. S'était-il trompé ? Pouvait-il vraiment y parvenir ? À ses côtés, Kai avait lâché sa main pour se tenir en face de lui et poser ses deux petites mains sur son visage. Il y eut des images qui affluèrent par dizaines, encore et encore sous ses paupières closes. Soobin y entrevu certains de ses propres souvenirs, de ses propres peines. Il y vit le visage des garçons, et surtout le sien, celui qui lui avait causé tant de peines. Il repensa à la plage, aux heures passées devant des rediffusions de concerts, à ces après-midi confidences et shopping... Et à lui. Lui qui sortirait d'ici pour reprendre le cours de sa vie comme si de rien n'était, pour les mois ou les années qu'il lui restait. Sa respiration se coupa nette : plus que tout, il refusait de le voir partir.

– Soobin, ça va aller.

La voix de Kai lui parut lointaine, trop pour qu'il n'y prête une réelle attention. Il le sentit se lover contre lui, et par réflexe, Soobin se pressa contre son petit corps. Il se cramponna au haut qu'il portait, à ses odeurs qui lui étaient familières, à ce meilleur ami qu'il aimait tant. Autour d'eux la noirceur sembla se fissurer, laissant apparaître des hachures de lumière. Et contre lui, il sentit le cœur du garçonnet s'emballer, résonner jusque dans ses oreilles.

– Kai ?
– Merci.

Il se détacha de lui avec lenteur, et se redressa, un air victorieux sur le visage. Il resta là, à genoux, tandis que devant eux se dessinait cette silhouette malfaisante, cet autre lui. Kai ne vacilla pas. Il avançait vers lui-même, la tête droite, le regard haut. Quand il arriva à sa hauteur, le dôme de ténèbres termina par s'effondrer : il tendit une petite main pour agripper par le bras le vieillard dont le visage se décomposa. Autour d'eux, tout explosa. Le noir, le placard, tout. Le petit Kai se tourna une dernière fois vers lui, les yeux brillants, un sourire immense sur le visage. Il désigna son cœur du bout des doigts, comme pour lui jurer qu'il resterait toujours là. Et tout disparut.


Le vent se stoppa, les feuilles retombèrent au sol, et le temps reprit son cours.

Le hurlement de Yeonjun fut la première chose à lui parvenir.


Puis encore lui qui fonça dans ses bras, suivis de Beomgyu et de Taehyun. Il en tomba à la renverse, écrasé sous le poids de ses amis, et se redressa à peine pour apercevoir Kai, planté devant eux, le regard dans le vague. Il se redressa péniblement, sans dégager Yeonjun pour autant, qui refusait de le lâcher.

– Kai...
– Tu as vu, hein... Tu as vu la même chose que moi ?

Il opina du chef, les lèvres pincées.

– C'est fini, il est parti. Il ne reviendra plus jamais.
– Je n'irais plus dans le placard.
– Jamais.

Kai s'élança à son tour, et Soobin le réceptionna avec maladresse.

– Pardon Kai, pardon mille fois, murmura Yeonjun.
– Tu...
– Non, on aurait dû se dire tout ça. Parler de la jupe, de nos disputes. On aurait jamais dû te laisser partir sous l'orage ce soir-là, j'aurais dû-
– Yeonjun, le coupa Taehyun.
– Même envers toi ! Putain je t'ai fait garder ce secret pendant des années Taehyun. Tu aurais pu me balancer, arrêter de me parler. Me traiter comme le pire des connards parce que je n'ai jamais été fichu d'apprécier Beom à sa juste valeur.

Ledit Beomgyu lui lança un regard brillant, et Soobin réalisa que pour la toute première fois, Yeonjun venait de le surnommer.

– On va sortir d'ici, et je te fais la promesse d'apprendre la langue des signes, Beomgyu. J'irais faire toutes les séances à la con que mon médecin veut que je fasse pour vivre le plus longtemps possible avec vous et arrêter de vivre comme si tout ne tournait qu'autour de moi.
– Yeonjun, le coupa à nouveau Taehyun.
– Je –
– JUNIE !

Cette fois-ci, Soobin avait repris la parole. Il passa une main dans ses cheveux, épuisé, le visage humide et fatigué. Yeonjun était essoufflé, complètement à bout.

– J'ai aussi ma part de responsabilité, ok ? Je suis désolé pour ce que j'ai dit ce soir-là, d'avoir été jaloux de toi et ta copine pendant des mois, d'avoir continué à croire que vous vous fréquentiez. Désolé d'avoir pourri des soirées entières de Taehyun et Beomgyu.
– Arrêtez à la fin, vous allez me faire chialer, répliqua Taehyun.

Il lâcha un rire nerveux, aussitôt imité par le garçon aux cheveux rouges. Timidement, Beomgyu lui tapota l'épaule.

« Tu n'as pas gâché nos soirées. »

Il esquissa un sourire crispé, avant de l'attirer contre lui sous le regard attendri de Taehyun. Les mots sortaient avec une facilité déconcertante, sans plus aucun filtre, et Soobin s'en retrouva immensément soulagé.

– Soobin, à propos du lycée..., commença Yeonjun.

Tous se tournèrent vers lui.

– Si je pouvais tout recommencer, je crois que je serais incapable de l'assumer réellement...

Son cœur loupa un battement.

– Sauf devant nos amis.

Sauf devant nos amis. Il ne passa pas à côté du sourire immense de Beomgyu, ni même du soulagement dans le regard de Taehyun. Personne n'avait jamais vraiment été dupe, et cette constatation le fit sourire davantage. Les images des deux garçons sur le toit du lycée lui revinrent en mémoire et il esquissa un sourire, les lèvres tremblantes. Des vies rêvées. Yeonjun se tourna vers Kai, et lui tendit une main, esquissant un sourire presque soulagé.

– Tu n'as jamais été le type encombrant et de trop. Jamais.

Kai éclata en sanglots et se rua dans ses bras. Surpris, Yeonjun le serra contre lui. Soobin réalisa qu'en plusieurs années, cela était la première fois. Il se joignit à eux, une nouvelle fois et les deux autres l'imitèrent aussitôt. Il eut l'impression de revivre, rien qu'un peu. D'à nouveau souffler, se sentir en totale sécurité et désormais, il le sentait : il l'était.

– Merci, souffla Kai.

Tous comprirent de quoi il retournait : Kai avait attendu ce moment des années durant.


Soudain, Beomgyu s'immobilisa. La bouche entrouverte, il agita la main en direction de quelque chose derrière eux, et Soobin se retourna avec précaution. Là, au bout du chemin de fleurs violettes, se matérialisa sous leurs yeux quelque chose de miraculeux.

« C'est la chambre. La chambre numéro dix-sept. » signa-t-il.





─ 𝐊𝐔𝐊𝐈𝐇𝐈𝐌𝐄 𝐓𝐈𝐌𝐄 ─

Hello ! Comment allez-vous ? ** Enfin, la voici la voilà, la fameuse porte numéro dix-sept apparait à tous les garçons à la fois ! (btw, c'est aussi le premier chapitre que je poste après avoir quitté mon chez-moi, ça fait tout drôle... ;-; )

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