𝐂𝐡𝐚𝐩𝐢𝐭𝐫𝐞 𝐬𝐨𝐢𝐱𝐚𝐧𝐭𝐞-𝐬𝐞𝐩𝐭
« Jiwon »
❘✶❘
Park Jiwon marchait d'un pas pressé dans les couloirs de l'hôpital. Ce jour-là plus qu'un autre, un pressentiment étrange l'avait fait venir ici plus tôt que prévu. Elle n'avait pas pris la peine de prendre ses carnets ou les petites lunettes qu'elle enfilait sur son nez pour lire, non. Il y avait quelque chose de plus urgent, une situation compliquée en approche, et cette appréhension ne l'avait pas quittée jusqu'à sa destination finale. Jiwon détestait ce sentiment : il ne lui ressemblait pas. Pourtant, ses mauvais pressentiments étaient assez rares et justifiés pour qu'elle y accorde une nouvelle fois toute son attention.
Ses talons claquant sur le sol froid et dur, elle accéléra un peu, jusque dans la chambre de Kai. Il lui sembla que l'hôpital tout entier entendant son cœur battre la chamade en cet instant : elle angoissait. Tout à coup, une main sur son épaule la freina. Elle releva les yeux, vers une infirmière à l'étrange sourire crispé.
– Je suis désolé Jiwon, il a déjà des visiteurs.
– Soobin ?
– Sa famille.
Elle ouvrit de grands yeux, choquée. Sa famille ? La famille de Kai était venue le voir ?
– Je vais te demander d'attendre ici, d'accord ?
Elle acquiesça, et s'installa sur la petite chaise en plastique blanc devant la chambre. Incapable d'empêcher sa jambe droite de tressauter, elle jeta des coups d'œil inquiets autour d'elle. La famille de Kai... Elle ne le croyait presque pas. En dix mois, ils étaient venus si peu de fois que Jiwon avait presque manqué d'oublier leur simple existence. Elle fixa le vernis un peu abîmé de ses ongles et soupira, les sourcils légèrement froncés. Elle se demanda pourquoi maintenant. Était-ce une journée particulière ? Il lui semblait pourtant que non. Ils n'avaient même pas daigné se déplacer pour son anniversaire. Celui de leur propre enfant. Les garçons étaient passés, eux, elle le savait. En fin de journée, elle était restée seule avec lui, plus longtemps que d'habitude : aucun membre du personnel n'avait eu à cœur de lui demander de partir, passé son heure de visite. Elle avait tenu à allumer une petite bougie ce jour-là, en face de son corps endormi. Elle avait cuisiné une de ses petites tartes qu'il aimait tant, en pensant une nouvelle fois le trouver éveiller, en vain. Elle avait prié à nouveau pour lui, soufflé sur la petite flamme en espérant qu'il se réveille enfin.
Son cœur se remit à battre beaucoup trop fort : elle en avait presque oublié la famille de Kai, jusqu'à entendre la voix de cette femme qu'elle détestait tant de l'autre côté de la porte.
Elle n'aimait pas les scénarios qui fleurissaient dans son esprit. Alors, inquiète, elle envoya un message à Yeonjun.
Jiwon à 14h03.
Yeonjun, il faut que vous veniez à l'hôpital. Il se passe quelque chose avec Kai. Venez tous les quatre.
Yeonjun à 14h04.
Je suis avec Taehyun, je vais chercher Beomgyu et Soobin immédiatement. Que se passe-t-il ?
Jiwon à 14h04.
J'ai un mauvais pressentiment, je ne sais pas d'où il me vient...
Yeonjun à 14h05.
Ok, respire ma belle, on arrive. On fait au plus vite !
Jiwon à 14h05.
Merci...
Une nouvelle fois, elle se félicita de pouvoir compter sur lui et les autres. Ce dernier mois, il lui avait semblé le voir deux fois plus qu'en temps normal : Yeonjun semblait encore plus attaché à leur projet commun. Il lui avait semblé plus vivant, plus léger que d'habitude, et Jiwon s'était demandé si Soobin qui lui servait son café latte avec un sourire immense et des étoiles plein les yeux n'y était pas pour quelque chose. Elle avait rigolé un peu en le découvrant la première fois, avant de se dire que les choses viendraient quand elles le devraient : elle ne comptait pas presser les garçons sur quoi que ce soit, aussi surprise était-elle de la tournure que prenait leur relation qu'elle avait longuement pensé éteinte.
Yeonjun lui envoya un nouveau message pour lui signaler qu'ils n'étaient pas si loin, et elle déglutit. Nerveuse, elle regarda de nouveau la porte close devant elle.
Jiwon détestait cette famille. Elle la détestait depuis le premier jour. Depuis le premier regard qu'ils avaient eu envers elle. Ils n'avaient eu de cesse et elle le savait parfaitement, d'écorcher son prénom et de la rabaisser devant Kai. Elle les détestait pour le regard et le jugement qu'il portait sur leur fils aîné. Pour l'horreur qu'ils lui faisaient vivre depuis sa naissance. Jiwon les exécrait, plus que tout. Souvent, elle s'était fait la réflexion qu'elle aurait pu tout ignorer ou fuir, tout simplement. Malgré tout, elle était restée à ses côtés, tentant vainement de l'aider. Mais ils étaient comme une maladie incurable : impossible à faire disparaître totalement, et ne s'arrêtant jamais de gangréner.
La porte devant elle s'ouvrit et la mère, puis le père en sortirent. Étrangement soulagée de ne pas voir la grand-mère terrifiante de Kai, Jiwon se leva pour les saluer poliment. Ils lui adressèrent un regard presque agacé, avant de la saluer à mi-voix.
– Comment allez-vous ?
– Comme une mère qui perd son fils, se lamenta la femme devant elle.
Elle ouvrit de grands yeux, soufflée par tant d'hypocrisie.
– Vous ne le perdez pas, répondit-elle. Il se réveillera.
– Son état s'est dégradé dans la nuit.
– Pardon ? Hier il–
– L'entretenir devient un casse-tête. Ma mère a chuté hier soir... sur l'une de ses affaires qui traînaient dans sa chambre d'ailleurs, lança-t-elle, furieuse, en pointant la porte close. Elle est hospitalisée ici.
– Vous n'êtes pas croyable, souffla Jiwon. Il n'est plus là depuis dix mois, et vous parvenez encore à l'accuser de tous les maux...
– Nous avons besoin de fonds pour ma mère, la coupa-t-elle en changeant de sujet.
– Pour votre fils aussi ! s'étrangla-t-elle.
Les larmes lui montaient aux yeux sans qu'elle ne puisse rien y faire et Jiwon détesta la voix plaintive qui prenait le dessus sur ses mots.
– Jiwon ?
La voix de Soobin la fit sursauter et bientôt, les quatre garçons arrivèrent à sa hauteur. Ils ne prirent même pas la peine de saluer les deux autres individus et Yeonjun l'attrapa par les épaules.
– Que se passe-t-il ?
– Ils veulent tout arrêter, murmura-t-elle.
– Pardon ?
La voix de Taehyun ramena l'attention de tout le monde sur lui.
– Ce n'est pas quelque chose dont vous êtes en droit de choisir.
La mère de Kai lui lança un regard froid, le plus mauvais qu'elle avait en stock.
– Nous ne paierons plus, trancha-t-elle.
Beomgyu se planqua légèrement derrière Taehyun terrifié par la scène qui se jouait sous leurs yeux.
– Vous l'abandonnez, c'est ça ? lança Soobin.
– Nous ne l'abandonnons pas ! aboya sa mère.
Quelques patients s'arrêtèrent dans le hall, intrigués.
– Quand nous aurons terminé les soins de ma mère, s'il est toujours là, car je commence à me dire que ça ne durera pas, nous reprendrons les soins !
Jiwon se dégagea des mains de Yeonjun, les joues rouges et s'avança d'un pas vers eux, furieuse. Mais avant même qu'elle ne puisse articuler un seul mot, la femme en face d'elle continua, un air menaçant sur le visage.
– Ne venez pas me jouer votre petite comédie vous ! Pensez-vous que je ne vois pas clair dans votre jeu ? Il ne vous entend pas, ne vous vois pas, alors cela ne sert à rien ! A-t-il seulement été capable de ressentir quoi que ce soit dans sa vie, hein ? Certainement pas ! Il aurait arrêté de me causer tant de peine si cela avait été le c–
Sa main s'écrasa sur sa joue avec une violence inouïe, et la mère de Kai en tomba à la renverse. Le bruit de la claque venait de résonner dans tout le couloir et Jiwon mesura à peine toute la force qu'elle venait d'y mettre. Elle releva le visage vers elle, apeurée, la joue marquée et son mari recula d'un pas, terrifié.
– Oh vous méritez tellement pire...
– Jiwon !
Yeonjun l'agrippa avant qu'elle ne fasse un pas de plus et retint sa main, toujours en l'air.
– Petite a-arogan-gante..., sanglota-t-elle.
Au même instant, un infirmier fit irruption dans le couloir. Son air paniqué la fit voir trouble, et durant quelques secondes, Jiwon se demanda si elle serait allée trop loin, si désormais, elle était interdite d'entrée ici. Sa psychose fut bien vite balayée par la réalité.
– Madame... Votre mère, c'est urgent.
La mère de Kai, toujours au sol, se releva péniblement. Le nouveau venu nota à peine ce détail, visiblement bien trop inquiet pour y prêter une réelle attention.
– Que se passe-t-il ?
– Venez avec moi.
Sous leurs yeux effarés, ils la virent épousseter sa chemise à pois et suivre son mari. Elle ne manqua pas de leur jeter un dernier regard froid, et mauvais.
– Va en enfer, toi et ta mère, pesta Jiwon.
– Mon dieu Jiwon..., souffla Yeonjun.
– Tu as exaucé mon vœu le plus cher, ajouta Soobin. Tu sais combien de fois j'ai eu envie de les tarter ?
Elle étouffa un rire, nerveuse, et sans plus de cérémonie se dirigea vers la porte.
Dans la chambre, le silence régnait. Elle s'avança pour prendre place à côté du lit, suivi de près par les autres garçons.
– Il va bien, tout va bien, la rassura Taehyun.
« Respire Jiwon, on reste avec toi, d'accord ? »
Elle remercia Beomgyu du regard et se tourna vers Kai. En face d'elle, Soobin ne le quittait pas non plus des yeux, sous le regard bienveillant de Yeonjun. Elle glissa une main dans celle de Kai et soupira, soulagée.
– J'ai eu peur, murmura-t-elle.
Beomgyu passa une main sur son épaule pour la rassurer. Pourtant, une larme lui échappa. Sans doute le contre coup de ce qu'elle avait entendu dans le couloir, des mots abjects de cette femme qui se prétendait mère. Elle renifla, et Taehyun fouilla dans ses poches pour lui tendre un mouchoir, embarrassé. Elle le refusa poliment d'un signe de tête, incapable de quitter la moue triste qui était sur son visage.
– Je veux que tu reviennes Kai, sanglota-t-elle.
Elle se fichait que ses amis la voient ainsi, que ses nerfs craquent finalement devant eux. Des mois que Jiwon entretenait ce masque impeccable, ce sourire parfois faux sur son visage. Elle n'en pouvait plus. Il lui manquait, plus que tout au monde. Elle avait besoin de lui. De son sourire, de sa joie, d'entendre son rire bruyant mais qui faisait battre son cœur plus vite. Elle voulait le retour de leurs sorties nocturnes, des cinémas qu'ils se faisaient tous les deux, et des plats traditionnels qu'ils mangeaient sur le bord de la rivière Han. Elle avait besoin du retour du garçon à qui elle tenait plus que tout, mais vers qui elle n'avait jamais osé faire réellement le premier pas.
Subitement, quelque chose se mit à clignoter sur l'une des machines. Elle releva les yeux, paniquée, quand un bruit strident les fit tous sursauter. Soobin lui jeta un regard apeuré, et Jiwon blêmit. Sous ses doigts, il lui sembla sentir le pouls de Kai augmenter.
– Non...
La porte s'ouvrit à la volée, et une équipe de trois personnes se ruèrent sur eux, leur intimant de les laisser.
Au même instant, à l'étage du dessous, une autre alerte venait d'être donnée.
Jiwon se retourna vers les nouveaux venus, paniquée. Tout lui échappait, elle le sentait : son humeur, ses émotions, le contrôle de son corps tout entier.
– Laissez-le... Laissez-le !
– Mademoiselle...
– Vous n'avez pas le droit ! Je veux rester ici !
– Laissez-la !
La voix de Soobin derrière elle lui sembla lointaine. Avec force, elle s'agrippa au visage du garçon en face d'elle. Et le bruit des machines se fit de plus en plus fort.
– Reste avec nous Kai, je t'en supplie... Tu as promis...
Allongé dans une mauvaise posture, le corps de la vieille femme se tordait de douleur.
La voix de Yeonjun, tentant de négocier avec les infirmiers ne lui parvenait plus. Elle entendait à peine Taehyun lui dire de reculer, de les laisser faire leur travail, qu'elle devait les laisser faire leur travail... Mais Jiwon était enfermée dans sa bulle, face à son visage si singulier qu'elle aimait tant.
Elle hurla qu'il était là, au pied de son lit avec ses yeux bicolores et qu'il l'attendait. Elle s'égosilla une dernière fois en le suppliant de tout oublier. On l'a cru folle dans ses derniers instants.
– Kai !
– Mademoiselle...
Elle confessa à demi-voix que finalement, elle le méritait.
Enfin elle se résigna, sous les yeux catastrophés de sa fille.
Une main se posa sur son épaule. Celle de Beomgyu, qui tenait celle de Taehyun. De son autre main, Taehyun tenait fermement les doigts de Yeonjun qui lui n'avait pas lâché Soobin une seule seconde.
Au même instant, à l'étage du dessous, une femme hurla.
Accrochée à lui, Jiwon refusa de le quitter. Les mains des infirmiers sur ses épaules, la tirant encore et encore en arrière ne lui firent ni chaud, ni froid. Jiwon lui avait juré : elle resterait jusqu'au bout. Ses oreilles se firent sourdes aux cris des garçons, aux protestations des hommes et des femmes en blouses. En cet instant, Jiwon pressentait qu'il avait besoin d'elle, de toute sa force, de toute la foi qu'elle avait placée en lui, en sa vie. Et tandis qu'elle le suppliait à nouveau de rester, de ne surtout pas les laisser, le monstre qui avait terrorisé pendant tant d'années le garçon qu'elle aimait termina de disparaître.
─ 𝐊𝐔𝐊𝐈𝐇𝐈𝐌𝐄 𝐓𝐈𝐌𝐄 ─
Le dernier chapitre de cette fiction devait lui revenir, cela me semblait être une évidence. J'espère que le point de vue de Jiwon vous aura plu, j'ai adoré écrire ce chapitre avec elle <3 On se retrouve dans quelques heures pour l'épilogue !
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