𝐂𝐡𝐚𝐩𝐢𝐭𝐫𝐞 𝐪𝐮𝐚𝐭𝐫𝐞

« Une ombre derrière Beomgyu »

❘✶❘

Choi Beomgyu avait toujours été le genre de garçon à garder le sourire. Il souriait dans les moments tristes, il souriait quand on se moquait de lui, il souriait quand on le félicitait, il souriait dans la rue, aux passants, il souriait à ses parents qui avaient perdu le leur depuis des années, il souriait aux enfants, aux animaux... Il souriait à la vie en général. Son sourire était un masque bravache derrière lequel il était plus simple de se planquer que n'importe quoi d'autre. Il savait en jouer, montrer le meilleur de lui-même. La plupart du temps, sa petite comédie prenait jusqu'à que ce que les gens autour de lui se rendent compte que Choi Beomgyu était à part. À ce moment-là, le sourire des gens s'envolait, celui de Beomgyu se retrouvait face à un mur. La pitié se peignait lentement sur leurs traits et Beomgyu avait envie de leur hurler que cela n'était pas nécessaire. Mais il avait appris au fil des années qu'il était dans la nature humaine de prendre en pitié les plus faibles, ou ceux qui ne rentraient pas dans une norme établie par la société dans laquelle ils vivaient. Et c'était tout le problème de Beomgyu : il ne rentrait pas dans les normes de sa société.

Pourtant, il gardait son sourire. Il voulait que les gens croient en lui. Il avait besoin de ce soutien, besoin de se sentir accompagné. Et aimé. Sa plus grande faiblesse était là.

Ce sourire s'était envolé à la seconde où il avait ouvert les yeux sur cette île. Quand il avait quitté l'atmosphère chaleureuse de la petite librairie dans laquelle il travaillait, quand il avait senti cette humidité sur ses mains, vu cette terre sur ses genoux... Il avait vu Taehyun à ses côtés et s'était presque sentit égoïstement soulagé de le voir ici avec lui. Comme les autres, le sens de ce qui était en train de leur arriver lui échappait totalement. Il ne comprenait pas, ne parvenait pas à trouver un sens à ce qui se passait autour de lui... Il aurait voulu hurler en ouvrant les yeux, manifester lui aussi sa peur, mais s'était muré dans le silence, puisqu'il n'avait le droit qu'à ça.

Mais pour l'heure, Beomgyu était certain d'une chose : il voulait fuir cette grotte. Il n'avait pas particulièrement peur du noir, ou des espaces étroits, ou même clos. Mais il se fiait à son instinct, qui lui hurlait de s'échapper de cet endroit. Quelque chose le suivait, lui, et personne d'autre. Il en était intimement persuadé. Il le sentait. Il lui avait effleuré les chevilles et il avait tressailli dans le noir avant de se persuader qu'il avait dû rêver. Mais il ne voulait plus rester ici. Il refusait de prendre le risque de continuer plus loin. Il ne voulait plus rester derrière, mais Yeonjun insista pour prendre la tête, prétextant les éclairer. Et Taehyun, qui voulait fermer la marche, l'entraîna avec lui. Il serrait son bras tout contre lui, refusant de le lâcher. Taehyun était son ancre, sa seule certitude qu'il ne rêvait pas et que tout ça était bien réel. Il voulait lui aussi une source de lumière, mais Yeonjun avait conseillé à tout le monde d'économiser au maximum les batteries de leurs téléphones respectifs. Le sien était dans la poche avant de sa salopette blanche et il luttait à chaque pas pour ne pas s'en saisir et éclairer le chemin derrière lui.

Il avait perçu cette ombre alors que Yeonjun avait balayé de lumière la grotte tout autour d'eux, avant de fermer immédiatement les yeux. Il y avait des créatures qui n'étaient cantonnées qu'à ses cauchemars, ses peurs les plus profondes, et qui ne pouvaient pas exister.

– On est bien arrivé par-là, non ?

La voix de Yeonjun s'éleva et Beomgyu sentit son pouls accélérer légèrement. Pourquoi décelait-il de la peur dans sa voix ?

– Il n'y avait qu'un seul chemin, répondit Soobin d'une voix plate.
– Justement, non.

Beomgyu se rapprocha et fronça les sourcils. Face à eux, deux chemins se dessinaient. Ils n'avaient jamais mis les pieds de ce côté-là de la grotte.

– C'est... c'est pas possible...

Il sentait Soobin perdre patience, mais aussi succomber lentement à ses peurs. Ses petites mains s'agrippèrent un peu plus à la veste de Taehyun qui semblait analyser les deux voies avec une grande concentration. Comment faisait-il pour rester aussi stoïque ?

– Tu es sûr d'avoir bien fait demi-tour par là où nous étions arrivés ? Demanda Kai.
– 'Tain ouais ! Il n'y avait qu'un seul chemin !

Yeonjun s'agaçait, et malgré la peur sous-jacente qu'il entendait dans sa voix, il sentait aussi une colère noire gronder.

– Prend... Prend à gauche ? proposa Soobin.
– Pourquoi pas à droite ? répliqua Yeonjun.
– Je ne sais pas, je proposais juste... On est perdu de toute façon.

Perdu. Le mot résonna à ses oreilles. Dans ces moments-là, Beomgyu aurait voulu ne rien entendre non plus, en prime de ne pas pouvoir s'exprimer comme les quatre autres. Mais sa soi-disant chance ce jour-là lui avait épargné une surdité totale en plus de tout le reste. Il avait beau ne pas avoir une ouïe aussi parfaite que les autres garçons, il ressentait la moindre de leurs émotions, et ce n'était pas bon. Il resserra un peu plus contre lui le bras de Taehyun, qui semblait plongé en pleine réflexion. Taehyun allait trouver une solution. Il en trouvait toujours.

– On se sépare ? proposa Yeonjun.
– Hors de question, trancha Taehyun, Si on se sépare, on ne se retrouvera pas. Et si l'un d'entre nous se blesse, on est foutu.
– Alors c'est soit on trouve la sortie tous ensemble, soit on se perd tous ensemble ?
– Ouais. Non négociable.

Personne n'osa contester Taehyun. Alors ils s'engouffrèrent au hasard dans l'un des deux tunnels qui s'offrait à eux. Beomgyu essaya de garder la tête haute. Malgré la fraîcheur qui se faisait de plus en plus insistante sur ses membres nus, malgré son cœur compressé dans sa poitrine et surtout... Malgré cette peur grandissante en lui. L'ombre allait continuer de le suivre dans le noir, il le savait. Elle était là, juste derrière eux... Que voulait-elle ?

Un souffle – son souffle il en était persuadé – passa tout près de lui, et un gémissement plaintif franchi la barrière de ses lèvres, faisant sursauter les quatre autres.

– Quoi ?
– Quoi, il se passe quoi ?
– Éclaire Beomgyu !

Mais Beomgyu était tétanisé, regardait derrière lui, la peur dans le regard, ses yeux se perdait dans cette obscurité morbide. Il plissa les yeux, espérant distinguer quelque chose qui le rassurerait, en vain. Il massait sa nuque, les doigts tremblants.

– Gyu ?

La voix de Taehyun parvint à peine sur ses oreilles. Il avait l'impression de sentir ce souffle encore et encore sur sa nuque. C'était la même sensation que tout à l'heure, autour de ses chevilles. Il ferma les yeux, voulant s'ôter de la tête cette image immonde de l'ombre qui rôdait autour d'eux.

– Putain agite tes mains là ! Fais un truc ! pesta Yeonjun.
– Yeonjun ! le reprit Soobin.
– Il fait des bruits et puis, plus rien !
– T'es super con ! beugla Kai.
– Toi va bien te faire foutre, hein !
– Fermez-là ! hurla Taehyun.

Yeonjun braqua la lumière de son portable sur Beomgyu et le regard assassin qu'il lui lança le fit déglutir encore plus fort.

« J'ai vu une ombre, et j'ai senti quelque chose dans mon cou. » signa-t-il précipitamment.
– Allons bon. Un monstre, soupira Yeonjun.
– Il a raison. Je crois que je l'ai vu aussi tout à l'heure, souffla Kai.
– Et tu ne pouvais pas nous en tenir informé ?
– Je pensais, j'espérais, l'avoir rêvée !
– Bordel de merde, on va crever ici..., murmura Soobin.

Yeonjun lui frappa l'épaule, les sourcils froncés.

– Bien sûr que non ! On va quitter cette grotte de merde, et aller sur la plage, où nous sommes le plus en sécurité, et j'en ai rien à foutre que tu aies peur des vagues, Soobin.
– Tu es égoïste.
– C'pas une nouveauté, aller, on se casse d'ici, Beomgyu, passe devant. Si cette chose nous voulait du mal, elle nous aurait déjà tous zigouillés.

Il voulait de tout cœur lui donner raison, gardant la tête haute comme lui mais... Beomgyu n'y parvenait pas. Il était désormais livide, avait les jambes flageolantes et ne parvenait pas à retrouver toute sa contenance. Soutenu par Kai, il se hissa à la hauteur de Yeonjun qui reprit sa marche, en jurant dans sa barbe. Mais son attitude pouvait tromper les autres, mais pas lui. Il était l'observateur de ce groupe, et avec les années, il en avait appris bien plus sur eux que tout ce qu'ils avaient voulu laisser paraître. Yeonjun se cachait derrière un masque de bravoure qui ne lui allait pas : au fond, il était aussi terrifié que lui, Soobin ou bien Kai. Seul Taehyun restait en retrait. Et il le connaissait suffisamment pour savoir que son cerveau tentait de trouver une explication rationnelle à tout ce qui était en train de se passer autour d'eux.

Taehyun avait bien trop les pieds sur terre, bien trop obsédé par la logique de chaque chose pour que tout cela le laisse indifférent.

– Vous voyez, vous avez bien fait me suivre, clama Yeonjun.
– Je rêve, il va s'attribuer tous les mérites..., soupira Soobin pour ne pas que le principal intéressé ne l'entende.

Beomgyu peinait à y croire. C'était bien trop beau pour être vrai. Ils ne pouvaient pas avoir retrouvé leur chemin aussi rapidement... Et pourtant, il distinguait bien lui aussi cette petite lueur chaleureuse qui leur signalait le bout du tunnel. Il se retourna une dernière fois, pour s'assurer qu'elle n'était pas là.

Elle le fixait. Lui, et personne d'autre. Beomgyu plongea ses yeux dans ce qui semblait être les siens, dans l'obscurité derrière eux. Il dévisagea cette grande ombre tordue qui lui adressa comme un hochement de tête.

– Gyu ?

La voix de Taehyun lui parut lointaine, mais le fit sortir de sa petite torpeur.

– C'est fini, vient...

Alors pourquoi avait-il l'impression qu'elle allait le suivre, encore et encore ?

– C'est quoi cet endroit ?

Obsédé par l'ombre, Beomgyu n'avait pas fait attention à ce nouvel endroit surréaliste où ils venaient d'arriver. Il avait quitté leur forêt épaisse pour une clairière immense et fleurie. Il baissa une main pour effleurer les petites fleurs qui s'étendaient par milliers sous ses yeux. Violettes, jaunes, rose pâle, blanches... Le tout formait un tapis floral qu'il aurait trouvé fantastique en d'autres circonstances.

– Le sol est bizarre..., lança Soobin qui souleva sa basket avec un air dégoûté sur le visage.

Beomgyu riva ses yeux sur ses propres converses blanches et fit une petite moue. Le sol était poisseux. Il avait l'impression de marcher dans une vase dans laquelle ils ne s'enfonçaient pas. Leurs semelles, toutes teintes en violet à présent, semblaient engluées au sol.

Et puis tout à coup, un drôle de sifflement se fit entendre.

– Le train..., murmura Taehyun.

Tous cherchèrent des yeux un mouvement, quelque chose leur permettant d'identifier la provenance du train. Mais le bruit s'évapora aussi rapidement dans la nature qu'il était arrivé.

« Il faut retourner près de la plage... », signa-t-il.
– Oui, je suis d'accord avec toi, lui répondit Taehyun tout en accompagnant ses paroles de gestes.
– De ? demanda Yeonjun.
– Il faut retourner près de la plage. Il nous arrive que des merdes ici... dans la forêt.
– Une idée du chemin à prendre peut-être ? rétorqua le garçon aux cheveux grisés.
– Non, aucune, je n'ai pas de plan en tête Yeonjun, râla Taehyun.
– On devrait essayer par ici ! lança Kai.
– Oh, le retour des bonnes idées de Kai.

Beomgyu ne put s'empêcher de lever les yeux au ciel, et le geste n'échappa pas à Yeonjun qui le dévisagea complètement et il recula d'un petit pas, un peu intimidé.

– Pitié, tu ne vas pas lui lancer une pique à chaque fois qu'il ouvre la bouche, si ? Tu as quel âge, hein ? soupira Soobin qui jusque-là était resté bien silencieux.
– Vingt-deux ans, et aux dernières nouvelles, je fais encore ce que je veux, lâcha Yeonjun.
– Fait, fait ! lança Soobin sur un ton exaspéré.
– Et bien, si je fais ce que je veux, je me barre. Vous me tapez tous sur le système.

Yeonjun tourna les talons, l'air sûr de lui, sous le regard soudain paniqué de Beomgyu et Soobin.

– Reviens ici crétin ! le héla Soobin.
– Je vais trouver une solution pour me sortir d'ici !
– Tu...
– Laissez, dit Taehyun d'une voix calme.
– Hein ?
– Yeonjun, sois raisonnable, et reviens ici. Toute cette merde ne va pas s'arrêter comme ça. Il faut que nous nous serrions les coudes, continua-t-il calmement.

Une nouvelle fois, Beomgyu fut émerveillé de la manière dont Taehyun prenait les choses en mains.

– Ah ? Visiblement je casse les pieds à tout le monde, même à ton mec. Alors au point où j'en suis...

Beomgyu détourna le regard pour fixer ses pieds, mortifié par ce qu'il venait de dire devant les deux autres. Taehyun leva un sourcil, imperturbable.

– Tu es toujours aussi immature. Et stupide. Mais bon, c'est comme ça que mère nature t'a faite, et nous l'acceptons.

Soobin déglutit si fort que tout le monde pu l'entendre. Yeonjun avait le visage rouge, et cela ne présageait rien de bon. Et Beomgyu se demanda à quel jeu jouait Taehyun. Tout le monde connaissait ici la capacité de Choi Yeonjun à s'énerver très vite, et à partir dans des excès de violence plutôt sévères.

– Mais j'aimerais que tu arrêtes de mal parler à Kai et Soobin, de faire de fausses avances sur moi et Beomgyu, et que tu reviennes. Et qu'on sorte de cet endroit maudit, ensemble.
– Tu -
– C'était pas une proposition, c'était un ordre, bouge ton cul.

Une fraction de seconde plus tard, Yeonjun était devant eux et son poing manqua de peu la figure du garçon aux cheveux rouges qui s'écarta à temps, et Beomgyu voulu hurler, laissant à la place échapper à la place un son coincé et plaintif. Il se jeta sur Taehyun, l'entourant de ses bras et Yeonjun suspendit ses gestes, les yeux exorbités, le visage rouge tomate.

– Putain, tu...
– T'es complètement malade ! hurla Soobin.
– Mais il -
– Il a raison, merde ! Arrête de jouer au con !

Et tandis que Soobin haussait le ton, Beomgyu avait toujours la tête enfouie dans le creux du cou de Taehyun, les bras tremblants, ses mains agrippant les pans de sa chemise à carreau.

Il ne voulait pas de ça. Il ne voulait pas d'une nouvelle dispute. Il savait très bien comment s'était déroulée la dernière. Mal. Et il ne voulait pas tout recommencer. Il ne voulait pas en perdre un à nouveau. Il ne pourrait pas y survivre. Son souffle était chaotique, malgré les caresses rassurantes dans son dos que Taehyun lui procurait. Il sentait cette tension dans l'air, présente depuis leur arrivée sur l'île, qui allait exploser d'un moment à l'autre.

Et si, nous cinq, depuis le début, c'était une erreur ?

Il se détesta de penser ça. Il se détesta de penser que, peut-être, si certaines choses avaient été différentes, ni lui ni les autres n'en seraient à ce point aujourd'hui. Si j'avais pu parler, pensait-il souvent. Aurait-il pu changer le cours des choses ? Ou une infime partie de leur histoire ? Le cœur de Beomgyu se serrait à mesure que Soobin haussait le ton. Il sentait sa voix tremblante, mal assurée, car dans le fond, ils le savaient tous ici, ils l'avaient compris avec le temps, que parler ainsi au plus vieux de leur petite bande lui pesait plus que tout.

Il eut un nouveau sifflement dans l'air, qui stoppa la dispute en cours. Tous levèrent le nez, comme si le bruit venait d'en haut. Ce qui était le cas. Improbable, et pourtant, ils cherchèrent tous un signe parmi les nuages. Sauf lui. Beomgyu avait déniché sa tête de l'épaule de Taehyun et regardait par-dessus.

Il était là, entre les arbres qui entouraient la grande clairière. Ce monstre tout droit sorti de ses cauchemars d'enfance. Cette personne en blouse blanche trop grande et au visage où tout semblait avoir été assemblé à la va-vite. Le monstre le regardait en souriant, avec ses dents immenses, et son visage qui lui fit monter les larmes aux yeux. Il tremblait, mais Taehyun, absorbé par le bruit qui avait retenti au-dessus de leurs têtes ne sembla pas le ressentir. Une larme solitaire roula sur l'une de ses joues tandis que, lentement, la silhouette sombre leva une main gantée pour lui faire signe de s'approcher à nouveau.





─ 𝐊𝐔𝐊𝐈𝐇𝐈𝐌𝐄 𝐓𝐈𝐌𝐄 ─

Je ne vais pas vous mentir, avec Kai, Beomgyu est le personnage le plus compliqué pour moi à appréhender xD Les mots viennent tout seul, mais il n'en reste pas moins délicat à cerner ! À la semaine prochaine pour la suite ! 

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