𝐂𝐡𝐚𝐩𝐢𝐭𝐫𝐞 𝐜𝐢𝐧𝐪𝐮𝐚𝐧𝐭𝐞-𝐧𝐞𝐮𝐟

« Notre hiver »

❘✶❘


Il y a dix mois.
Yeonjun esquissa un sourire devant la photo de sa mère, posant au côté de sa grand-mère dans le sud du pays. Elle semblait bien mieux, en pleine santé, et la voir ainsi lui réchauffa le cœur. Demain, ses parents et son petit frère reviendraient de leur petit voyage dans le sud du pays, où résidaient ses grands-parents, et Yeonjun dirait adieu au calme de l'appartement et sa tranquillité. Souvent il se maudissait de vivre encore ici, de ne pas avoir réussi à partir plus vite, mais Yeonjun s'était fait une raison : s'il souhaitait mener son projet à terme, la moindre économie était de mise. Parfois – non, trop souvent mais il préférait l'ignorer – Yeonjun se faisait la réflexion que le temps finirait par lui manquer, comme pour tout.

Un léger grincement de porte le fit sursauter, et la silhouette de Jiwon se dessina dans l'entrée de la cuisine. Les yeux encore lourds de sommeil, elle s'avança comme un zombie vers lui, avant de s'installer sur l'une des chaises hautes devant elle.

– 'lut Junie...
– Hey, bien dormi ?

Il esquissa un grand sourire et poussa vers elle un grand verre qu'il s'empressa de remplir de son jus favori.

– Désolé pour hier soir, j'me suis écroulée comme une masse... Je pensais avoir la force de rentrer chez moi, marmonna-t-elle.
– C'est rien ne t'en fais pas !
– T'as dormi où ?
– Canap' !
– Tu sais que ça ne m'aurait pas dérangée de le prendre...

Il haussa les épaules, et lui désigna d'un geste du menton la poêle dans laquelle cuisait son petit-déjeuner.

– Je veux bien, merci, soupira-t-elle. Je m'en veux, je n'aime pas prendre le lit des autres. Et au pire, on a déjà dormi ensemble...
– Je ne voulais pas te gêner.

Elle leva un sourcil, et esquissa un sourire amusé.

– Yeonjun, Yeonjun, Yeonjun...
– Quoi..., rigola-t-il.

Elle tendit une main sur sa joue et esquissa un sourire attendri.

– Laisse va..., murmura-t-elle. Je suis contente d'avoir pu passer la soirée avec toi au passage.
– Moi aussi.

Il se retourna pour lui attraper de quoi manger, et laissa échapper un soupir léger. Que Jiwon soit toujours là tout court était déjà énorme. Ils s'étaient rapprochés de nouveau au début des études supérieures de la jeune femme, persuadés tous les deux de partager le même objectif. Il fallait dire que Jiwon comme Yeonjun débordaient d'idées pour le futur.

Il la laissa picorer son repas matinal, répondre à ses messages et attrapa à son tour son téléphone portable pour répondre aux siens. Celui de Taehyun était toujours là, bien présent. Il s'était demandé pourquoi maintenant, pourquoi ce ton aussi pressant... Ils ne s'étaient pas réunis tous les cinq depuis bien trop longtemps. « Hey, Yeonjun ! J'espère que tu vas bien, on se voit bientôt d'après mon planning. Je voulais aussi organiser des retrouvailles entre nous. Tous les cinq. Ça te dirait ? Tu serais partant ? En fait, je ne vais pas trop te laisser le choix, je crois que certaines choses doivent vraiment être mises à plat, cela en devient urgent. Réponds-moi vite ! » Simple et efficace, comme savait si bien le faire Kang Taehyun. Il avait répondu que oui, pourquoi pas, sans trop savoir à quoi s'attendre. Au fond, Yeonjun craignait de le croiser à nouveau. Il évitait Soobin, aussi bien que lui, depuis des mois.

Il passa une main dans ses cheveux, anxieux. Les images de l'autre garçon se succédaient désormais sous ses yeux, sur ses réseaux sociaux qu'il suivait toujours, depuis le temps. Soobin y postait peu de photos de lui, il y trouvait en majorité des photos de ville, de quelques repas, d'amis, ou de son visage caché par ses grandes mains. Mais Yeonjun s'en contentait.

– Qu'est-ce qui te fait sourire comme ça ?

Il ferma la page immédiatement avant que Jiwon ne puisse voir quoi que ce soit, et bredouilla un « non, rien », qui n'avait pas grand-chose de crédible.

– Mmm...

Jiwon se leva, le regard malicieux et s'installa plus à côté de lui, un sourire aux lèvres.

– Allez, crache le morceau.

Il eut un rire nerveux et lui jeta un coup d'œil embarrassé, sentant ses joues gagner une toute nouvelle teinte.

– Il n'y a rien...
– Petit cachottier va !
– Je te le dirais si...
– Si ?
– Si toi tu me dis pour toi.
– Pour moi ?

Elle plaqua une main sur sa poitrine, faussement outrée. Oui, toi Jiwon.

– Est-ce que monsieur Choi Yeonjun insinue que je côtoie quelqu'un ?
– Parfaitement.

Il n'était sûr de rien, ce n'était que du pur bluff, mais cette impression ne le quittait plus depuis plusieurs mois. Si Jiwon ne voulait avoir ne serait-ce qu'un fragment de réponse, alors il était prêt à jouer ce petit jeu avec elle.

– Yeonjun, tu me connais... Je suis tenace. Et patiente. Et maintenant je sais que tu caches vraiment quelque chose... Ou plutôt, quelqu'un, rigola-t-elle.

Pris à son propre jeu, il leva les yeux au ciel.

– Je ne vais pas t'embêter avec ça va, j'étais juste curieuse ! Tu sais que je n'irais pas fouiner dans tes affaires de cœur.

Il esquissa un sourire amusé et essaya de fuir son regard curieux. Oui, il connaissait suffisamment Jiwon pour savoir que la jeune femme ne serait intrusive en aucun cas. Elle lui semblait loin désormais, cette période floue où il avait peiné à lui faire comprendre que leur relation était bel et bien terminée. Jiwon avait fini par l'accepter, non sans être blessée il le savait, mais semblait ne jamais lui en avoir tenu rigueur. Assez curieuse, la jeune femme avait également très vite vu les tensions naître au sein de leur groupe, et c'était toujours appliquée à ne jamais évoquer les autres garçons devant lui, à l'exception de Taehyun, ou quelques fois, de Beomgyu.

– Il faut que je bosse aujourd'hui, soupira-t-il.
– Tu vas aller te poser dans le café que tu aimes bien ?

– Ouais, je vais faire ça... Avant qu'ils rentrent tous ici. Je t'y amènerai une fois promis !
– J'ai hâte, lança-t-elle en frottant ses mains.

Il quitta la cuisine pour aller se changer et se préparer en vitesse, désireux de terminer tout ce qu'il avait à rendre pour la fin de sa semaine le plus vite possible. Quelques minutes plus tard, c'était avec une veste chaude et son manteau sous le bras qu'il se tenait à côté d'elle.

– Jiwon ?
– Oui ?
– Tu fermeras l'appartement ?
– Sans souci Junie ! Bosse bien !

Elle ne résista pas à l'envie de le prendre brièvement dans ses bras, et il passa une main dans ses cheveux coupés au carré.

– Merci Jiwon.




                     Yeonjun poussa la porte du café, et se demanda si sa vue lui jouait des tours, ou s'il était tout simplement en train de rêver. Soobin se tenait là, droit comme un piquet derrière son comptoir. Aussitôt, Yeonjun baissa les yeux sur son portable qu'il déverrouilla, ouvrant la première application venue pour prétendre être occupé. Il marcha comme un robot en direction du comptoir, d'un pas raide, en espérant que Soobin ne soit pas vraiment là, sous ses yeux. Par pitié, va donc... je ne sais pas, dans la réserve... Loin... Hélas, aucune de ses prières ne fut entendue, et quand il releva les yeux, il se crispa légèrement.

– Bonjour et bienvenu. Que puis-je vous servir ?

Ne l'avait-il donc pas reconnu ? Ou se moquait-il ouvertement de lui ?

– Soobin ?
– Vous désirez plus de temps pour faire votre choix ?

Oh. Oui, d'accord, je vois...

– Euh, je... Je vais prendre ça...

Il pointa du doigt son gâteau habituel, se maudissant de perdre l'intégralité de sa prestance en face de lui. L'entendre à nouveau venait de le déstabiliser plus que prévu et, incapable d'ignorer les battements de cœur s'affoler de plus en plus, il essaya de se concentrer sur les prix affichés en vitrine.

– Très bon choix. Quelque chose à boire pour accompagner votre cheesecake ?
– R-rien du tout, merci... Enfin, si, un verre d'eau et ça sera tout, merci...

Il le regarda se retourner comme un automate, et le servir sans daigner croiser son regard. Yeonjun attrapa son petit plateau du bout des doigts, les lèvres pincées.

– Voici pour vous.
– Merci à vous, murmura Yeonjun.

« Merci à vous... » N'importe quoi Yeonjun, n'importe quoi !!

Mais le revoir ici le chamboulait. Soobin avait un peu changé. Il avait l'impression de le voir fatigué, usé. Il se demanda s'il se faisait des films, ou s'il avait véritablement perdu ses joues autrefois rebondies qu'il aimait tant. Soobin avait encore grandi, le dépassant à présent bien plus franchement. Il prit sur lui pour ne pas tourner de nouveau la tête vers le comptoir, et ouvrit son ordinateur portable pour essayer de travailler. Les choses allaient devenir difficiles si Soobin se mettait à travailler ici. Il sentait presque son regard sur lui, à l'autre bout du café. Ou peut-être se faisait-il des idées, Yeonjun n'en savait rien, mais il se détesta de penser que Soobin n'avait sans doute d'yeux que pour lui.

Yeonjun ne releva les yeux qu'une vingtaine de minutes plus tard, et remarqua un nouveau venu en grande discussion avec le brunet. Il plissa les yeux, et ferma son ordinateur d'un coup un peu trop sec qui fit sursauter le couple à la table à côté de la sienne. Soudainement agacé par cette scène pourtant tristement banale, il se leva, et enfila son manteau, les sourcils froncés. Il se dirigea à grands pas vers le comptoir, essayant tant bien que mal de dissimuler sa moue rageuse et de faire descendre sa curiosité maladive envers cet homme qui semblait bien trop proche de Soobin. T'es pas croyable, il ne te doit rien. Absolument r-i-e-n.

– La boisson du jour s'il te plait. Et en pâtisserie, qu'est-ce qui irait le mieux avec ?

Il poussa un soupir un peu trop bruyant, que Soobin capta immédiatement, et il s'empressa de baisser les yeux sur son plateau.

– Le carrot cake, lâcha Soobin d'une voix hachée.
– Alors je te prends ça !
– Super.

Soobin ne le quittait pas des yeux, il le sentait, et avait l'impression de sentir un projecteur braqué sur lui.

– Bonne dégustation !
Je n'en doute pas, lança l'autre. Et si ta période de caca nerveux est terminée... Tu sais que tu es toujours le bienvenu, hein ? Tu me manques.
– À d'autres, bonne journée.

Il prit sur lui pour ne pas le bousculer puérilement, ou lui lancer le regard le plus mauvais qu'il avait en stock. Son intuition avait été la bonne : ils se connaissaient. Et ce qu'il lui avait semblé comprendre des bribes de leur conversation lui tordit le cœur.

Tourne. La. Page.

Non, jamais. Yeonjun n'y était finalement jamais arrivé.

– Cela vous fera huit mille wons, lui annonça Soobin.
– Tu le connaissais ? murmura-t-il.

Les mots lui avaient échappé, il s'en voulut immédiatement. Il lui avait promis, juré même de ne pas s'occuper de ses affaires de cœur. De ne pas fouiner. De ne rien faire.

– Ouais je...

Il retint son souffle, presque en apnée.

– Ouais.

Pourquoi avait-il l'impression de sentir son monde s'effondrer un peu plus à présent ?

– D'accord. Bonne journée.
– Bonne journée à vous.

Il tourna les talons sans demander son reste.


❘✶❘


Yeonjun dévisagea son médecin d'un air las et fatigué. Il détestait être ici, et plus les années passaient, plus l'impression de se battre pour rien grandissait.

– Je ne vois aucune dégradation alarmante Yeonjun.

Donc, il continuait de mourir à petit feu comme prévu. Il se demanda s'il devait s'en réjouir, ou trouver la chose encore plus horrible.

– Continuez-vous votre traitement ?
– Oui monsieur.
– Bien. Et que pensez-vous de ce dont nous avions parlé l'autre jour ?
– Les séances de kinésithérapies respiratoires ? Je ne suis pas certain monsieur.
– Elles vous aideraient sans doute.
Sans doute.
– Yeonjun, mon garçon...
– Depuis le temps docteur, vous savez que je suis un cas perdu.
– Ne dites pas ça, vous savez que je ferais tout ce qui est en mon possible pour... Vous aider.
– À partir moins vite, c'est ça ?

L'homme baissa les yeux, peiné, et Yeonjun se mordit la langue. Il était désolé. Pour cet homme, et sa petite équipe qui le suivaient depuis les prémices de sa maladie. Si Taehyun avait été là, sans doute lui aurait-il lancé une remarque froide sur son comportement déplacé. Il soupira et passa une main dans ses cheveux, se demandant comment formuler des excuses avant qu'il ne reprenne, d'un ton plus paternaliste :

– Vous êtes sur la liste des greffes. Ne perdez pas espoir Yeonjun, je vous l'interdis.

Il esquissa un sourire désolé, et opina du chef. Il n'était pas sur la liste de son plein gré : l'homme l'y avait inscrit dès qu'une place s'était libérée. Lui, n'y croyait plus depuis longtemps. Il avait accepté à demi-mots, en se disant que la démarche soulagerait sans nul doute ses parents.

– Pensez aux séances, d'accord ?
– J'y songerais...
– Envoyez-moi un mail quand vous aurez fait votre choix. Je connais de très bons spécialistes.

Il hocha de la tête et enfila sa veste. Il attrapa du bout des doigts sa nouvelle ordonnance et soupira en y voyant inscrits les mêmes noms imprononçables. Sa prise de médicaments avait débuté peu de temps après le lycée, coïncidant presque avec sa rupture avec Soobin. On ne lui avait pas parlé de remède miracle, juste d'une façon de ralentir les choses, de les rendre moins graves et douloureuses. Yeonjun avait accepté sans broncher.

Il quitta le bureau en traînant presque des pieds, les mains dans les poches et la tête ailleurs. Il ne lui tardait aucunement de revenir chez lui, et de devoir faire le bilan habituel à ses parents. Cette presque routine l'épuisait moralement, physiquement et, ces derniers mois, devenaient de plus en plus stressante.

– Yeonjun !

La voix juste derrière lui, le fit sursauter et lui arracha un petit cri de surprise.

– Oh bon sang Taehyun, tu... Je ne m'attendais pas à te voir ici.

Taehyun lui adressa un sourire immense.

– Quelles sont les nouvelles ?
– Taehyun...
– Ok, ok... Tu n'as pas répondu à mon message.
– Pour la réunion tous les cinq ? Je t'ai dit que j'étais partant...
– Mais tu ne m'as pas donné de date, cela veut-il dire que j'ai le champ libre ?
– Ouais, fait comme tu veux.
– Tu ne me sembles pas enchanté...
– J'ai simplement l'impression que tu te prends pour un médiateur, et je n'aime pas ça.

Taehyun leva un sourcil, légèrement déstabilisé et laissa échapper un rire confus.

– Pense ce que tu veux, lâcha-t-il d'un ton plat.

Mal à l'aise, il gratta sa nuque et essaya de changer de sujet. Le visage de Taehyun s'était refermé comme une huître, et Yeonjun se demanda s'il ne venait pas de mettre les pieds dans le plat.

– Comment va Beomgyu ?
– Ça t'intéresse honnêtement ? Ou tu me poses la question par courtoisie ?
– Taehyun...
– Soobin va bien. Il a un nouveau petit boulot, mais ça, tu le sais déjà puisque vous vous êtes visiblement croisé l'autre jour. Il essaye de continuer ses études avec sérieux, vit toujours chez ses parents et non, je ne sais pas qui il côtoie et depuis combien de temps. C'est bon ?
– Ne sois pas comme ça.
– Ose me dire que tu n'allais pas me poser la question...

Il n'aimait pas la tournure que prenait leur discussion. Taehyun était rarement agressif avec lui, mais ces derniers mois, le ton sec et cassant du jeune homme était revenu à plusieurs reprises dans leurs discussions. Il le savait épuisé, aussi bien moralement que physiquement, et Yeonjun ne pouvait s'empêcher de sentir son cœur se serrer à chaque fois que le garçon aux cheveux rouges lui parlait ainsi. Mais au fond, Taehyun avait raison : cette question lui brûlait également les lèvres. Il soupira et leva les yeux au ciel, souhaitant au plus vite mettre un terme à leurs retrouvailles spontanées. En face de lui, Taehyun ne le lâchait pas du regard, ses grands yeux plantés dans les siens, comme dans l'attente d'une réponse qui ne vint pas.

– Désolé, je suis un peu à cran ces derniers temps, lâcha Taehyun d'un ton haché.
– On est deux dans ce cas, répondit-il avec un rire nerveux.
– Beomgyu va bien.

Yeonjun esquissa un sourire timide. Parler de Beomgyu était comme jouer à pile ou face avec Taehyun. Il y avait les jours pile, où Taehyun était nerveux quant à son avenir, ses parents, sa condition, son travail... Les jours piles étaient les pires. Les jours face sauvaient la mise : Taehyun se radoucissait comme un agneau à la simple entente de son prénom, et Yeonjun le sentait : il se retenait de lui parler pendant des heures de l'autre garçon. Il n'osa pas demander si Beomgyu avait fini par trouver un autre logement, si son travail était toujours le même, craignant de voir le jour face se transformer en pile et se contenta de répondre brièvement :

– Content de l'apprendre alors !
– Et toi, comment tu te sens ?
– Ça va Taehyun, promis.

Il n'eut pas l'air convaincu, mais Yeonjun le savait : Taehyun ne le serait jamais vraiment.

– Je dois y aller... Reste aux aguets pour la date, je vais essayer d'en trouver une qui colle pour tout le monde au plus vite.
– Pas de souci Taehyun, bonne journée.

Ils tournèrent les talons presque en même temps pour partir dans des directions opposées, et Yeonjun se sentit de nouveau envahi par ce sentiment de culpabilité qui ne le quittait plus depuis des mois.

Taehyun lui manquait. Bien sûr, ils se voyaient toujours, mais ces fois se faisaient rares à certaines périodes de l'année. Les études de Taehyun l'avaient noyé sous une masse de travail considérable, et Yeonjun le savait : sa dispute avec Soobin n'avait strictement rien arrangé. Progressivement, tout avait éclaté. Ils avaient cessé d'être cinq. Finalement, la vie avait réussi à tous les éparpiller. Cette pensée le réveillait parfois la nuit. En si peu de temps, tout ou presque lui avait échappé. Aujourd'hui, il ne lui restait que Taehyun et Jiwon. Ils étaient ses deux amis les plus proches, les deux épaules sur lesquelles se reposer.



Quand il rentra chez lui, il s'empressa de déballer son bilan à sa mère, qui lui adressa le même sourire que depuis le jour où tout avait commencé. C'était un mélange entre une expression inquiète et aimante, que Yeonjun s'était mis à détester avec le temps. Pourtant, il le savait, sa mère n'avait jamais voulu que son bien. Au même moment, un babillement s'éleva de la chambre voisine de la sienne et elle se leva, un air alors beaucoup plus inquiet sur le visage. Il en était toujours de même avec le plus petit de la fratrie. Il éclipsait tout le reste en un claquement de doigts, mais pire que tout : Yeonjun savait ses deux parents inquiets de son sort. Allait-on lui aussi lui diagnostiquer quelque chose de grave ? Il avait beau être l'enfant avec la meilleure santé des deux, il n'en restait pas moins cajolé à chaque heure de la journée, et surprotégé comme si sa vie en dépendait.

Ses parents s'en voulaient, il le savait aussi. Ils s'en voulaient pour des choses qu'ils n'avaient pas faites, mal faites, trop faites. Sa mère avait complexé des années sur l'éducation qu'elle lui avait donnée, se blâmant d'avoir sans nul doute perturbé sa santé par ses attentes trop rigides. Son père s'était flagellé à plusieurs reprises de ne pas avoir été assez présent lors de sa petite enfance... Yeonjun avait beau eu leur dire que rien n'était lié, ils en avaient été intimement persuadés. Son mal-être, sa mauvaise santé... À leurs yeux, leur responsabilité était engagée. Et la boucle infernale recommençait. Yeonjun s'en voulait de plus belle, encore et encore, en les voyant essayer de tout changer pour leur nouvel enfant. La vérité était qu'il avait eu une enfance heureuse, vraiment parfaite. Son problème pulmonaire ne venait pas de ses parents. Il n'était ni dû à une pseudo éducation ratée, et n'était ni héréditaire. En les voyant agir ainsi, il lui semblait les voir s'accabler inutilement, faute de pouvoir l'aider réellement. Il se dirigea vers sa chambre, un peu dépité par la situation, et une voix s'éleva alors derrière lui.

– Yeonjun ?

Il se retourna vers son père, le visage crispé.

– Oui ?
– Je suis soulagé de savoir que ça se stabilise.

Il esquissa un sourire et passa une main dans ses cheveux.

– Ça va aller, d'accord ?
– Oui papa.
– Va te reposer va, nous avons commandé le repas, il est programmé pour vingt-et-une heures.

Il opina du chef et tourna les talons avant de fermer en silence la porte de sa chambre.

Deux minutes plus tard, les bras le long du corps, Yeonjun fixait le plafond de sa chambre avec concentration. À nouveau, il se sentait submergé par tous les éléments négatifs de sa journée. Parler avec Taehyun comme autrefois lui manquait, ces après-midis devenaient trop rares. Il détestait l'âge adulte ; tout lui donnait envie d'abandonner le moindre de ses rêves. La fin se rapprochait, et il le savait. Et par-dessus tout, Soobin lui manquait. Il était incapable de passer une semaine sans repenser à leur rupture dans ce café en face du lycée. Pas une semaine sans qu'il ne regrette amèrement de n'avoir rien fait ce jour-là. Avec les jours, les semaines, les mois, la sensation de sa main dans la sienne, la douceur de sa peau sous ses doigts s'était envolée. Plus rien ne lui revenait pas même les regards que Soobin lui réservait quand ils n'étaient que tous les deux.

Yeonjun mit plusieurs minutes à se rendre compte qu'il était en train de pleurer, et essuya d'un geste rageur les larmes sur ses joues. Pleurer ne ramènerait pas Soobin près de lui. Pleurer ne changerait rien. Pleurer ne le ferait pas changer. Non, je ne sais pas qui il côtoie et depuis combien de temps. Il essaya de chasser la phrase de Taehyun de son esprit, en vain. Il avait essayé, à plusieurs reprises de savoir, et s'en était voulu immédiatement. Il avait été établi entre Soobin et lui que tout était terminé. Que Yeonjun ne reviendrait pas. Et vice versa. Parfois il lui prenait de l'imaginer avec un autre garçon, et Yeonjun en avait la nausée. La colère grimpait progressivement, jusqu'à qu'elle n'éclate en un flot d'insultes. Il se détestait d'être ça. Soobin était grand, Soobin était adulte, Soobin ne lui devait rien.


❘✶❘ ❘✶❘ ❘✶❘


Kai fixait son reflet dans le miroir de sa chambre depuis une bonne dizaine de minutes en essayant de trouver le courage de franchir la porte. Ses deux sœurs étaient absentes. Son père était en déplacement. Sa grand-mère était au café du coin de la rue avec quelques-unes de ses horribles amies. Il n'y avait plus que sa mère, au rez-de-chaussée, sans doute en cuisine ou devant une de ses séries favorites. Il n'avait qu'un escalier à descendre, un salon à traverser, une porte à ouvrir... Et enfin, il était libre pour le reste de sa journée. Depuis que sa porte de chambre avait disparu (ainsi que les rideaux qu'il avait essayé de suspendre pour avoir plus d'intimité), Kai se sentait épié à chaque instant de sa journée. Aujourd'hui, pour la première fois depuis longtemps, il se sentait enfin serein. Les mains jointes, il fixa une nouvelle fois sa tenue, la mâchoire crispée, les joues rouges de honte. Tu peux le faire. Tu peux sortir, tu peux assumer... Tu peux réussir... Pourtant son regard ne quittait pas ses baskets blanches flambantes neuves – cadeau de Soobin à son précédent anniversaire – et refusait catégoriquement de remonter le long de sa jupe. Il avait l'impression de sentir à nouveau sur sa personne des regards cuisants et jugeants, comme ce jour-là au lycée. Il entendait de nouveau les rires et les moqueries, et il soupira, incapable de passer au-dessus.

– Je n'y arriverais jamais, murmura-t-il.

Et si Jiwon le trouvait ridicule elle aussi ? Et si elle aussi refusait de se promener au côté d'un garçon aussi étrange ? Il secoua la tête, et effaça du dos de sa main la couleur mate de ses lèvres. Laisse tomber. Il attrapa un jean, qu'il enfila en une fraction de seconde. Sa jupe aurait mieux fait de rester chez Soobin. Il la fourra dans son sac, dans l'idée ferme de l'y rapporter et quitta sa chambre à pas de loup, et descendit les escaliers en essayant de ne pas faire grincer les marches. Sa mère était dans le salon, le regard rivé sur l'écran de sa télévision, et il espéra, une minuscule seconde, qu'elle ne s'en détache pas.

– Où vas-tu ?
– Je... Je te l'ai dit, voir un ami...

Sa mère se retourna et leva un sourcil, une moue mauvaise sur le visage.

– Habillé comme ça ?

Il baissa les yeux sur son jean, ses baskets et le manteau qu'il portait, confus.

– Laisse tomber, soupira-t-elle.

Elle dit juste ça pour t'embêter... N'y pense pas... N'y pense surtout pas... Mais la voix de sa mère continua de résonner en lui jusqu'au bout de sa rue, puis quand il grimpa dans son bus. Il resta assis, figé, sans même regarder le paysage défiler sous ses yeux à se demander pourquoi. Y avait-il réellement un souci avec lui ? Avec ses habits ? Il entrouvrit un peu son sac, assez pour lancer un regard triste à la jupe qui s'y trouvait, et son estomac se contracta. Elle a sans doute raison...

Il laissa sa tête choir contre la vitre du bus, une moue sur le visage. Il en oublia presque le but même de sa sortie, et toute la joie qu'il avait ressentie ce matin en se levant, réalisant que ce soir, il voyait Jiwon.


Une vingtaine de minutes plus tard, il sonna chez la jeune femme, essayant de chasser la tristesse et la honte qui ne le quittait plus depuis qu'il était parti de chez lui. J'ai failli venir habillé comme un plouc. Comme un idiot. Je suis vraiment un raté...

– Kai !!

Devant lui Jiwon lui adressa un sourire immense, un bambin dans les bras. Ses idées noires le quittèrent immédiatement, chassées par le sourire contagieux de la jeune femme.

– Entre, entre ! C'est un peu la panique, je garde deux de mes neveux, ils me les ont confiés au dernier moment, je suis tellement désolée !

Une des petites nièces de Jiwon lui rentra dedans en rigolant, avant de s'agripper à l'une de ses jambes.

– Salut toi, dit-il en souriant.

L'enfant le regarda avec un sourire immense et Jiwon continua de s'excuser.

– Je sais qu'on devait aller au cinéma, mais... Je n'ai aucune idée de quand ma sœur reviendra, et oh... Kai je suis tellement désolé ! Je n'ai même pas eu une minute à moi pour te prévenir ! Je suis idio-

– Ne dis pas ça allons... Je peux attendre qu'ils rentrent, et nous irons plus tard !
– Vraiment ?
– Jiwon, je n'avais rien prévu pour ma journée tout entière.

Dans ses bras le bébé éclata en sanglots et le visage de Jiwon vira au rouge cramoisi.

– C'est pas v-vrai... Fais... Fais comme chez toi, je vais... je...
– Ji', donne-le-moi.
– Hein ?
– Le bébé, je m'en charge. Va manger un truc, tu sembles à deux doigts de défaillir.

Son regard plein de détresse ne lui échappa pas, et Kai réceptionna l'enfant avec précaution et douceur. Collée contre l'une de ses jambes, la petite fille ne semblait plus vouloir le lâcher.

– Eh, que dirais-tu qu'on aille se poser sur le canapé, hein ?

Elle lâcha un cri de joie, avant de se ruer dans le salon et d'enfin le laisser avancer. Dans ses bras, l'enfant piquait la crise du siècle, et Kai crut devenir sourd. Il se posa sur le canapé, aux côtés de la petite fille qui le regardait avec de grands yeux ronds, et essaya de bercer le bébé qui gigotait dans tous les sens. Elle le regarda faire, comme complètement hypnotisé et Kai fut soulagé de voir que sa technique – qu'il trouvait pourtant très bancale – commençait à porter ses fruits. Il passa une main dans ses cheveux fins, recouvrant à peine le sommet de sa tête encore si fragile, et esquissa un sourire.

– Oh... Oh dieu merci il ne pleure plus...

Jiwon se laissa tomber à ses côtés et passa une main sous sa frange, les joues rouges.

– Je suis si nulle avec les enfants... Je ne sais même pas pourquoi ma sœur me laisse les siens, souffla-t-elle.
– Ce n'était pas quelque chose de prévu, ça t'a rendue nerveuse...
– Il a pleuré presque sans s'arrêter depuis que ses parents sont partis, murmura-t-elle.
– Je vais jouer ! lança la petite fille que Kai avait presque oubliée.

Jiwon lui lança un regard attendri et la regarda s'éloigner vers sa chambre, où la petite avait dû installer ses quartiers pour la journée.

– J'ai eu deux petites sœurs, je m'en suis beaucoup occupé, ça aide.
– Je vois qu'elles savent te le rendre, marmonna Jiwon.

Ses caresses sur la tête de l'enfant cessèrent quelques brèves secondes. Le regard figé dans le vide, il laissa échapper un rire jaune, teinté de tristesse.

– Désolé...
– Non, tu as raison... Mais tu sais, je ne pense pas que ça soit de leur faute.
– Kai, elles sont assez grandes pour comprendre...
– Ma mère leur a fourré dans le crâne que je n'étais pas un bon grand frère, depuis toujours. Tu sais pourquoi ?

Jiwon lui lança un coup d'œil craintif.

– Parce qu'elles pleuraient toujours et moi, je savais les calmer. J'ai toujours su y faire avec les enfants, depuis mon plus jeune âge. J'avais trois ans quand ma première petite sœur est née, cinq quand la seconde est arrivée. Mais ma mère me les laissait déjà dans les bras de temps en temps. Elles ne pleuraient jamais dans mes bras.
– Elle ne l'a jamais accepté, c'est ça ?
– Ma grand-mère disait que j'avais forcément dû faire quelque chose pour qu'elles ne pleurent jamais. Que j'émanais quelque chose de tellement mauvais que même un enfant n'osait pas lâcher prise et s'exprimer avec moi. Ma mère s'est rangée de son côté.
– Mon dieu Kai...
– C'est rien, elle a toujours été comme ça. Ma grand-mère voyait le mal en moi, parce qu'elle ne m'appréciait pas.

Il sentit la main de Jiwon se glisser dans l'une des siennes et soupira. Le passé dans sa phrase lui écorcha même la langue ; non, sa grand-mère ne l'aimait toujours pas. Et c'était sans doute ce qui continuait à le blesser, encore et encore.

– Désolé, ce n'est pas très joyeux.
– Tu sais, je t'admire beaucoup Kai.
– Parce que je me fais marcher dessus ? En le sachant pertinemment ?
– Ne sois pas comme ça, bien sûr que non. Je t'admire pour essayer encore de trouver du bien en eux, et de les aimer. Je t'admire parce que plus d'un enfant serait parti de chez lui très tôt pour fuir.
– Je suis un trouillard.
– Non, tu essayes de les aider. C'est ce que je vois... À chaque fois que tu me parles d'eux. Un jour, tu parviendras à te défaire de tout ça : tu arriveras à passer au-dessus de cette culpabilité à chaque fois que tu te dis qu'ils ne te méritent pas.
– Merci Jiwon, murmura-t-il.

Dans ses bras, le bébé venait de s'endormir pour de bon.

– Et je serais là, d'accord ? Ça prendra le temps qu'il faut, et je sais que tu y parviendras.

Sa vision se troubla un peu, et il chassa ses larmes d'un rire cristallin. Pour la première fois, quelqu'un venait de mettre les mots sur ce qu'il n'avait jamais été capable de voir. Il se demanda si Jiwon y croyait vraiment. Si le fond du problème était véritablement là. Si un jour, il réussirait à être l'homme qu'il voulait être, sans se cacher, sans honte.

– Merci Jiwon...

Je n'oublierai jamais, quoi qu'il arrive dans ma vie, je te le promets, eut-il envie de rajouter.



Le reste de sa journée, puis sa soirée s'étaient déroulées bien trop vite à son goût. Une nouvelle fois, aux côtés de Jiwon, Kai avait tendance à tout oublier. Quand sa nièce avait demandé à sortir, Jiwon s'était d'abord montrée réticente. Finalement, une quinzaine de minutes plus tard, Kai s'était retrouvé main dans la main avec elle, secondant son amie, en charge de la poussette. L'après-midi avait viré en tout autre chose qu'une simple sortie cinéma, Jiwon n'avait eu de cesse de s'excuser et Kai s'était amusé. À présent, le plus petit dormait à poings fermés, et ne se réveilla pas une seule fois tout du long de leur promenade. Emmitouflés dans leurs épaisses tenues d'hiver, Jiwon et Kai eurent un mal fou à courir après la fille aînée dans le parc, sous le regard amusé de quelques parents courageux bravant le froid de décembre.

– Oh bon sang, je... ma jeunesse, ma fougue, souffla Jiwon, le visage cramoisi. Mais bon sang, avec quoi la nourrissent-ils... Elle... Elle court encore !

Kai éclata de rire. Pour être inépuisable, l'enfant l'était. Dépassée, Jiwon avait repris sa place aux côtés de la poussette et Kai s'avança vers l'enfant, accroupi devant un buisson. Elle leva son petit visage vers lui, un doigt sur la bouche.

– Chut...

Curieux, il se baissa à sa hauteur. Il se demanda ce que ses yeux d'enfants voyaient, juste là.

– Regarde le chat... Trop mignon...

Il haussa un sourcil, et le chercha du regard.

– Yeux rigolos, pouffa-t-elle.

Il se figea, juste une fraction de seconde. Il ferma les yeux, espérant se tromper, mal voir. Depuis combien de temps ne l'avait-il pas vu ? Ses pupilles félines ne le lâchaient pas et il frissonna. Il rattrapa in extremis la main de la petite fille, tendue en avant.

– Attends ! On ne caresse pas un animal qu'on ne connait pas... On le laisse faire le premier pas.

Elle se releva, un peu vexée, et tourna les talons pour retourner auprès de Jiwon. Il se retourna brièvement vers le petit animal, tapi dans l'ombre. Il n'avait pas bougé d'un iota. Le froid lui glaça le bout des doigts, puis tout le reste du corps. La sensation de malaise ne le quittant pas, il essaya de rompre le contact visuel, en vain.

– Ne t'approche pas des enfants, murmura-t-il d'une voix presque suppliante.

Un petit miaulement lui répondit.

– C'est moi que tu voulais voir ?

Nouveau miaulement.

– On se connait, c'est ça ?

Il était fou, tout bonnement fou. Il parlait à un pauvre chat, dans un parc pour enfant. Un ronronnement lui échappa et Kai fronça les sourcils.

– Allez, file ! Va jouer avec tes copains !

Mais le chat ne bougea pas. Il le fixa avec ses grands yeux bicolores, sans broncher. Ce fut Kai qui céda le premier : soudain mal à l'aise à cause de cette interaction trop longue il se redressa et, l'air de rien tourna les talons. Cet animal lui foutait les chocottes.


❘✶❘


– Donc... Vous avez juste gardé des gosses ?

Soobin le regardait d'un air sceptique, et Kai hocha de la tête.

– Bizarre vos activités... Vous ne deviez pas aller au cinéma ?
– Si, mais bon, les plans ont changé.

Soobin esquissa un large sourire et, sans prévenir, se jeta dans ses bras.

– Que...
– Tu me manques trop.

Il l'écrasa sur son lit et Kai gigota, essayant mollement de se défaire de son étreinte.

– Tu m'étouffes !
– D'amour ! Je t'étouffe d'amour !

Il lui éclata de rire dans les tympans, et Soobin recula malgré lui, un peu sonné, mais néanmoins amusé. Il devait bien avouer que les étreintes de Soobin lui avaient manqué.

– Tu me manques aussi Soo'.
– Pourquoi tu ne viendrais pas vivre ici, hein ?
– Soobin...

Ce n'était pas la première fois que l'idée revenait dans leurs discussions, et si Kai mourait d'envie de vivre ici, dans le foyer aimant dont il avait toujours rêvé, il savait la chose irréalisable.

– Mes parents t'adorent... ça ferait comme une colocation !
– Et devenir une sorte de parasite ?
– Ne dis pas n'importe quoi !
– Je ne peux pas Soo', tu sais comment sont mes parents...
– Horribles.
– Certes.
– J'espère qu'ils iront rôtir en enfer.

Kai le regarda avec des yeux ronds. Il avait senti la conviction dans sa voix, et toute la rancœur qu'il éprouvait à leur égard... Alors pourquoi une nouvelle fois se sentit-il blessé par une telle réaction ?

– Pardon c'était déplacé...

Il haussa les épaules et baissa les yeux sur ses mains jointes.

– Kai ?
– Tu as raison, murmura-t-il.
– Ne te sens pas obligé de me donner raison si tu ne le penses pas. Désolé, je...
– Non, je comprends, ponctua-t-il.

Il cala sa tête contre l'une de ses épaules et lâcha un soupir fatigué.

– Je peux dormir ici ce soir ?
– Kai...
– Merci. J'ai ramené des affaires aussi...
– Ah ?
– Je n'arrive pas à les porter... Je pensais mais...

Soobin posa une main sur ses doigts qu'il n'avait cessé de tordre dans tous les sens.

– Tu n'as pas à te justifier, ok ?
– J'aimerais être moi-même, sans penser au regard des autres, souffla-t-il.
– Tu y arriveras, ok ? Ça prend du temps ces choses-là.
– Mais toi... Toi tu réussis tout ça...

Soobin lâcha un rire nerveux et passa une main dans ses cheveux.

– Parce que j'ai des parents en or qui m'y ont aidé, et que c'est une chance. J'ai mis longtemps à m'accepter aussi, tu sais ? Ma plus grande force Kai, ça a été d'apprendre que le regard des autres ne doit pas primer pour tout. Et-

La sonnerie de son portable le coupa dans son élan et Soobin s'excusa.

– Oh, c'est un message de Taehyun. Il sait que nous sommes tous les deux, rigola-t-il.

Taehyun à 21h01.
Si je ne m'abuse, Kai est avec toi, c'est super, je vais faire d'une pierre de coup ! J'ai une journée où Beomgyu, Yeonjun et moi sommes libres le mois prochain. J'ai vérifié avec les dates que vous m'aviez données, et nous avons une journée qui se détache ;) Ça vous dirait qu'on se retrouve chez ma tante à nouveau ? Je vous renvoie l'adresse si besoin ! Rendez-vous le 8 janvier ! J'ai hâte :D

– Est-ce que le message est vraiment de Taehyun ?

Soobin lui jeta un regard amusé.

– Beomgyu a dû lui dire pour les smileys.

Soobin semblait moins enjoué tout à coup.

– Eh, Soo', ça va aller, d'accord ?
– Je ne le sens pas.
– Mais si, ça va aller, je serai là, d'accord ?

Il essaya de chasser sa petite moue en lui tirant les joues et Soobin se dégagea en riant.


Parce qu'au fond, le rassurer était plus simple que de se rassurer soi-même.

Lui, avait un terrible pressentiment.

L'envie de retourner dans sa jolie clairière où rien ne pouvait lui arriver.

L'espace d'une fraction de seconde, les yeux du chat se dessinèrent à nouveau sous ses yeux.


❘✶❘


Au même moment, Choi Yeonjun cauchemardait.

Il se retournait, encore et encore dans ses draps humides de transpiration, cherchant à se débarrasser des images oppressantes qui dérangeaient sa nuit. Mais autour de lui, les murs continuaient de se resserrer. Il se sentait étouffer entre des parois tranchantes et froides. Depuis combien de temps n'avait-il pas fait ce vieux cauchemar d'enfance ? Il n'avait pas pris la peine de compter. Il hurla une première fois, puis deux, avant de sentir sous ses doigts une texture totalement différente. Il touchait du bois. Un bois humide, qui lui laissa des échardes dans les mains. Il jeta ses draps sans même s'en rendre compte, avec la fervente intention d'écarter les planches autour de lui. Ces dernières, de plus en plus lourdes et épaisses, terminèrent de le plonger dans un noir total. Quelque chose au-dessus de sa tête perfora le toit et il hurla de terreur. Le clou venait de s'enfoncer à deux centimètres de ses mains, et Yeonjun se rapetissa tout au fond de la boite.

Sortez-moi de là !

Il tapa un plus fort, et hurla de plus belle.

PUTAIN SORTEZ-MOI DE LÀ !

Il tapa, une fois, deux fois, et soudain, ses mains trouvèrent quelque chose de nouveau qu'il envoya bouler par réflexe et soudain... Une douleur aiguë le tira de son sommeil. Tétanisé, la respiration sifflante, le souffle bloqué, il se redressa d'un seul en réalisant qu'il venait de chuter de son lit, entraînant avec lui une partie de sa table de chevet. Il y avait des débris de verres sous ses paumes, celle d'une photo posée-là qui avait chuté, des babioles en tout genre et son livre de chevet.

Yeonjun !

Ce fut son père qui le trouva en premier, et qui se jeta sur lui sans prendre le temps d'allumer les lumières. Il agrippa ses épaules fines pour le tirer contre lui, et essuya les larmes que Yeonjun ne parvenait plus à contenir.

– Ça va aller fiston, d'accord, respire, calme-toi, respire...

L'air se bloqua à nouveau dans sa gorge et soudain, l'impression de voir le monde tanguer sous ses yeux le submergea. Il étouffait encore, porta une main à sa gorge et ses oreilles se bouchèrent instantanément. Il tâtonna un peu partout autour de lui à la recherche de repères familiers et trouva les mains de son père qu'il sera fort dans les siennes.

– Chérie ! Chérie !!

La voix de son père se brouilla, bientôt rejointe par celle de sa mère paniquée qui venait d'arriver. Sa vision se troubla de nouveau, au moment où elle s'effondra à moitié, son téléphone entre les mains. Il sentit des mains sur ses joues, essayer de le réveiller, de le faire revenir à lui... Mais la seule chose qui parvenait distinctement à Yeonjun était sa douleur. La pointe dans sa poitrine ne le quittait pas, tout comme l'impression d'avoir les poumons en feu.

– Ils sont en route, ils... Yeonjun ?
– Reste avec papa, accroche-toi...

Son père passa une main sur son front trempé et le serra de nouveau contre lui. Il sentait son cœur battre, plus fort que le sien. Me quitte pas papa... Reste avec moi... Il ressentait sa peur, sa tristesse partout, jusque dans les caresses dans son dos et dans ses cheveux. La voix de sa mère sembla s'éteindre doucement, laissant place à des gémissements de douleur. Il la sentit attraper une de ses mains, avant de le supplier de la regarder. Pardon, pardon, pardon...

Yeonjun aurait voulu lui hurler qu'il était toujours là, et qu'il l'aimait.

Leur hurler que ce n'était pas grave, de ne pas s'inquiéter.

Mais la douleur dans sa poitrine ne désemplissait pas, et il lui sembla attendre une éternité, presque inerte dans les bras de son père avant que d'illustres inconnus ne se saisissent de lui. Ce soir-là, alors que les portes de l'ambulance se refermèrent sur le visage ravagé de ses parents, la seule chose à laquelle Yeonjun pensa fut que personne ne devait rien savoir de cette nuit-là, et surtout pas Taehyun. 




─ 𝐊𝐔𝐊𝐈𝐇𝐈𝐌𝐄 𝐓𝐈𝐌𝐄 ─

Hello ! Comment allez-vous en ce mois de mai un peu trop chaud ?  (メ﹏メ) J'espère que ce chapitre vous aura plu en tout cas, on approche de la fin des flash-back par ailleurs ! J'aime tellement écrire ce genre de dynamique de personnage, ça va me manquer ! À bientôt pour la suite ! <3

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