𝐂𝐡𝐚𝐩𝐢𝐭𝐫𝐞 𝐜𝐢𝐧𝐪𝐮𝐚𝐧𝐭𝐞-𝐜𝐢𝐧𝐪
« Comme dans un rêve »
❘✶❘
Il y a onze mois.
Taehyun attacha son vélo en bas de l'immeuble dans lequel il vivait, et poussa un bruyant soupir. Sa journée l'avait épuisé, autant par son environnement stressant que sa charge de travail qui devenait de plus en plus importante à mesure que les semaines défilaient. Il passa une main dans ses cheveux à la couleur si vive qui en avait fait ricaner plus d'un, la première fois qu'il s'était rendu à l'université avec. Épuisé, il manqua de louper la seule marche devant la porte de son immeuble avant de composer son digicode, se sentant vidé de toute énergie. Son sac, pourtant léger, semblait peser bien lourd sur ses épaules fines. Il lui tardait de retrouver son confort, le calme de son appartement, et de recommencer à travailler en paix, une musique douce dans les oreilles. Il n'avait jamais remercié autant sa mère que lorsqu'elle lui avait déniché cette pépite, non loin de l'université où il étudiait. Souvent, il s'en voulait d'être parti si vite de chez lui après le lycée, mais il avait pris conscience rapidement que sa décision avait été la bonne : il voyait sa mère fréquemment, passait chez elle dès qu'il le pouvait, mais avait enfin son propre chez lui, ses propres règles et vivait pleinement le début de sa vie de jeune adulte.
Il poussa la porte de son appartement et huma une odeur étrange dès le seuil de ce dernier. Il fronça légèrement les sourcils en se déchaussant et en enfilant ses chaussures d'intérieur. Il aimait le confort de leur petit appartement, la douceur de ses couleurs et des assortiments qu'il avait choisis avec sa mère. Comme toujours il se savait plus que chanceux pour un premier aménagement: une chambre, une salle de bain et une cuisinette qui donnait sur le salon, mais ils s'y sentaient bien.
Avant même qu'il ne signale sa présence, Beomgyu apparut tout sourire, la tête dépassant par-dessus le meuble de leur cuisine. Il se redressa, reposa ses gants sur le plan de travail et Taehyun esquissa un sourire, heureux de le revoir. Il s'empressa de le saluer, les yeux brillants.
« Tu rentres pile-poil pour l'heure du dîner ! »
– Je n'ai pas super faim ce soir..., murmura-t-il en signant.
Les yeux du noiraud se plissèrent légèrement.
« J'ai acheté quelque chose sur le chemin du retour ! »
Taehyun lui adressa un sourire fatigué et Beomgyu le guida hors de l'entrée, l'incitant à prendre place sur le canapé, avant de s'asseoir à ses côtés.
« Raconte ta journée ! »
– Oh je... Elle n'était pas la plus cool de ma semaine. Les cas pratiques que j'ai vus aujourd'hui n'étaient vraiment pas joyeux.
« Dis, dis ! »
– Gyu, je ne veux pas encore plomber une soirée...
Beomgyu lui donna un coup de coude, et Taehyun passa une main dans sa nuque, gêné. Il se souvenait des nombreuses fois où il avait parlé sans filtre à l'autre garçon de ses cours, des cas pratiques qu'il voyait quand il se rendait auprès de son tuteur à l'hôpital... Beomgyu finissait généralement blême, mal à l'aise, ou finissait par s'évanouir. Sentant que Taehyun ne changerait pas d'avis, il haussa les épaules et s'apprêta à se lever. Taehyun s'empressa de l'agripper par la manche de son sweat-shirt épais pour le faire rasseoir et posa sa tête sur l'une de ses épaules.
– Je voudrais juste oublier cette journée de merde...
Il sentit son sourire sans même le voir.
– Qu'est-ce qui sent comme ça alors ?
« C'est le Samgyetang* ! »
– Il a une drôle d'odeur...
« J'ai voulu y ajouter ma touche personnelle ! »
Beomgyu se tourna vers lui, tout sourire, et Taehyun ne sut pas s'il devait s'inquiéter ou non.
– Aller va, fais-moi goûter...
Ni une ni deux Beomgyu s'extirpa de son étreinte et revint quelques instants plus tard avec deux plats. L'aspect n'était pas ragoûtant, mais sous le regard beaucoup trop heureux de Beomgyu, il goûta. Ce n'était pas mauvais, Taehyun s'en étonna même. Beomgyu avait un chic pour vouloir « améliorer » les plats qu'il achetait tout fait, mais bien souvent, ces derniers devenaient bien trop épicés ou perdaient toute leur saveur de base.
– C'est... Particulier. Mais pas mauvais.
Beomgyu lui donna un coup de coude en continuant à manger comme si de rien n'était. Il alluma la télévision et Taehyun le laissa choisir le programme de son choix. Il termina rapidement sa portion, et insista pour faire la vaisselle. Au moment de retourner dans leur chambre Beomgyu l'intercepta du bout des doigts par-dessus le canapé.
« Tu ne restes pas ? »
– Il faut que j'aille travailler...
Beomgyu sembla un peu attristé.
– J'ai accumulé un peu de retard, se justifia-t-il.
Le noiraud lui adressa un signe d'encouragement et Taehyun le quitta à regret.
Taehyun fut forcé de constater de longues minutes plus tard qu'il ne parvenait pas à se concentrer, même avec la musique la plus apaisante du monde. Il entendit Beomgyu se lever de l'autre côté du mur, éteindre la télévision, puis aller se laver. Lui, garda les yeux rivés sur sa prise de note du jour, en se maudissant d'avoir été aussi peu productif. Pour la première fois depuis qu'il avait débuté ses études supérieures ; il faiblissait, et le sentait. Une poignée de minutes plus tard Beomgyu débarqua dans son pyjama et lui lança un regard inquiet.
« Tu t'en sors ? Tu veux que je reste encore un peu dans le salon ? »
– Non, c'est bon je... Je vais me doucher aussi. Ça m'aéra l'esprit... Et je continuerai après.
Avec le temps, Beomgyu avait appris à dormir avec Taehyun et sa petite lumière de bureau. Il attrapa son bas de jogging et ce tee-shirt mille fois trop grand qu'il portait la nuit et se dirigea vers leur salle de bain.
Sa vision se brouilla légèrement une fois la porte de la salle de bain fermée, et Taehyun se laissa glisser contre cette dernière. Va voir le médecin, lui avait signé Beomgyu la première fois qu'il s'était écroulé de fatigue dans leur salon. Il lui avait promis, s'y était rendu dans les jours qui avaient suivi. Mais Taehyun savait parfaitement ce qui clochait, et ce qui clochait, c'était sa vie en général. Il se reprit une bonne minute plus tard, puis étira ses bras et se releva avec difficulté. Il retira ses vêtements avec des gestes lents et jeta un regard dépité au reflet qu'il avait en face de lui.
– Merci d'être là, murmura-t-il tout bas.
Il avait l'impression de ne jamais remercier Beomgyu de la bonne manière, mais sa présence rendait tout plus simple. Il se souvenait encore du jour où il avait mis les pieds dans son appartement, après avoir quitté celui de ses parents. Quitter était un bien grand mot. Beomgyu avait pleuré toute la nuit quand, deux ans auparavant, ses parents avaient soudainement eu envie de se retrouver uniquement à deux. Il avait passé la soirée à essayer de les contacter, et ces derniers avaient décliné tous ses appels en visio. Tous les appels de Taehyun aussi. Le lendemain, ils s'étaient rendus chez lui, et Taehyun avait fait face à la scène la plus déchirante de son existence.
Oh Beomgyu, je suis tellement désolé. Personne ne mérite des gens comme ça en tant que parents.
Les voir empaqueter ses affaires, et lui pousser sur le palier en pleurant, comme si son départ était une épreuve avait été un spectacle aussi ignoble qu'injuste. Mais, comme avait dit sa mère d'une voix geignarde je suis sûre qu'avec ton handicap tu pourras obtenir quelque chose de la part de l'état. C'était faux. Et avec ton ami, vous trouverez une solution mon bébé. Beomgyu avait gémi, avait essayé de la prendre dans ses bras, et sous les yeux effarés de Taehyun, sa mère s'était reculée. Sans aucune honte, elle avait sous-entendu que les Kang le prendraient sous leur aile. Sans aucune honte, elle avait supplié de Taehyun de s'occuper de son fils comme elle aurait dû le faire.
Le père n'avait pas été en reste, et Taehyun avait eu envie de vomir. Ce jour-là, il avait craqué. Pour la première fois de sa vie, il n'avait pas été question de se retenir. Il avait pris un carton, l'un des deux appartenant à Beomgyu, et leur avait hurlé leurs quatre vérités à la figure. Il les avait insultés, eux, et leurs parents sur une dizaine de générations. Tout de son vocabulaire le plus fleuri y était passé, et les Choi étaient restés figés sur le seuil de leur appartement sans comprendre. Quelques voisins avaient assisté à la scène, et s'étaient mis à chuchoter, scandalisés. Vous crèverez seuls, ne comptez pas sur votre fils pour venir vous sortir de la merde dans laquelle vous pataugez quand il aura réussi dans la vie ! La mère de Beomgyu avait fondu en larme, et son mari l'avait pris dans ses bras, les lèvres tremblantes. Taehyun n'avait pas cillé. Il avait fait signe à Beomgyu de le suivre et ce dernier avait signé une dernière phrase avant de prendre son deuxième carton et de tourner les talons. Je ferais de mon mieux et vous pourrez être fier de moi, je vais m'en sortir. Taehyun avait eu envie de lui hurler qu'il en avait assez fait.
On toqua à la porte et Taehyun sursauta, en se rendant compte qu'il n'avait pas allumé le robinet de sa baignoire dans laquelle il était assis. Il attrapa rapidement la serviette pour la jeter sur son corps nu et leva les yeux vers la porte.
– Oui ?
Elle s'ouvrit timidement et Beomgyu, le regard rivé vers le sol, s'avança un peu.
« Tout va bien ? Tu es là-dedans depuis vingt minutes, et je n'entendais plus de bruit. »
– Oui, c'est bon, je réfléchissais... Tout va bien, tu peux retourner dans la chambre..., répondit-il d'une voix douce.
La porte se referma et Taehyun lâcha un soupir. Beomgyu s'en faisait toujours beaucoup, et Taehyun le voyait parfaitement. Il y avait cette partie de lui qui se sentait soulagé : Beomgyu faisait attention à lui, était attentif au moindre de ses coups bas. Et il y avait cette autre partie qui s'en voulait, se maudissait de devenir un fardeau pour lui. Il alluma le robinet, et se doucha rapidement. Il enfila ses habits, et quand il retourna dans leur chambre, il trouva Beomgyu absorbé par un énième livre. Taehyun se fit la réflexion que bientôt, ils allaient devoir investir dans une nouvelle petite bibliothèque. Il attrapa ses cours, un crayon, et se glissa à ses côtés, sous les draps.
« Tu ne travailles pas au bureau ce soir? »
– Mmm, non, j'ai envie d'être à côté de toi. Tu as passé une bonne journée ? Je ne t'ai même pas demandé...
« Oui ! Nous avons reçu plein de nouveaux livres, j'ai hâte de voir ce qu'en penseront nos clients ! »
Taehyun lui adressa un sourire tendre et ne résista pas à l'envie de dégager cette mèche de cheveux sombre qui lui tombait devant les yeux.
– Je suis heureux que ça te plaise toujours autant.
« Complètement ! Je suis vraiment bien à la boutique. Jiwon est venue me voir aussi ! »
Taehyun esquissa un sourire un peu plus grand. Il connaissait toute l'affection que Beomgyu portait à la jeune femme depuis le lycée, affection qui ne s'était jamais estompée avec le temps.
– Comment va-t-elle ?
« Elle était contente de me voir toujours en poste, et épanoui ! Elle a coupé ses cheveux, elle est encore plus jolie ! »
Taehyun émit un petit rire. Jiwon avait guidé Beomgyu vers cet endroit où il travaillait, peu de temps après sa première année d'étude infructueuse. Mal à l'aise, stressé et toujours dans le deuil de sa situation familiale, Beomgyu n'avait jamais réussi à accrocher à ses études. Il avait tout laissé tomber, et malgré les supplications de Taehyun de s'accrocher pour un avenir meilleur, avait tout envoyé bouler. Et puis, elle était arrivée. Elle avait envoyé un message à Beomgyu après des mois sans aucune nouvelle. Une amie à elle ouvrait une petite affaire non loin du centre-ville, et cherchait du personnel. Du personnel « particulier » comme elle l'avait précisé à Jiwon. Des jeunes, des moins jeunes, à qui la société offrait difficilement une place. Beomgyu avait sauté sur l'occasion. Il avait découvert une minuscule librairie avec des étoiles plein les yeux, et avait su convaincre la jeune entrepreneuse. Et Taehyun avait soufflé, pour la première fois depuis des semaines. Ce travail l'avait changé, le rendait heureux mais surtout : Beomgyu avait trouvé une petite place dans une société qui n'avait eu de cesse de le dénigrer.
Taehyun termina par reposer son stylo et ses fiches de cours sur la table de chevet au bout d'une dizaine de minutes. Sa concentration s'était envolée, il ne parvenait plus à rien, et se sentait vidé de toute son énergie. Sans trop tarder, Beomgyu glissa un marque-page dans son livre et éteignit sa lampe. Et enfin, il se sentit serein. C'était l'un de ses moments favoris. Quand il n'y avait plus un bruit autour de lui, qu'il se retrouvait seul avec lui, loin des cours de plus en plus ardus, loin de la pression quotidienne, loin de tout ce qui le bouffait de plus en plus. Il se serrait contre lui, lui quémandant un câlin, comme tous les soirs depuis qu'ils partageaient leurs nuits. Il respirait mieux, sentait la pression le quitter à mesure que Beomgyu passait une main dans ses cheveux rouges, et ferma les yeux, sentant lentement mais sûrement son corps s'apaiser contre le sien.
❘✶❘
– Beomgyu, ne t'arrête pas...
Trop heureux d'entendre ces mots sortir de sa bouche, Beomgyu esquissa un sourire encore plus grand. Taehyun avait les yeux clos, et un air apaisé sur le visage. Un air qui lui allait si bien, Beomgyu s'en faisait souvent la réflexion. Son visage, encadré par ses jolies mèches rouges, le rendait dingue et il glissa un doigt le long de sa mâchoire, sentant le pouls de l'autre garçon devenir un peu plus rapide. Qu'il était tentant de poser ses lèvres sur les siennes ! Mais Beomgyu se contenta de loucher dessus, en se demandant ce que cela provoquerait chez lui. Chez eux. Il se le demandait souvent à vrai dire : et si ? Et s'il l'embrassait, que se passerait-il ? Taehyun le repousserait-il ? Lui demanderait-il de quitter son appartement ? Se mettrait-il en colère ? Lui répondrait-il au contraire avec passion ? Il pensait trop, et sans qu'il ne s'en rende compte, Taehyun avait ouvert ses grands yeux, le fixant d'une drôle de façon.
– Pourquoi tu hésites encore ?
La voix de Taehyun était descendue d'une octave, le faisant frémir de la tête aux pieds. Mais ce dernier ne le lâcha pas de ses prunelles sombres. Il le sondait du regard, avec cette lueur presque de défi. Oui, pourquoi hésitait-il ? Taehyun venait de lui donner le feu vert. La bouche légèrement pincée, il se rapprocha lentement de son visage, et effleura ses lèvres du bout des doigts. Sous lui, Taehyun ne bougeait plus. Il avait clos à nouveau ses paupières, et Beomgyu se demanda si tout cela était réellement en train de se passer. Des années qu'il rêvait de ce moment, et enfin...
Il l'embrassait. C'était une sensation un peu étrange, à laquelle il ne s'attendait pas. Il avait rêvé ce moment des milliers de fois, et à présent, tout lui semblait confus. Taehyun n'était pas en reste. Beomgyu eut l'impression que lui aussi avait longtemps attendu ce baiser. Il s'était empressé d'agripper le haut de ses épaules minces pour l'attirer contre lui, et Beomgyu avait soupiré de plaisir. Sentir les lèvres douces de Taehyun contre les siennes pour la première fois, le découvrir autrement... Il en tremblait d'appréhension alors que tout cela était en train de se passer. Pourtant, alors qu'il craignait de mal faire, Beomgyu se surprit à aimer et à redemander. Et à mesure que les secondes semblaient se figer dans le temps, tout autour de lui s'évapora. Tout allait beaucoup trop vite ; leurs baisers chaotiques, ses mains qui ne savaient plus quoi attraper, leurs souffles saccadés... Et Beomgyu eut l'impression que son cœur allait exploser. Il battait si fort contre celui de Taehyun qu'il lui sembla l'entendre résonner entre les murs de sa chambre. Le rouge lui monta aux joues quand ses doigts se glissèrent sous son tee-shirt large et qu'il sentit les lèvres de Taehyun quitter les siennes pour la courbe de sa mâchoire. C'était au-delà de ses espérances. Taehyun lui offrait un moment bien trop beau, bien trop bon et il peinait à le réaliser. Il passa une jambe de l'autre côté de son corps pour le surplomber totalement, encouragé par les caresses brûlantes de Taehyun sur son torse. Tout allait trop vite.
Beaucoup trop vite et soudain,
Beomgyu se redressa dans son lit, le souffle court et les yeux grands ouverts.
– Gyu, tout va bien ?
À ses côtés, Taehyun – parfaitement réveillé – le regardait avec appréhension. Beomgyu secoua la tête, et avant même qu'il ne réalise pleinement qu'il n'avait fait que fantasmer et rêver ce moment, un violent hoquet s'empara de lui. Taehyun avait de nouveau sorti un cahier, et des stylos pour travailler, au beau milieu de la nuit.
– Tu -
Il agita les mains pour signer maladroitement un pardon et se leva avec précipitation. Il tituba, encore sonné par son réveil brutal et manqua de trébucher.
– Beomgyu ?
Il fila dans leur salle de bain sans demander son reste et prit soin de refermer la porte derrière lui. Affolé, le cœur battant à mille à l'heure, il passa de l'eau sur son visage et dans ses cheveux, comme pour s'assurer qu'il ne rêvait plus. Son hoquet s'accentua et un sanglot lui échappa. Abattu et tremblant il se laissa glisser contre le rebord de la baignoire, faisant fi du sol froid de la petite pièce. Rouge de honte, et de gêne, il ignora les coups légers que Taehyun donnait à la porte en lui demandant si tout allait bien. Non, rien n'allait. Son corps brûlant peinait à revenir à sa température normale, et quand il baissa les yeux sur son bas de jogging la panique le gagna de plus belle.
– Beomgyu ? Beomgyu s'il te plaît, si tout va bien tape un coup à la porte ! Ou ouvre-moi, s'il te plaît, je m'inquiète vraiment !
Pas maintenant, par pitié, je ne peux pas faire une crise maintenant.
– Beomgyu je ne veux pas rentrer si tu ne m'y autorises pas. S'il te plaît, toque à la porte que je sache que tu ailles bien.
Mais Beomgyu n'allait pas bien. Sa vision se brouilla et il se releva avec peine pour asperger de nouveau son visage d'eau froide. Il se redressa difficilement, les mains tremblantes et aspergea son corps tout entier, sentant la panique le gagner de plus en plus. Non, non, il ne doit pas voir ça... Son corps n'avait pas le droit de lui faire ça maintenant. Il n'entendait plus que son cœur battre et résonner dans toute la pièce, jusqu'au bout de ses doigts. Sa vision trouble l'empêcha de voir clairement qu'il venait de faire déborder la vasque.
– Beomgyu ? Beomgyu tu me fais peur, je vais rentrer si tu ne frappes pas...
Un gémissement plaintif s'échappa de ses lèvres et il glissa sur le sol trempé de sa salle de bain. En entendant sans nul doute la chute, Taehyun déboula, complètement catastrophé. Il éteignit le robinet avant de se jeter sur lui, en panique totale.
– BEOMGYU ! Bordel, Gyu ! Signe-moi quelque chose, Beomgyu !
Il essaya de le dégager, dans des gestes brusques et confus, mais Taehyun le ceintura avec douceur, passa une main sur son front. Il se débattit, pour l'empêcher de le toucher davantage mais Taehyun resserra encore plus son emprise, souhaitant bien faire. Pourtant, la seule chose que son esprit lui hurlait en ce moment même était que Taehyun ne devait pas voir dans quel état il se trouvait.
– Calme-toi, eh, eh... calme-toi, ça va aller...
Sa tête lui tournait ; la voix de Taehyun était apaisante, mais pas assez pour faire disparaître la gêne et la peur qui s'étaient emparées de lui en cet instant.
– Je vais te chercher des habits de rechange, je reviens.
Roulé en boule contre sa baignoire, ses yeux ne quittaient plus ce petit bout de carrelage bien neuf. Il retombait dans ses vieux démons. À nouveau. Cette crise était la première depuis qu'il vivait ici. Et cette constatation lui noua la gorge. Bientôt Taehyun fut de retour et déposa une serviette épaisse sur ses épaules et lui frotta ses cheveux un peu humides avec douceur.
– Est-ce que tu veux quelque chose à manger ?
Beomgyu secoua la tête, sans quitter des yeux son bout de carrelage. Il avait à cœur de ne pas croiser son regard, par peur de ce qu'il pourrait y lire.
– Bon, très bien. Change-toi, d'accord ? Je nettoierais ça demain matin.
« Je vais le faire »
– Non, Beomgyu, tu vas retourner dormir, et demain, je m'occupe de ça.
Il soupira, sachant qu'il n'était pas utile de discuter avec Taehyun sur ces choses-là. Il attendit qu'il quitte la pièce pour se changer intégralement, se moucha et sécha son visage. Il poussa lentement la porte de la salle de bain, et se dirigea à pas lent vers le lit, sans oser lever le regard vers l'autre garçon qui avait de nouveau attrapé ses cours. En fin de compte, il n'avait pas réussi à dormir bien longtemps avant de s'y remettre.
– Tu veux en parler ?
« Je suis tout simplement désolé. Je ne voulais pas te faire peur. »
Son visage s'empourpra, et il se roula en boule sous sa couette.
– Les crises de panique ne sont pas des choses que l'on maîtrise Beomgyu.
Il ne signa rien en retour. Il était plutôt bien placé pour le savoir. Pourtant, il avait eu l'illusion ces dernières années qu'il évoluait pour le mieux. Un simple rêve un peu trop érotique avait suffi à lui en causer une nouvelle. Il se trouva pitoyable.
– Ni notre sommeil, et ce que fait notre cerveau pendant ce dernier.
Il secoua la tête, et se redressa à genoux sur le lit, sans quitter le matelas des yeux.
« Pardon Taehyun. Je devrais peut-être dormir ailleurs ce soir ? Ou envisager de... »
Taehyun posa une main sur les siennes, et Beomgyu fut forcé de lever son regard.
– J'ai l'habitude ne t'en fais pas.
Beomgyu ouvrit des yeux ronds.
– Ouais tu...
Taehyun eut soudain l'air un peu embarrassé.
– Tu respires fort pendant la nuit, et disons que je sais quand tu passes une nuit agitée. Tu as tendance à émettre de petits sons, un peu inquiétant je dois bien l'avouer quand on ne te connaît pas. Et aussi, tu me roules dessus, mais ça, j'en conclus que ce n'est qu'une vile revanche pour toutes les fois où j'ai fini par baver sur toi pendant mon sommeil.
Beomgyu ne put s'empêcher d'esquisser un sourire amusé. Il voyait clair dans son jeu, dans son optique de le détendre et de le faire sourire, et il avait réussi. Taehyun lâcha ses mains, et lui lança un sourire réconfortant. Évitait-il soigneusement le sujet précis de sa fuite vers la salle de bain ? Sans nul doute, et Beomgyu l'en remerciait. Pourtant les souvenirs brûlants de son songe ne le quittaient pas, et une pointe de tristesse pointa en lui, à mesure que Taehyun continuait de le rassurer sur ses comportements nocturnes. Il voyait bien là tous les efforts que l'autre garçon tentait de déployer pour lui faire oublier sa déconvenue. Toutes les pincettes qu'il prenait pour ne pas aborder le sujet qui les mettrait tous les deux mal à l'aise.
Car Beomgyu savait, ce n'était pas la première fois. Simplement, ce soir-là, il en avait été pleinement conscient.
Et comme à chaque fois, Taehyun ne disait rien. Il vivait avec cette émotion désagréable au fond de lui qui ne faisait que croître. La peur qu'ils n'empruntent un chemin sans retour qui l'effrayait au plus haut point. Il refusait de voir l'évidence, de l'accepter. À chaque fois, c'était les mêmes pensées noires qui revenaient le hanter. « Tu ne le rendras jamais heureux. » Et Taehyun y croyait, parce que cela l'arrangeait. Taehyun restait persuadé qu'il pouvait changer les choses. Il avait besoin d'un peu de temps, et d'une nouvelle personne dans l'équation, une personne qui serait faite pour ce garçon qui se rendormait lentement à ces côtés.
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Il y avait des choses auxquelles Beomgyu ne s'habituait jamais depuis la fin de son lycée. Le monde adulte l'avait effrayé, aux premiers abords, avant qu'il ne s'y retrouve plongé entièrement. Beomgyu ne s'habituait pas à ne plus voir ses parents. Beomgyu leur écrivait souvent, et recevait bien souvent les mêmes réponses. Des « je t'aime » à tout va, des « j'espère qu'ils prennent bien soin de toi » ou encore des « mon bébé, papa et moi t'aimons ». Et à chaque fois, ces messages le faisaient sourire. Il restait persuadé encore et toujours que ses parents pensaient à lui autant que lui pensait à eux. Pourtant, ces derniers ne l'avaient pas vu depuis deux ans. Deux ans d'esquives que Beomgyu trouvait comment justifier auprès de Taehyun. La simple idée que ses parents aient refait leur vie sans lui lui semblait absolument fantasque.
Il ne s'habituait pas à être considéré comme un « grand », comme une personne qui avait une véritable valeur au sein de son lieu de travail. Il ne s'habituait pas au respect que lui donnaient les gens. Il ne comprenait pas ce que son employeuse voyait en lui, mais faisait de son mieux pour être l'employé parfait. Mais plus encore, Beomgyu ne s'était jamais habitué à l'éclatement total de leur groupe.
Il voyait Jiwon, souvent. Il voyait de temps en temps Soobin, Kai. Quant à Yeonjun... Il savait que Taehyun continuait de le voir, péniblement, mais Beomgyu avait l'impression qu'il s'en était fait une obligation. Durant leur dernière année de lycée, il s'était passé un tas de choses que Beomgyu n'avait pas compris. Il y avait eu cette prise de bec terrible entre Yeonjun et Soobin, à laquelle personne n'avait assisté, mais que tout le monde avait comprise. Ils avaient continué de se côtoyer un peu, puis plus du tout. Taehyun jonglait entre Yeonjun, Soobin et Kai. Lui, n'avait voulu en mettre aucun de côté, mais avait été forcé de constater que Yeonjun s'était éloigné progressivement de lui.
Son second réveil sonna, et le jeune homme se força à sortir du lit, pourtant si confortable. À ses côtés, la place était déjà froide, mais comme à chaque fois Taehyun avait remis les oreillers et son côté du drap en place. Beomgyu enfila un plaid sur ses épaules, et se traîna les paupières à moitié closes vers la cuisine pour manger quelque chose. Il ne travaillait que deux petites heures ce matin-là, qu'il avait accepté de dépanner sur son jour de repos. Après cela, il avait décidé de rejoindre Taehyun pour le déjeuner. Comme tous les jours où Taehyun se levait avant lui pour travailler, il y avait un petit plateau de préparé dans le frigo. Beomgyu aimait toute l'attention que le jeune homme y mettait. Son cœur battait un peu plus vite en lisant les mots d'encouragement qu'il lui laissait sur la table de la cuisine. C'était un rituel bien à eux, et Beomgyu ne voulait pas en voir la fin.
Il se sentait incroyablement libre et bien, depuis qu'il vivait ici. Son maigre salaire ne payait pas grand-chose, mais il avait tenu à participer à son échelle à l'entretien de l'appartement dans lequel ils vivaient tous les deux : c'était un drôle de rêve qui s'était réalisé. Un rêve qu'il avait fait pendant des années de lycée. Ils avaient leur propre équilibre, leur chez eux, et chaque jour, tous les sentiments qu'ils nourrissaient à son égard ne faisaient que croître. Taehyun et lui se complétaient dans le silence et leur petite routine qu'ils chérissaient tous les deux. Beomgyu était la boule d'énergie dont le garçon aux cheveux rouges avait besoin, Taehyun était la figure forte qui savait le rassurer. Et chaque jour qui passait, Beomgyu l'admirait un peu plus.
Il se fichait de ne pas tout avoir. Il vivait déjà avec le garçon dont il était amoureux, et réalisait pleinement que cela était bien plus que tout ce qu'il pouvait espérer. Que cela ne soit pas réciproque avait arrêté de le tirailler.
❘✶❘
Beomgyu se demanda un instant s'il était autorisé à pénétrer au sein de l'hôpital. Il savait que Taehyun suivait ici des heures supplémentaires, auprès d'une équipe qu'il avait lui-même sollicitée pour se spécialiser. Il avait son emploi du temps sur son téléphone, et Taehyun s'assurait toujours à ce qu'il soit à jour. Il regarda un peu autour de lui, resserra les bretelles de son sac à dos dans lequel il avait glissé leur repas. Il lui faisait une surprise, et espérait que cette dernière lui plaise. Il jeta un dernier coup d'œil à sa montre, et quand la grande aiguille changea de position, il souffla et s'avança vers les portes. Il chercha l'accueil des yeux, et s'y dirigea avec un immense sourire. Les hôpitaux ne l'avaient jamais mis très à l'aise. Pire, il les avait en horreur depuis une dizaine d'années, mais aujourd'hui, il se sentait fier de s'y être rendu pour surprendre Taehyun. Mais une fois de plus, son bonheur fut de courte durée.
– Choi Beomgyu ?
La voix qui s'était élevée derrière lui le figea immédiatement, et lui glaça le sang.
– Choi Beomgyu, c'est bien toi ?
Ne te retourne pas ! lui hurla son instinct. Un frisson lui parcourut l'échine et son corps se crispa à mesure que les bruits de pas se rapprochaient de lui. Cette voix, il se souvenait avec exactitude à qui elle appartenait. C'était la voix d'un individu que sa mémoire avait choisi d'enfouir. Un visage qui s'était lentement mué en celui d'un monstre avec les années. Un visage qu'il était parvenu à effacer complètement de sa mémoire ces deux dernières années. Il fourra les mains dans ses poches, tétanisé, incapable de faire un pas de plus en avant. Il ne peut pas être réel. Il ne peut pas être là, respire calmement, et avance... Tu peux le faire. C'est dans ta stupide tête. Il esquissait un pas, les jambes flageolantes.
– Tu as tellement grandi. Tu es devenu un très beau garçon...
La panique le gagna et sa vision se troubla légèrement quand soudain, une main se posa sur son épaule. Il sursauta, et se dégagea immédiatement. Mais il était déjà trop tard. Déjà son parfum désagréable lui envahit les narines. La sensation de sa main était toujours là, comme gravée dans sa peau, à nouveau.
Tu as tellement grandi.
Tu es devenu un très beau garçon...
Comment osait-il ? Ces mots résonnaient en boucle dans sa tête, quand soudain, la voix familière de Taehyun lui parvint aux oreilles.
– Beomgyu ? Que fais-tu ici ? Oh, tu as fait la connaissance de -
Beomgyu se retourna, les yeux rivés vers le sol, incapable de les lever face aux deux individus lui faisant face. Il portait encore ces mêmes chaussures qu'il avait toujours trouvées laides.
« Je suis venu te chercher pour déjeuner » signa-t-il à toute vitesse.
– Oh, d'accord, et tu-
Sans demander son reste Beomgyu l'empoigna avec force et le tira en avant, loin de l'accueil. Loin de lui.
– Eh, eh !
Taehyun se stoppa, et Beomgyu le lâcha enfin, sans pour autant regarder autour de lui. Son cœur battait à tout rompre. Il était sûrement encore dans les parages. Il le regardait à coup sûr. Il allait revenir. Il allait de nouveau le regarder avec ses yeux mauvais, et lui sourire. Il ne voulait plus le voir sourire. Il avait oublié son sourire. Sentant la panique le gagner il tendit de nouveau la main vers Taehyun pour l'agripper et recommencer à marcher.
– Stop, Beomgyu !
Il ne s'arrêta qu'une fois dehors, de l'autre côté de la rue. Une fois certains que son démon ne le poursuivrait pas sans passer pour un aliéné.
– Que se passe-t-il ? Beomgyu, regarde-moi...
« Je ne suis pas à l'aise dans les hôpitaux. »
– Ça je le sais bien... Je te trouve très courageux d'être venu me voir ici Gyu, vraiment.
Il releva péniblement les yeux vers lui, et fut soulagé de voir qu'ils étaient enfin seuls.
– Je voulais te présenter au brillant chirurgien qui s'occupe de moi.
Il ouvrit de grands yeux, et son cœur loupa un battement. Il se demanda s'il avait bien entendu, mais le regard de Taehyun ne laissait transparaître qu'une profonde admiration pour cet homme qui s'était hissé au rang de cauchemar dans son esprit. Beomgyu déglutit. Non, pas toi. Il ne peut pas faire ça. Pourquoi est-ce que le monde continu de me rire au nez après tant d'années ? Pourquoi faut-il que cela soit tombé sur lui ? Brillant chirurgien, hein ? C'est forcément une blague, n'est-ce pas ?
– Une autre fois peut-être ! Ne t'en fais pas, je comprends tout à fait que -
Beomgyu le coupa et le prit dans ses bras, les lèvres tremblantes.
– Gyu, tu n'as vraiment pas l'air bien...
Il secoua la tête, les larmes au bord des yeux.
« Tu as faim ? »
Il voulait passer à autre chose.
– Euh, oui bien sûr...
Beomgyu était prêt à parier que ce n'était pas le cas, mais Taehyun ne voulait pas le froisser. Il le guida jusqu'à un petit coin tranquille, tout en retirant sa blouse.
– Tu me donnes deux minutes pour aller chercher mon sac ?
Beomgyu opina du chef et le regarda s'éloigner. Aussitôt il fouilla dans son propre sac pour en extirper un petit paquet de mouchoirs avec lequel il épongea ses yeux. Il eut un hoquet, tremblant sur le banc sur lequel il était assis. Il n'avait plus aucune envie de rester là. Il voulait juste partir. Alors il se leva, flageolant et n'écoutant que son instinct et commença à s'éloigner, le regard embrumé.
– Eh ! Beomgyu !
La main de Taehyun se posa sur l'une de ses épaules.
– Tu as oublié que nous devions manger ensemble?
Taehyun le dévisagea un bref instant.
– Tu n'as vraiment pas l'air bien Gyu... Je sais bien que les hôpitaux ne te mettent pas à l'aise, je ne t'en aurais pas voulu si tu m'avais envoyé au préalable un message pour que l'on se retrouve ailleurs !
« Je voulais te surprendre. »
Une once de tristesse passa sur le visage du garçon aux cheveux rouges.
Son épaule, celle où il avait déposé sa main, le picotait toujours. Il réprima un frisson et riva son regard vers le sol. Il sentit Taehyun le pousser légèrement en avant pour qu'ils se mettent en route vers un petit coin tranquille où déjeuner et il se dégagea par réflexe, mal à l'aise. Finalement, au bout de quelques minutes, ils trouvèrent une table où s'installer et Taehyun déballa leur déjeuner, un sourire radieux aux lèvres.
– Ça a l'air très bon Gyu !
Il opina du chef en silence avant d'ouvrir son propre bento. Il zyeuta Taehyun qui commença à picorer avec appétit dans son plat et esquissa un sourire timide avant de reporter son attention sur ses baguettes et son propre menu. Son appétit l'avait quitté soudainement. Il avala avec peine une gorgée de sa boisson et un bout de son riz.
– Je fais des heures supplémentaires actuellement. Je peux rentrer si tu veux, cela n'impactera en rien mes notations.
Beomgyu releva les yeux vers Taehyun qui le regardait avec consternation. Il secoua la tête, se forçant à sourire de plus belle.
« C'est juste un petit coup de mou. » signa-t-il à la va-vite.
– Oh.
« Est-ce que c'est bon ? » signa-t-il en désignant son bento.
– Excellent ! Je dois avouer que je suis surpris.
Beomgyu lui donna un petit coup de coude, faussement agacé. Il n'était pas le plus doué en cuisine, pourtant, il tenait encore et toujours à tenter sa chance. Un jour viendrait, il en était persuadé, où il parviendrait à cuisiner sans brûler son plat ou sans rater des étapes simples de la recette qu'il était en train de faire. Le repas s'écoula bien plus rapidement qu'il ne l'aurait voulu, et lorsque Taehyun lui proposa pour la dixième fois consécutive s'il souhaitait rentrer avec lui, il déclina. Il se connaissait suffisamment pour savoir qu'en cet instant, et de retour dans leur appartement, la seule chose dont il avait réellement besoin était de solitude. Taehyun le comprit, et ne chercha pas à le faire changer d'avis. Il le serra dans ses bras en guise d'encouragement, en le remerciant une nouvelle fois pour ce repas auquel Beomgyu avait finalement très peu touché.
Ce fut à peine la porte franchie que tout son mal être remonta à la surface. Il se rua dans leur salle de bain, ayant à peine eu le temps de claquer la porte et de se déchausser, et l'intégralité de son repas termina dans la cuvette des toilettes. Essoufflé, les larmes au bord des yeux, il laissa son ventre se contracter deux nouvelles fois avant de tirer la chasse et de laver sa bouche, le visage blême. Il retira ses habits avec empressement et se dépêcha de se glisser dans sa baignoire et de faire couler de l'eau brûlante sur sa peau.
Tu as tellement grandi.
Tu es devenu un très beau garçon...
Une nouvelle nausée le prit, et il se recroquevilla dans sa baignoire, frottant son épaule avec énergie. Il ferma les yeux, en essayant de chasser cette voix désagréable, son parfum qui flottait encore autour de lui. Mais le plus important restait ce visage. Il ne devait pas resonger à ce visage. Il augmenta encore un peu plus la température de l'eau, jusqu'à s'arracher un couinement inaudible de douleur.
Combien de séances allait-il encore faire ? Pourquoi devait-il continuer à le voir ? Qu'est-ce que cet homme lui apportait ? Il ne reparlerait plus jamais, il le lui avait dit le premier jour. Il ne ferait rien pour lui. Ils n'avaient pas l'argent. Ils n'étaient qu'une perte de temps. Aucune de ses autres fonctions n'avait été atteinte. Alors pourquoi ?
– Alors, prêt pour le retrait de ton plâtre ?
Ah oui, le plâtre. Il avait presque oublié son existence. Il frissonna, une moue sur le visage quand l'homme en face de lui esquissa ce sourire immense qui le mettait si mal à l'aise. Après le plâtre, il n'y aurait plus de vilain sourire, plus de dents trop grandes, plus de mains sur son corps.
– Il y aura sans doute besoin d'une légère rééducation, mon service peut s'en charger.
Beomgyu secoua à peine la tête.
– Mais si tu souhaites, je peux m'en charger. Tout serait peut-être plus simple ainsi, tu pourrais garder tes repères.
Cette fois-ci, il secoua la tête avec beaucoup plus d'énergie.
– Très bien.
Il en était hors de question. Il aurait voulu hurler en cet instant, quand il le vit s'agenouiller devant la chaise sur laquelle il était assis.
– Beomgyu, écoute-moi bien.
Assis dans sa baignoire il balança le jet d'eau brûlante devant lui, les joues ruisselantes. Arrête, sors de ma tête... Sors de ma tête !!
– Nous sommes partis du mauvais pied toi et moi, j'en conviens.
Il se figea en croisant son regard. Il remua mollement sa jambe comme pour l'éloigner et un rire jaune lui répondit.
– Très bien. Je dirais à tes parents que tu n'as pas été foutu d'être sage.
Il ouvrit de grands yeux, soudain paniqué à cette idée. Il releva la tête, le suppliant du regard. Et comme toujours, Beomgyu savait que cela ne servirait à rien, alors il capitula.
La bouteille de shampoing s'éclata contre la porte de leur salle de bain avec un bruit sourd. Enfoui sous ses bras, la tête entre les jambes, Beomgyu avait la respiration sifflante et les yeux exorbités. Il frappa du poing les rebords de la baignoire, sans chercher à retenir ses pleurs et gémissements qu'il détestait tant, maudissant ses souvenirs de revenir maintenant qu'il était au plus bas, et complètement seul.
Beomgyu se sentait vulnérable.
Écœuré d'avoir croisé son regard par le plus grand des hasards, après des années d'oubli. Tristement fasciné en réalisant qu'il ne le quitterait sans doute jamais, et qu'après des années aux oubliettes, ses souvenirs semblaient toujours aussi vivaces.
Il s'extirpa de la baignoire une heure plus tard, la peau blanche et fripée par endroit. L'eau avait arrêté de couler il y avait bien longtemps, mais il était resté en position fœtale, à supplier ses souvenirs de le laisser une nouvelle fois en paix. Ce fut seulement en sentant le froid paralyser pour de bon le bout de ses doigts qu'il s'était décidé à sortir de là, tremblotant. Comme un zombie il s'était changé, sans prêter attention à l'irritation sur son épaule et enfila un pull épais avant de se rouler en boule sur leur lit. Finalement Taehyun, j'aurais aimé que tu rentres avec moi.
❘✶❘
Beomgyu lui semblait étrange depuis le début de la soirée. Ils avaient mangé dans le plus grand des calmes, devant une série qui n'avait captivé ni l'un, ni l'autre, et Taehyun l'avait senti ailleurs. Il n'était pas passé à côté des mouchoirs dans la poubelle de leur salle de bain, et encore moins des draps défaits. Beomgyu avait passé une après-midi affreuse ici, tout seul, alors qu'il avait insisté pour rentrer plus tôt. Il n'osa pas remuer le couteau dans la plaie, conscient que si Beomgyu le souhaitait, il viendrait se confier à lui sans aucune crainte. Il avait été cependant rassuré en le voyant se mettre au lit avec le sourire et un nouveau livre de poche, toujours plus énorme que les précédents. Il essaya de se concentrer sur le sien, en vain. Les mots se mélangeaient sous ses yeux, et il comprit assez rapidement qu'avec sa grande fatigue, lire ce soir lui serait tout bonnement impossible. Il le reposa alors et s'allongea, les yeux mi-clos.
Une petite heure plus tard, Beomgyu était toujours éveillé. Il pianotait désormais sur son portable, un air concentré sur le visage et Taehyun lui tapota l'avant-bras, comme pour lui demander ce qu'il faisait.
« Mes parents m'ont envoyé un message ! » signa-t-il tout sourire.
Par automatisme, il fronça les sourcils et se redressa dans son lit. Les parents de Beomgyu ne faisaient jamais le premier pas, sauf lorsqu'il s'agissait d'argent.
« Ils ont besoin d'un peu d'argent ce mois-ci ! »
Il ne lui laissa pas le temps de signer davantage et attrapa le portable posé sur la couette, avant de le verrouiller et de le balancer dans le tiroir de sa table de chevet. Beomgyu sursauta, surpris par le geste et ouvrit de grands yeux.
« Que fais-tu ? »
– Hors de question.
« Ils en ont besoin ! »
– Nous aussi !
« J'ai payé ma part du loyer, c'est bon Taehyun, je suis réglo ! »
« Arrête de leur envoyer de l'argent tous les quatre matins ! » signa-t-il avec rage.
« Ils en ont besoin ! »
– Oh purée... Beomgyu.
Les nerfs à vif, Taehyun essaya de se calmer, mais devant l'air désemparé de Beomgyu, il céda.
– Ils n'en ont rien à faire de toi.
Beomgyu leva ses mains pour signer, avant de suspendre son geste, le regard soudain brillant. Avec désarroi, il le vit laisser tomber ses mains sur la couette et sa bouche se tordre légèrement.
– Ils vont continuer d'abuser de ta gentillesse et... Gyu ?
Il avait éteint sa lumière avec rage, avant de lui tourner le dos, sans le moindre signe en retour. Les yeux ronds, il le regarda rester immobile au bord du matelas, avant de réaliser lentement la dureté de ses mots. Mais de toi à moi Beomgyu, tu savais que je le pensais sincèrement. Tu aimais peut-être du fond du cœur tes parents, mais ils restaient ceux qui avaient rendu ta vie misérable ces dernières années.
– Gyu ?
Aucun mouvement de son côté. Il soupira et se pencha légèrement vers lui, une main à peine posée sur le sommet de son dos.
– Je te demande pardon... Tu sais dans quel état ils me mettent à chaque fois... Gyu s'il te plaît...
Toujours rien. Il serra les dents et inspira profondément, sentant son cœur s'emballer légèrement. Il se rapprocha un peu plus, et termina par éteindre sa propre lampe de chevet sans rien ajouter de plus. Il s'allongea, délaissant à regret le dos de Beomgyu et riva ses yeux sur le plafond sombre au-dessus de leurs têtes. Ils restèrent ainsi de longues minutes, sans bouger. Quelque chose lui manquait, et ce quelque chose, c'était le souffle de Beomgyu contre lui, comme chaque soir depuis qu'il vivait ici. Il n'aimait pas cette ambiance terne, ni le savoir blessé dans son coin. Mais Taehyun n'était pas doué avec les mots, et pour une fois, ne trouva rien à redire pour sa défense.
Il lui sembla que la nuit était déjà bien entamée quand enfin, il perçut un peu de mouvement du côté de Beomgyu. Toujours figé les bras le long du corps, Taehyun ne bougea pas d'un iota. Il crut rêver en sentant ses doigts venir timidement chercher les siens, et se sentit rougir légèrement quand Beomgyu retrouva sa place initiale.
– Pardon...
Un soupir exagéré lui répondit, et Taehyun capitula : il cessa de fixer le plafond avec intensité et se retourna contre lui, quémandant la chaleur de son corps et ses caresses dans les cheveux dont il ne se passait plus.
– Je tiens terriblement à toi Gyu, tu le sais ça ?
Il le sentit opiner du chef et esquissa un sourire.
Quoi que, c'est bien plus que tout cela, hein ?
C'est quelque de plus fort qui me dépasse totalement et si tu savais comme j'en ai peur Beomgyu.
Il se retint de déposer un baiser sur sa joue, juste là, collé contre la sienne. L'envie lui dévorait les entrailles, pour une fois.
Parfois je fais ce cauchemar affreux où toute la vérité éclate.
Et plus rien n'est comme avant, c'est comme si tout à coup, je me retrouvais mis à nu, mais surtout...
seul dans un océan sans lumière
loin de toi.
─ 𝐊𝐔𝐊𝐈𝐇𝐈𝐌𝐄 𝐓𝐈𝐌𝐄 ─
Hello ! Comment allez-vous ? Oh mon dieu il me tardait depuis SI longtemps de vous partager ce chapitre, déjà écrit depuis belle lurette de mon côté ! Je l'aime énormément, il explique plein de choses sur le début de vie d'adulte de deux des garçons, alors j'espère qu'il vous aura plus aussi ! Il me tardait de faire ce bond dans le temps dans les flash-back, vous vous doutez que le moment fatidique se rapproche ! À bientôt pour la suite :)
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