𝐂𝐡𝐚𝐩𝐢𝐭𝐫𝐞 𝐬𝐨𝐢𝐱𝐚𝐧𝐭𝐞-𝐬𝐢𝐱
« Lettre d'adieu »
❘✶❘
Beomgyu ouvrit difficilement les yeux ce matin-là. Sa journée de la veille avait été particulièrement longue, et son dos se remettait à peine des charges lourdes qu'il avait portées des heures durant à la librairie. Pourtant, comme tous les soirs depuis un mois, son sommeil avait été le plus confortable. En comprenant que l'île n'avait pas été un rêve et que rien ne s'effacerait de sa mémoire, Beomgyu avait d'abord craint de cauchemarder, encore et encore sur les évènements survenus sur ce lieu mystérieux. Pourtant, les jours avaient défilé sans que rien ne se passe. Les souvenirs étaient là, les avancées aussi... Comme de grandes toiles de fond avec lesquelles il se sentait étrangement en paix. Le retour à la normale avait été étrange. Ils n'avaient jamais quitté ce monde et, si sur l'île le temps lui avait semblé infini, il ne s'était écoulé ici que quelques minutes d'absence pour eux. Son plus grand choc avait été Kai. Il avait été naïf de penser qu'il reviendrait, qu'il ouvrirait les yeux à leur arrivée. Depuis, son état n'avait pas changé. Il s'était rendu une fois seul à l'hôpital, pour le voir de nouveau, avant de revenir quelques autres fois avec Taehyun. Et Kai demeurait alité, et toujours profondément loin d'eux.
Il tendit une main pour attraper son téléphone puis regarder l'heure, et soupira en voyant qu'il s'était encore réveillé bien trop tôt. À ses côtés, Taehyun remua légèrement, dormant encore à poings fermés. Le voir encore au lit avait quelque chose de rassurant : depuis deux semaines, il avait arrêté de se lever aux aurores pour travailler avant de déjeuner avec lui. Il esquissa un sourire doux, ne pouvant se retenir de passer une main dans ses mèches bicolores par la même occasion. Le rouge avait un peu fadé, Taehyun lui avait confié vouloir revenir au noir et Beomgyu lui avait promis de l'aider. La caresse dans ses cheveux le fit frissonner, et Taehyun se retourna un peu contre lui, les paupières toujours closes. Il le vit tendre son bras pour le ramener vers lui et Beomgyu ne résista pas à l'envie de se pelotonner dans ses bras. Il le sentit sourire sans le voir – sans doute était-ce l'habitude – et il l'imita, étirant ses lèvres encore plus grandes. Ils restèrent ainsi de longues minutes, Beomgyu manquant de se rendormir profondément, avant que le réveil de Taehyun ne les réveille tous les deux pour de bon.
– 'solé, j'ai oublié de le désactiver...
Beomgyu se redressa sur un coude, et passa une main sur sa joue en guise de bonjour. Il hésitait encore – tous les jours en réalité – à l'embrasser. Ce n'était pas dans ses habitudes, et si Taehyun et lui parvenaient à les bousculer de plus en plus, certaines étapes lui semblaient encore infranchissables.
– Gyu ?
Il pencha légèrement la tête sur le côté.
– Tu peux.
Comme toujours, Taehyun avait deviné. Alors il se pencha légèrement pour effleurer ses lèvres avec les siennes, et se sentit rougir jusqu'à la racine de ses cheveux. Beomgyu était amoureux de ces moments : du regard que Taehyun lui portait, de cette sensation singulière et agréable qui parcourrait tout son corps quand il l'embrassait ainsi, de Taehyun qui l'attirait de nouveau à lui...
Pas à pas. Ils s'en étaient fait le serment.
Il avait fallu une petite semaine pour que Taehyun se lance, et lui confie ce qu'il avait sur le cœur. Une semaine pour que Beomgyu réalise que les paroles qu'il avait eues sur l'île étaient bel et bien vraies, et qu'il ne les avait pas rêvées. Ils avaient dialogué pendant des heures, assis dans leur petit canapé confortable, une couverture sur les épaules. Taehyun avait beaucoup parlé. Si d'ordinaire Beomgyu était celui qui faisait les conversations, ce jour-là, les rôles s'étaient inversés. Il s'était confié sur l'île, sur ce qu'il y avait vu. Sur Soobin et leur relation éphémère aussi, car il avait refusé qu'il soit l'unique personne à ne pas être au courant. Il avait eu de nombreuses interrogations sur le sujet, dont certaines qu'il avait décidé de garder pour lui.
Le soir même, et pour la première fois depuis qu'ils se connaissaient, Taehyun ne lui avait pas tourné le dos pour enfiler le tee-shirt qu'il portait pour la nuit. Il avait baissé son regard par automatisme sur son corps qu'il découvrait pour la première fois de cette manière, et avait blêmi. Il n'avait pas su comment réagir, quoi signer. Et Taehyun l'avait rassuré sur le champ.
– Gyu... À quoi tu penses ?
Il avait arrêté de l'embrasser sans même se rendre compte. Il se redressa dans le lit, s'installant plus confortablement pour signer.
« À ces derniers jours, tous les deux. »
Taehyun lui lança un drôle de regard, signifiant dis m'en plus, et Beomgyu passa une main dans ses cheveux.
« De tout ce qu'on a traversé, et ce qu'on s'est dit. Je suis très heureux, tu le sais ça, hein ? »
Il lui sembla voir son regard briller un peu, avant qu'il ne l'attire de nouveau contre lui pour une étreinte amoureuse.
– Je suis heureux moi aussi, si tu savais...
Il secoua la tête, et le repoussa très doucement avant de se remettre à signer.
« Parfois j'ai peur d'oublier Kai. »
Cette peur revenait de plus en plus souvent. Taehyun le lui avait confié aussi : l'image de Kai de l'autre côté de la porte semblait fader peu à peu dans son esprit à mesure que les jours passaient. Ils en avaient parlé à Yeonjun, préférant épargner à Soobin cette discussion difficile. Malgré ses maladresses et sa difficulté à apprendre la langue des signes, Yeonjun s'était appliqué à essayer de lui répondre, usant également de sa tablette... Et leurs craintes s'étaient confirmées.
« Yeonjun aussi, toi aussi... Je suis sûr que Soobin aussi... Il se passera quoi si un jour, il ne se réveille pas pour de bon ? On oubliera tout ce qui s'est passé avec lui sur l'île ? »
– Eh, eh... Gyu...
Taehyun passa une main sur sa joue, un air soudain sérieux sur le visage.
– N'y pense pas. Ça n'arrivera pas. On n'oublie pas un ami comme ça, ok ?
Il haussa les épaules, peu convaincu. Taehyun se gratta la gorge, un peu mal à l'aise et Beomgyu baissa les yeux. Surpris, il sentit quelques secondes plus tard les lèvres de Taehyun sur sa joue, et releva la tête, la bouche entrouverte.
– Ouais je... J'essaie d'être... Enfin..., il toussa et passa une main dans ses cheveux. J'en fais trop ?
Le brunet secoua la tête énergiquement, son sourire retrouvé.
« Non, jamais. »
Le voyant se relever légèrement, il l'attrapa de nouveau par la main pour le maintenir sur le lit.
« Tu dois bosser ? »
– Mmm, non, pour une fois. Je m'accorde un peu de répit ce matin.
« Alors reste ! »
– Dans le lit ?
« Et pourquoi pas ? »
– Nous venons juste de nous réveiller, c'est un peu...
« J'ai toujours voulu faire ça ! »
Taehyun fronça légèrement les sourcils, un sourire amusé sur le visage.
– Attends, est-ce que c'est un de tes trucs de drama rose bonbon ? Si c'est ça tuaaaargh– doucement !
Beomgyu étouffa un rire du plat de sa main, passant une jambe par-dessus les siennes dans la foulée.
– Et on fait quoi au juste, hein ?
Il leva les épaules. Rien, ils ne faisaient rien, et Beomgyu se sentait juste absolument bien. Taehyun soupira, faussement agacé et Beomgyu tapota le haut de son torse, juste à l'emplacement du cœur. Ce n'était pas dans sa langue, ni la sienne, mais simplement dans la leur, et ce geste voulait tout dire.
– Moi aussi Gyu.
Satisfait, il laissa sa main redescendre un peu plus bas, et ferma les yeux, la tête nichée dans son cou. Depuis quelques jours il avait la nouvelle manie de caresser cette zone avec tendresse, et Taehyun ne disait jamais rien. Parfois, comme aujourd'hui, Taehyun soulevait lui-même le bas de son tee-shirt pour qu'il y faufile ses doigts. Beomgyu adorait ces instants. C'était pour lui la preuve d'un nouveau pas dans leur relation, d'une confiance qui allait de plus en plus loin.
Ils restèrent ainsi une petite heure de plus, dans le silence agréable de leur chambre. Et Beomgyu se fit la réflexion qu'il était le plus chanceux des hommes.
En fin de journée, Beomgyu trouva Taehyun avachi sur leur canapé, une pile de cours sur les genoux et sur la petite table basse devant lui. Il releva la tête vers lui, fatigué et frotta ses yeux avec énergie.
– Promis, j'ai bientôt fini...
« Je voulais ton avis sur quelque chose que j'ai fait aujourd'hui. »
– Quoi donc ?
Taehyun repoussa ses cours immédiatement.
– C'est en rapport avec ta sortie aux magasins et à la banque ? C'est grave ? Tu sais que si tes finances ne sont pas bonnes...
« Mes finances vont bien, pas de panique. »
– Oh.
« J'ai écrit une lettre. J'aimerais ton avis... »
– Bien sûr, fais-moi lire !
Il la lui tendit, le visage un peu crispé. Il espérait que son écriture ne soit pas trop brouillonne, et lisible. La graphie n'avait jamais trop été son fort.
« Chers parents,
J'aurais pu vous envoyer plusieurs messages pour résumer ce que j'ai pris le courage d'écrire aujourd'hui, mais le format d'une lettre traditionnelle me mettait plus à l'aise. Je ne vous écris pas pour vous annoncer qu'il m'est arrivé quelque chose de terrible ou quoi que ce soit.
C'est une lettre d'au revoir, tout simplement.
Il m'en coûte d'écrire ces mots, sachez-le. Il m'en coûtera tout autant de glisser cette enveloppe dans votre boite aux lettres. Mais les choses doivent évoluer. Avant de déposer cette lettre, j'ai fait changer les accès de mon compte bancaire. Il est désormais à mon nom, et votre procuration a pris fin. Je souhaite rester maître de l'argent que je gagne, et pouvoir enfin apprendre à gérer mon argent, et à le dépenser pleinement pour moi et ce qui fait mon bonheur. Je ne veux pas vous mettre en colère, vous blesser ou quoi que ce soit papa et maman : je veux voler de mes propres ailes.
Il s'est passé beaucoup de choses dernièrement qui m'ont refait penser au passé. À nous trois. À tout ce que nous avons traversé. Je n'ai jamais été responsable de l'accident, et encore moins de mon aphasie. Je n'ai pas choisi de tout perdre du jour au lendemain, de tirer un trait sur mes rêves et sur vos ambitions pour moi. Pourtant, c'est exactement ainsi que j'ai ressenti les choses avec vous. J'ai passé ma vie entière à m'excuser pour tout, parfois pas grand-chose. Je ne veux plus. Je veux enfin respirer, faire une croix sur le passé. Je ne pourrais pas l'oublier, mais croyez-le ou non, aujourd'hui, je vais apprendre à composer avec.
Mon numéro de téléphone ne sera également plus le même dès demain matin.
Je ne souhaite pas que vous reveniez vers moi. Je ne veux pas culpabiliser, je le fais déjà bien assez, mais je sais que je le fais pour moi. Je ne peux plus vous donner une part si conséquente de mon salaire. Je ne peux plus être simplement une source d'argent pour vous. Ne cherchez pas où j'habite, vous ne vous êtes jamais donné cette peine : ne le faites pas maintenant où j'engagerais des procédures à votre encontre.
Vous ne m'avez jamais demandé pardon, pour quoi que ce soit, mais je vous le donne tout de même.
Pour que vous puissiez tourner la page, vous aussi. Pour que votre vie prenne un nouveau tournant. Je vous aime toujours et très fort, n'en doutez pas. Je vous souhaite le meilleur, de vivre enfin sereinement. Nos vies ne sont simplement pas faites pour cohabiter plus longtemps. C'est un peu lâche de ne pas vous expliquer tout ça face à face, mais m'auriez-vous laissé signer jusqu'au bout ? Je sais que non.
Je suis heureux maintenant, et ce n'est pas grâce à vous.
J'ai un métier que j'aime, et ce n'est pas grâce à vous.
J'ai un toit sur la tête, et ce n'est pas grâce à vous.
Je vais mieux, je n'ai plus peur, et ce n'est pas grâce à vous.
Je suis amoureux d'une personne fabuleuse.
Je n'ai aucune idée de ce que la vie me réserve, mais je veux la vivre pleinement.
Loin de mes monstres d'enfance qui se sont enfin tus.
Loin de vous, chers parents, qui m'avaient chéri, il y a très longtemps.
Le garçon que vous aimiez n'est plus là depuis l'accident, et ce n'est plus un secret entre nous.
C'est la dernière chose pour laquelle je m'excuserai envers vous. Pardon, et belle vie à vous deux.
Beomgyu. »
Taehyun n'avait pas relevé une seule fois les yeux pendant sa lecture. Beomgyu l'avait senti presque en apnée, incapable de s'arrêter. Quand il le vit lever des yeux brillants vers lui Beomgyu se demanda si l'idée de la lettre en était au final une bonne. Il s'apprêta à le lui demander, quand il le vit reposer la feuille sur la table basse avant de le l'attirer contre lui.
– Je suis tellement fier de toi si tu savais..., murmura-t-il.
Il cligna des yeux, surpris, et esquissa un sourire.
– Je viendrais la déposer avec toi demain, si tu le souhaites.
Il acquiesça. Taehyun se recula un peu, posant ses deux mains sur ses joues.
– Ça va aller, ok ? Tu as fait le plus compliqué. Je sais à quel point cette décision n'a pas dû être simple.
Il haussa les épaules, sentant les larmes lui monter aux yeux.
« Je l'ai compris sur l'île... » signa-t-il.
– Comment ça ?
« Je n'ai pas pensé à eux dans les moments les plus durs, pas une seule fois. Parce qu'ils n'ont jamais été là pour moi. Vous si. Toi si. Ta mère si. »
Les doigts de Taehyun glissèrent de ses joues à ses mains, qu'il serra fort dans les siennes. Il jeta un regard triste à sa lettre, mais pour la première fois, Beomgyu avait la certitude d'avoir fait la bonne chose avec ses parents. Il n'y avait pas eu de regrets ou de tristesse profonde à écrire ses mots... Simplement la confirmation qu'une page nouvelle se tournait et la réalisation de leur relation catastrophique ces dernières années. Beomgyu n'avait plus vraiment de parents depuis la fin du lycée, et une larme lui échappa en le réalisant à nouveau. Il laissa tomber sa tête sur l'épaule de Taehyun, sans lâcher ses mains, et ferma les yeux, immensément soulagé.
❘✶❘❘✶❘❘✶❘
Taehyun marchait d'un pas pressé en direction de son lieu de stage, son sac sur une épaule. Le palpitant battant à mille à l'heure, il gravit les marches devant lui, avant de saluer les personnes de l'accueil qu'il connaissait désormais très bien. L'été se prolongeait sur Séoul, tapant fort sur sa nuque et rendant son visage encore plus rouge qu'il ne l'était déjà. Il n'était pas retourné ici un mois durant, prétextant ne pas avoir le temps avec ses cours... La vérité était tout autre. Taehyun n'avait simplement pas réussi à se dépasser et à s'y rendre à nouveau. Aujourd'hui, il avait pris son courage à deux mains. Pour lui.
– Taehyun, tu ne devais pas venir aujourd'hui !
– Je souhaiterais m'entretenir avec mon tuteur, annonça-t-il.
– Il est dans son bureau, tu connais la route ! N'oublie pas les protocoles en passant.
Il le remercia d'un regard, avant de lever les yeux au plafond une fois le dos tourné. Pour qui se prenait-il ? Lui, oublier les protocoles... Il lâcha un rire jaune. Il désinfecta ses mains, enfila sa blouse et son badge, avant de s'avancer d'un air déterminé.
Il avait passé des heures entières dans ce bureau, à parler avec passion de ce métier qui le fascinait, avec un homme qu'il avait longtemps admiré. Désormais ? Il ne restait plus rien. Il n'y avait que mépris, dégoût et colère sourde. Il poussa la porte du bureau et sans grande surprise, l'homme le salua avec un sourire immense.
Tout lui sauta aux yeux immédiatement.
Ce sourire. Ces mains. Ces petits yeux noirs. Absolument toutes les choses immondes que l'île avait fait ressurgir chez lui.
– Taehyun, je suis heureux de vous revoir !
– Bonjour.
– Nous nous sommes inquiétés, je-
– Je viens demander un changement de tuteur. Dans une nouvelle unité.
– On se lasse déjà de moi ? rigola l'homme en face de lui.
Il s'approcha du bureau pour y déposer sa demande écrite, sans prendre le temps de répondre à sa question qu'il jugea idiote. En face de lui, sans doute en comprenant le sérieux de son élève, le sourire de l'homme se figea.
– Au plus vite. Si le changement n'est pas effectué dans la semaine, je changerais d'établissement, débita-t-il d'un ton froid.
– Taehyun, je ne comprends pas...
– Techniquement, je suis remplaçable et je l'entends bien. À savoir si vous voulez vous passer d'un bon élément comme moi, au risque de récupérer un élève médiocre.
– Je vais vous demander de baisser d'un ton.
– Je veux votre signature sur ce document, dans la semaine.
Il eut l'impression d'entendre sa propre mère il y avait des années de ça. Dans le bureau de ce psychologue qu'il avait profondément détesté. Plus que jamais, Kang Taehyun lui ressemblait.
– Je refuse de travailler plus longtemps avec une ordure comme vous.
– Je vous demande pardon ?
– Dois-je mettre les termes monsieur ?
– Je ne vous suis pas.
– Vous me suivez très bien. Je sais ce que vous êtes. Je connais le genre de salade que vous servez à vos patients. Les choses que vous auriez pu faire mais qui ne vous auraient jamais projeté sur le devant de la scène comme vous le souhaitez. Les opérations trop coûteuses ou à risques. Vous êtes un petit joueur.
En face de lui, l'homme se leva, piqué à vif.
– Vous-
– Et pour couronner le tout, vous êtes immonde.
– Sortez de mon bureau.
Taehyun lui lança un regard noir. Il hésita, une brève seconde avant de reprendre, d'une voix grave :
– Je connais Choi Beomgyu. Ce nom vous dit quelque chose ? Il est venu ici, il y a quelques mois.
– Je... Je connais ce nom, oui.
– Et bien s'il ne souhaite pas encore porter plainte, ce que je respecte, vous pourriez avoir de sérieux ennuis si les choses venaient à se savoir. Je pourrais retrouver d'autres garçonnets, ou fillettes du même âge qui sait, que vous avez suivi, à la même époque, ou même récemment.
– Il y a méprise mon garçon, ce que vous sous-entendez...
– Est ignoble.
L'homme referma sa bouche, rouge tomate. Il contourna son bureau en silence, les yeux rivés dans les siens.
– Combien ?
– Je vous demande pardon ?
– Combien pour que Choi Beomgyu tienne sa langue, et vous aussi ?
– Absolument zéro, monsieur. Tout finira par vous revenir en pleine poire, et je serai le premier à applaudir. Je veux changer de tuteur.
– Je pourrais vous proposer un poste... Dès la fin de vos études, un beau poste.
– J'en ai rien à foutre. J'aurai mon beau poste, dans un meilleur hôpital que celui-ci.
Il le regarda sortir un chéquier, complètement paniqué.
– J'ai déjà de l'argent.
Il releva vers lui un regard apeuré. Il était répugnant, et Taehyun fronça légèrement son nez en s'en faisant une énième fois la remarque.
– Dans les règles, vous êtes le seul à pouvoir me recommander pour que je change de tuteur. J'aurais, bien évidemment, pu demander à mon professeur principal, mais il aurait été fâcheux pour vous que j'entre dans les détails, non ?
– Je vais faire ça, dans la journée, je... Vous ne direz rien, n'est-ce pas Taehyun ?
Il plissa les yeux, et haussa les épaules. Le changement aurait pu se faire dans son dos, et Taehyun le savait. Mais il y tenait. Il tenait à ce que l'homme en face de lui sache que désormais, il était au courant. Il voulait le voir paniquer, sentir que sa carrière pouvait, à tout moment, lui filer entre les doigts. Il méritait bien pire qu'une simple pression, mais Taehyun s'en fit le serment : son jour viendrait. L'homme attrapa sa feuille, et apposa sa signature, catastrophé. Taehyun la reprit, un sourire fin sur le visage.
– Voilà, vous avez l'autorisation, vous pouvez vous tourner vers qui vous le souhaitez... Mon garçon...
– Bonne journée, monsieur.
– Taehyun !
Il tourna les talons, le visage sombre. C'était un jeu dangereux, et Taehyun le savait. Lui, n'était rien, l'homme en face de lui, était tout. Sa parole ne valait pas grand-chose alors... Pourquoi avait-il si peur ? Il esquissa un sourire amusé : les choses se savaient déjà, il en était persuadé. Et s'il ouvrait à son tour sa bouche, il était fini pour de bon. Voilà pourquoi il semblait si paniqué, Taehyun était loin d'être le premier à découvrir l'envers du décor : pour lui, les choses étaient sur le point d'imploser. N'essayant même pas de l'intimider, l'homme héla une nouvelle fois son prénom.
– Taehyun, je veux votre parole !
La porte entrouverte, il soupira, et tourna vaguement la tête vers lui. Tu le verrais Beomgyu, il est pitoyable. À deux doigts de se mettre à genoux devant moi, de faire toucher son nez par terre pour me demander pardon à moi, alors que c'est toi qui as le plus souffert.
– Je ne marchande pas avec les monstres.
Le soleil lui agressa la rétine dès sa sortie de l'hôpital. Beomgyu l'attendait, dans ce petit parc juste en face, les mains rivées sur ses genoux.
« C'était un problème grave ? »
Il attrapa l'une de ses mains, l'invitant à se lever, et continua de marcher sans un mot. Étonné par le geste que Taehyun réservait bien souvent aux lieux déserts, Beomgyu se laissa guider.
– J'ai demandé un changement de tuteur, lança-t-il au bout de quelques minutes de marche.
Beomgyu se figea au milieu du trottoir, et le dévisagea.
« Qu'est-ce que tu as fait... »
– La bonne chose à faire.
« Taehyun, tes études... »
– Ça ne va rien changer Gyu, vraiment. Il était hors de question que je continue de le côtoyer.
Beomgyu baissa les yeux, et soupira légèrement.
« Merci... Je sais que tu le fais à cause de moi. »
– Pour toi, nuance. Je le fais parce que je tiens à toi, et que je ne supporte pas ce qu'il t'a fait.
Beomgyu et lui n'en avaient jamais réellement parlé. Il y avait ce que l'île avait dévoilé, et ce que Taehyun avait imaginé sans aucun effort, ce qui lui avait retourné l'estomac. Beomgyu n'avait jamais voulu revenir dessus, et Taehyun ne lui avait pas forcé la main ; il le lui avait sous-entendu, si jamais, que si un jour il le souhaitait, il serait la première oreille attentive qu'il trouverait.
« C'est derrière moi, j'avance... »
– Je sais, et je voudrais avancer aussi Beomgyu, le laisser aussi derrière moi.
Devant son sourire timide, Taehyun se sentit fondre. Il y arrivait, avec brio, et il n'en avait jamais été aussi fier. Ne voulant pas s'étaler davantage sur le sujet, il replaça une mèche brune derrière l'une de ses oreilles, et reprit d'une voix plus douce :
– Allez, on rentre ?
Il opina du chef et, main dans la main, ils se dirigèrent vers leur chez eux.
– Dis, on ira voir Kai ce week-end tu veux ?
Beomgyu acquiesça. Une nouvelle fois, Taehyun le savait, leurs espoirs ne cesseraient de diminuer. Cela faisait un mois. Un mois de vide. Un mois pendant lequel il avait l'impression de le perdre petit à petit. Pourtant, en un mois, de nombreuses choses avaient changé. Beomgyu et lui en étaient persuadés, Yeonjun et Soobin tramaient quelque chose de leur côté. Ils leur laissaient le temps, le bon moment pour leur annoncer les choses mêmes si, de leur côté, tout ne faisait plus aucun doute : ces deux-là avaient définitivement tourné une nouvelle page de leur histoire. Curieusement, Taehyun trouva la chose rassurante : cette fois-ci, tout semblait rentrer dans l'ordre. La rémission miraculeuse de Yeonjun avait bousculé leur vie : il y avait cru, très rapidement, sans même remettre en question l'aspect irréel de la chose. Ce jour-là, l'immense pression que Kang Taehyun s'infligeait lui-même depuis des années s'était envolée. Il avait tenu bon durant toute la soirée, et finalement, ses nerfs avaient lâché une fois seul à seul avec Yeonjun. Pour lui, cela ne faisait aucun doute, cette nouvelle chance était un cadeau de l'île. De Kai. Sa seconde chance était le choix que leur ami avait fait.
Beomgyu zappa une nouvelle fois de série, peu convaincu par celle qu'il avait sous les yeux, et termina par détourner simplement les yeux de leur écran d'ordinateur. Il le regarda remuer vaguement sous les draps, et leva un sourcil, intrigué.
« Je n'arrive pas à me concentrer sur quoi que ce soit, désolé. »
– Ne t'excuse pas, si tu veux, on peut juste éteindre les lumières.
Il haussa les épaules et Taehyun fronça légèrement les sourcils.
– Tu veux lire ?
Il le vit secouer la tête.
« Je me demande si mes parents ont lu ma lettre. »
Taehyun passa une main dans ses cheveux en essayant de le détendre.
– Je suis sûr que oui. Dans tous les cas, tu as fait la bonne chose à faire, d'accord ?
« Je me suis senti tellement soulagé Taehyun en la mettant dans leur boite... »
– Je sais, et je suis vraiment fier de toi.
« Merci de m'avoir accompagné. Je t'aime très fort. »
Il sentit son visage chauffer légèrement, et baissa les yeux par réflexe, gêné.
– Moi aussi, chuchota-t-il.
Il manqua son sourire, juste avant que Beomgyu n'incline exagérément la tête vers lui. Ses yeux brillants lui arrachèrent un rire nerveux, puis un plus léger et Beomgyu se pencha vers lui pour déposer ses lèvres sur les siennes. Les baisers de Beomgyu avaient toujours quelque chose de léger et d'envoûtant. Il s'était surpris à aimer le contact de ses lèvres et, de temps en temps, de ses mains sur son corps. Avec lui, il n'y avait pas de gestes mécaniques, ou de sensation de forçage. Tout venait naturellement et comme il aimait. Il laissa Beomgyu s'allonger sur lui, incapable de résister au regard heureux qu'il posait sur sa personne en cet instant. Il n'y aurait rien de plus que des étreintes, des regards aimants et des baisers légers, et ils le savaient tous les deux. Pourtant, heureux de voir qu'il était capable d'apprécier davantage de simples accolades, il sentit les larmes lui grimper aux yeux. Ce soir plus que les autres, il ressentit le besoin urgent de lui confier à quel point il l'aimait, et que cela avait toujours été.
L'amour arrêtait peu à peu d'effrayer Kang Taehyun, et Choi Beomgyu en était le premier témoin.
─ 𝐊𝐔𝐊𝐈𝐇𝐈𝐌𝐄 𝐓𝐈𝐌𝐄 ─
Helloooo ! Comment allez-vous ? :3 Boooon, je suis si heureuse de pouvoir vous délivrer enfin la "conclusion" du taegyu, ce petit couple que j'aurais vraiment pris plaisir à faire évoluer dans cette histoire ! Je vous dis à la semaine prochain pour la suite et fin de cette fiction **
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