𝐂𝐡𝐚𝐩𝐢𝐭𝐫𝐞 𝐡𝐮𝐢𝐭
« Terres brûlées »
❘✶❘
La main de Kai dans la sienne, Soobin courait pour sauver sa vie. Il n'avait jamais été un grand sportif, ni même très vif, pourtant, en cet instant, ses mouvements et sa force se retrouvaient décuplés. Il fuyait les flammes immenses qui dévastaient la forêt avant eux, incapable de penser à autre chose que la main qu'il tenait fermement dans la sienne, et au chemin qu'il empruntait. Pourquoi Beomgyu avait-il mis le feu ? Cette question lui reviendrait plus tard. Pourquoi est-ce que tout avait encore basculé au moment où Yeonjun avait entendu ce maudit chat ? Là encore, des questions sans réponse. Il voulait fuir les flammes, fuir cette île, fuir cette vie. Il voulait...
– Soobin !
Il avait fallu une voix, distincte, pour le faire raccrocher avec la réalité, et briser sa course folle. Il se retourna un bref instant, juste à temps pour voir la silhouette de Yeonjun déjà loin d'eux s'effondrer un peu plus loin. Son cœur loupa un battement devant cette scène et sans aucune hésitation il lâcha la main de Kai, qui ne sembla pas le percuter immédiatement. Le sentant faiblir, il le poussa en avant pour l'encourager à poursuivre sa course sans se retourner. Et il fit demi-tour. C'était lui, et personne d'autre qu'il avait appelé en désespoir de cause.
Le cœur battant, Soobin essuya la cendre sur ses joues et baissa la tête pour éviter de nouvelles branches qui tombaient du ciel. La chaleur était de plus en plus forte à mesure qu'il se rapprochait de Yeonjun, à quatre pattes au sol, qui ne bougeait plus. Quand enfin, il s'agenouilla prêt de son corps, les flammes étaient déjà là.
– Yeonjun !
Il le redressa avec difficulté, sans que ce dernier n'esquisse aucun mouvement. Tu ne peux pas me faire ça maintenant, pas maintenant, je t'en prie...
– Tiens bon, ça va aller, ça va aller !
Il était hors de question de penser autrement. Malgré le visage rouge de son ami, sa bouche qui s'ouvrait pour inspirer, puis expirer bruyamment. Ses jambes ne semblaient plus le porter, et Soobin sentit également ses bras faiblir. Ils trébuchèrent tous les deux, et Soobin se rattrapa in extremis à un arbre avant de pousser un hurlement strident en sentant la chaleur sur le tronc de ce dernier.
– Je... respire plus...
La voix de Yeonjun était méconnaissable et Soobin laissa échapper un gémissement plaintif en réalisant qu'il ne voyait plus rien. La cendre lui piquait les yeux, les flammes autour de lui lui donnaient bien trop chaud pour l'aider à réfléchir calmement, et lentement, il sentit la panique le gagner davantage.
– On va y arriver, regarde, on voit... la plage...
Non, il ne voyait rien du tout. Mais Yeonjun n'était pas en état de le contredire, ou même de voir clairement devant lui. Sa tête s'était affaissée contre son épaule, et Soobin sentait son poids augmenter contre lui à mesure qu'il lâchait prise. Yeonjun allait faire un malaise, il le sentait. Il puisa dans ses dernières forces pour hisser le garçon sur son dos, et hurla pour se donner un dernier élan de courage avant de se fondre dans la cendre épaisse devant lui.
Il n'était pas question que l'on finisse tous les deux comme ça.
Pas après tout ça.
Je refusais de te laisser ici.
C'était nous deux dans les flammes, ou personne.
Dans son dos, Yeonjun ne répondait plus, mais Soobin était bien trop focalisé sur sa course folle, les racines épaisses à sauter sur le sol de la forêt brûlée, et les débris lui tombant dessus, pour s'en rendre compte. Yeonjun lui semblait incroyablement léger, tout à coup. Et puis il l'entendit. Ce miaulement lointain. Il s'arrêta en pleine course, figé, le cœur battant à mille à l'heure. Cela voulait-il dire qu'ils avaient perdu ? Qu'ils ne retrouveraient jamais les trois autres ?
Et il le distingua, dans les cendres volantes autour de lui. Deux yeux immenses, de couleur différente, reconnaissables entre tous. Et alors que Soobin s'apprêtait à faire demi-tour pour fuir cette vision effrayante, un passage se libéra sous ses yeux. Il avait envie d'y croire, d'y aller. Et puisqu'aucune autre solution ne s'offrait à lui, Soobin décida de suivre son instinct et s'y engouffra. C'était peut-être une erreur, peut-être un nouveau stratagème de ce chat pour les faire sombrer un peu plus. Ou bien, il avait choisi la bonne voie.
Le ciel bleu et l'air frais qui lui fouetta le visage le stoppèrent immédiatement dans sa course. Quand ses pieds butèrent sur le sol mou, il s'écroula, avant de réaliser qu'il avait réussi, et trouvé la plage. Sa vision se flouta un instant, et il sentit le corps de Yeonjun quitter le sien et retomber mollement à ses côtés, inerte. Il crut entendre la voix de Taehyun, paniqué, puis celle de Kai, et distinguer trois silhouettes floues courir vers lui avant de s'effondrer sur le sable à son tour.
Le bruit autour de lui était infernal. Il y avait ce bruit de train, lointain, mais toujours présent depuis son arrivée sur l'île. Il y avait celui de cette rivière qu'il entendait. Puis celui des vagues qui s'écrasaient non loin de lui, et qui lui donnaient la chair de poule. Il les imaginait sans mal l'emporter à son tour. Le bruit de ces dernières prit le pas sur les voix paniquées qui l'entouraient, sur son épaule que l'on secouait dans tous les sens. Il avait l'impression de sombrer, et à mesure que les secondes défilaient, les bruits des vagues devenaient de plus en plus sourds, jusqu'à lui broyer les tympans.
Il se redressa d'un coup, les mains plaquées sur ses oreilles. Son hurlement fit basculer Kai en arrière d'un seul coup.
– Soobin !
Kai se jeta dans ses bras et le serra si fort que Soobin crut qu'il cherchait à l'étouffer. Sa tête lui tournait encore, il avait conscience de sa transpiration qui coulait le long de sa colonne vertébrale, de ses cheveux poisseux collés sur son front, de l'état pitoyable dans lequel il était, ainsi que tous ses amis.
– Yeonjun...
– Taehyun s'en occupe, voulut-il le rassurer.
Il tourna la tête, pour voir le jeune homme aux cheveux rouges penché sur le corps assit de Yeonjun. Ce dernier, était calé contre Beomgyu, assit derrière lui, et qui semblait tout aussi paniqué que Kai face à la situation. Il rampa jusqu'à eux, sentant ses jambes alourdies et ses doigts fourmiller.
– Taehyun je -
– Laisse-moi faire Soobin, ok ?
– Mmm.
Il remarqua que Taehyun l'avait débarrassé de sa veste en cuir chérie, ainsi que débouclé sa ceinture pour l'aider à reprendre une bonne respiration.
– Il va me tuer de lui avoir fait ça, rigola Taehyun.
Yeonjun semblait ailleurs, mais conscient. Il soufflait, fort, et Taehyun continuait de lui caresser l'avant-bras pour le calmer. De temps en temps, Beomgyu reprenait son pouls et lançait un regard à Taehyun pour l'informer de l'état de ce dernier.
– Je suis désolé, souffla Kai.
Soobin se tourna vers lui, étonné.
– Moi aussi, lança Taehyun.
– De quoi ?
– J'étais tellement pris dans ma course je... Je n'ai calculé que sur la plage que vous n'étiez plus là.
– Et moi je ne t'ai pas senti me lâcher la main...
– On s'en est sortis, ok, c'est le principal, vous n'y êtes pour rien.
Beomgyu baissa les yeux en croisant son regard et Soobin fronça légèrement les sourcils.
– Enfin... J'aimerais bien savoir pourquoi on a failli tous y passer... Beomgyu ?
– Ce n'est pas de sa faute, lâcha Taehyun.
– C'est à lui que je pose la question.
Beomgyu lâcha la nuque de Yeonjun quelques secondes pour s'exprimer.
« C'était un accident. »
– Je t'ai vu lancer la branche enflammée de ton plein gré ! lança Kai.
« Non, vous ne comprenez pas. Il était là, il me regardait et j'ai senti quelque chose. J'ai agi contre mon grès, je vous le jure. Je n'ai jamais voulu faire ça. »
Soobin décela une légère panique dans ses gestes, et croisa le regard froid de Taehyun qui le toisait des pieds à la tête. Il s'en voulut immédiatement, mais cela était plus fort que lui : il ne parvenait pas à comprendre ce qui s'était passé à ce moment-là, dans les bois. Comment Beomgyu, calme et réservé, avait pu en arriver à céder aussi vite à la panique ? Une nouvelle fois, l'ombre dont il parlait avait échappé à son attention, mais aussi à celle de Yeonjun et de Taehyun. Il se demanda alors si Beomgyu ne dérivait pas lentement vers une sorte de délire psychotique, quand soudain les mots de Kai lui revinrent en mémoire. Lui aussi avait vu cette chose, la première fois.
– D'accord, d'accord, je te crois..., marmonna-t-il.
« Je suis désolé... »
– Beomgyu, je te crois.
« J'aurais pu tous vous tuer ! »
– Et heureusement, je cours vite, et vous aussi !
Yeonjun inspira une nouvelle fois, et battit légèrement des paupières.
– Prends ton temps, Yeonjun, respire... Ta crise n'est pas passée. Respire profondément.
Soobin le vit se redresser légèrement, et Taehyun lui appuyer doucement sur le torse pour l'inciter à rester assis un peu plus longtemps.
En le voyant faire, Soobin ne put s'empêcher de se souvenir de ce jour où il s'était entaillé profondément la main en cours de travaux manuels. Alors que sa camarade avait tourné de l'œil, en l'amenant à l'infirmerie, c'était Taehyun qui avait pris le relai. Ce jour-là, une fois de plus, il s'était félicité de s'être retrouvé dans la classe de ce garçon, qui de toute évidence, avait bien de l'avance sur les autres élèves de sa classe. Il n'avait jamais douté du fait que Taehyun se tuait aux études, qu'il avait de nombreux cours privés et qu'il attachait une attention toute particulière à son apprentissage... Mais sa faculté à être toujours là au bon moment, et avec les bons réflexes l'avait toujours laissé admiratif. Taehyun lui avait parlé avec un discours rôdé pour le rassurer, avant d'effectuer les premiers soins avant le retour de l'infirmière. Soobin lui avait glissé ce jour-là qu'il ferait un médecin en or, sans savoir que Taehyun comptait déjà s'engager sur cette voie-là. Lui faisait bien pâle figure avec ses rêves un peu surréalistes, son année scolaire de retard, et ses notes moyennes malgré toute la bonne volonté qu'il avait mise dans ses études.
Kai se rapprocha et l'interrogea du regard, pour s'assurer qu'il allait bien, et Soobin acquiesça. Il attrapa volontiers le mouchoir que lui tendait Beomgyu et s'essuya le visage, encore collant et crasseux. En fouillant dans sa poche à la recherche de son portable, il fut soulagé de voir que ce dernier n'était pas tombé pendant sa course folle, mais effleura également la petite photo qu'il avait récupérée quelques heures auparavant. Il se demanda si le moment était bienvenu pour la montrer au reste du groupe, mais se résigna en voyant Yeonjun respirer plus calmement, les joues moins rouges. Il avait envie de le serrer contre lui, d'essuyer ses joues, de lui dire à quel point il était soulagé de le voir vivant, et toujours parmi eux. Au lieu de ça, ses doigts étaient de nouveau crispés dans le sable de la plage, ses yeux rivés sur Taehyun pour éviter de croiser son regard. L'envie de l'embrasser était bel et bien présente, et il dû prendre sur lui pour chasser cette idée idiote de son esprit.
– Yeonjun, ça va ? demanda Kai d'une petite voix.
– Mmm...
Taehyun lui lança un regard inquiet, tandis qu'il étirait ses bras vers l'avant. Toujours derrière lui, Beomgyu se décala légèrement, se préparant à recevoir un florilège d'insultes toutes plus belles les unes que les autres.
– Soobin...
– Oui ?
– Merci.
– C'est normal...
Il avait envie de rajouter qu'il n'avait jamais eu l'intention de le laisser derrière, qu'il se jetterait d'une falaise pour aller le chercher dans une mer déchaînée, mais estima que sa réponse était suffisante. Yeonjun plissa les yeux et porta une main à sa bouche, avant de dévisager le jeune homme aux cheveux rouges.
– Tu m'as fait du bouche-à-bouche ?
– Ne prends pas tes rêves pour une réalité, plaisanta Taehyun.
Soobin piqua un fard. Il était pourtant habitué aux remarques piquantes et amusées de Taehyun sur ce sujet, vis-à-vis de Yeonjun, mais ne pouvait pas s'empêcher d'être gêné à chaque fois. Sans doute parce qu'au fond, il connaissait le nombre important de non-dits entre eux.
– Non, bien sûr que non, j'ai juste appliqué des règles élémentaires en cas de crise d'asthme sévère, sans tes médicaments sous la main.
– Tu as jeté ma veste.
– Ah, le revoilà, Yeonjun est de retour ! fit Taehyun en roulant des yeux.
Cette fois-ci, Kai rigola plus franchement. Beomgyu était toujours aussi pâlot, comme s'il attendait que Yeonjun réalise pleinement que c'était lui, le coupable de son malaise. Yeonjun se redressa, se releva avec l'aide de Taehyun, avant de l'insulter à propos de sa ceinture qu'il avait débouclée. Taehyun s'empressa de lui faire remarquer que de la serrer autant ne le mettrait pas plus en valeur sur une île où seules cinq personnes semblaient errer, et Yeonjun lui frappa la tête en l'insultant de plus belle. Et puis, enfin, son regard croisa celui de Beomgyu, toujours à genoux dans le sable et Soobin s'empressa de s'interposer entre les deux garçons.
– Toi là..., gronda Yeonjun.
– C'était un accident, lui lança Taehyun.
– Ah ouais ? Il lance des flambeaux pour le fun, sans le faire exprès maintenant ?
Beomgyu se releva, fébrile, et agita les mains. Yeonjun toussa une nouvelle fois et le fusilla du regard.
– J'ai failli crever. J'espère qu't'es fier de toi.
Ce fut au tour de Taehyun de lui frapper le crâne, mais avec plus de force.
– Aïe ! Putain !
– C'est ton maudit chat à la con ! Il nous embrouille tous !
Yeonjun se tut immédiatement. Étrangement, cette hypothèse semblait lui aller et Soobin fronça les sourcils, se demandant s'il ne leur cachait pas quelque chose depuis le début de leur mésaventure.
– Et j'ai toujours aussi soif, merde.
Et tandis que Yeonjun continuait de lancer des piques à tout-va concernant sa presque mort, l'incendie, Soobin ne put s'empêcher de voir de gros nuages venir encombrer le ciel. Ce dernier s'était considérablement assombri en peu de temps, et il espéra soudain très fortement que l'orage qu'ils avaient bravé il y a quelques heures n'était pas de retour. Au loin il discerna un éclair et il se retourna vers le petit groupe, sentant la panique le gagner à nouveau. N'aurait-il donc jamais la paix ?
– Il faut se mettre à l'abri !
– Hein ?
Il leva un doigt vers le ciel et Yeonjun ouvrit de grands yeux.
Et Soobin savait pertinemment ce qui se passait en cet instant même dans sa tête. Mais à peine eut-il le temps de leur faire signe de partir, qu'un coup de tonnerre gronda dans le ciel, et fit trembler la terre autour d'eux. Et puis soudain, tout s'arrêta. Les arbres, les vagues, les grains de sables emportés par le vent... Plus rien ne bougeait. Soobin cligna des yeux et son cœur loupa un battement en voyant que ses amis eux aussi semblaient figés dans le temps. Il se rapprocha de Yeonjun, effleura sa veste du bout des doigts et sentit les larmes lui monter aux yeux.
Pas maintenant, s'il vous plaît, ne m'abandonnez pas...
Sa peur le prenait aux tripes. Il ne pouvait pas se retrouver seul, pas maintenant. Pas pour affronter une nouvelle péripétie que son cerveau peinait à traiter. Et tandis qu'il retenait à grande peine les larmes de dévaler sur ses joues rondes, une voix s'éleva derrière lui. Il se retourna en sursaut et hoqueta en voyant Kai dos à lui. Il n'était pas figé comme les autres. Mais l'air terrifié qu'il avait sur le visage le pétrifia immédiatement. Sa voix n'avait rien à voir avec celle du Kai qu'il avait toujours connu. Et son regard, plus noir que jamais le fit reculer d'un pas.
– Il dit que l'île sait tout de nous maintenant.
Et avant même que Soobin puisse répondre, le visage ruisselant, le noir complet l'engloutit tout entier, lui, les autres garçons et la plage tout entière.
─ 𝐊𝐔𝐊𝐈𝐇𝐈𝐌𝐄 𝐓𝐈𝐌𝐄 ─
Et c'est maintenant que les ennuis commence vraiment mouhahaha ~ À la semaine prochaine pour la suite des hostilités ! Ou pour découvrir un pan du passé, qui sait...
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