7. Black Stag

— La Murène.

— Laisse-moi manger, Bonaparte.

— Non, la Murène, regarde.

— Je n'ai pas eu le temps de manger ce matin, j'ai dû m'occuper de ce petit crétin de Mozart qui a réussi à...

— Black Stag est là.

— Eh bien tant mieux. Quand Nab et Mozart sont là, je ne m'entends plus penser. Au moins, il...

— Il parle à la petite.

La Murène, qui allait mordre dans un gigantesque sandwich fait par ses propres soins avec plusieurs éléments des repas proposés par le cuistot Ramsay, se mit presque au garde-à-vous sur sa chaise, faisant sursauter ses proches voisins.

*

— S... s... salut, Black Stag ! lança Mozart à l'homme qui avait interrompu les méchancetés qu'il jetait au visage d'une Darcy confuse.

Le jeune Israélien se gratta l'arrière du crâne dans un geste nerveux. Cette dernière constata qu'il avait instinctivement fait face à l'inquiétant inconnu et qu'il s'était un peu reculé, comme s'il cherchait à faire bouclier entre Pollus, elle, et cet homme étrange.

— Black Stag ! tonna le cuisinier Ramsay d'une voix de stentor un peu trop forcée pour être naturelle. Ça me fait plaisir de voir que tu te joins à nous !

L'inconnu, sans cligner ses yeux de chat, porta un regard d'un brun presque jaune sur le chef. Il reporta rapidement son attention sur Mozart qui avait reculé d'un pas. Le jeune homme tendit le bras en arrière pour repousser Darcy qui n'avait pas bougé, mais cette dernière repoussa son bras d'un coup sec. Le cuisinier avait réussi à attirer l'attention de la Murène et de Napoléon.

— Salut, Black Stag.

Shalom, Naama.

Styx, la sœur de Mozart, avait fait tomber par terre une partie du soda qu'elle venait de décapsuler en se précipitant vers le petit groupe. Nab l'avait suivie de loin. L'Israélienne tiqua en entendant l'inconnu aux cheveux noirs corbeau s'adresser à elle par son véritable prénom mais ce fut tout.

— Tu vas bien ? demanda la jeune femme en passant un bras autour des épaules de son frère jumeau. Tu étais en mission ?

Le dénommé « Black Stag » plissa les yeux en un simulacre de sourire.

— Je suis content de te voir, Naama. Je pense que Ophir l'est tout autant.

— Black ! Quand est-ce que tu es revenu ?

Les épaules d'Ophir – ou Mozart, Darcy ne suivait plus et elle n'avait jamais été bonne avec les prénoms – se relâchèrent en voyant le visage brun de la Murène. Ce dernier avait l'air relaxé mais il tendit le bras pour attraper Darcy par le poignet et la tirer doucement vers lui.

— Je ne suis pas en Angleterre depuis très longtemps, la Murène. Pourquoi ?

— Ta mission s'est bien passée ?

— Tout a été plus que satisfaisant. Tu as vu que Ophir était revenu de la sienne ? Il fait déjà parler de lui.

— Ah, oui, Mozart, tu t'en viendras avec moi pêcher ?

Mais t'es mêlé, d'où qu'tu causes de pêcher quand...

Tu m'niaises-tu donc, nono ?! J'te tire du trouble et tu viens m'agacer encore ? La pêche, c'est beau ?

C'est beau...

Styx pinça les lèvres : autant elle craignait Black Stag lorsqu'il se retrouvait face à son frère, autant elle détestait lorsque ce dernier parlait en français québécois avec la Murène. Mozart avait appris le français en compagnie du Canadien, sans Styx. Elle n'appréciait pas du tout cette petite séparation que la Murène avait faite entre elle et son jumeau.

— Black, Mozart, on vous laisse. Styx, je n'ai pas eu le temps de te dire bonjour, je...

— Non, tu ne prends jamais vraiment le temps de dire bonjour, mais merci quand même.

Elle s'éloigna, tirant Mozart par les épaules. Darcy, quant à elle, suivit la Murène à la trace. Pollus se tenait juste derrière elle et elle sentit le souffle du jeune homme contre son oreille :

— Styx n'aime pas la Murène parce que la Murène est l'Ancien de Mozart – Styx et Mozart sont jumeaux – et ça a fait qu'il a un peu séparé Styx et Mozart. Pourtant, la Murène aime bien Styx. Il l'aime même beaucoup, je crois. D'ailleurs c'est drôle parce que la Murène est quand même assez loin dans le spectre de la sociopathie alors je ne sais pas vraiment si on peut dire qu'il est amoureux, parce que je ne saurais pas trop dire s'il l'est – il faut que je demande à Fawn, Fawn saura –, en tout cas je pense que la Murène ne va pas être de bonne humeur du tout.

— Je confirme, gronda le Canadien en reprenant place face à son plateau sous l'œil narquois de Bonaparte. Surtout si un petit Maori s'amuse à se moquer de moi dans mon dos.

Pollus et Darcy s'assirent côte à côte. La jeune fille avait envie de rire mais son ami fronça les sourcils :

— Je ne me moque pas ! Je ne comprends pas comment tu peux avoir des relations sociales aussi bonnes et maintenir des amitiés aussi fortes alors que tu es un franc sociopathe.

— Je t'ai demandé de m'analyser, Pollus ?

— Continue, Polly, c'est rigolo, ricana Bonaparte en piquant une frite à Darcy.

— Tu es capable de faire des missions de groupe, nota le garçon sans se soucier des regards furibonds du Canadien. Et tu gères bien tes Rookies.

— Attendez, j'ai des questions, fit Darcy qui attendait seulement que Pollus veuille bien reprendre son souffle. Qui est Fawn, déjà ?

— Question suivante, éluda la Murène en rompant un morceau de pain en deux. Question suivante, siffla-t-il en sentant que l'Anglaise s'apprêtait à protester.

— Euh... bon, désolée. C'est quoi, les Rookies ? Des gâteaux ?

La tablée se dérida un peu. La jeune fille remarqua que, autour d'eux, quelques personnes aux oreilles indiscrètes avaient pouffé et commenté à voix basse sa question.

— Les Rookies, comme leur nom l'indique, sont les nouvelles recrues.

— Ah, d'accord. Bon, et qui était le mec à l'air bizarre qui est venue m'aider face au gros con...

— Darcy !

— Pardon, la Murène, mais c'est v...

— Gros con ou petit con, ce jeune homme roux qui t'a abordée de façon si subtile devant le self-service répond au nom de Mozart et il est techniquement ton supérieur hiérarchique. Tu restes pour l'heure au bas de l'échelle alimentaire de cette communauté et tu n'auras droit à aucun traitement de faveur.

— Ne rougis pas, lui conseilla Pollus. Sinon, Mozart va trouver tous les moyens de te faire rougir et de cuire un œuf au plat sur tes joues.

— Bon, et le mec bizarre ?

— C'est Black Stag, répondit le jeune homme en haussant les épaules et en saisissant le quignon de pain que la Murène avait posé devant lui. Il est de Russie et il ne m'a jamais rien dit de méchant. Par contre je pense que si Mozart lui en donnait une raison valable, il s'arrangerait pour le faire disparaître. Il est dérangé mais il fait attention. Je croyais que les Russes étaient dérangés avant de le connaître. Ah, il est derrière moi, c'est ça ? Comment ça va, Black ?

Sur un ton égal, Pollus avait fini par noter les clignements d'yeux intempestifs de la Murène et de Bonaparte.

— Les Russes ne sont pas dérangés, Rangi, nous avons juste froid pendant l'hiver. La place est libre, je vais m'asseoir.

Darcy sentit un courant d'air glacé souffler sur ses côtes lorsque l'homme étrange qui était intervenu plus tôt passa les jambes au-dessus du banc à trois places sur lequel elle s'était assise. Pollus se pencha en avant pour sourire de toutes ses dents à Black Stag.

— Tu dois vraiment réviser les relations humaines, Rangi, j'aurais pu m'énerver.

— Tu es dérangé tout de même, mais moi je t'aime bien.

— Avant que notre cher petit Pollus ne s'avance plus loin dans les effusions d'amitié, je me permets juste de préciser que je ne suis pas quelqu'un de dangereux tant que l'on ne me met pas en colère.

L'homme planta ses yeux verts dans ceux de Darcy et cette dernière crut y déceler comme la promesse d'un secret partagé. Comme si l'homme s'apprêtait à lui jurer ce qu'elle souhaiterait – et à tenir sa parole. L'étincelle de malice dans ses prunelles, la douce chaleur qu'émettait sa bouche, la douceur de ses traits et...

— Merde ! Dégage !

La jeune fille, hypnotisée par les yeux de Black Stag, réalisa que ce n'étaient pas ceux d'un chat mais ceux d'un serpent. Elle venait de remarquer une lame de couteau posée contre son nombril et battit des jambes pour éloigner le Russe qui se trouvait au bout du couteau.

— Maintenant que les choses sont claires, soupira Black, tu peux faire ton laïus, Rangi.

— D'accord, acquiesça Pollus. Alors en fait, Black Stag est l'un des rares à faire ses missions en solo. En fait, par rapport à la Murène, Black est bien pire. Il est aussi sur le spectre de la sociopathie mais il est vraiment au pire extrême que tu puisses imaginer parce que c'est un empathe sombre.

— Est-ce que ça implique de se faire planter dans le prochain quart d'heure ?

— Pas vraiment, tant qu'il n'y trouve pas d'intérêt.

— Vous y trouvez de l'intérêt ? demanda aussi Darcy en se collant à Pollus pour faire face à Black Stag.

— De l'intérêt dans ta mort ? Pas du tout, la rassura celui-ci. Au contraire, je pense que tu ne vas pas me décevoir.

— Youpi, grommela Napoléon en se levant. Je vais chercher du rab de frites.

La Murène lui jeta un regard noir.

— Et qu'est-ce que c'est qu'un empathe noir ? demanda la jeune fille en surveillant toujours le couteau dont son voisin se servait désormais pour trancher sa viande. Une famille d'elfes du Seigneur des Anneaux ?

— Non, mais bonne référence, Darcy, la félicita son ami. Non, un empathe c'est une personne empathique mais qui appartient aussi à la famille du sociopathe et à celle du narcissique.

— Et s'il ne fait pas de missions à deux, c'est parce que dès qu'il y trouverait son intérêt ou un intérêt pour la mission, il abandonnerait son partenaire ou alors se servirait de son équipe comme bouclier ou comme appât.

— Vous confirmez ? interrogea l'Anglaise en se pressant encore plus contre Pollus, convaincue qu'il s'agissait d'un bizutage.

— Oh, tu sais, je me ferais un plaisir d'être ton premier partenaire au cours d'une mission, Darcy, mais tu pourras toujours le réclamer, personne ne nous accordera cela.

— Black, on en a déjà parlé, fit la Murène du même ton qu'il prenait pour convaincre Darcy d'éteindre la lumière et de lâcher un roman policier. Tu m'as dit que tu aimais faire partie de l'unité. Ne gâche pas tout.

— Tu sais que tu peux me faire confiance, la Murène.

— Tu entendras beaucoup Black dire ce genre de choses. Il ne faut jamais le croire : je pense qu'il ne peut pas s'empêcher de vouloir gagner ta confiance. C'est comme un jeu. Mais s'il t'aime bien, c'est bon, tu peux être tranquille.

— Vous... vous êtes un genre de cannibale, en vrai, c'est ça ? Ici, vous faites des travaux d'intérêt général parce qu'en prison vous vous comportiez très bien ?

Le Russe plissa les paupières et un sourire glacial s'étendit sur ses lèvres. Il fit claquer la langue contre son palais et murmura :

— Tu es une petite rustre, mais je pense que ça te passera. Bonne journée.

Il avait englouti un énorme steak saignant en quelques secondes, exactement comme un python goberait une proie aussi grosse que lui. Napoléon le salua avec une joie non déguisée lorsqu'il le croisa.

— Alors, ça c'est passé comment ? demanda-t-il en s'asseyant devant une montagne de frites.

Il remarqua les joues mortellement blanches de Darcy et le teint grisâtre de Pollus et du Canadien. Le Français se mordit les joues :

Et merde... lâcha-t-il en français. Si mal que ça ?!

*

OOOOOOOH ! Punaise, imaginez-vous : hier soir j'ai réussi à écrire une grande partie de ce chapitre. Je ne sais pas ce que cela donne mais c'est un début. Dites-moi ce que vous en pensez ? 

Merci, bisous ! 

Sea

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