Une nouvelle mission
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Il était tellement beau, tellement gentil. Il me prit la main et me jura qu'il me protégerai jusqu'à la fin des temps. Je me serais cru dans un conte de fées, ceux que l'on narre aux enfants avant qu'ils s'endorment paisiblement, où tout allait bien se finir. J'étais enfin libre, je ne finirai pas ma vie seule et sans attache. Ses mains douces serrèrent les miennes et son regard bleu océan se lia au mien. Nous étions connectés.
Pourtant, je sentais que quelque chose clochait. Son sourire se transforma soudain en un rictus animal et son attitude prit celle d'un prédateur. Les serres s'étaient resserrées autour de moi et j'étais piégée, sans pouvoir faire le moindre mouvement ni même dire quoi que ce soit, je voyais le sol se dérober sous mes pieds et pendant que je tombais dans le néant, je vis ses beaux yeux bleus me fixer avec férocité et haine.
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Je me réveillai en sursaut mais cette fois-ci ce n'était pas à cause seulement de mon cauchemar. On hurlait dans mon appartement et les cris provenaient de ma chambre. David !
Je me levai en vitesse en tentant de ne pas tomber à cause des vertiges qui me prenaient soudainement. J'ouvris en grand les doubles battants qui séparaient la pièce du salon. David était tout en sueur, il se débattait dans son sommeil et semblait plus effrayé que jamais. Il hurla encore une fois avant d'ouvrir brusquement les yeux dans ma direction.
Je me précipitai à ses côtés et tentai de le prendre dans mes bras mais il se déroba :
« Cassez-vous ! Me touchez-pas ! ». Même s'il me résista les premiers temps, il ne tint pas longtemps. Je savais qu'il avait besoin d'une épaule pour pleurer. Il pouvait compter sur moi et je sentais qu'il commençait à l'intégrer dans sa jolie tête blonde.
- David il va falloir te rendre à l'évidence : je ne te lâcherai pas. Alors arrête de faire ton gros dur. Tu as vécu des évènements dont la plupart des gens sur cette planète n'ont même pas été témoins. Tu as le droit de te lâcher, cela fait partie du processus normal...
Je le serrai fort dans mes bras et je le laissai crier, hurler et gémir. Il extériorisait toute la haine et le désespoir qu'il avait ressenti ces dernières années et je comprenais qu'à son jeune âge il puisse ne pas supporter de telles choses.
Il s'endormit dans mes bras comme un petit animal blessé. Je lui caressai, comme une mère, sa douce chevelure, pour détendre les traits crispés de son visage. Il paraissait si faible ainsi recroquevillé dans mes bras. Je passai le reste de la nuit à veiller sur ce petit jeune homme qui n'avait pas été épargné par la vie.
Quand je me réveillai le lendemain matin. David était profondément assoupi, la tête posée sur mes genoux et les jambes ramenés contre son torse. Sa respiration semblait paisible et il ne paraissait pas à nouveau confronté à des cauchemars.
J'entrepris de me lever le plus discrètement possible pour ne pas le réveiller en sursaut et refermai les battants de la chambre derrière moi. J'allai à la cuisine pour nous préparer un bon petit déjeuner mais quand j'ouvris mon frigo je fis la grimace. En réalité, cela devait faire une éternité que je n'avais pas fait les courses. Je savais qu'une boulangerie était située en face de mon immeuble mais j'hésitais à laisser David tout seul dans l'appartement. S'il se réveillait et que je n'étais pas là, j'avais peur qu'il panique et qu'ils prennent ses jambes à son coup.
Soudain, quelqu'un frappa à la porte. J'étais méfiante. Personne, à part Miss Hampton, ne savait où je vivais, j'avais fait en sorte de disparaître il y a bien longtemps. Je jetai un coup d'œil à travers le judas de la porte et c'est là que je vis ma patronne en train de s'impatienter sur le palier. Je lui ouvris avec un large sourire qui se voulait rassurant, en suggérant que je maîtrisais la situation, mais il semble que j'aie lamentablement échoué, car la vieille femme ne fut pas dupe et me fixa avec un regard des plus désapprobateurs.
Je m'écartai du seuil et laissai ma mère de substitution s'engager à l'intérieur de mon piteux appartement. Elle portait des sacs beaucoup trop chargés pour sa corpulence et son âge. J'entrepris d'aller l'aider mais je n'eus pas le temps de dire quoi que ce soit qu'elle me coupa dans mon élan :
« - Je n'aime pas comment les choses tournent Ellie. Tu as toujours refusé de me parler de ton passé et j'ai toujours respecté ton jardin secret mais j'ai besoin de savoir si tu maîtrises la situation et que tu n'es pas en train de te jeter directement dans le vide sans parachute.
- J'ai le vertige alors les sauts ascensionnels très peu pour moi... »
J'essayais d'apporter un peu d'humour à notre conversation mais je sentai que cela n'allait pas me sortir d'affaire. Miss Hampton ne devait rien savoir, pas même cette femme que je respectais le plus au monde et qui était la personne qui m'avait recueillie il y a deux ans pour me proposer une place dans sa vie alors que je n'avais rien à lui offrir. Ses grands yeux bleus me fixaient avec dureté mais je ne cédai pas. J'avais connu bon nombre d'intimidations et même si je tenais beaucoup à la relation que j'entretenais avec Vera Hampton, la mettre en danger pour me sentir moins mal de ne pas être honnête avec elle, était exclu.
- Je vous en prie Miss Hampton, ne m'obligez pas à repartir. C'est ce qu'il va se passer si vous me posez trop de questions. Vous ne devez rien savoir. La seule chose que vous avez à connaître c'est que je suis attachée au monde juridique, au droit, à la justice et que je ferais tout ce qui est en mon pouvoir pour respecter les valeurs auxquelles je crois. Nous vivons dans un monde cruel où la violence a pris une trop grande place. Je veux pouvoir me racheter de mon passé et que mon existence serve à d'autres personnes que moi.
- Tu ne prends pas soin de ton corps Ellie. Depuis que je te connais tu as dû perdre pas moins de dix kilos. Tu ne portes que des vêtements qui te cachent, tout comme tu omets de me dire toute la vérité sur toi. Je respecte ton choix mais sache que quand on est seule, on est plus vulnérable et je ne veux pas qu'il t'arrive quoi que ce soit. Je vais te dire une seule chose, je ne le mentionnerai qu'une fois et si tu me le demande à nouveau plus tard je nierai l'avoir dit... Tu es la fille que je n'aie jamais eue Ellie. Voilà deux ans que je n'imagine plus ma vie sans toi. Une vieille dame n'a pas tant de bonheur dans la vie mais toi, tu es le rayon de soleil qui me fait me lever tous les matins et qui me fait garder espoir qu'il y ait des gens comme toi qui se battent pour ces jeunes âmes perdues. Je sais que quand je ne serais plus là, ils auront toujours quelqu'un qui se battra pour eux corps et âme. Mais Ellie... Si je te perdais...
- Ça n'arrivera pas Miss Hampton. Je suis une coriace.
Je lui fis un clin d'œil et la serrai dans mes bras. J'avais les larmes aux yeux d'avoir entendu ses paroles. Personne n'avait tenu à moi de la sorte depuis le début de mon existence. Je n'avais toujours été qu'un jouet, un vulgaire pantin que l'on manipulait à sa guise.
- Tu es en train de m'étouffer.
La Miss Hampton que je connaissais était revenue, je la vis cependant sécher une larme sur sa joue et renifler discrètement.
- Bon allez, lâche-moi il faut que je débarrasse les courses.
Les courses ? Miss Hampton m'avait fait des courses. La situation était tout de même assez cocasse : ce n'était pas aux jeunes de rendre service aux vieilles dames et de les aider dans la gestion de leur vie ?
- Il ne fallait pas Miss Hampton...
- Vera. Maintenant je t'ordonne de te décoincer avec tes formules de politesses, et de m'appeler Vera. J'ai l'impression d'être une vieille mégère qui gère un pensionnat quand tu t'adresses à moi comme ça !
Je ris de bon cœur. Cette femme avait un caractère de lionne et je l'adorais.
Nous entendîmes soudain les battants en bois de ma chambre s'ouvrir et une tête blonde ensommeillée en sortie. David avait l'air plus abattu que jamais.
- J'ai acheté des muffins et je vous ai pris à tous les deux un café. Un latte caramel pour toi Ellie et j'ai pris un café liégeois pour le jeune homme. Pour les muffins inutile de vous battre, ils sont tous les deux aux pépites de chocolat.
Je la remerciai et entrepris d'installer ce que Vera nous avait apporter sur la table basse, en face du canapé et surtout juste à la bonne place pour regarder la télé. Cela évitait de parler et étrangement notre esprit se vidait quand on regardait les émissions qui passaient en boucle le matin. En général, il s'agissait de programmes où les gens s'écharpaient, se faisaient des coups bas et tout cela avec autant de tact qu'une poule.
David hésita d'abord mais vint enfin me rejoindre quand j'entendis très nettement le cri de famine de son estomac.
J'étais moi aussi affamée et je dévorai mon muffin en moins de temps qu'il ne fallait pour le dire.
Ma patronne avait rempli mon frigo à ras-bord et quand elle eut fini de tout ranger je la serrai à nouveau dans mes bras contre son gré. Quand elle quitta mon appartement, elle ne put s'empêcher de me rappeler qu'il fallait que je me dépêche si je ne voulais pas être en retard à mon travail. Je la rassurai avec un sourire et lui promis d'être là dans vingt minutes.
Aujourd'hui j'allais travailler à rendre une vie meilleure à David. Tout ce que j'espérai c'était remporter la bataille.
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