Tout le monde a ses secrets (partie 4)




ELENA

Je fus estomaquée par la décoration de la suite. De grands tapis couleur sable, ornés de magnifiques arabesques rouges, couvraient le sol de la chambre. La pièce salon donnait directement sur une grande baie vitrée qui offrait une vue époustouflante de la nuit sur New-York. Un bar en bois d'ébène trônait dans un coin de la pièce et deux tabourets semblaient attendre que les visiteurs viennent se servir le plus délicieux des cocktails. Mon regard fût ensuite attiré vers la première chambre où un magnifique lit deux places avait été fait. La couverture noire tranchait avec la clarté du sol et du plafond, et les oreillers d'une couleur rouge sang étaient immenses.

Princeton amena sa petite sœur, dans la chambre du fond, elle-aussi composée d'un grand lit King-size, mais aussi d'un secrétaire en merisier et d'une table d'échec. Il l'allongea doucement sur les couvertures sans défaire le lit de peur de la réveiller. Il était vrai qu'elle avait l'air apaisée, endormie de la sorte, et il serait dommage de la sortir de cet état d'innocence. Princeton lui chuchota quelque chose à l'oreille avant de l'embrasser sur le front et de me rejoindre au bar, où je m'étais installée automatiquement. Était-ce un signe qui montrait mon besoin de prendre un verre pour me détendre ?

Princeton sembla comprendre et ouvrit une trappe sous le bar pour en sortir une bouteille de whisky. Il ne pouvait pas me faire plus plaisir qu'en me montrant un Dalmore 1996, un délicieux single malt écossais qui avait ce goût particulier de pain d'épice mélangé à la prune. Je n'en avais bu qu'une fois dans ma vie : pour la réussite de mon diplôme, avec une vieille amie de promotion qui venait d'Outre-Manche.

Quand Princeton me vit lorgner sur la bouteille ornée d'un magnifique cerf, il me sourit ironiquement, et une petite fossette se creusa sur sa joue droite.

-        Seriez-vous alcoolique Elena David ?

Je luis souris gentiment après sa remarque :

-        J'ai de nombreux vices Mr Sutherland mais certainement pas la boisson ; c'est elle qui est à mon service, pas moi.

Sur ces paroles, je lui pris la bouteille des mains et entrepris de nous servir deux verres copieusement remplis. Devant son air mi-étonné mi-amusé, je riais discrètement pour ne pas réveiller Sacha :

-        Tu croyais que j'allais te laisser consommer ce délicieux whisky à 400$ la bouteille à toi tout seul ?

-        Je ne te savais si entreprenante.

Il me dit cette dernière phrase sur un ton énigmatique et, comme si cela ne suffisait pas, il me fit un clin d'œil. J'appréciais son jeu de séduction autant que je le détestais. Ce n'était ni le moment, ni l'endroit.

-        Pourquoi ta sœur était-elle en danger Princeton ? Que vont donner les résultats du laboratoire ?

-        Rien j'espère. Je ne pense pas qu'elle aurait osé au premier repas.

-        Tu n'as répondu qu'à la deuxième question.

Ses yeux se plantèrent dans les miens, et je ne parvins pas à déchiffrer ce qu'exprimait son regard à cet instant. Je savais simplement qu'il me scrutait à la manière d'un prédateur voulant resserrer ses serres sur sa proie. Sauf que je n'étais pas une victime, ni quelqu'un qui se laissait dicter ses actions. Je contrôlais ma vie avant ce travail qui m'avait été offert par le professeur Smouth, et j'aurais tout donné pour retourner dans mon petit appartement, bien tranquille. Cependant, en y réfléchissant, je n'aurais jamais revu ma mère, ni même rencontré une adorable petite fille comme Sacha et, je n'aurais jamais croisé le chemin de Princeton... Je ne savais pas ce que j'éprouvais pour lui... De la compassion ? De l'affection ? Plus que tout cela réuni ? J'avais si peur, mon ventre était noué à l'idée de perdre la main sur mes sentiments, à replonger une nouvelle fois dans un univers qui ne m'avait pas porté chance par le passé...

Il posa son verre sur le bar et se rapprocha de la grande baie vitrée pour observer les lueurs de la nuit. Sa beauté était encore plus insoutenable, éclairée par la lune et les lumières des immeubles aux alentours. Il se frotta l'arrière de la tête avant de se tourner vers moi pour me dire d'approcher. Après une seconde d'hésitation, je me levai de mon tabouret et le rejoignis, devant cette vue imprenable. Le temps était comme suspendu et seuls nos regards parlaient pour nous. Je me perdais dans la profondeur de ses yeux. Comment avais-je pu être aussi aveugle ? Il était loin de l'homme que j'avais cru connaître le premier jour de cours. Je ne possédais plus de rôle en tant que professeure, et finalement nous étions à égalité dans cette chambre d'hôtel. Alors que je crus qu'il allait se défiler, sa langue se délia d'elle-même, sans que je n'aie à insister :

-        C'était il y a longtemps, mais mon frère et moi tombions, tout le temps, malades. Notre mère s'occupait de nous dans une chambre à l'étage de notre ancienne maison. Mon père croyait qu'elle se tenait à notre chevet afin que nous allions mieux. Il est vrai qu'elle était adorable quand nous avions de la fièvre et que nous ne pouvions pas nous rendre à l'école. Ma mère nous lisait des histoires, nous apportait des potages au lit et regardait des films avec nous. Les seuls moments où elle riait et s'occupait de nous étaient tellement rares que nous adorions ces instants volés...

Il commençait à se confier en j'en fus touchée. Il alla s'installer sur l'un des canapés du salon et je le rejoignis après quelques minutes, le temps qu'il reprenne ses esprits. Raconter cette partie de sa vie semblait lui peser et dieu sait que je le comprenais... C'était peut-être ce lien dans la douleur qui nous avait rapprocher si rapidement.

-        Je crois que j'avais dix ans quand mon frère s'est aperçu de la machination de ma mère. Il se trouvait qu'elle nous rendait malade, pour pouvoir se donner de l'importance en s'occupant de nous. Il s'agit du syndrome de Münchhausen par procuration. Une maladie psychiatrique rare, très difficile à déceler.

J'avais entendu parler de cette maladie, mais je n'avais jamais croisé de gens qui en étaient atteints. Princeton se prit la tête entre les mains. Avec compassion je posai une main sur son épaule. Il respirait fort et tremblait légèrement.

-        Bryan avait quinze ans à l'époque. Il s'est littéralement sacrifié pour moi. C'est lui qui me préparait à manger, qui veillait à ce que je ne mange ou ne boit absolument rien de ce que ma mère préparait. Pour ne pas éveiller les soupçons, il prenait ma place. Il s'est esquinté pendant des années les reins puis le foie jusqu'à ce que l'on soit obligé de l'hospitaliser.

Sa voix était empreinte de tristesse refoulée, et ses yeux se remplirent de larmes. Cependant aucune d'entre elles ne roula sur ses joues. Je l'encourageai à continuer en lui serrant l'épaule un peu plus fort. Il me prit la main et la caressa avec douceur. Ce contact parut le rassurer et il reprit son récit.

-        Les médecins n'ont pas voulu croire un pauvre adolescent de quatorze ans, et mon frère qui n'en avait que dix-neuf à l'époque fût obligé d'être sous dialyse. Puis ce fut l'escalade, mon père lui a donné un rein mais ça n'a pas suffi. Le foie était trop atteint et l'état de Bryan empirait de jour en jour... J'ai tenté de rassembler le plus de preuves contre elle, allant même jusqu'à la provoquer... Mais elle était véritablement un monstre et à chacune de mes tentatives, elle me menaçait de tuer mon père, mon frère ou même ma pauvre petite sœur qui venaient d'avoir ses un an...

Cette fois, je pus déceler un sanglot dans sa voix, et il s'enfonça doucement dans le canapé, comme s'il était épuisé par tant de révélations. Il continuait de serrer ma main et regardait le plafond, perdu dans ses sombres souvenirs.

-        Comme un lâche j'ai quitté la maison et finalement ce fût mon père qui mourut en premier. Je suis pratiquement certain qu'elle l'a empoisonné. Quand j'ai attrapé dix-neuf ans, un de mes amis avocats a tenté de monter un dossier contre elle. J'ai cherché un médecin psychiatre qui pourrait attester de sa maladie. Cependant Susan Sutherland a le bras long et même si elle s'est fait arrêter plusieurs fois, elle s'en est toujours sortie, et je n'ai jamais pu la mener devant les tribunaux. Ma seule victoire a été de pouvoir demander une mesure d'éloignement afin que je puisse cacher ma petite sœur, l'éloigner de la sorcière qu'était notre mère.

Il lâcha ma main et commença à se frotter les yeux pour essuyer les larmes qui menaçaient de couler.

-        Je m'en veux à chaque fois que je vois Bryan dans ce putain de lit d'hôpital ! Tu ne peux pas savoir l'impuissance que je ressens... C'est comme une douleur lancinante qui ne s'arrête jamais et qui me fait comprendre jour après jour, que je devrais être à sa place. Je...

-        Ce n'est pas ta faute Princeton... Certes ce qu'a fait ton frère est tout à fait louable mais ce n'était pas à vous, en tant qu'enfants, de prendre la responsabilité de la maladie de votre mère. Tu ne changeras pas le passé mais je vais t'aider à changer l'avenir. Et puis, Princeton...

Je laissai ma phrase en suspens volontairement afin qu'il me regarde droit dans les yeux, quand je lui avouerais ce que je pensais de lui à cet instant. Il releva lentement la tête vers moi afin que nos regards se croisent :

-        Tu as agi comme un héros aujourd'hui. Tu as sauvé Sacha. Cette petite fille dort tranquillement dans une magnifique chambre d'hôtel grâce à toi. Elle est encore innocente et pleine de vie. Tu as réussi à lui offrir un avenir prometteur et pour cela, tu es le meilleur ange gardien qu'elle puisse avoir...

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