Sous-Surveillance (partie 2)
DAVID
Il n'avait jamais été aussi reconnaissant envers une personne. Elena David était la douceur et la gentillesse incarnées. Elle n'avait jamais été obligée de prendre tous ces risques pour lui et, pourtant, elle n'avait pas hésité une seule seconde pour le rejoindre dans le Bronx, où il était en danger de mort.
Manhattan avait toujours été son terrain de jeu avec son père. À présent, il ne souhaitait qu'une chose : disparaître des radars des puissants Sharks. La voiture qui l'emmenait à l'aéroport JFK (John Fitzgerald Kennedy Airport) emportait, avec elle, tous ses mauvais souvenirs. La seule chose qu'il regrettait au plus profond de lui, était qu'il n'avait pas pu dire adieu à son père. Il ne savait absolument pas ce qu'il s'était passé lors de son arrestation. De plus, il aurait vraiment voulu savoir quelle place il occupait dans son cœur de malfrat. Un sentiment d'inachevé l'accompagnerait jusqu'à la fin de ses jours. Il allait avoir quinze ans le week-end prochain, et il avait plus connu de choses que certaines personnes de soixante-dix ans.
Les marshals s'étaient montrés brusques avec lui, lorsqu'il avait fallu l'emmener. Ils les comprenaient, lui-même doutait de lui. Serait-il capable de recommencer tout à zéro ? Les vieux vêtements trop grands, que lui avaient prêté Elena, avaient été troqués contre un pantalon de jogging noir ainsi qu'un sweet à capuche assorti. Les marshals maintenaient sous bonne garde ses nouveaux papiers. Il allait à présent s'appeler : Danny Risler. Il avait quatorze ans et allait fêter ses quinze ans le week-end prochain. Ses nouveaux parents vivaient dans le fond du Wyoming, ils possédaient un ranch et de nombreuses terres, perdues au milieu des Rocheuses. Ils se nommaient Marge et John Risler. Une nouvelle famille, une nouvelle vie, que demander de plus ?
L'aéroport international de New-York était impressionnant vu de loin. Les avions décollaient toutes les minutes, et les milliers de passagers se bousculaient à l'intérieur du bâtiment, pressés par le temps.
Néanmoins, la voiture de David n'eut pas le temps d'arriver à destination. Un immense SUV fonça dans leur direction. La voiture avait beau être blindée, elle ne résista pas au choc violent de l'impact, et le jeune homme sentit son cou craqué et tout tourna autour de lui. Il fut entraîné dans un tourbillon. Après plusieurs tonneaux, la voiture s'immobilisa enfin. David avait mal de partout et il fut bien incapable de bouger. Un liquide chaud coulait le long de ses tempes et troublait son champ de vision. La seule chose qu'il entendit distinctement, avant de se faire entraîner dans le plus profond des sommeils, fut : « Enfin, on l'a ».
*******
PRINCETON
Sacha dormait à poings fermés. Il lui caressa le haut du crâne en signe d'apaisement. Il aurait tellement voulu faire plus pour cette petite fille. Elle allait, hélas, grandir dans un monde peuplé de monstres aux visages d'anges. Sa mère en était le parfait exemple et il ne cesserait de vouloir se racheter auprès de la vie, de lui avoir permis de marcher sur ses deux jambes, de ne pas être coincé au milieu de perfusion et de fils en tout genre. Bryan était courageux mais Princeton le savait, tôt ou tard, ce magnifique visage n'exprimerait plus rien, et les yeux rieurs de son grand frère, s'éteindraient pour toujours.
Il n'arrivait toujours pas à croire que la vie lui avait encore offert un cadeau : Elena David. Il ne la connaissait que depuis quelques jours, et pourtant, rien ne pouvait lui réchauffer plus le cœur que de la voir. Elle rayonnait malgré une profonde tristesse qui l'habitait. Son courage et sa détermination frisaient le respect. Il était attendri et, pour la première fois, il s'autorisait à baisser les armes devant une femme. Elena était douce, généreuse et profondément meurtrie, comme lui...
Quand il avait vu les nombreuses blessures qui lui lacéraient l'estomac, son cœur s'était fendu. Comment pouvait-on faire cela à la femme que l'on était supposé aimer de tout son être. Ce qui l'avait encore le plus choqué, c'était la manière dont cette enflure d'Adam avait mis fin aux jours de sa petite fille. Pour lui, cet acte, avait aussi détruit Elena à jamais. Cependant, après le tendre baiser qu'ils avaient échangés avant qu'elle parte, Princeton s'était promis une chose : il serait celui qui l'aiderait à s'aimer à nouveau. Elle ne voyait pas encore ce qu'elle apportait aux gens qui l'entouraient, mais bientôt, elle ouvrirait grand les yeux.
Alors que le jeune homme était sur le point de s'endormir, on frappa discrètement à la porte. Son cœur fit un bond, et instinctivement il attrapa la première chose qui lui tomba sous la main : un cendrier. Effectivement, une arme de cette taille ne ferait pas grand mal ; même un petit caniche ne serait pas assommé par un assaut pareil. Décidemment, s'il voulait protéger Sacha, il faudrait qu'il s'entraîne...
Anxieux, il regarda par le Juda. Son cœur repris un rythme normal et il ouvrit à Elena. Encore essoufflée, la jeune femme se précipita au salon poser la boîte de Diana. Il adorait le tic qu'elle possédait quand elle était en pleine réflexion. Ses sourcils se fronçaient et elle se mordillait le côté de la lèvre. Elle ne se rendait sûrement pas compte à quel point elle était belle et sexy.
- Je peux t'aider ?
- Oui... Si tu ne crains pas le sang et les phanères trempées dans un liquide suspect. Apporte-moi un ou deux verres du bar.
Le jeune homme s'exécuta et vint s'asseoir à côté de la jeune femme. Au travail...
*******
ELENA
Il fallait que nous vidions une à une les fioles de sang dans un premier temps. Le liquide pourpre commençait à coaguler et il était assez épais, si bien qu'il était difficile de le faire couler à l'intérieur du verre. Mon interlocuteur au téléphone avait fait les choses bien. Effectivement un minuscule petit papier au fond de la fiole indiquait un numéro : 2314. Je continuais jusqu'à obtenir avec les quatre fioles de sang la suite suivante : 2314-2512-2113-2312. J'avais automatiquement placé les fioles dans l'ordre de la date de naissance des différentes victimes. Effectivement, je supposai que si ce malade mental avait noté leur mois et année de naissance sur chaque étiquette, ce n'était pas par hasard. Si je visais juste, nous avions affaire à quelqu'un de très intelligent.
Je fixai la dernière fiole où je n'avais pas vu le petit papier qui trônait au fond de celle-ci. Cependant il n'y avait rien d'écrit... Quel sang me révèlerait le numéro ?
- Princeton, je ne sais pas comment révéler le dernier numéro de cette suite. Je n'ai aucune indication...
- Tu ne penses pas que cela pourrait être le sang de Diana ?
- Ce serait trop simple... Et puis la boîte n'était pas uniquement adressée à elle. Je pense que c'est de moi qu'il s'agit, mais si je me trompe, le message sera perdu...
- Prends le risque.
C'était la phrase qu'il me manquait pour me faire sauter le pas. Je me dirigeai vers le bar où j'espérais trouver un tire-bouchon, ou tout autre outil qui me permettrait de me blesser suffisamment pour faire couler le sang. Mes gestes étaient fébriles. Il fallait dire que tout cela était source de stress et, lorsque l'on savait que le temps pressait, il devenait difficile de garder son sang-froid. Princeton s'approcha de moi et me tendit calmement son couteau-suisse. J'avais eu raison de retourner avec lui cette nuit. Il m'accompagnait, m'apaisait, et faisait en sorte d'être présent à chaque fois que je flanchais. Je lui pris peut-être un peu trop rapidement l'objet des mains car il tomba entre nous. Au moment où je me dépêchais de le ramasser, nos deux têtes s'entrechoquèrent, et nous tombâmes tous les deux face à face. Je ris. Les nerfs lâchaient. Mais alors que je croyais m'amuser de cette situation, je sentis mes larmes coulées sur mes joues. Princeton vint me serrer dans ses bras et me caressa avec douceur le haut du front. Je me réfugiais au creux de son étreinte puissante et y trouvait un énorme réconfort. Jamais ne n'aurais pu imaginer que je rencontrerai quelqu'un d'aussi prévenant. Sous ses airs arrogants, se cachait quelqu'un qui avait la volonté de venir en aide aux autres. Il avait un cœur en or et était d'une patience à toute épreuve.
Quand la crise de larmes cessa, il m'aida à me relever. Nos regards se croisèrent et il m'embrassa sur le front en me promettant de rester à mes côtés.
- J'ai peur Princeton.
- Je sais.
Ces simples mots échangés suffirent à ce que je continue ma mission. Je revins m'installer sur le canapé du salon, et me coupais la paume pour en faire couler des grosses gouttes de sang dans le minuscule tube à essai. Il était difficile de viser et quelques taches rouges s'incrustèrent dans la belle table en bois d'ébène. Le tour était joué et le papier révéla le dernier chiffre : 2355.
J'avais été tellement absorbée par mon travail que je n'avais pas remarqué que Princeton s'était occupé des fioles contenant les différentes mèches de cheveux. Il avait établi lui aussi une suite de chiffre suivant la date de naissance de chacune des victimes. Je lui souris et, sans un mot, nous rassemblâmes nos découvertes.
« 2314-2512-2113-2312-2355-4352 »
- Et maintenant ?
Je ne pus lui répondre. Comme moi, Princeton était ahuri devant cette suite de chiffre qui ne voulait rien dire. Effectivement les choses allaient se révéler compliquées.
Il s'agissait d'un code. Mes parents m'avaient entraîné pour les déchiffrer et je passai en revue toutes les combinaisons possibles. C'est à cet instant qu'un éclair de lucidité me vint : il s'agissait forcément d'un code russe. Tout semblait être en rapport avec ce pays. Le code nihiliste était utilisé pendant la révolution russe par les prisonniers, pour communiquer entre eux. Ils tapaient à différentes reprises sur les tuyaux de leur prison, à St Pétersbourg, pour former des phrases. Cela leur permettait souvent d'organiser leur fuite, ou alors s'accorder sur ce qu'ils devaient dire lorsqu'ils étaient interrogés. Ce code était allié avec un tableau : le tableau de Polybe. Je dessinai rapidement sur un papier, que j'avais trouvé dans mon sac, des lignes et des colonnes, afin de rendre les choses plus claires dans mon esprit :
Il ne me restait plus qu'à le remplir avec des lettres. C'est à cet instant que les choses devinrent plus compliquées. Chaque lettre du code était représentée par un groupe de deux chiffres. Ce système de chiffrement a cependant été compliqué par les russes. Souvent ils se donnaient un mot de passe. Ce dernier permettait de remplir les premières cases de gauche à droite. Je savais qu'il ne fallait pas répéter une lettre lorsqu'elle avait déjà été mise dans le tableau. Une fois le mot de passe marqué, il fallait compléter la grille avec les lettres de l'alphabet, dans l'ordre.
Quand j'expliquais tout cela à Princeton, ce dernier m'écoutait attentivement.
- Tu dis qu'il faut un mot de passe pour commencer la phrase et je crois l'avoir trouvé.
- Vraiment ?
Je fouillais dans ma mémoire à la recherche de quelque chose que j'avais pu manquer, mais rien ne me vint.
- Te souviens-tu de comment ce malade t'a appelé sur le petit mot laissé dans la boîte de Diana
- Printsessa...
- Il suffit de le retranscrire en français, autrement dit « princesse ». Je suis pratiquement certain qu'il s'agit du mot de passe. Après je peux peut-être me tromper mais...
Je ne le laissai pas finir et l'embrassai à pleine bouche. Princeton était un génie ! Quand je me détachais de lui, il éclata de rire
- Oui, il m'arrive de regarder des films d'espionnage, j'adore James Bond.
Je ris à mon tour. La situation n'était pas forcément adéquate pour la plaisanterie mais je devais avouer que cela détendait l'atmosphère.
Je repris mon papier et nous nous mîmes au travail. Je complétai alors le tableau suivant la méthode, en faisant attention de ne pas répéter des lettres et d'omettre le « w » :
Je séparai ensuite les chiffres en groupes : « 23-14-25-12-21-13-23-12-23-55-43-52 ». Une fois le tableau rempli, j'entrepris alors de remplacer chaque dizaine par une lettre en commençant par les chiffres en colonne.
« ANDREIARAZOV ».
Nous restâmes tous les deux interdits devant cet amalgame de lettres qui ne voulait strictement rien dire... Soudain, en y regardant de plus près, je vis que le prénom « Andreï », bien connu en Russie, se détachait du reste. « Arazov » devait donc être un nom de famille.
Le mot de passe correspondait donc à une personne : « Andreï Arazov ». Nous étions bien avancés... Je ne connaissais pas cet homme et, vu la tête de Princeton devant le message, lui non-plus.
Il allait falloir que j'ai une discussion avec ma chère mère...
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