Où sont les vrais monstres ?
VERA
Les sbires de Nicolas David avaient eu la main lourde. Le visage de Vera était entièrement tuméfié, et la vielle femme commençait à perdre connaissance. Mais elle ne cèderait pas... Elle continuerait à lutter pour Agnès, pour Elena et pour tout ce qu'elle avait déjà fait pour elles jusqu'à maintenant. C'est lorsqu'un autre coup vint l'atteindre sur le côté droit du visage, que Vera sombra finalement dans un profond sommeil.
Il y a vingt-trois ans
Le bureau de Nicolas David était à la fois impersonnel et garni de pièces de musées, toutes aussi rares les unes que les autres. La décoration allait des statuettes incas, aux masques africains, ainsi qu'aux katana qui étaient accrochés au mur. Nicolas David ne se refusait rien et dès qu'il s'agissait de montrer l'opulence de sa richesse, il était toujours présent. Vera pianotait ses cuisses de ses doigts parfaitement manucurés. Elle était nerveuse. Elle n'avait pas réussi à mettre la main sur Igor Keret, le marchand d'armes russes, qui faisait de la concurrence à son patron. Il avait volé pour des millions de marchandises afin de les revendre au plus offrant. Il était à présent sur la liste noire de Nicolas David, autrement dit c'était un homme mort.
- Vera ! Tu es de retour !
L'homme aux cheveux d'ébène et aux yeux d'acier, lui tendit une main, signe de respect et de bienveillance, pour le moment...
- Monsieur...
- Désire-tu boire quelque chose ? Un whisky ? Un cognac, une vodka ?
- Non, je...
- Laisse-moi deviner, un bon verre de vin rouge te ferait le plus grand bien !
Il savait... Il ne pouvait en être autrement. Son échec cuisant en Ukraine ne pouvait pas passer inaperçu et elle était consciente du danger qu'elle prenait, en se rendant directement dans les bureaux de son patron.
Vera se tut donc et attendit sa sentence. C'était soit une balle dans la tête, soit une accolade de pardon. Avec Nicolas, rien n'était dans la demi-mesure, et il détestait les échecs.
- Alors comment était Kiev ?
Il commençait fort. Il testait son sens du dévouement et son respect. Il fallait aussi qu'elle lui montre qu'elle ne se laissait pas démonter. Il ne fallait pas supplier cet homme de vous laisser la vie sauve, car en général c'était plutôt la tombe qui vous attendait.
- Je n'ai pas eu le temps de faire du tourisme Monsieur. Vu le fiasco de la mission, je comprendrai aisément que vous n'ayez plus besoin de mes services.
- Oh Vera... Ne sois pas bête. Tu es une de mes meilleurs agents ! Ce n'est pas de ta faute, ne t'en fais pas ! Le véritable coupable va payer et tu sais quoi ? Je t'ai réservé un traitement d'honneur.
À ce moment-là, Nicolas David se déplaça vers son bureau et appuya sur un interrupteur, qui le mit directement en relation avec sa secrétaire personnelle : « Faîte amener le prisonnier dans mon bureau ».
Vera se méfiait. Elle connaissait trop bien cet homme pour savoir qu'il avait une idée machiavélique derrière la tête.
- Vois-tu Vera... Je déteste quand on me désobéit. C'est quelque chose qui pour moi est un crime. Or les crimes doivent être punis. N'es-tu pas de cet avis ?
- Si bien entendu et je suis...
Il la coupa d'un geste en levant sa main en l'air. Ses yeux n'étaient plus aussi patients et sa mâchoire tressaillait légèrement de colère.
- Quand tu m'as demandé de choisir les membres avec qui tu partais en mission, je t'ai écouté. Avec une expérience telle que la tienne, je me suis dit que tu étais certainement la mieux placée pour engager les meilleurs éléments.
Vera savait où il voulait en venir et un vent de panique la prit d'assaut. Un frisson de terreur parcourra son échine et elle dut faire appel à tout son sang froid pour ne pas trembler. Il fallait qu'elle soit forte.
Gregory était un jeune débutant de vingt-deux ans. Fils d'un militaire mort au combat et d'une femme ayant succombée à une pneumonie, elle l'avait en quelque sorte pris sous son aile lorsqu'il s'était engagé dans les services secrets. Il était volontaire, peut-être trop impulsif par moment mais cela était dû à son jeune âge.
C'est cette jeune tête blonde, rasé de près, qui entra dans la pièce en tant que prisonnier. Il était accompagné par deux hommes, beaucoup plus costauds que lui. Son visage était presque méconnaissable. Il avait été roué de coup et avait dû mal à marcher.
Les deux hommes le lâchèrent brusquement au milieu du bureau et étendirent une bâche plastique juste à côté de son corps. Ils le mirent dessus sans ménagement. Le pauvre n'était plus en état de lutter et avait l'air de souffrir à chaque fois qu'on le déplaçait.
Vera ne dit pas un mot, ne bougea pas d'un poil et resta de marbre quand Nicolas la fixa de ses grands yeux gris.
- Tu sais que j'écoute absolument toutes les conversations que tu as avec tes hommes si je vois une mission mal se terminer. Je veux tout contrôler, et je veux m'assurer que personne ne m'a trahi.
Vera avait du mal à respirer et instinctivement, elle posa une main à son cou, comme si cela pouvait aider l'air à passer plus rapidement, à contrôler son souffle. C'était peine perdue...
- Une des conversations que tu as eu avec notre cher Grégory m'a particulièrement intéressée. Je te laisse écouter par toi-même.
Il avait sorti un dictaphone de sa poche et appuya sur la touche « Play ».
« Greg ! Putain Greg tu es où ?
- Je suis désolée Vera, j'ai merdé
- Quoi ? Mais de quoi tu parles ?
- Le mec que l'on était censé arrêté, j'ai pas... J'ai pas pu tirer... Je suis désolée Vera, je l'ai laissé partir...
- Ne dis plus rien
- Mais...
- Putain Greg ta gueule ! »
L'enregistrement était terminé. Vera ne cilla pas, même si à l'intérieur elle était au bord de la crise d'angoisse. Grégory tenait en joug Igor mais il n'avait pas pu appuyer sur la détente. Il avait hésité peut-être trente secondes, mais cela avait été largement suffisant pour que le marchand d'armes s'échappe. Vera n'était pas arrivée à temps. Elle lui avait demandé de garder cela secret mais, dorénavant, elle savait que Nicolas était partout.
C'est alors que son patron se dirigea vers son bureau et en sorti un couteau de chasse. La lame aiguisée brillait à cause de la lumière du soleil, qui filtrait à travers les rideaux. Nicolas s'approcha de Vera et lui tendit l'arme. Cette dernière le fixa avec incompréhension.
- Ta seule punition sera d'égorger ton petit protégé afin qu'il ne fasse plus de bourdes à l'avenir.
Son ton était cassant et d'une froideur extrême. Aucun remord ne l'habitait. Elle savait que Nicolas David était connu pour sa cruauté et son manque d'empathie, mais elle ne le croyait pas aussi monstrueux.
- C'est simple Vera : tu lui tranches la tête ou c'est moi qui m'en charge. Mais sache que ce sera très long et très douloureux pour notre petit Gregory. C'est une faveur que je te fais Vera. C'est parce que tu es mon amie et que tu m'es encore utile.
Le jeune garçon gémissait sur le sol et ses yeux enfantins regardaient Vera avec une lueur d'espoir. Il pensait qu'elle allait pouvoir le sauver des griffes du pire bourreau de tous les temps. Elle savait qu'elle ne pouvait rien faire. Elle refusait de le laisser entre les mains de Nicolas mais elle n'avait pas non plus envie d'ôter la vie à Gregory. Il n'était encore qu'un enfant dans sa tête, il la faisait rire, il débordait d'énergie et trouvait toujours le moyen de rendre les gens autour de lui heureux, même dans la pire des situations. C'était quelqu'un de bien ; voilà pourquoi il n'avait pas pu tuer cet homme : il n'était pas un assassin. La plus grosse erreur de sa vie était de l'avoir prise avec elle. L'idiotie dont elle avait fait preuve la hanterait jusqu'à la fin de ses jours...
- Bon je vais m'en charger
- Attendez ! Attendez...
Les mains de Vera tremblaient quand elle prit le couteau. Pourquoi ne pas utiliser une arme à feu avec un silencieux ? Une balle en pleine tête ne l'aurait pas fait souffrir. Mais Mr David avait toujours les idées les plus sombres quand il s'agissait de réfléchir à l'exécution de ses ennemis.
Elle avança avec difficulté vers Gregory et réfléchit à ses cours d'anatomie, pour trancher la veine, qui lui permettrait de mourir en moins d'une minute.
- Ne me regarde pas Greg...
Vera avait presque chuchoté ces mots tellement la douleur était forte. Elle l'aida à se mettre à genoux et le fit lever la tête vers la fenêtre, où un magnifique soleil inondait la pièce de ses rayons. Les jardins de la propriété de Nicolas David étaient eux-aussi magnifiques. Vera s'approcha de l'oreille du jeune homme qui tremblait comme une feuille.
- Greg. N'écoute que ma voix mon grand. Ton père serait fier de l'homme que tu es devenu. Ta mère serait attendrie par ton côté humain, généreux et altruiste. Ils t'aiment de tout leur cœur et je suis sûre qu'ils ont hâtent de te revoir. Tu les feras rire avec tes blagues à deux balles et tu seras le fanfaron du paradis. Tu auras ta place, parmi les tiens mais aussi dans un monde bien plus beau que le nôtre. Gregory, je t'ai toujours apprécié, et je suis fière de toi. Pour moi tu n'as pas échoué à Kiev, tu as montré ta vraie valeur. Pardonne-moi de t'avoir entraîner là-dedans. Je suis tellement désolée...
- Je vous pardonne, vous n'y êtes pour rien j'ai insisté pour venir... Je vous aime... Merci de m'avoir laisser une chance...
Ce jeune homme semblait résolu... Il avait passé l'étape des suppliques, c'était la phase d'acceptation... À cet instant, Vera se dit que, dans cette pièce, il était le plus courageux... Elle entreprit, la gorge nouée, de chuchoter les dernières paroles qu'elle pourrait lui dire :
- Regarde le jardin mon grand. Regarde ces arbres qui sortent leurs premières fleurs de printemps, cette herbe verte qui doit être si douce quand on s'y allonge dedans. Ne pense qu'à cela, à la douceur, à la beauté...
Vera trancha la tête de Gregory aussi profondément et aussi nettement que possible. Un râle insupportable s'échappa de la bouche du jeune homme, qui s'effondra sur le sol. Il était mort, tout comme l'âme de Vera...
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